II. LES PRIORITÉS DU BUDGET POUR 2002

Outre la poursuite de l'effort engagé en 2001 en faveur du spectacle vivant, les priorités affichées par le ministère mettent l'accent sur l'approfondissement de la démocratisation culturelle grâce au développement des enseignements artistiques. Ces domaines d'intervention où l'Etat exerce concurremment l'initiative avec les collectivités territoriales font apparaître les limites de l'absence de partage clair des compétences qui, comme le prouve la pratique des cofinancements, conduit bien souvent l'Etat à décider et les collectivités locales à payer, constat qui souligne la nécessité de poursuivre la réflexion engagée par le ministère pour relancer la démocratisation culturelle.

A. LA MODERNISATION DU MINISTÈRE : VERS UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DU RÔLE JOUÉ PAR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DANS LA POLITIQUE CULTURELLE

La modernisation du ministère constitue une priorité du budget pour 2002. Votre rapporteur s'attachera ici à analyser un des aspects de cette ambition qui consiste dans la recherche d'un nouvel équilibre entre l'Etat et les collectivités territoriales.

Cet objectif, louable dans son principe, exige d'une part, de prendre en compte la nécessité de relancer la décentralisation culturelle et, d'autre part, de mieux maîtriser le processus de déconcentration de l'action de l'Etat.

1. La nécessaire relance de la décentralisation culturelle

a) Les collectivités territoriales : des partenaires incontournables

Les lois de décentralisation ont largement ignoré le domaine culturel.

En effet, n'ont été transférées aux collectivités territoriales que les compétences correspondant aux bibliothèques centrales de prêt et aux services d'archives, transferts qui se sont accompagnés de la mise en place d'un mécanisme de compensation financière, qui n'a été effectif qu'à compter du décret n° 86-102 du 20 janvier 1986.

A l'exception de ces dispositions, les collectivités territoriales n'ont pas de compétences obligatoires en matière culturelle.

Toutefois, cette absence de répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités n'a pas découragé, bien au contraire, ces dernières d'investir le champ culturel dans lequel, depuis les lois de décentralisation, elles ont multiplié les initiatives.

Le dynamisme des collectivités territoriales se traduit par l'évolution de leurs dépenses culturelles.

Ainsi, entre 1984 et 1993, les dépenses culturelles des collectivités territoriales sont passées de 5,34 milliards d'euros (35 milliards de francs) à 7,83 milliards d'euros (51,38 milliards de francs), soit une progression de 46,8 %.

L'effort financier des collectivités territoriales équivaut à celui de l'Etat, tous ministères confondus.

Le léger recul du montant des dépenses locales entre 1993 et 1996 (- 3,34 %) n'a pas remis en cause fondamentalement cette équation.

En effet, en 1996, les communes, les départements et les régions consacraient 7,57 milliards d'euros (49,66 millions de francs) à la culture tandis que l'effort de l'Etat ne dépassait pas 7,13 milliards d'euros (46,8 milliards de francs).

C'est donc bien l'engagement des collectivités territoriales plus que les initiatives de l'Etat qui ont, selon le voeu exprimé par André Malraux, fait disparaître ce « mot hideux de province ».

Cette évolution connaît toutefois désormais un palier, au demeurant parfaitement explicable.

La dernière enquête réalisée par le ministère de la culture fait, en effet, apparaître que la diminution des dépenses culturelles des collectivités territoriales est essentiellement imputable au recul des dépenses d'investissement (- 35,2 %), les dépenses de fonctionnement ne reculant que faiblement (- 1,6 %).

Ce recul des dépenses culturelles affecte essentiellement les communes (- 12,5 %), principales contributrices (3,58 milliards d'euros) et, dans une moindre mesure, les départements (- 8,9 %), les dépenses culturelles des régions continuant à progresser (+ 2,6 %).

Ces chiffres ne doivent pas être interprétés comme le signe d'un désengagement mais comme le terme de la montée en puissance des politiques culturelles locales, qu'il convient, par ailleurs, de situer dans le contexte économique général de la période considérée, qui a exigé des collectivités territoriales une plus grande rigueur de gestion.

La maîtrise des dépenses culturelles, qui représentent 5,4 % des budgets locaux, ne s'est pas accompagné d'une redistribution de l'effort entre les différents secteurs d'intervention, dont les parts relatives demeurent stables. En effet, les politiques culturelles territoriales continuent à s'articuler autour de quatre fonctions essentielles, qui représentent 90 % des dépenses : la conservation (35,9 %), la production et la diffusion artistiques (22 %), l'animation (13 %) et la formation (15 %). Si le domaine de la musique, de l'art lyrique et de la danse, d'une part, et celui du livre et de la lecture, d'autre part, occupent une place privilégiée, l'enquête fait apparaître la persistance de la grande diversité des disciplines soutenues par les interventions décentralisées.

Cette diversité des initiatives locales implique de fait un recoupement entre ces dernières et les politiques conduites par l'Etat, qui explique qu'en ce domaine les financements croisés soient la règle.

En effet, l'Etat a développé son action au niveau territorial, moins en imposant un maillage culturel, dont il aurait eu la maîtrise, mais qui aurait imposé un effort financier considérable, qu'en systématisant le partenariat avec les collectivités territoriales, notamment en développant des instruments de contractualisation.

b) Une relance de la décentralisation culturelle ?

A cet égard, les initiatives prises en ce domaine depuis 1997 s'inscrivent dans le droit fil de cette politique qui a été initiée dès les années 1970 par les chartes culturelles proposées aux communes et aux départements et relancée dans les années 80 avec les « conventions de développement culturel » ou encore la prise en compte des questions culturelles dans les contrats de plan.

Ces initiatives visent à donner un cadre à la contractualisation mais également à élaborer de nouveaux instruments de collaboration.

Parallèlement à l'accélération du processus de déconcentration, l'Etat a eu le souci d'uniformiser ces modalités d'intervention. Tel a été l'objet des chartes des missions de service public destinées à préciser les principes qui guident la politique de contractualisation. Trois chartes ont été à ce jour négociées avec les représentants des professionnels concernés, en concertation avec les associations représentatives d'élus des collectivités territoriales. Elles concernent l'ensemble des organismes subventionnés du spectacle vivant (1998), de l'enseignement artistique spécialisé en danse, musique et théâtre (2000) et des institutions d'art contemporain (2001).

Si l'élaboration de tels documents ne semble pas soulever de difficultés particulières, ce qui s'explique aisément par le caractère très général de leurs dispositions, votre rapporteur ne pourra que relever les obstacles auxquels se heurte leur mise en oeuvre, lors de l'élaboration des contrats destinés à préciser les obligations réciproques de l'Etat, des collectivités territoriales et des structures concernées.

Il semble qu'en ce domaine, s'il est aisé pour le ministère de formaliser des objectifs généraux, qui peuvent par ailleurs apparaître comme un alibi commode, leur mise en oeuvre exige de difficiles négociations qui achoppent souvent sur les questions financières.

A titre d'exemple, on citera la laborieuse généralisation des contrats d'objectifs qui, en vertu de circulaires prises par la ministre de la culture en 1998, doivent lier les scènes nationales avec l'Etat et les collectivités territoriales.

Le ministère a également eu le souci de se doter d'un nouvel instrument de contractualisation, les protocoles de décentralisation culturelle .

Ces protocoles doivent constituer le cadre de l'expérimentation, sur trois ans, de nouvelles formes de partenariat entre l'Etat et les collectivités territoriales dans les domaines du patrimoine et des enseignements artistiques.

Huit collectivités -cinq régions et trois départements- ont été retenues lors de la réunion du conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel du 12 décembre 2000 pour expérimenter en 2001 cette nouvelle forme de contractualisation dans les domaines de l'inventaire, des monuments inscrits, de la numérisation des fonds patrimoniaux et des enseignements artistiques (musique, danse et arts plastiques). Par lettres de mission, les préfets concernés ont été chargés de négocier avec les collectivités les contours de ces protocoles et, en particulier, les objectifs et les nouvelles conditions de l'intervention publique, puisque la conclusion de ces contrats doit permettre d'initier un nouveau partage des compétences entre les collectivités publiques.

Les dotations financières de l'Etat sont composées de la mobilisation des crédits déconcentrés traditionnellement affectés aux opérations concernées, abondés d'une dotation spécifique inscrite sur le budget du ministère de la culture et de la communication en vue de soutenir ces expérimentations et d'inciter les collectivités à s'y engager. Cette dotation de 2,29 millions d'euros (15 millions de francs) en 2001 s'élèvera en 2002 à 1,22 million d'euros (8 millions de francs). Deux protocoles ont à ce jour été signés dans le secteur patrimonial dont l'un avec la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur et l'autre avec le département de la Lozère. Six autres protocoles sont en cours de signature, dont quatre dans le domaine du patrimoine et deux dans le domaine des enseignements artistiques.

Ces protocoles constituent, par ailleurs, un moyen d'expérimenter des transferts de compétences, notamment dans le secteur patrimonial. C'est dans cette perspective qu'a été introduit, à l'Assemblée nationale, par voie d'amendement gouvernemental, un article 43 I dans le projet de loi relatif à la démocratie de proximité. Cet article prévoit, en effet, que dans les douze mois suivant la promulgation de la loi, l'Etat mettra en place une expérimentation tendant à conférer aux collectivités territoriales des compétences propres en matière d'inventaire, de protection du patrimoine par la voie d'inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques mais également de subventionnement des travaux sur les monuments inscrits n'appartenant pas à l'Etat et sur le patrimoine non protégé, ce qui à terme devrait impliquer des transferts de crédits.

Sur la méthode retenue, votre rapporteur observera que la relance de la décentralisation culturelle, comme au demeurant l'importance de l'engagement des collectivités locales en ce domaine, méritait peut-être mieux qu'une expérimentation. Il s'agit d'une procédure originale qui risque d'accroître la confusion plutôt que de clarifier les compétences respectives de l'Etat et des collectivités territoriales. Il aurait sans doute mieux valu se donner les moyens d'élaborer une véritable réforme législative.

Au-delà, votre rapporteur s'interrogera sur l'opportunité des transferts de compétence prévus. Ainsi, par exemple, s'agissant du patrimoine non protégé, en l'absence de dispositions précisant les régimes de sauvegarde, l'Etat et les collectivités peuvent intervenir concomitamment. Faut-il comprendre qu'à l'avenir ce domaine sera réservé à une collectivité territoriale en particulier ? Quoiqu'il en soit, les transferts de crédits d'Etat dont elles pourraient bénéficier seront très faibles et exigeront des collectivités locales un renforcement de leur effort financier si la loi institue en ce domaine une compétence obligatoire.

Sans anticiper sur les débats auxquels donnera lieu au Sénat l'examen du projet de loi, votre rapporteur ne peut que relever que ce dispositif soulève plus de questions qu'il ne semble en résoudre.

En tout état de cause, tant sur la méthode que sur le fond, il ne s'agit que d'une conception a minima de la décentralisation culturelle.

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