EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En décembre 2012, Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, lors de la présentation du « Pacte santé-territoire », affirmait vouloir s'engager à faciliter l'installation des jeunes médecins en milieu rural. Ne lui en déplaise, mais près de dix ans après, comme les mesures de ses prédécesseurs, force est de constater qu'elles ont été d'une grande inefficacité. Pour pallier le manque de médecins, Mme Agnès Buzin avait annoncé la fin du numerus clausus. Cette année, après 50 ans de service, le numerus clausus a pris fin, mais avec des effets plus que contestables. Mme Sonia de La Provôté, dans son rapport d'information du 12 mai 2021 n° 585 sur la mise en oeuvre de la réforme du premier cycle des études de santé, nous parle d'une « mise en oeuvre très chaotique », « à la communication et à la transparence défaillantes », « insuffisamment préparée et pas assez pilotée ».

Les réformes et lois successives ne modifient pas le paradigme médical dans lequel nos concitoyens en zones rurales vivent. Si le temps médical disponible est déjà rare dans les centres urbains, il est particulièrement compté en milieu rural. Il faut passer de l'incitation à l'obligation. Il en résulte du maintien de l'assurance d'une égalité de soin sur l'ensemble de notre territoire, qui aujourd'hui est très fragilisé.

C'est ainsi que, dans le même esprit qu'une proposition de loi qui avait été déposée sous la XIIIe législature (n° 4144 relative à la lutte contre l'inégalité de l'accès aux soins sur le territoire français présentée par Philippe Folliot), un groupe de travail composé de sénateurs toutes tendances confondues (avec pour président le socialiste Jean-Luc Fichet et pour rapporteur le centriste Hervé Maurey) ont publié en février 2013 un rapport dans le but de lutter contre ces déserts médicaux. En effet, ce texte, qui part d'un constat alarmant (baisse du nombre d'étudiants admis en deuxième année, augmentation et vieillissement de la population), propose un durcissement des mesures et encourage la coercition afin de forcer les médecins à mieux s'implanter sur l'ensemble du territoire. Alors que le nombre de médecins augmente (ils sont 218 000 aujourd'hui, deux fois plus qu'en 1980), on compte 330 médecins pour 100 000 habitants, ce qui place la France en dessous de la moyenne des pays de l'OCDE.

Néanmoins, ces chiffres concernent une moyenne au niveau national. Il advient maintenant de s'attarder sur les conséquences de cette diminution des effectifs pour les années à venir au niveau local dans les zones les moins bien dotées en médecins.

Les différentes projections tendent en effet à affirmer que les disparités géographiques iront en s'accroissant. Dans une étude réalisée pour l'Association des maires ruraux de France (AMRF) par le géographe Emmanuel Vigneron, il est constaté que la densité de médecins est inférieure en zones rurales par rapport aux zones urbaines. Cette densité constitue un problème de santé publique, un enjeu majeur pour les années à venir et un réel défi que nous devons relever. En effet, il avait déjà été constaté par l'AMRF que l'espérance de vie en zones rurales se dégrade par rapport à l'espérance de vie en zones urbaines depuis les années 2000. Car, si l'on se réfère à la Constitution de 1946, un droit à la protection de la santé y est bel et bien inscrit. Et celui-ci vaut pour tous les citoyens de manière égale et sur tout le territoire de manière homogène.

Si l'État, les collectivités territoriales, l'Assurance Maladie, ont déjà oeuvré pour inciter les jeunes médecins à s'implanter dans des zones sous-médicalisées, en instaurant des aides financières et matérielles, des bourses, des exonérations fiscales, les résultats ne sont que trop peu visibles. Les professionnels de santé demeurent peu enclins à contribuer spontanément au rééquilibrage de la démographie médicale. Un sondage commandité par le Conseil National de l'Ordre des Médecins (CNOM) indiquait que 63 % des étudiants et 60 % des jeunes médecins n'envisagent pas de s'installer en zone rurale, en raison des fortes exigences de disponibilité requises et de l'isolement de ces zones. L'AMRF a déjà constaté que plus de la moitié des médecins en zones rurales ont plus de 55 ans, avec un nombre significatif qui dépasse les 70 ans. L'évolution de la sociologie de la profession n'emporte pas une stabilité de l'offre médicale tant l'installation d'un professionnel n'implique pas une pérennité de l'offre. De même, un courant actuel accroît la salarisation des médecins libéraux en clinique privée. Ces établissements privés ne dispensent pas toujours les soins que peuvent attendre les populations rurales, que ce soient des consultations de médecine générale ou d'urgence. S'il ne s'agit pas d'opposer inutilement service public hospitalier et activités privées salariales, il convient de trouver les modalités permettant de garantir l'égalité des territoires et le maintien de médecins libéraux salariés ou exerçant dans le service public en zone rurale.

Ainsi, après avoir dressé ce bilan sur la situation actuelle et de l'évolution des mentalités dans notre pays, il convient d'agir afin de remédier à cette problématique touchant de plein fouet les populations rurales.

Dans un premier temps, cette proposition de loi promeut des mesures actives afin de réguler les flux de jeunes médecins s'installant après leurs études. Pour cela, elle instaure un « numerus clausus » à l'installation des médecins, à l'instar du dispositif en vigueur pour les officines de pharmacie, afin de réduire les écarts de densité que l'on constate aujourd'hui sur le territoire.

Dans un second temps, elle pose le principe suivant lequel il advient de sensibiliser davantage les jeunes sur le besoin crucial de médecins en milieu rural, notamment par la réalisation obligatoire d'un stage sur le terrain. Le 2e cycle du cursus de médecine correspond à une étape de la formation communément appelée « externat ». Au cours des quatre années de ce cycle, ces dits « étudiants hospitaliers » se doivent de réaliser quatre stages d'une durée de trois mois chacun. Cette proposition de loi soumet au Parlement qu'un de ces stages doive se faire dans un cabinet de médecin généraliste en milieu rural afin que les étudiants découvrent le travail sur le terrain et n'aient pas de préjugés avant même d'y avoir vécu une expérience professionnelle.

Dans un troisième temps, elle crée de nouvelles incitations à l'implantation des médecins généralistes en milieu rural en complément des dispositifs existants ; dans un souci d'équité, elles seront réservées aux médecins conventionnés. Il s'agit de l'instauration d'une aide dégressive de l'État au profit des médecins généralistes dans les zones rurales exigibles aux aides versées dans le cadre du Fonds de réorientation et de modernisation de la médecine libérale (FORMMEL).

Enfin, elle a pour but de favoriser une meilleure mise en oeuvre de politique d'accès aux soins à l'échelle du territoire en redéfinissant les territoires de santé à l'échelle départementale via la création d'une commission de démographie médicale, en favorisant le transfert d'actes et ainsi la coopération entre les différentes professions de santé ainsi que l'allongement de la durée d'activité en exonérant du paiement des cotisations d'assurance vieillesse les médecins.

De manière globale, ces dispositifs proposés visent donc à rapprocher le système d'installation des médecins de celui des pharmaciens qui est plus efficace pour permettre un accès à leurs services à tous les citoyens, même ceux résidant sur des territoires reculés à première vue peu attractifs ou dans les quartiers sensibles, et plus généralement les zones sous-dotées. Pour garantir l'égal accès aux soins sur l'ensemble du territoire et mettre en oeuvre à cet effet une meilleure régulation de la démographie médicale, il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de loi suivante.

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