EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La commission européenne a présenté en février 2018 une proposition de règlement concernant l'évaluation des technologies de santé.

Les technologies de santé englobent les médicaments, le matériel médical et les modes opératoires. Leur évaluation est effectuée par les agences des États membres avec pour objectif de déterminer leur efficacité relative en vue de définir notamment la tarification et la politique de remboursement qui leur seront appliquées. Cette évaluation comprend un volet clinique relatif aux questions médicales et un volet non clinique concernant les aspects notamment économiques et éthiques liés à leur utilisation.

Dans sa proposition, la Commission européenne prévoit d'instituer un groupe de coordination composé de représentants des États membres qu'elle co-présidera et auquel elle apportera un soutien logistique et financier.

La proposition de règlement prévoit, en outre, que ce groupe de coordination aura quatre missions :

- l'identification des technologies de santé émergentes à un stade peu avancé de leur développement et pouvant avoir une incidence majeure sur la santé des patients ;

- l'organisation de consultations scientifiques communes pour les technologies en développement permettant d'identifier les données à demander aux développeurs de technologies en vue d'une évaluation clinique commune ;

- l'approfondissement de la coopération volontaire dans le domaine de l'évaluation des technologies de santé, notamment en ce qui concerne les évaluations non cliniques ;

- la réalisation d'évaluations cliniques communes des technologies sur le marché choisies par le groupe de coordination et sur lesquelles les États membres seront contraints de s'appuyer.

La proposition de règlement précise que les États membres ne pourront plus réaliser l'évaluation clinique d'une technologie qui aura été évaluée par le groupe de coordination. En outre, ils devront appliquer les rapports d'évaluation clinique commune dans leurs évaluations de technologies de santé à l'échelon national et notifier à la Commission la manière dont cela a été fait.

Si les dispositions encourageant la coopération volontaire et l'identification des technologies émergentes présentent un intérêt certain, notamment à la suite de la pandémie de COVID-19, la réalisation d'évaluations cliniques communes sur lesquelles les États membres seraient contraints de s'appuyer pourrait poser un certain nombre de difficultés.

En avril 2018, le Sénat, sur proposition de sa commission des affaires européennes, avait adopté un avis motivé indiquant que cette proposition de règlement n'était pas conforme au principe de subsidiarité. En effet, l'article 168 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) paragraphe 7 prévoit que « l'action de l'Union doit être menée dans le respect des compétences des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Ces compétences incluent l'allocation des ressources notamment financières affectées aux soins ».

Les deux chambres des Parlements tchèque et allemand ont également adopté un avis motivé sur le sujet, l'Assemblée nationale française et les deux chambres du Parlement polonais ayant elles aussi considéré cette proposition contraire au principe de subsidiarité, sans pour autant adopter d'avis motivé.

En février 2019, le Parlement européen a adopté une résolution législative visant à assouplir la proposition de la Commission. Rappelant les prérogatives des États membres, le Parlement européen propose que les États membres utilisent, et non plus appliquent, le rapport de l'évaluation clinique commune dans leur évaluation d'une technologie de santé. En outre, il prévoit qu'un État membre pourra effectuer des évaluations supplémentaires destinées à prendre en compte des données et des critères cliniques spécifiques à l'État membre en question et qui n'ont pas été pris en compte dans le cadre de l'évaluation clinique commune.

Entrée en fonction en décembre 2019, la Commission européenne actuelle a indiqué vouloir que l'examen de cette proposition de règlement se poursuive. Le texte est donc en discussion au Conseil.

Dès lors, la commission des affaires européennes souhaite rappeler les nombreuses difficultés soulevées par ce texte et souligner ses craintes quant à la mise en oeuvre du dispositif. Si la pandémie de COVID-19 a montré la nécessité de renforcer la coopération européenne en matière de sécurité sanitaire, pour se préparer au mieux à une pandémie future, cela doit se faire en garantissant un niveau élevé de protection de la santé humaine.

*

1/ L'évaluation des technologies de santé est une analyse comparative distincte de celle faite lors de l'autorisation de mise sur le marché européen

Lorsqu'une technologie de santé est évaluée, on distingue généralement l'évaluation clinique de l'évaluation non clinique. La première correspond à la compilation et à l'évaluation des données probantes scientifiques disponibles concernant une technologie de santé par comparaison avec une ou plusieurs autres. On évalue notamment l'efficacité clinique relative et son impact relatif sur le patient. L'évaluation non clinique, quant à elle, s'intéresse davantage aux coûts relatifs de cette technologie, à l'aspect éthique du recours à cette technologie et aux aspects organisationnels, juridiques et sociaux liés à son utilisation.

Ces évaluations réalisées à l'échelle nationale servent de base aux États membres pour définir le prix de vente et les conditions de remboursement de ces technologies dans le cadre de systèmes de sécurité sociale. En France, elles sont effectuées par la Haute autorité de santé (HAS).

L'évaluation d'une technologie de santé n'a donc pas pour objectif d'autoriser la mise sur le marché de celle-ci. En effet, cette autorisation est délivrée à l'échelle européenne par l'Agence européenne du médicament qui se fonde sur les principes d'efficacité et de sécurité. Quel que soit le résultat de l'évaluation nationale d'une technologie, cela ne remet pas en cause l'autorisation européenne de mise sur le marché français.

Il s'agit donc de deux procédures distinctes et qui doivent le rester car elles répondent à des finalités différentes.

2/ L'action de l'Union européenne en matière de santé publique doit avoir pour objectif de garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine et se faire dans le respect des compétences des États membres

a/ La base juridique de la proposition de règlement doit rappeler les exigences en matière de santé publique

La base juridique de la proposition de règlement est fondamentale dans la mesure où, en cas de litiges, la Cour de justice de l'Union européenne s'y référera. Pour fonder juridiquement sa proposition, la Commission européenne s'était appuyée uniquement sur l'article 114 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui lui octroie une compétence d'harmonisation des réglementations pour assurer un meilleur fonctionnement du marché intérieur. L'objectif de cette proposition est donc que, pour une technologie donnée, les États membres ne disposent que d'un seul rapport d'évaluation clinique pour effectuer leur évaluation de cette technologie : celui réalisé par le groupe de coordination.

Regrettant l'absence de référence à la santé publique, la commission ENVI du Parlement européen a alors saisi la commission des affaires juridiques du Parlement européen pour obtenir son avis sur la pertinence d'ajouter l'article 168 paragraphes 4 et 7 du TFUE comme base légale à la proposition de règlement. Estimant que l'article 168 paragraphe 7 ne prévoit pas l'adoption d'actes juridiques par l'Union, la commission des affaires juridiques a proposé de retenir comme base légale, en complément de l'article 114, l'article 168 paragraphe 4 car il prévoit que des mesures fixant des normes élevées de qualité et de sécurité des médicaments et des dispositifs à usage médical peuvent être prises par l'Union européenne pour assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine.

Forts de cette seconde base juridique, les États membres pourront prétendre à réaliser des évaluations cliniques nationales en complément de l'évaluation clinique commune dans le but de garantir une plus grande qualité des études au profit des patients.

b/ L'allocation des ressources financières dans le cadre de leur politique de santé publique est une compétence propre des États membres

Certes, dans sa proposition, la Commission précise dans un considérant que, conformément à l'article 168 paragraphe 7 du TFUE, les résultats des évaluations cliniques communes « ne devraient donc pas porter atteinte au pouvoir discrétionnaire des États membres concernant l'adoption ultérieure de décisions en matière de tarification et de remboursement des technologies de santé ». Pourtant, la Commission souhaite dans le dispositif que les États membres appliquent les rapports d'évaluation clinique commune dans leurs évaluations des technologies de santé à l'échelle nationale. Dès lors, si un État membre fixe pour une technologie des conditions de remboursement qui ne conviennent pas à l'industriel qui développe celle-ci, ce dernier serait fondé à agir en justice s'il peut se prévaloir d'un rapport d'évaluation clinique commune favorable.

Il est donc nécessaire de rappeler dans le dispositif que conformément à l'article 168 paragraphe 7 du TFUE, les conclusions d'une évaluation clinique commune ne peuvent pas conditionner la décision des États membres quant à l'opportunité de rembourser ou non une technologie.

3/ Les conditions de réalisation des évaluations cliniques communes ne sont pas suffisamment précisées dans la proposition de règlement, ce qui ne permet pas de les apprécier

La proposition de règlement prévoit que les États membres désignent leurs autorités et organismes nationaux chargés de l'évaluation des technologies de santé comme membres du groupe de coordination. Celui-ci va créer des sous-groupes composés d'experts désignés par les États membres, en fonction des technologies à évaluer. Pour chaque évaluation, un évaluateur et un coévaluateur sont désignés par le sous-groupe concerné, parmi ses membres, en tenant compte de l'expertise nécessaire à l'évaluation.

Il est prévu que la Commission européenne précisera les conditions de réalisation des évaluations et des consultations scientifiques communes par voie d'actes d'exécution ou d'actes délégués. Il n'est donc pas possible aujourd'hui de les apprécier.

Dès lors, on peut s'interroger sur les points suivants qui devront être précisés dans la proposition de règlement.

a/ Les conditions matérielles et procédurales dans lesquelles se feront les évaluations

Les mesures destinées à garantir la qualité et la transparence des évaluations doivent être précisées dans le corps de la proposition de règlement ou dans une annexe. Ainsi, le contenu du dossier que les industriels devront présenter devra être harmonisé. Concernant le financement des études, il semblerait que celles-ci seront financées par les industriels. Il est donc nécessaire de prévoir les conditions de recevabilité des études qui pourront être prises en compte pour l'évaluation et de préciser dans quelles mesures d'autres études, notamment les études académiques, pourront être prises en compte. Enfin, pour assurer la transparence de l'évaluation, les modalités de mise à disposition du public des différentes études et analyses doivent être définies en tenant compte de la nécessité de protéger la propriété intellectuelle.

Le Parlement européen a adopté des amendements pour apporter un début de réponse à ces questions, tant pour les évaluations cliniques communes que pour les consultations scientifiques. Toutefois, le Conseil doit encore les approuver et les préciser, notamment pour définir quelles informations fournies par les industriels devront être considérées comme confidentielles.

b/ Les conditions de recrutement des experts

Tout d'abord, les autorités nationales des États membres ne disposent pas des mêmes ressources et ne désigneront pas le même nombre d'experts au sein des sous-groupes. De plus, à la suite des discussions en cours au Conseil, il semble que ces experts seront mis à disposition par leur agence nationale qui percevra une rétribution pour cela, charge à elle d'indemniser ensuite l'expert mis à disposition.

Ensuite, concernant les conflits d'intérêts, la Commission aurait dû préciser qui sera chargé des contrôles et quelles seront les règles relatives à l'indépendance des évaluateurs. En effet, les scientifiques qui réaliseront les évaluations devront remplir une déclaration d'intérêts qui devra être vérifiée puis rendue publique. Ceci est essentiel pour garantir l'indépendance de l'évaluation dans un secteur d'activité où l'actualité récente a mis en lumière de nombreuses malversations. Le Parlement européen s'est saisi de cette question. Il a adopté un amendement disposant que les déclarations d'intérêts devaient être rendues publiques. Le Parlement a également souhaité que les bonnes pratiques en matière de conflits d'intérêts s'appliquent. Le Conseil devra préciser ces points.

De l'intérêt de participer à ces missions d'évaluation pour les agences nationales et les experts, d'une part, et du caractère plus ou moins contraignant des règles relatives aux conflits d'intérêts, d'autre part, dépendront le nombre de scientifiques disponibles pour réaliser ces évaluations et leur qualité.

c/ La composition et le fonctionnement du groupe de coordination

Dans sa proposition initiale, la Commission prévoyait de co-présider le groupe de coordination. Il semblerait que les discussions au Conseil remettent en cause cela. Or, le groupe de coordination n'a pas de personnalité juridique. Dès lors, on peut se demander qui endossera les rapports d'évaluation du groupe de coordination pour leur donner une valeur juridique.

Par ailleurs, il est nécessaire de prévoir les règles en matière de conflits d'intérêts s'appliquant aux membres du groupe de coordination, ainsi que les règles relatives à la publicité de ses travaux.

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