N° 95

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 novembre 2000

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances pour 2001 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME III

AIDE AU DÉVELOPPEMENT

Par Mme Paulette BRISEPIERRE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Xavier Dugoin, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 2585 , 2624 à 2629 et T.A. 570

Sénat : 91 , 92 (annexe n° 2 ) (2000-2001)

Lois de finances .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Au sein du budget des affaires étrangères, dont la dotation est globalement préservée, les crédits affectés à l'aide au développement enregistreront par contre en 2001 une nouvelle réduction. La fusion des budgets de la coopération et des affaires étrangères décidée dans le prolongement de la réforme de la coopération aurait-elle pour effet de permettre un maintien des dotations dévolues au Quai d'Orsay, au prix d'économies réalisées sur les actions conduites en matière d'aide au développement ? Ce risque évoqué l'an passé tend malheureusement à se confirmer cette année.

Ces orientations ont une double conséquence désastreuse. D'une part, la capacité d'action extérieure de la France se trouve dans son ensemble, affaiblie. De ce point de vue, un budget unique rend plus facile -car moins visible- l'érosion des moyens financiers.

D'autre part, la diminution de notre effort en matière d'aide au développement a pour contrepartie le déclin du rôle de la France sur le continent africain, destinataire traditionnel de notre coopération.

A-t-on pesé les conséquences de ces choix diplomatiques ? A-t-on mesuré l'importance de l'effort déjà consenti par notre pays dans cette région du monde -effort dont nous risquons de perdre les fruits ? Doit-on banaliser la place de pays auxquels nous sommes liés par l'histoire, de multiples intérêts, et ce bien commun si précieux, le français ? Enfin, la France a-t-elle réellement la capacité d'assurer une présence dans toutes les parties du monde au risque de diluer son influence ? Tels sont les enjeux cruciaux soulevés par l'examen de la dotation destinée à l'aide au développement. Ils doivent nous conduire à nous interroger sur les grandes évolutions de notre aide publique, sur les conséquences de la réforme de notre coopération, ainsi que sur l'articulation de notre effort avec les actions conduites par les autres bailleurs de fonds.

Tels sont les principaux thèmes qu'évoquera le présent rapport afin de mieux éclairer le projet de budget pour 2001 en matière d'aide au développement.

I. LA RÉDUCTION DE L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT : LE RISQUE D'UNE PRÉSENCE FRANÇAISE DIMINUÉE EN AFRIQUE

A. UNE AIDE PUBLIQUE TOUJOURS INDISPENSABLE

Même si la conjoncture économique des pays de la zone de solidarité prioritaire (ZSP) devrait s'améliorer au cours de cette année, les défis considérables que ces pays, et en particulier ceux du continent africain, doivent relever, imposent pour le moins le maintien de l'effort de solidarité des pays du Nord.

Malgré la diversité des situations, les pays en développement dont les économies restent largement tributaires de l'évolution des cours en matières premières, ont bénéficié cette année d'un contexte général favorable caractérisé à la fois par le redressement des pays émergents après la grave crise financière qui les avait frappés et le dynamisme des marchés des pays industrialisés.

En 2000, la croissance pourrait ainsi s'élever à 5 % en moyenne pour la ZSP. En Afrique subsaharienne , elle devrait s'établir à un niveau plus modeste, quoique supérieur au taux enregistré en 1999 - 2 %. La conjoncture des deux géants économiques que sont l'Afrique du Sud et le Nigeria se présente sous des auspices plus favorables.

En Afrique du Sud, la croissance (sans doute 3 % en 2000) pourra tirer parti de la progression des exportations, favorisée par la dépréciation du rand et le dynamisme de la demande mondiale, ainsi que d'une consommation intérieure mieux orientée en raison de la baisse des taux d'intérêt réel et la diminution du chômage. Au Nigeria, l'effort de rigueur a permis de renouer avec les institutions de Bretton Woods et ainsi de mettre fin au financement monétaire du déficit budgétaire. La hausse du cours du pétrole contribuera largement au redressement des comptes extérieurs et publics.

Dans les pays de la zone franc , les prévisions pour 2000 tablent sur une croissance de 3 %, contre 2,1 % en 1999. Cette moyenne recouvre cependant des situations assez contrastées. Les pays de la Communauté économique et monétaire en Afrique centrale (CEMAC) devraient profiter du redressement exceptionnel du prix des hydrocarbures conjugué à l'appréciation du dollar pour poursuivre l'effort d'assainissement des finances publiques et favoriser la relance des investissements.

En revanche, les pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) pâtissent de la remontée du cours du pétrole. Ils ont souffert, par ailleurs, de la faiblesse récurrente du cours du café et du cacao, malgré les résultats d'une campagne agricole exceptionnelle en 1999-2000. En 2001, les récoltes, compte tenu du niveau des précipitations enregistré cette année, s'annoncent moins bonnes. Même si le taux de croissance progresse en 2000, il demeure très en deçà du niveau nécessaire, évalué de 6 à 7 %, pour assurer une notable amélioration du niveau de vie des populations.

La conjoncture des pays en développement est ainsi très dépendante des évolutions des cours de matières premières et du contexte climatique aujourd'hui désastreux pour de nombreux pays frappés par la sécheresse.

Les perspectives d'une croissance durable restent subordonnées à la façon dont les pays en développement sauront surmonter trois grands défis : la mondialisation, la croissance démographique, la restauration de l'Etat de droit.

. La mondialisation

Aujourd'hui, l'interdépendance des économies constitue pour la ZSP une source de contrainte. En effet, les pays de la zone subissent plus rapidement que par le passé les contrecoups de la conjoncture mondiale, tandis qu'ils n'ont pas su réellement, en contrepartie, tirer parti du mouvement d'ouverture des marchés.

Traditionnellement, la spécialisation des économies sur quelques matières premières les rend très vulnérables, d'une part, aux aléas climatiques, d'autre part, aux variations des cours.

La dépendance vis-à-vis des marchés mondiaux s'est encore accrue dans la période récente en raison des processus d'ouverture et de libéralisation. En particulier, la remise en cause des mécanismes de garantie traditionnels des revenus des producteurs a conduit à exposer directement les agriculteurs aux aléas des marchés.

La mise en oeuvre de nouveaux mécanismes de régulation apparaît aujourd'hui indispensable. Les ministres de la zone franc sont ainsi convenus, lors de leur dernière réunion, en septembre 2000, d'étudier la possibilité d'introduire " un mécanisme de stabilisation conjoncturelle des recettes budgétaires, et plus particulièrement des recettes pétrolières pour les pays producteurs de pétrole ". Toutefois, il demeure bien difficile de mettre en oeuvre des dispositifs efficaces.

Parallèlement, les économies africaines n'ont pas vraiment tiré parti du mouvement de mondialisation. La part de l'Afrique dans les échanges internationaux demeure très marginale (2 %). En trente ans, d'après la Banque mondiale, l'Afrique a perdu des parts de marché, y compris dans le commerce des matières premières et des produits de base. L'affaiblissement de ces positions aurait représenté chaque année, d'après les estimations de la Banque mondiale, un manque à gagner de 70 milliards de dollars.

. La croissance démographique

Depuis 1960, le nombre d'habitants a triplé sur le continent africain pour atteindre 766 millions. Il devrait encore doubler d'ici 2025 en raison d'un taux de fécondité particulièrement élevé. L'Afrique représente ainsi le quart des naissances qui se produisent chaque année en moyenne dans le monde (soit 20 millions de naissance sur un total de 80 millions).

L'Afrique subsaharienne compte 630 millions d'habitants. Avec une population d'1,1 milliard de personnes dans 25 ans, elle devrait occuper le deuxième rang mondial derrière l'Asie (qui comptera 5 milliards d'habitants).

Compte tenu de l'accroissement démographique rapide de la région, une croissance du PIB de l'ordre de 5 % serait nécessaire, d'après les estimations de la Banque mondiale, pour maintenir le niveau de vie actuel. Seule une croissance de 7 % pourrait assurer une répartition plus équilibrée des revenus.

Les perspectives démographiques seront cependant affectées par la pandémie du sida . L'importance du taux de natalité rend aussi plus aiguë la question de l'extension de la maladie compte tenu du mode de contamination mère-enfant. D'après les sources des Nations unies, l'Afrique subsaharienne comporterait 22,5 millions de personnes séropositives (adultes et enfants) sur 33,4 millions dans le monde ; 18 millions de personnes étant déjà décédées. Dans les pays les plus touchés par la pandémie -tous situés en Afrique-l'espérance de vie d'un enfant né entre 2000 et 2005 sera réduite à 43 ans contre 60 ans avant l'apparition du sida. Ce fléau a également des répercussions économiques et sociales. Les coûts estimés des traitements devraient constituer, dans les années à venir, la moitié des dépenses publiques de santé du Kenya et près des deux tiers de celle du Zimbabwe. Par ailleurs, la maladie touche principalement les personnes actives. A titre d'exemple, d'après certaines évaluations, le sida pourrait ainsi provoquer, entre 1995 et 2005, une contraction de près de 15 % de la production économique du Kenya.

. La consolidation de l'Etat de droit

La mise en place de l'Etat de droit -au plein sens du terme : institutions stables, cadre juridique sécurisé, en particulier pour les personnes et les biens- représente l'indispensable fondement d'un développement durable. Le développement de l'Afrique demeure entravé par le poids des conflits et des guerres civiles. L'Afrique, faut-il le rappeler, possède le triste privilège de compter un réfugié sur trois dans le monde -environ 6 millions de personnes. Encore ces données ne prennent-elles pas en compte les personnes déplacées au sein même de leur pays -soit quelque 15 millions de personnes. L'année 2000 aura été marquée par de nouvelles crises ou la poursuite de certains conflits (Sierra Leone, Liberia, en Afrique de l'Ouest, Ethiopie, Erythrée et Soudan, en Afrique de l'Est, Angola, République démocratique du Congo et région des grands lacs en Afrique centrale, Zimbabwe, en Afrique australe). La succession des crises politiques en Côte d'Ivoire, au cours de cette année, alors même que ce pays se distinguait jusqu'à présent comme un pôle de stabilité et de croissance en Afrique occidentale, constitue un sujet de préoccupation.

Le tableau doit cependant être nuancé. Comme le soulignait la Banque mondiale dans un rapport public cette année 1 ( * ) , lorsque des réformes économiques ont été entreprises -avec le soutien des bailleurs de fonds- et favorisées par l'absence de troubles civils, elles ont incontestablement permis de relever le niveau de croissance et ainsi fait reculer la pauvreté. En fait lorsque certaines parties de l'Afrique défraient la chronique par leurs guerres et leurs catastrophes naturelles, d'autres suscitent un intérêt de plus en plus marqué de la part des investisseurs privés.

Ces observations tendent à montrer que l'aide, indispensable, peut être très utile. Il est essentiel de maintenir l'effort dans la continuité. Dans ces conditions, l'évolution récente de l'aide française apparaît particulièrement préoccupante.

* 1 L'Afrique peut-elle revendiquer sa place dans le XXIe siècle ? mai 2000.

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