2. La France à petite vitesse dans les tournants stratégiques

Face à un tel palmarès, les efforts pourtant réels de La Poste française paraissent sans commune mesure avec la modernisation et les stratégies de déploiement international de ses concurrentes.

En particulier, votre commission ne sous-estime pas la portée de l'accord conclu en septembre dernier avec un grand intégrateur (Federal Express), dont elle souhaitait de longue date l'intervention.

Mais elle considère que notre poste reste enfermée dans un cadre réglementaire qui hypothèque sa réactivité.

Certes, l'amélioration progressive des résultats financiers est un signal encourageant.

Mais le contrat de plan conclu avec l'Etat en 1998 manque de souffle, l'application difficile des 35 heures pèse sur le dialogue social et sur la productivité. La question du statut de La Poste reste taboue et, faute de capital, l'opérateur doit trouver en lui-même -ou via ses filiales- les moyens de son expansion internationale.

La question des missions d'intérêt général exercées sans contrepartie financière n'est toujours pas réglée.

Le rapport d'information précité de 1997 de votre commission et du groupe d'études sur l'avenir de la poste avait calculé le coût net des charges d'intérêt général assurées par La Poste. Ce coût représentait plus de 8 milliards de francs par an , en 1996, dont 4,5 milliards de francs pour le coût d'entretien d'un large réseau (17 000 points de contact postaux sur le territoire) pour partie peu fréquenté (3 000 points de contact fonctionnent moins d'une heure par jour). Ce chiffrage, qui mériterait sans doute d'être actualisé, n'a d'ailleurs pas été contesté.

3. La révision de la directive postale : une échéance essentielle qui aurait dû être mieux anticipée

a) Un sursis qui n'a pas été mis à profit

La directive 97/67/CE du 15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté n'a que très partiellement ouvert le secteur à la concurrence.

En effet, une initiative conjointe du Président Chirac et du Chancelier Kohl au sommet de Dublin en décembre 1996 avait permis d'endiguer la volonté d'ouverture immédiate de certains autres Etats membres.

Votre commission s'en était félicitée, considérant que La Poste devait être préparée au choc concurrentiel.

Mais la question de l'ouverture accrue à la concurrence n'était que repoussée, la directive prévoyant sa propre révision, selon un calendrier dont elle fixait les échéances :

- à la suite d'une évaluation - qui n'a pas été menée- la Commission européenne devait présenter, pour le 31 décembre 1998, une proposition concernant la poursuite de l'ouverture du marché postal, en vue notamment de libéraliser le courrier transfrontière et le publipostage et de revoir à nouveau les limites de prix et de poids des services " réservés " ;

- le Conseil et le Parlement devaient se prononcer sur cette proposition avant le 1 er janvier 2000 ;

- les mesures décidées devaient entrer en vigueur le 1 er janvier 2003.

L'élaboration de la proposition par la Commission a été retardée par la démission de la Commission précédente le 15 mars 1999, ainsi que par la nécessité, pour le nouveau Collège, de réexaminer la question. Aussi est-ce le 30 mai 2000 que la Commission a formulé ses propositions, matérialisées par une proposition de directive publiée en juillet modifiant celle de 1997.

Ce sursis, obtenu de justesse en 1996, par une implication personnelle du chef de l'Etat, n'a malheureusement pas été mis à profit pour préparer La Poste au choc concurrentiel à venir. Ce manque d'anticipation des évolutions prévisibles du secteur postal risque de coûter cher à l'opérateur public.

La France en est ainsi réduite aujourd'hui à tenter d'obtenir un nouveau sursis.

b) Une proposition d'ouverture accrue, programmée en deux étapes

Sans préjudice de la liberté des Etats-membres à libéraliser plus rapidement leur marché, la proposition de directive de la Commission prévoit la poursuite de l'ouverture à la concurrence en deux nouvelles étapes. La première, qui devrait entrer en vigueur le 1 er janvier 2003 , consisterait en un abaissement général des limites de poids et de prix actuelles pour les services qui peuvent continuer à être réservés (c'est-à-dire exercés sous monopole) parallèlement, toutes les limites de poids et de prix seraient supprimées en ce qui concerne le courrier transfrontalier sortant et le courrier express.

L'étape ultérieure, pour laquelle la décision devrait intervenir au 31 décembre 2005 au plus tard, prendrait effet au 1 er janvier 2007 ; il s'agirait d'une nouvelle restriction des droits exclusifs encore accordés aux prestataires du service universel conformément à l'article 7 de la directive, conservés dans la seule mesure où cela est strictement nécessaire au maintien du service universel. L'ampleur de cette nouvelle avancée devra être déterminée par le Parlement européen et le Conseil le 31 décembre 2005 au plus tard, sur proposition de la Commission présentée avant le 31 décembre 2004, au terme d'un réexamen du secteur portant sur le maintien du service universel postal dans un contexte concurrentiel.

Si les propositions de la Commission étaient acceptées, ce serait environ 10 milliards de francs supplémentaires de chiffre d'affaire de La Poste qui seraient mis en concurrence, soit environ le quart des services actuellement réservés.

c) Des premières réactions qui laissent présager une négociation serrée

Un premier échange de vues sur les propositions de la Commission a eu lieu lors du Conseil Télécommunications du 3 octobre. Ce premier tour de table a surtout permis aux Etats-membres de se " positionner " en vue de la négociation à venir.

D'après des comptes-rendus officieux de cette réunion, parus notamment dans la presse, on peut dire que, si deux blocs d'Etats sont déjà clairement identifiés (ceux qui veulent accélérer l'ouverture et ceux qui veulent la modérer), d'autres délégations ont en revanche réservé leur position.

Certains Etats n'ont pas fait mystère de leur désir d'accélérer la libéralisation, souhaitant aller au delà des propositions de la Commission.

Il s'agit de l'Allemagne , des Pays bas , de la Suède et de la Finlande .

Il faut dire que ces Etats sont tous déjà préparés à une concurrence déjà largement effective chez eux.

Comment ne pas regretter, sur un plan politique, que l'axe franco-allemand, moteur de la construction européenne, sur lequel avait reposé le compromis de Dublin en 1996, se trouve désormais rompu en matière postale?

Certains autres Etats membres jugent plus ou moins excessive l'ouverture proposée par la Commission.

Si la Grèce et la France , par exemple, ont jugé inacceptables les propositions de la Commission, ces pays n'ont pas pour l'instant officiellement formulé de contre-proposition précise. L'Espagne et le Portugal paraissent être sur la même ligne.

L'Italie a considéré que la limite de poids des services réservés devrait être fixée à 150 grammes au lieu de 50 dans la proposition de la Commission.

Les autres Etats membres n'ont pas encore fait part de leur position définitive.

Ainsi en est-il, officiellement, du Royaume-Uni , qui semblerait pourtant incliner, si l'on en croit des propos de son secrétaire d'Etat au commerce, vers une proposition médiane, proche de celle formulée par l'Italie.

Les négociations en vue du Conseil des ministres du 22 décembre 2000 s'avéreront donc sans nul doute particulièrement difficiles, même si le Parlement européen pourrait être, dans cette négociation, un élément plus favorable que la Commission aux thèses du Gouvernement français. Votre commission considère quant à elle préférable d'obtenir un accord au sein du Conseil sous présidence française, c'est-à-dire d'ici à la fin de l'année, plutôt que sous présidence suédoise.

Une indication pourrait être donnée par la position officielle des opérateurs postaux -qui n'est pas celle des différents Gouvernements, même si elle s'en rapproche forcément-. Ainsi, dans un communiqué de presse de l'association PostEurop du 22 mai dernier, dix postes ont demandé à la Commission " d'user de prudence et de circonspection " dans la libéralisation ultérieure du marché. Ce " groupe des dix " comprend les postes française, grecque, italienne, portugaise, luxembourgeoise, mais aussi belge, anglaise, autrichienne, danoise et irlandaise.

Votre commission souhaite qu'un compromis satisfaisant puisse être trouvé d'ici au Conseil du 22 décembre, tant sur le périmètre des services réservés que sur la définition des " services spéciaux " ou le calendrier ultérieur de libéralisation. Elle estime que l'élaboration d'un éventuel accord ne dispense pas pour autant le Gouvernement d'entamer une réflexion sur l'évolution du cadre législatif postal français.

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