Exporter et investir en Russie : approches et perspectives

Participaient à cette table ronde :

Georges CHICHMANOV, Secrétaire Général, L'Oréal Russie (cosmétiques)

Vincent LAULHERE, Directeur Général, Transfaire (industrie laitière)

Nicolas RAIMBAULT, Directeur, Kuhn Vostok (machines agricoles)

Bernd SCHANTZ, Directeur Général de la Zone Russie, Ukraine et CEI, PSA (Peugeot Citroën).

Cette table ronde était animée par Philippe BAUDRY et Elisabeth

Les débats étaient animés par Elisabeth PUISSANT, Directrice de la Mission économique Ubifrance en Russie et Philippe BAUDRY,Ministre Conseiller pour les affaires économiques et financières, Chef des services économiques pour la CEi.

Elisabeth PUISSANT

Pour introduire nos débats, je partirai d'un article récemment paru dans Kommersant , qui parlait de la spécificité, voire de l'anomalie, du modèle Kalouga. Cette région, qui peut se prévaloir d'une croissance représentant 30 % du PIB par an, compte 400 Français, sur les 8 000 étrangers qu'elle accueille au total, ce qui représente la plus grosse communauté française en Russie derrière Moscou. La situation actuelle de cette région atteste en outre d'un processus de reconversion réussi, dans une zone spécialisée, au départ, dans l'aéronautique.

Selon le journaliste de Kommersant , le secret de Kalouga réside dans la création de clusters et dans l'affirmation d'une vocation universitaire et scientifique forte. Les responsables de cette région ont en outre su mettre en place un climat des affaires très favorable, en créant notamment une agence pour le développement qui soutient les investisseurs dans leurs démarches. Un tel climat dynamise une politique industrielle déjà active et a notamment permis l'arrivée d'un investisseur de référence dans le secteur de l'automobile.

L'oblast de Kalouga offre en outre une grande probité des relations professionnelles, ce qui contribue là encore à attirer les investisseurs étrangers. Par ailleurs, si l'endettement de la région de Kalouga est certes important, le jeu en vaut la chandelle dans la mesure où la montée en puissance du modèle économique de cette région semble profiter à l'ensemble des acteurs en présence, y compris les industries traditionnelles qui s'étaient plaintes dans un premier temps d'être un peu écartées, pour s'apercevoir ensuite qu'elles pouvaient tout à fait tirer leur épingle du jeu.

Philippe BAUDRY

Pourquoi investir en Russie ? Pourquoi s'implanter dans ce grand pays ?

Georges CHICHMANOV

L'Oréal est présent en Russie depuis 1990, sur la base d'un projet industriel qui a pris la forme de sociétés mixtes de production, disparues au bout de trois ans. Nous avons ensuite créé une filiale commerciale, en 1994, et nous employons aujourd'hui 1 200 personnes, pour un chiffre d'affaires de 800 millions d'euros. Nous enregistrons une forte croissance et nous avons donc décidé d'investir industriellement dans notre propre usine et de rechercher un emplacement logistique près de Moscou. Nous avons ainsi construit une usine à Kalouga, laquelle a été inaugurée en septembre 2010.

Vincent LAULHERE

Notre métier est de fournir des machines pour l'industrie laitière et l'élevage laitier. Nous sommes présents en Russie depuis plus de 20 ans et nous avons senti que les choses ont changé en 2011, concernant l'efficacité de nos investissements. Nous avions eu d'abord à faire face à une pénurie de machines. Nos clients pensaient ensuite qu'il suffisait d'acheter une machine occidentale pour faire des gains de productivité importants. Or, cela ne suffit guère et il est important d'améliorer sans cesse ses compétences et son savoir-faire pour progresser sur le marché.

Les Russes ont récemment réalisé que leur outil industriel était surdimensionné et très mal équipé, avec des taux de rentabilité très bas. Ils ont donc décidé de prendre en compte les aspects de formation et d'acquisition des savoir-faire, ce qui a profondément modifié la donne.

Philippe BAUDRY

Pourquoi avoir choisi la région de Kalouga ?

Vincent LAULHERE

Nous devons être au plus près de nos clients, qui sont essentiellement des exploitants agricoles, car nous devons intervenir dans les quatre heures, en cas de panne, notamment.

Nicolas RAIMBAULT

Kuhn est un constructeur de matériel agricole non motorisé. Nous avons décidé d'investir en Russie, compte tenu de la taille de ce pays et de l'importance de son secteur agricole.

Ce n'est pourtant qu'à partir de 2000 que le marché s'est ouvert pour le type de matériel que nous commercialisons, et nous nous sommes efforcés de répondre à cette demande nouvelle.

Le gouvernement russe a fait du développement du secteur agricole en Russie l'un de ses axes de développement majeurs ; nombre de subventions sont ainsi accordées pour promouvoir le développement de ce secteur. Le marché du matériel agricole est par conséquent très dynamique aujourd'hui en Russie.

En tant que constructeur de ce type de matériel, nous nous devions d'être présents en régions. Nous avons fait le choix de Kalouga car c'est proche de Moscou. Or, c'est important tant sur un plan logistique que strictement organisationnel.

Le pays est extrêmement vaste, et il n'est pas toujours aisé de choisir la région dans laquelle on investit ; l'accueil très chaleureux dont nous avons bénéficié à Kalouga nous a évidemment encouragés à concrétiser nos projets dans cette zone géographique.

Georges CHICHMANOV

Nous avons été accueillis, à Kalouga, par une administration jeune, compétente, professionnelle et efficace, ce qui a évidemment joué un rôle important dans le succès de notre coopération. Nous avons fait le choix d'implanter notre usine dans cette région en 2008 et nous avons pu l'inaugurer en septembre 2010, sans rencontrer le moindre problème administratif, ce qui prouve que nous avons fait le bon choix.

Philippe BAUDRY

Pourquoi investir et pourquoi Kalouga ?

Bernd SCHANTZ

La Russie est incontournable, c'est un must comme diraient certains, à l'instar de l'Asie et de l'Amérique Latine. La croissance de l'industrie automobile concernera en effet, à n'en pas douter, ces trois zones géographiques dans les prochaines années et nous nous devons par conséquent d'y être présents.

Le marché de l'automobile progresse de 40 % par an en Russie, ce qui est un taux tout à fait exceptionnel. De plus, ce marché est porteur non seulement à court terme, mais continuera très probablement à l'être pendant des années.

Nous avons fait le choix de Kalouga en 2007, alors qu'une vingtaine de possibilités s'offraient alors à nous, pour sa situation géographique, à 180 kilomètres de Moscou, reliée à la capitale par un réseau routier et un réseau ferroviaire important. C'est en outre un bassin d'emploi important, avec une ville de 300 000 habitants et 1,2 million d'habitants au total sur l'Oblast. La décision du gouvernement de Kalouga de nous accompagner a également pesé très lourd dans notre choix.

Enfin, le climat des affaires est très propice, dans une région qui a déclaré la guerre à la corruption.

Elisabeth PUISSANT

L'entreprise Kuhn a-t-elle intérêt à s'implanter dans la ville même de Kalouga, ou plutôt en périphérie ?

Nicolas RAIMBAULT

Nous avons entreposé notre stock à 30 kilomètres de Kalouga, dans un village. Ce choix nous a semblé pertinent car nous avons été accompagnés, dans le cadre de nos démarches, par un partenaire qui nous a suggéré cette implantation. Ce choix nous semble avec le recul très pertinent car cela nous permet de ne pas être soumis aux tensions, sur les prix notamment, que l'on constate dans les grandes villes.

Vincent LAULHERE

Pour notre part, notre bureau est situé en ville. Nos clients sont principalement des grosses fermes et nous nous sommes par conséquent installés au plus près d'eux.

Philippe BAUDRY

Comment avez-vous obtenu les autorisations administratives multiples et variées qu'il faut pour débuter tout business en Russie ? Quid des branchements en énergie ? Quid des délais de construction de vos implantations ?

Bernd SCHANTZ

Je trouve que le management de l'administration de Kalouga est de qualité. Les contacts avec cette dernière sont en effet souvent informels et la bureaucratie est quasi-inexistante, ce qui confère une grande efficacité à cette administration.

Pour notre part, les choses ont remarquablement bien fonctionné et notre implantation a été mise en place dans des délais tout à fait acceptables, comparables à ceux auxquels nous nous sommes trouvés confrontés dans les autres pays dans lesquels nous nous sommes implantés.

En outre, lorsque nous nous sommes heurtés à des difficultés de fourniture d'électricité, M. Artamonov en personne n'a pas hésité à se déplacer à Moscou pour plaider notre cause.

Georges CHICHMANOV

L'efficacité de l'administration de Kalouga est effectivement bien réelle, même si celle-ci est soumise à des réglementations fédérales. Toutes les questions de connexion et de mise en route de la fourniture de gaz n'ont malgré tout jamais posé problème, ou très peu, et ceux-ci ont été réglés rapidement lorsqu'ils se sont présentés. Nous avons ainsi pu mettre en place notre usine sans difficulté majeure et démarrer la production en septembre 2010.

Elisabeth PUISSANT

Existe-t-il des particularités propres à l'implantation des PME en Russie en général, et à Kalouga en particulier ?

Vincent LAULHERE

La région de Kalouga compte beaucoup de spécialistes de notre secteur extrêmement spécialisé, ce qui constitue pour nous un avantage évident.

Nicolas RAIMBAULT

Mettre en place un stock est plus facile que construire une usine. Pour autant, nous sommes satisfaits d'être parvenus à mettre en place notre implantation dans cette région, même si nous avons dû surmonter quelques difficultés de départ, concernant notamment notre connexion internet, qui a été difficile à établir.

Le potentiel du marché russe dans le machinisme agricole est tel que l'installation d'une ligne de production dans ce pays ferait sens, à n'en pas douter. Comme je l'indiquais précédemment, le gouvernement russe souhaite développer la production agricole sur son sol, afin de réduire la dépendance du pays aux importations. 80 % de la viande et des produits laitiers sont aujourd'hui importés, en Russie, ce qui peut sembler quelque peu paradoxal, compte tenu de l'immensité et des ressources de ce pays. Un tel contexte est par conséquent tout à fait propice au renforcement de nos investissements dans ce pays.

Philippe BAUDRY

Une usine automobile a besoin, pour fonctionner, de milliers de composantes qui arrivent à une heure précise, chaque jour. Je crois savoir que vous avez affrété des trains spéciaux, entre Vesoul et Kalouga, pour atteindre cet objectif. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Bernd SCHANTZ

De fait, nous avons effectivement mis en place une logistique particulière pour transporter nos composantes de Vesoul vers Kalouga. Nous acheminons ainsi 15 000 containers par an, via 300 trains. Dans le schéma de just-in-time qui est aujourd'hui le nôtre, il est essentiel que les trains arrivent à l'heure à Kalouga.

Anatoli ARTAMONOV

Lorsque j'ai pris mon poste de gouverneur, j'ai suggéré aux responsables du secteur militaire de se tourner vers d'autres secteurs d'activité. C'est ainsi qu'une usine de construction de sous-marins s'est mise à construire des turbines électriques pour une utilisation civile dans les centrales. Une usine qui fabriquait des chars a quant à elle commencé à construire des pièces de chaussures pour une entreprise allemande.

Ces entreprises étaient habituées à recevoir d'importants subsides de l'État et il a fallu leur apprendre à travailler dans les conditions de la production civile. Cela n'a pas été chose facile, mais nous y sommes parvenus et nous avons réussi à créer une économie alternative, soumise à de nouvelles conditions de concurrence. Les mentalités ont également évolué. Nous avons fait en sorte de faire la promotion de notre région, qui n'attirait pas grand monde au départ, il faut bien l'avouer.

Finalement, le bouche-à-oreille entre les acteurs économiques a produit des résultats et notre collaboration avec Volkswagen, notamment, a eu tellement d'échos positifs qu'elle a contribué à attirer de nouveaux investisseurs. En tout état de cause, il est toujours plus difficile de gérer la croissance que la stagnation et cela s'est révélé vrai pour nous également.

Durant la période des élections, les électeurs ont témoigné leur confiance dans l'administration locale puisqu'un slogan a même vu le jour, selon lequel les habitants de la région de Kalouga auraient souhaité que les élections se tiennent partout en Russie, comme elles s'étaient tenues dans leur région, c'est-à-dire dans le respect des règles démocratiques.

Le système de formation du personnel dans nos établissements n'était pas au point pour les entreprises occidentales qui souhaitaient s'implanter. Nous avons donc créé une université et une école de formation, et nous avons formé 6 000 personnes en un temps record, dont un nombre important travaille chez Volkswagen.

S'agissant de l'agro-business, toute l'agriculture russe a été revisitée et reconstruite. Nous avons décidé de créer des fermes robotisées, où les vaches arrivent toutes seules vers des robots qui opèrent la traite. De fait, nous aimerions que la Russie n'importe plus, à terme, que des bananes et des ananas et parvienne à exporter sa production vers d'autres pays. Nous espérons que notre adhésion à l'OMC va nous aider à « faire le ménage » et à construire une nouvelle économie sur les vestiges de la vieille économie actuelle, marquée par une forte dépendance aux exportations. Il est délirant de nous voir importer autant de nourriture, alors que nous disposons de surfaces cultivables immenses.

De la salle

Quid de l'appui des autorités françaises dont vous avez bénéficié dans le cadre de vos projets ?

Elisabeth PUISSANT

Ubifrance organise notamment des actions collectives et individuelles pour vous aider à découvrir le marché russe. La convention d'amitié que nous avons signée tout à l'heure avec la Chambre de commerce vient compléter ce dispositif. Dans le cadre de la charte de l'export, nous veillons en outre à favoriser la politique du guichet unique.

Nicolas RAIMBAULT

Nous travaillons souvent avec Ubifrance pour l'organisation d'expositions commerciales, notamment.

De la salle

La Chambre de commerce organisera prochainement une manifestation pour la promotion du secteur automobile, à Moscou-Kalouga et Saint-Pétersbourg.

Olivier MEHR, La Buvette

Pour donner à boire aux animaux en Russie, nous avons dû installer des équipements adaptés à la rigueur du climat et à la taille des troupeaux.

J'aimerais par ailleurs que le gouverneur fasse état des attentes des éleveurs russes vis-à-vis des entreprises occidentales. La France a signé il y a dix ans un accord sur la reconstruction du cheptel bovin, lequel est encore en vigueur, en dépit de quelques difficultés d'application et de quelques contretemps. Il est ainsi dorénavant possible d'importer des animaux français en Russie.

Comment pouvons-nous faire pour améliorer encore notre partenariat avec votre grand pays ?

Anatoli ARTAMONOV

En ce qui concerne les besoins de l'élevage russe, ils vont croître très probablement et nous envisageons d'accroître nos investissements dans le secteur agricole de près d'un milliard d'euros.

Nous avons effectivement subi une perte importante de nos vaches laitières et nous nous trouvons ainsi contraints d'acheter des bêtes, pour reconstituer notre cheptel. A cet égard, je vous invite à envoyer chez nous vos meilleurs spécialistes, afin que nous puissions atteindre cet objectif dans les meilleurs délais.

Philippe BAUDRY

Je n'ai qu'une seule crainte, c'est que le gouverneur Artamonov rende ses collègues jaloux et je voudrais souligner que l'oblast de Kalouga a au moins mérité son double AA, correspondant aux initiales de M. Artamanov.