BELGIQUE

On examinera :

- les dispositions constitutionnelles ;

- et les mesures annoncées par le Gouvernement fédéral belge à la suite des attentats de 2015 en France.

1. Principe constitutionnel

Il n'existe pas, dans la Constitution belge, de disposition analogue au régime de l'état d'urgence 13 ( * ) , tel qu'il résulte de la loi française n°55-385 du 3 avril 1955. L'article 187 de ce texte prévoit au contraire que « la Constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie » .

Toutefois, en vertu de l'article 105 du même texte, « Le Roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois particulières portées [sic] en vertu de la Constitution même » . Les pouvoirs spéciaux ou extraordinaires sont par conséquent mis en oeuvre en vertu d' « arrêtés réglementaires par lesquels le pouvoir exécutif a pu intervenir dans la sphère législative dans des circonstances particulières et sur la base de lois d'habilitation spécifiques » 14 ( * ) .

Les lois relatives aux pouvoirs spéciaux constituent « une catégorie particulière de lois d'habilitation par lesquelles le législateur fédéral, en raison de circonstances exceptionnelles (crise économique, difficultés budgétaires, nécessité d'agir avec promptitude), autorise temporairement le Roi à régler par arrêtés royaux délibérés en Conseil des ministres des matières jusqu'alors réglées par le législateur, en énonçant les objectifs que ces arrêtés devront poursuivre [...] . Pour que la loi de pouvoirs spéciaux soit compatible avec l'ensemble des règles constitutionnelles qui régissent les rapports entre les Pouvoirs législatif et exécutif, il faut qu'elle réponde aux conditions suivantes :

- des circonstances exceptionnelles doivent justifier l'habilitation ;

- la durée de l'habilitation doit être alignée sur la durée de ces circonstances ;

- les matières attribuées doivent être déterminées avec précision ;

- les finalités et les objectifs à poursuivre doivent être clairement énoncés ;

- la portée précise des mesures que le Roi est habilité à prendre doit être indiquée » 15 ( * ) .

2. Les mesures annoncées par le Gouvernement belge à la suite des attentats commis en France

À la suite des attentats commis en janvier et novembre 2015 en France, le Gouvernement belge a annoncé une série de mesures dont certains traits s'apparentent à l'état d'urgence 16 ( * ) . Douze ont été rendues publiques en janvier 2015 et dix-huit en novembre de la même année.

a) Bilan des douze mesures contre le radicalisme et le djihadisme annoncées en janvier 2015

Lors d'une séance de questions orales devant la commission de l'Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction publique de la Chambre des Représentants, le 26 janvier 2016, le Premier ministre belge, M. Charles Michel, a fait le point sur l'état de mise en oeuvre de douze mesures annoncées en janvier 2015, à savoir :

- l'extension des infractions terroristes et l'adaptation de la législation pour une sanction plus effective, par l'insertion d'une nouvelle infraction terroriste relative au déplacement à l'étranger à des fins terroristes dans le code pénal, observant à ce titre qu' « une nouvelle infraction, qui vise spécifiquement les voyages vers l'étranger ou vers la Belgique en vue de commettre une infraction terroriste, a été insérée dans le Code pénal. Elle est entrée en vigueur depuis l'été » 17 ( * ) ;

- l'extension de la liste des infractions donnant lieu à l'utilisation des méthodes particulières de recherche (art. 90 ter du code d'instruction criminelle 18 ( * ) ), puisque « Les possibilités d'écoute et d'enregistrement des communications ont été élargies en cas de terrorisme » ;

- l'élargissement des possibilités de retrait de la nationalité, qui pourra être prononcé par le juge à la suite de certaines infractions et des crimes ayant trait au terrorisme et au radicalisme : « La déchéance de la nationalité belge peut être décidée par un juge en cas de condamnation pour terrorisme » ;

- le retrait temporaire de carte d'identité, le refus de délivrance et le retrait de passeports quand la personne concernée représente un risque pour l'ordre public et la sécurité, le ministre des Affaires étrangères pouvant d'ores et déjà ordonner le retrait de passeports, faculté qui sera élargie de sorte que le ministre de l'Intérieur puisse aussi ordonner le retrait de cartes d'identité, en accord avec le Parquet fédéral, pour éviter que les personnes concernées ne se rendent dans des pays dont l'accès est possible sans passeport. Munis d'une carte de substitution, les intéressés pourront continuer d'utiliser les fonctions nationales de la carte d'identité électronique. Le 26 janvier, le Premier ministre belge a indiqué que « le retrait des cartes d'identité et des passeports des candidats au djihad est désormais possible. Ce n'était pas le cas autrefois. Cette mesure est entrée en vigueur » ;

- le gel des avoirs nationaux grâce au mécanisme prévu par la loi pour identifier les personnes impliquées dans le financement du terrorisme puisque : « Le mécanisme prévu par la loi pour identifier les personnes impliquées dans le financement du terrorisme a été activé. Leurs avoirs pourront à l'avenir être gelés, ce qui n'était pas le cas autrefois » ;

- la révision de la circulaire sur les combattants étrangers (foreign fighters) du 25 septembre 2014 relative à la gestion de l'information et aux mesures de suivi concernant les combattants étrangers qui séjournent en Belgique par la simplification des structures actuelles, la répartition plus claire des tâches entre les services et la systématisation dans la façon dont s'opèrera le suivi. Le 26 janvier, le Premier ministre a précisé que : « La circulaire foreign fighters , relative à la gestion de l'information et aux mesures de suivi concernant les foreign fighters , a été adaptée et réformée. Elle a été présentée par les ministres de la Sécurité, de l'Intérieur et de la Justice au Gouvernement dès le mois d'août 2015 » ;

- l'optimisation de l'échange d'informations entre les autorités et les services administratifs et judiciaires ;

- la révision du plan « R » de 2005 contre la radicalisation, le Premier ministre ajoutant « Quant à la révision du plan contre la radicalisation qui date de 2005, les travaux ont commencé en collaboration avec les différents services et niveaux de pouvoir [sic] concernés » ;

- la lutte contre la radicalisation dans les prisons par une meilleure détection des détenus radicalisés et de ceux qui encouragent la radicalisation, ainsi que par la formation du personnel pénitentiaire et la collaboration avec les conseillers islamiques, le Premier ministre indiquant que « Le plan de lutte contre le radicalisme dans les prisons a été présenté par le ministre de la Justice et a été inséré dans le plan Justice. Le travail se poursuit pour le rendre encore plus opérationnel sur le terrain dans les prisons » ;

- la réforme des structures du renseignement et de la sécurité et la création d'un Conseil national de sécurité, constitué des membres du cabinet restreint 19 ( * ) et des ministres de la Défense et de la Justice. Celui-ci est « pleinement opérationnel [...] . Il s'est réuni à de très nombreuses reprises pour tenter de prendre les décisions qui s'imposaient » ;

- l'appel à l'armée pour assurer des missions spécifiques de surveillance puisque « L'armée peut dorénavant renforcer les efforts de police quand le niveau de la menace l'exige [...] » ;

- et enfin le renforcement de la capacité d'analyse de la sûreté de l'État. « L'OCAM [organe de coordination pour l'analyse de la menace] a commencé à mettre en place un registre dynamique pour ficher les terroristes [foreign fighters] de manière plus adaptée » .

Par ailleurs, « sur le plan budgétaire, en 2015, 200 millions d'euros ont été libérés pour renforcer les investissements et les équipements de sécurité [...] principalement [aux] unités spéciales. Des recrutements additionnels ont été décidés. Plusieurs dizaines d'agents ont déjà été engagés par la Sûreté de l'État, d'autres sont en cours de recrutement. Les patrouilles mixtes, en particulier avec la France, ont été renforcées dans les trains internationaux » . 20 ( * )

b) Les dix-huit mesures annoncées en novembre 2015

À la suite des attentats du 13 novembre 2015, le Premier ministre belge a prononcé un discours devant la Chambre des Représentants le 19 novembre, dans lequel il a présenté notamment dix-huit mesures décidées par le Gouvernement fédéral pour lutter contre le terrorisme :

- un effort budgétaire additionnel de 400 millions d'euros pour la sécurité et la lutte contre le terrorisme ;

- un renforcement des contrôles policiers aux frontières ;

- un déploiement de 520 militaires pour renforcer la sécurité ;

- une révision du code d'instruction criminelle pour étendre les méthodes particulières de recherche (voir supra ) notamment au trafic d'armes ;

- une révision de la Constitution (article 12) pour permettre une garde à vue de soixante-douze heures, au lieu de vingt-quatre heures actuellement, dans le cas d'actes de terrorisme ;

- la possibilité d'effectuer des perquisitions de jour comme de nuit pour les infractions terroristes et la fin de l'exception interdisant les perquisitions entre 21h et 5h du matin ;

- l'emprisonnement lors du retour en Belgique des combattants étrangers ;

- le port du bracelet électronique pour les personnes fichées par les services d'analyse de la menace ;

- l'enregistrement des données de tous les usagers des transports. Sans attendre le projet européen, la Belgique appliquera le contrôle systématique de l'enregistrement de tous les usagers des transports (avions et trains à grande vitesse) ;

- l'exclusion des prédicateurs de haine, une vérification (screening) devant être effectuée afin d'assigner à résidence, de priver de liberté ou d'expulser ceux qui prêchent la haine ;

- le démantèlement des lieux de culte non reconnus qui diffusent le djihadisme ;

- la fin de l'anonymat pour les cartes GSM prépayées ;

- la mise en place d'un « plan Molenbeek » de prévention et répression ;

- le renforcement des vérifications (screening) pour l'accès aux emplois sensibles ;

- l'extension du réseau de caméras de reconnaissance des plaques minéralogiques ;

- la fermeture des sites internet prêchant la haine ;

- l'évaluation en vue d'une adaptation des législations en lien avec l'état d'urgence et la possibilité de mesures temporaires et exceptionnelles garantissant la sécurité publique ;

- et enfin la participation sur la scène internationale à la lutte contre Daesh 21 ( * ) .

Interrogé lors d'une séance de questions devant la commission de l'Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction publique du 26 janvier 2016 sur les « douze mesures pour lutter plus efficacement contre le terrorisme », le Premier ministre belge a précisé, s'agissant des dix-huit mesures décidées fin novembre, que « le processus d'adoption formelle a [vait] commencé pour la totalité d'entre elles » . « Trois avant-projets de loi ont déjà été approuvés par le Conseil des ministres, ils sont soumis à l'examen du Conseil d'État et devraient revenir au Parlement dès que le Conseil d'État aura remis un avis » . Ces projets concernent la formalisation des mesures relatives à l'enregistrement des données des passagers, la suppression de l'anonymat des cartes GSM prépayées, l'extension des heures de perquisitions en matière de terrorisme, les « méthodes particulières de recherche » et la mise en place d'une banque de données dynamique relative aux combattants étrangers. La proposition de révision de la Constitution en matière de garde à vue est en cours de discussion au Parlement. Les autres mesures « sont en cours de finalisation technique et juridique afin que les textes qui doivent l'être puissent être soumis au Parlement le plus rapidement possible » .

Interrogé lors de la même séance sur « le niveau d'alerte cinq », le Premier ministre a indiqué qu'il « p [ouvait] être nécessaire, dans certains cas et de manière cadrée au regard des principes fondamentaux, que le Gouvernement, pour une période limitée et sous le contrôle du Parlement, puisse prendre un certain nombre de mesures afin de garantir le renforcement de la sécurité publique » , ajoutant : « Pour tout vous dire, je ne suis pas très inspiré par le modèle français car je trouve qu'il va beaucoup trop loin. La notion de perquisition administrative est par exemple un modèle qui ne m'enthousiasme pas beaucoup. Je souhaite que le Gouvernement puisse poursuivre le travail entrepris depuis la fin de l'an dernier, c'est-à-dire tenter de voir de quelle manière on peut ajuster notre cadre législatif et réglementaire, s'il apparaît que c'est nécessaire, afin de réussir à conjuguer cette nécessité de garantir le droit à la sécurité dans un moment où nous sommes confrontés à de nouveaux types de menace, tout en garantissant ces droits fondamentaux et ces libertés personnelles qui nous tiennent à coeur » 22 ( * ) .


* 13 Seul l'« état de guerre » est visé à l'article 167 de la Constitution.

* 14 Professeur Pierre Nihoul, juge à la Cour constitutionnelle de Belgique, « Le contrôle constitutionnel des règlements en Belgique », disponible sur le site internet de la Cour constitutionnelle de Belgique.

* 15 Yves Lejeune, Droit constitutionnel belge : fondements et institutions , Bruxelles, Larcier, 2 e ed., septembre 2014, paragraphe 518.

* 16 Notons que le droit belge contient toutefois des dispositions relatives à l'« état de guerre » et à l'« état de siège », lesquelles relèvent de l'arrêté-loi du 11 octobre 1916.

* 17 Les propos du Premier ministre sont reproduits entre guillemets dans les paragraphes infra .

* 18 Cet article est relatif à l'écoute, à la prise de connaissance et à l'enregistrement de communications et télécommunications privées.

* 19 Le cabinet restreint, ou Kern , se compose du Premier ministre et de ses Vice-Premiers ministres, quel que soit le ministère dont ils sont en charge.

* 20 Compte rendu intégral de la commission de l'Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction publique de la Chambre des Représentants de Belgique du 26 janvier 2016 (matin), p. 10.

* 21 Compte rendu intégral de la séance plénière de la Chambres des représentants de Belgique du 19 novembre 2015, p. 6 et suivantes, et site internet du Premier ministre belge.

* 22 Compte rendu intégral de la commission de l'Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction publique de la Chambre des Représentants de Belgique du 26 janvier 2016 (matin), p.23.

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