III. DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES

A. LE PROJET DE LOI D'ORIENTATION DES PETITES ENTREPRISES ET DE L'ARTISANAT

Les années de crise ont fait apparaître une nouvelle sociologie de l'entreprise et de l'emploi en France.

Entre 1981 et 1998, les entreprises de plus de 200 salariés perdaient plus de 800.000 emplois. Sur la même période, les entreprises de moins de 20 salariés créaient plus de 1,2 million d'emplois . Elles occupent aujourd'hui 37 % de l'effectif salarié, contre 11 % pour les entreprises de plus de 500 salariés.

Or, depuis 50 ans, les mesures législatives et les aides de l'Etat ont essentiellement concerné les grandes entreprises, mobilisant toute l'attention des pouvoirs publics. L'environnement juridique, fiscal et administratif, conçu pour les grandes et moyennes entreprises est largement inadapté à la structure des petites entreprises.

Les quelques mesures intéressant directement les petites entreprises se sont concentrées sur la création d'entreprises et le secteur innovant des technologies nouvelles. Mais l'avenir de la petite entreprise ne repose pas uniquement sur les start-up.

La charte pour les petites entreprises, élaborée par le Conseil européen lors des sommets de Lisbonne et de Santa Maria da Feira du premier semestre 2000, reconnaît leur rôle moteur dans la création d'emplois. Cette prise de conscience européenne a accompagné l'émergence en France de la demande, émanant des professionnels, d'une loi d'orientation pour l'artisanat et la petite entreprise afin de fonder une véritable politique de développement de la petite entreprise.

Le Président de la République, M. Jacques Chirac, s'est déclaré favorable à l'élaboration d'une telle loi d'orientation.

Pour répondre à l'attente exprimée par le secteur, le Premier ministre a confié une mission parlementaire à M. Didier Chouat, député des Côtes d'Armor et M. Jean-Claude Daniel, député de la Haute-Marne, destinée à identifier les améliorations en matière financière, fiscale, sociale, juridique, administrative et culturelle de nature à encourager la croissance et la pérennité de ces entreprises.

Ces députés ont remis leur rapport le 18 octobre dernier au Premier ministre. Votre rapporteur pour avis regrette la modestie des propositions de ce rapport à vocation législative eu égard à la nécessité d'engager une politique globale et durable en faveur des petites entreprises. Il s'inquiète notamment du silence du rapport sur les indispensables outils de financement, d'investissement et d'appui au développement économique des petites entreprises, dont l'impact est déterminant sur l'emploi et l'aménagement du territoire .

Votre rapporteur pour avis veillera à ce que le projet du gouvernement améliore l'environnement et le fonctionnement des petites entreprises et réponde bien aux aspirations légitimes des professionnels, qu'il souhaite rappeler ici.

Les professionnels ont mis en lumière la nécessité de moderniser la petite entreprise en assurant, notamment, la neutralité fiscale et sociale entre l'entreprise exerçant sous la forme sociétaire et l'entreprise individuelle.

En effet, les mesures fiscales et sociales proposées n'intéressent généralement que les entreprises exerçant sous la forme sociétaire et participent depuis 30 ans à la multiplication de SARL artificielles , dont le choix ne repose pas toujours sur des considérations économiques.

A titre d'exemple, le nombre d'entreprises immatriculées au Répertoire des métiers et exploitées sous la forme sociétaire est ainsi passé de moins de 10 % en 1980, à plus de 30 % aujourd'hui.

Néanmoins, plus de 1 million d'entreprises de l'artisanat, du commerce ou libérales, demeurent des entreprises individuelles et 60 % des entreprises qui se créent sont exploitées sous cette forme.

Il apparaît donc utile d'envisager la modernisation du statut de l'entreprise individuelle , notamment à travers de nouveaux droits reconnus au travailleur indépendant et au conjoint, tout en préservant la simplicité de son formalisme qui fait le succès de l'entreprise individuelle.

Des adaptations des règles applicables à la petite entreprise s'imposent :

- assurer la neutralité entre l'entreprise individuelle et la société : ceci exige d'abord de donner une définition légale de l'entreprise individuelle. Ensuite, il s'agit de permettre à l'entrepreneur individuel, d'une part, de protéger son patrimoine familial en cas de difficulté de l'entreprise, d'autre part, d'opter pour l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés du bénéfice de son activité.

Enfin, il apparaît également nécessaire de restreindre l'assiette des cotisations sociales des travailleurs non salariés non agricoles et d'étendre aux entreprises individuelles le mécanisme de déduction fiscale pour investissement.

- sécuriser l'esprit d'entreprise par la mise en place d'un mécanisme garantissant à l'entrepreneur individuel un « reste à vivre », par l'augmentation de la valeur du bien de famille insaisissable, et par l'aménagement du régime des baux commerciaux (afin que d'éventuels travaux de mise aux normes puissent être effectués par le locataire, sans relèvement du loyer en fin de bail).

- reconnaître la spécificité de l'entreprise saisonnière par une définition légale et des règles fiscales et juridiques adaptées.

La reconnaissance du conjoint doit également être renforcée, notamment en permettant de déduire du bénéfice imposable le salaire du conjoint participant effectivement à l'exercice de la profession et en améliorant le statut du conjoint collaborateur.

Enfin, des mesures doivent être prises pour conforter la protection sociale des travailleurs indépendants : en particulier aligner le régime de indemnités journalières des artisans et commerçants sur celui des salariés et calculer les droits à retraite sur l'ensemble de la vie professionnelle en cas de carrière « mixte » (indépendant et salarié).

La deuxième priorité consiste à favoriser le développement de la petite entreprise et de l'emploi pour les dix ans qui viennent.

Si des mesures d'aides à la création d'entreprise existent, la transmission-reprise des petites entreprises manque d'encouragements alors qu'elle constitue un défi pour les quinze prochaines années, compte tenu de la pyramide des âges.

Pour encourager la création et la reprise d'entreprises, il faudrait d'abord étendre à la reprise les mesures prises en faveur de la création d'entreprises. Ensuite, l'accès au conseil pour les créateurs-repreneurs devrait être facilité. En outre, le régime fiscal des plus-values gagnerait à être aménagé et la création d'un mécanisme de cessation anticipée d'activité pour les travailleurs indépendants pérenniserait les petites entreprises. Enfin, il faudrait rendre aussi favorable la transmission de l'entreprise par donation que par voie successorale.

Mais un des soucis majeurs exprimé par les chefs d'entreprises réside dans les conditions du financement de leur développement, et les moyens de faciliter l'accès à un crédit moins cher.

Un dispositif doit être imaginé afin de compenser les handicaps des petites entreprises en matière d'accès au crédit bancaire et afin d'améliorer parallèlement le recours aux sociétés de caution mutuelle. Par ailleurs, l'investissement de l'entreprise pourrait être encouragé par la création d'un crédit d'impôt, et celui des particuliers dans les entreprises individuelles incité fiscalement.

Si la création d'emploi dans ces entreprises témoigne de leur dynamisme, les coûts salariaux et la gestion administrative constituent également des freins réels à leur développement et donc à la création d'emplois . Il conviendrait notamment de réformer l'assiette des cotisations patronales et d'appliquer le taux réduit de TVA sur les activités de main d'oeuvre.

Le souhait unanimement formulé est celui de ne pas voir apparaître de nouvelles complexités et de nouvelles contraintes administratives. Les mesures de simplification administrative laissent les professionnels sceptiques, bien qu'ils souhaitent un accès plus facile des petites entreprises à des aides publiques efficaces et demandent une harmonisation des réglementations entre régimes sociaux et un report sur les organismes de recouvrement du soin de calculer les charges sociales.

Enfin, le troisième objectif est de renforcer la pérennité et l'adaptabilité des petites entreprises.

La pérennité des entreprises repose largement sur la qualification des futurs chefs d'entreprise qui, dans l'artisanat, sont très majoritairement issus de l'apprentissage.

Dans un contexte de difficultés de recrutement et de nécessaire renouvellement des chefs d'entreprises partant à la retraite, l'apprentissage et ses débouchés doivent être valorisés auprès des jeunes, notamment en consacrant le rôle des centres d'aide à la décision (CAD), et en encourageant la formation en alternance et ses acteurs.

Dans la même perspective, il est nécessaire de mieux accompagner l'évolution des métiers et des qualifications professionnelles et de disposer d'éléments de prospective aujourd'hui notoirement insuffisants.

Enfin, l'accompagnement des petites entreprises par les pouvoirs publics et les structures intermédiaires doit être renforcé, notamment par l'instauration d'un statut de l'élu professionnel .

Votre rapporteur pour avis, à l'instar des artisans, met beaucoup d'espoir dans cette loi d'orientation, qui devra être ambitieuse pour le moyen terme et s'accompagner des moyens nécessaires.

L'annonce d'une première lecture de ce projet de loi d'orientation à l'Assemblée nationale en février 2002 ne permettra sans doute pas son adoption avant les prochaines échéances électorales. C'est pourquoi, votre rapporteur pour avis tient à rappeler que, dans l'attente d'une loi d'orientation, quelques mesures ponctuelles pourraient d'ores et déjà répondre à certains besoins des petites entreprises et de l'artisanat :

- appliquer le taux réduit de TVA (5,5 %) :


* aux activités de restauration traditionnelle, afin de supprimer des distorsions de concurrence entre les différentes formes de restauration traditionnelle et d'appuyer ce secteur, essentiel pour l'emploi et l'aménagement du territoire ;


* aux produits alimentaires de consommation courante (chocolat, confiserie, graisses végétales...), notamment à fin d'harmonisation européenne ;

- réduire la charge financière de la double immatriculation au répertoire des métiers et au registre du commerce et des sociétés, par un abattement de 50 % de la taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie pour les 60 % d'entreprise artisanales concernées (le niveau actuel des ressources des chambres de métiers ne pouvant être réduit, pour les raisons exposées à la fin de ce rapport) ;

- supprimer définitivement la vignette automobile pour les véhicules utilitaires ;

- exonérer les bouchers et charcutiers de la taxe d'équarrissage, qu'ils payent sur la totalité de leur chiffre d'affaires et qu'ils ne peuvent répercuter sur des consommateurs devenus méfiants à l'égard des produits carnés ;

- réduire la base de la taxe professionnelle pour les professions libérales.

B. LE PASSAGE À L'EURO : IMPRÉPARATION ET SUJÉTIONS

Une impréparation notoire des PME au basculement à l'euro, malgré les mesures d'accompagnement prises par le gouvernement

- Un constat alarmant :

A cause du passage à l'an 2000, de la surcharge de travail née de la croissance et du passage aux 35 heures, les petites entreprises ont délaissé la préparation du basculement à l'euro prévu pour le 1 er janvier 2002.

Selon la neuvième enquête « Cap euro » menée en septembre 2001 par la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris, 30 % des PME et 53 % des commerçants interrogés n'avaient pas envisagé de basculer leur comptabilité à l'euro avant le 31 décembre 2001 . De nombreux chefs d'entreprise, notamment de commerces de détail, n'avaient donc pas pris à cette date la mesure des enjeux. Alors que l'introduction physique de l'euro ne peut être différée et que tout règlement scriptural en francs sera interdit au 1 er janvier 2002, l'enquête révèle que 20 % des PME pourraient n'être prêtes à passer à l'euro qu'au 2 ème trimestre 2002. Afin de les mobiliser, les 130 Chambres de Commerce et d'Industrie ont organisé une « semaine de l'euro » en mai à l'intention de 1,3 million de PME. Or, seules 30 à 35.000 d'entre elles y ont participé.

Ce maigre bilan illustre le manque de sensibilisation au passage à l'euro et l'absence de motivation pour anticiper l'opération que certaines PME réduisent à sa dimension informatique.

Votre rapporteur pour avis s'en inquiète, estimant l'impréparation porteuse de risques divers : perte possible de parts de marché face à des concurrents offrant plus vite des services en euros, compression des marges par une conversion non stratégique des prix, défaut de disponibilité des experts-comptables ou des prestataires informatiques, litiges... La pérennité même d'une entreprise peut s'en trouver menacée.

- Une politique d'accompagnement à compléter .

Pour favoriser le passage à l'euro des PME, le gouvernement a entrepris :

- des actions de mobilisation

Une charte de mobilisation des PME a été signée le 19 juillet 2000. Une seconde charte, plus spécifiquement tournée vers les petites entreprises commerciales, artisanales et de services, a été signée le 16 février 2001 ; elle concerne principalement les réseaux participant à l'environnement économique de ces entreprises (organismes bancaires et financiers, chambres consulaires, experts-comptables et centres de gestion agréés, organisations et syndicats professionnels).

- des actions d'information

Deux guides ont été réalisés, en collaboration avec les organisations représentatives du secteur :

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le premier destiné aux PME et diffusé à 800.000 exemplaires au printemps 2001;

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le second à l'attention des entreprises commerciales, artisanales et de services et diffusé à 2.000.000 exemplaires durant la même période.

Leur diffusion a été assurée auprès des entreprises concernées par les réseaux signataires des deux chartes. Ces deux guides ont également été chargés sur le site Internet du Ministère de l'Economie et des Finances spécialement dédié à l'euro (www.euro.gouv.fr).

Le même site Internet comporte une partie destinée particulièrement à l'information des entreprises (avec une possibilité de questions/réponses).

Une campagne média (radio et annonces dans la presse économique et professionnelle) a également été lancée en février 2001, en accompagnement de la campagne de communication grand public menée au 1 er trimestre 2001.

A l'été 2001 a été lancée l'opération Euros Bienvenus, en partenariat avec les organisations consulaires, professionnelles et bancaires. Cette opération vise à promouvoir, à partir de septembre 2001, l'acceptation par les commerçants et artisans et l'utilisation par les consommateurs des moyens de paiement scripturaux (chèques et cartes) en euros. Une première diffusion de 400.000 supports d'information (affichettes, dépliants, vitrophanies de vitrine, autocollants de caisse) est en cours de réalisation.

- des actions d'accompagnement et de soutien

Elles ont concerné les multiples initiatives, nationales et de terrain, prises par les réseaux d'appui aux entreprises, spécialement les petites, et qui relèvent de l'information, de la formation, de l'assistance technique et du soutien personnalisé.

- des actions de financement

Les crédits propres d'intervention du secrétariat d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation ont été mobilisés pour appuyer les actions relatives à l'euro des organisations consulaires et professionnelles.

Le secrétariat d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation a ainsi participé au financement d'études réalisées par l'ISM et le CEFAC sur des entreprises qui sont passées à l'euro, ainsi qu'à des actions de formation menées par ces deux organismes.

Il a également apporté un financement à l'opération 10.000 Commerçants Pilotes (46.000 euros, soit 301.740 francs) lancée par les Chambres de Commerce et d'Industrie à la rentrée 2001, ainsi qu'au « train de l'euro » (15.245 euros, soit 100.000 francs) organisé par l'Ordre National des Experts-Comptables du 3 au 26 septembre 2001.

- des actions fiscales

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les logiciels et leurs mises à jour bénéficient d'un amortissement accéléré sur 12 mois ;

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les frais d'adaptation des matériels existants peuvent être passés directement en charge dans la limite de 381 euros, soit 2.500 francs ;

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un dispositif a été retenu par le Parlement lors de l'examen du projet de loi portant MURCEF pour permettre l'amortissement exceptionnel sur 12 mois, à compter de leur mise en service, de tous les matériels d'encaissement des espèces et des paiements scripturaux et des balances pour transactions commerciales acquis en vue du passage à l'euro par les PME. Il autorisera également la constatation en charges immédiatement déductibles des simples dépenses d'adaptation des équipements à l'euro.

Ces initiatives, quoique multiples, ne semblent pas suffire à mobiliser les PME et le secteur du commerce et de l'artisanat. En outre, les entreprises concernées soulignent que les mesures fiscales d'amortissement accéléré ne profitent qu'aux entreprises qui font des bénéfices.

Votre rapporteur pour avis souligne la nécessité de motiver les chefs d'entreprise en mettant au jour les avantages pour l'entreprise d'un basculement précoce à l'euro : réorganisation de la comptabilité, révision du matériel informatique, amélioration de la politique commerciale de l'entreprise... Il explique également la réticence des PME à se préparer par l'absence de compensation des sujétions imposées à ces entreprises de proximité lors de la double circulation de francs et d'euros.

Des sujétions de service public dont il est urgent de prévoir la compensation

Les entreprises du commerce et de l'artisanat, quoique conscientes du potentiel économique que représente la monnaie unique, s'inquiètent des modalités de son introduction sous forme fiduciaire.

Alors que l'Allemagne et l'Italie ont choisi la solution du « big bang » en s'appuyant sur le seul réseau bancaire, les autorités françaises ont décidé que, du 1 er janvier au 17 février 2002, les acheteurs pourraient effectuer leurs paiements en espèces indifféremment en euros ou en francs et que, sauf « impossibilité majeure », les vendeurs devraient leur rendre la monnaie en euros.

Les commerçants de proximité et artisans sont ainsi mis à contribution pour assurer une véritable mission de service public : mettre en circulation les euros et assurer le retrait des francs . Sur les 100 millions de transactions en espèces réalisées chaque jour en France, une grande partie s'opère en effet dans les commerces traditionnels (boulangeries, boucheries, drogueries, etc...). Les commerçants et artisans sont donc appelés à diffuser la nouvelle monnaie en faisant oeuvre de pédagogie dans l'accompagnement de leurs clients.

Ils vont se trouver confrontés à plusieurs difficultés :

1 - La gestion du double fonds de caisse et du rendu de monnaie

Ceci implique :

- un allongement de la durée des transactions en pleine période de fêtes et donc un risque de perte de clientèle et de chiffre d'affaires ;

- du temps passé à l'information individualisée du consommateur sur la nouvelle unité de compte et sur les règles de conversion et d'arrondi ;

- des risques de difficultés sur le rendu de monnaie en euros s'il y a pénurie de monnaie ;

- la gestion de la multiplication des petits paiements par chèque et par carte bancaire ;

- d'éventuels incidents pouvant nuire aux relations avec la clientèle. Dans cette perspective, se mettent d'ores et déjà en place dans chaque département des « commissions de règlement à l'amiable de litiges liés à l'euro ».

2 - Le risque de pénurie de monnaie fiduciaire

Une des grandes inquiétudes du secteur concerne la disponibilité de la monnaie, euro mais aussi franc, durant cette période de double circulation et surtout durant les 15 premiers jours où les francs seront retirés sans que l'approvisionnement en euros soit assuré.

Le calendrier est le suivant :

- le 1 er janvier est un mardi. Les banques seront fermées le samedi 29 décembre sauf exception, le dimanche 30 décembre, le lundi 31 décembre pour beaucoup, et bien sûr le mardi 1 er janvier ;

- durant la première semaine, les réapprovisionnements en euros ne pourront s'effectuer que sur trois jours seulement : 2, 3 et 4 janvier. Les banques font valoir qu'elles craignent elles-mêmes des difficultés de réapprovisionnement et conseillent aux commerçants de prendre l'approvisionnement nécessaire en euros pour toute la semaine, ce qui demeure difficile à évaluer ;

- or, la période des fêtes est une période très chargée, notamment pour les professionnels des métiers de bouche, lesquels n'auront donc que peu de temps pour s'approvisionner et se réapprovisionner en euros auprès de leur banque.

Par ailleurs, les banques, comme le montrent certains documents internes, encourageraient leurs clients à faire les opérations d'échange auprès des commerçants plutôt qu'à leurs guichets.

Il y a par conséquent des risques de pénurie d'euros et de francs, face auxquels les professionnels se sentent impuissants .

3 - Les problèmes de sécurité

Chargés de retirer les francs, les commerçants et artisans de l'alimentation vont devoir stocker des fonds de caisse en francs et en euros importants, ce qui les expose à des risques accrus de « braquage ».

La Commission européenne et le ministère de l'économie et des finances incitent d'ailleurs les commerçants à envisager avec leur compagnie d'assurances des mesures complémentaires au titre de la garantie volontaire couvrant cette période d'encaisse exceptionnellement élevée.

Le Gouvernement a d'ores et déjà prévu, dans le cadre du plan de sécurité pour le passage à l'euro fiduciaire préparé par le ministre de l'intérieur, que la police et la gendarmerie assureraient « une protection renforcée des commerçants et des personnes les plus exposées » (communication en Conseil des ministres du 23 mai 2001).

4 - Une augmentation du temps de travail : formation, mise en place du double étiquetage, actualisation de divers documents administratifs, comptables et commerciaux, encaissement ralenti au moment où commencera la mise en place des 35 heures obligatoires. Face aux risques liés au changement de monnaie, et à la mission de service public qui leur est confiée, les entreprises du commerce de détail sont fondées à demander des compensations, d'autant que leur équilibre économique et financier est souvent fragile.

S'il n'ignore pas que le principe retenu en Europe est de laisser à la charge de chaque acteur économique des frais qu'il aura à supporter lors du passage à l'euro, votre rapporteur pour avis considère que la sujétion ainsi supportée se distingue par son poids et doit se traduire par une compensation financière pour service rendu . Cette indemnisation est indispensable à la réussite du passage à l'euro. Les moyens mis au service de cette réussite ne peuvent se limiter à des campagnes de communication, si vastes soient-elles. Votre rapporteur pour avis soutient la nécessité de prendre les dispositions suivantes :

- permettre l'amortissement accéléré du matériel lié aux paiements proposé dans le projet de loi portant MURCEF serait un premier pas important, mais insuffisant. D'une part, cette mesure ne concerne que les entreprises qui investissent. D'autre part, elle n'aura un impact immédiat et significatif que sur les entreprises dégageant des résultats conséquents.

- offrir un crédit d'impôt exceptionnel pour le passage à l'euro, qui pourrait s'appuyer sur les remises en francs effectuées par les professionnels auprès de banques du 1 er janvier au 17 février 2002. Ce dispositif concernerait toutes les entreprises de proximité et présenterait par ailleurs l'avantage d'inciter au rendu de monnaie en euros par les entreprises.

La proposition de loi de MM. les députés Bernard Accoyer et Patrick Ollier, déposée le 16 juillet 2001, suggère de dédommager les commerçants pour la diffusion des euros par une indemnité versée aux « entreprises comptant au moins vingt salariés, inscrites au registre du commerce ou au registre des métiers » et proportionnelle aux retraits en euros qu'elles auront effectués auprès des établissements bancaires du 1 er décembre 2001 au 17 février 2002.

Votre rapporteur pour avis partage l'objectif de cette proposition de loi, mais déplore qu'elle ignore les entreprises de moins de 20 salariés, qui sont les plus fragilisées par l'opération du simple fait de leur taille. En outre, son mécanisme, fondé sur une proportionnalité entre les retraits d'euros et le dédommagement conduit à une charge financière pour l'Etat difficile à estimer. Un crédit d'impôt forfaitaire pour tout professionnel concourant à la mise en circulation des euros serait plus simple et plus facile à calibrer ;

- favoriser le recours à la monnaie scripturale , afin de pallier les éventuelles pénuries de monnaie fiduciaire et d'accélérer les transactions. A cette fin, votre rapporteur pour avis a déposé deux amendements au projet de loi portant MURCEF, demandant :

. la suppression de la commission des banques pour les paiements par carte bancaire inférieurs à 30 euros pendant la période de double circulation. Cette mesure, en encourageant l'acceptation des cartes bancaires, pallierait une possible pénurie de monnaie fiduciaire et accélérerait les transactions dans les magasins de proximité ; elle fournirait, en outre, l'occasion pour les banques de banaliser et élargir le paiement par carte sur le long terme, grâce à l'habitude qui serait ainsi contractée par les consommateurs durant la période transitoire ;

. l'augmentation de la garantie de paiement des chèques à 30 euros : fixée à 100 francs depuis 1975, cette garantie pourrait être portée à 30 euros (ce qui est bien inférieur à l'actualisation de 100 francs de 1975, qui serait de 54,65 euros du fait de l'érosion monétaire). En protégeant plus largement les commerçants contre les chèques impayés, cette mesure les encouragerait à favoriser le paiement par chèque durant la période de double circulation, ce qui serait un moyen complémentaire de pallier une éventuelle pénurie de monnaie fiduciaire et d'éviter la complexité des transactions avec paiement en francs et rendu de monnaie en euros.

Le premier amendement a été retenu par le Sénat. Votre rapporteur pour avis s'en félicite et compte sur le Gouvernement pour soutenir devant l'Assemblée nationale le bien fondé de cette disposition, allégeant les sujétions des commerçants pendant la période de double circulation monétaire.

Votre rapporteur pour avis attire également l'attention du Gouvernement sur la nécessité d'alléger les contraintes administratives du passage à l'euro pour les petites entreprises, par deux moyens simples : d'une part, un délai complémentaire pour adresser l'ensemble des déclarations fiscales et sociales en ces premiers mois de 2002 particulièrement chargés du fait du passage à l'euro ; d'autre part, l'exonération des droits d'enregistrement pour la conversion du capital des sociétés à l'euro (qui ne peut se résumer à une conversion mathématique du capital social, laquelle est effectivement gratuite, mais doit permettre d'arrondir la nouvelle valeurs des parts en euros).

C. LA COMPETITIVITÉ DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES MISE À MAL PAR L'APPLICATION IMMINENTE DES 35 HEURES

La loi n° 98-461 du 13 juin 1998, déjà applicable depuis le 1 er janvier 2000 aux entreprises de plus de vingt salariés, réduit la durée légale du travail effectif des salariés à 35 heures, au 1 er janvier 2002, pour l'ensemble des petites entreprises de moins de 20 salariés.

Outre le fait que cette échéance coïncide avec le délicat changement d'unité monétaire, l'application imminente des 35 heures aux petites et moyennes entreprises soulève de grandes difficultés. La rigidité et la complexité excessives des lois de juin 1998 et janvier 2000, qui prévoient une réduction obligatoire et uniforme du temps de travail dans les petites entreprises, rendent leur application extrêmement difficile.

Comme l'a souligné le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur le passage aux trente-cinq heures 3( * ) , grandes et petites entreprises ne sont pas dans une situation d'égalité pour plusieurs raisons :

- l'indivisibilité de l'emploi : s'il est possible, sur de grands effectifs, de compenser les heures de travail perdues par des embauches, cela est beaucoup plus difficile pour des petites unités. Les quelques heures perdues risquent, en effet, de ne pas être compensées, l'entreprise ne pouvant embaucher une personne suffisamment polyvalente pour compléter, poste par poste, la durée du travail nécessaire ;

- la nature des secteurs d'activités des petites entreprises : le potentiel de gains de productivité, susceptibles de compenser l'effet de la réduction du temps de travail, est réduit dans certains secteurs comme les commerces et les services, du fait de la nature même des activités concernées ;

- les difficultés de recrutement : de nombreuses petites et moyennes entreprises, notamment dans le bâtiment, l'hôtellerie ou la restauration, y sont confrontées, malgré une politique de formation et de promotion.

Dans ces conditions, l'application des 35 heures aux petites et moyennes entreprises, en pesant sur leur compétitivité, risque d'avoir l'effet inverse de celui recherché.

Votre commission constate toutefois qu'une partie des PME a anticipé la date du passage aux 35 heures.

Dans les faits, la primauté de l'accord de branche sur les accords d'entreprise a pu être constatée : il semble particulièrement adapté aux petites entreprises, en raison des clauses d'application directe qu'il peut comporter.

Dans le secteur de l'artisanat, 21 accords de branche ont été signés au 1 er juillet 2001 et concernent 1.600.000 salariés (bâtiment, ameublement, réparation de machines agricoles, réparation automobile, réparation horlogerie-bijouterie, commerce de détail bijouterie, blanchisserie-pressing, céramique d'art, coiffure, commerce de détail des fleurs, cordonnerie, couture parisienne, imprimerie de labeur, graphiste-décorateur, plasturgie, prothésistes dentaires, boulangerie, boulangerie-pâtisserie, charcuterie, confiserie-chocolaterie-biscuiterie, poissonnerie).

Dans le secteur du commerce, 31 accords de branche ont été signés au 1 er juillet 2001. Ils concernent près de 900.000 salariés (boissons, commerce de gros bonneterie-lingerie-chaussure, import-export, lin, négoce de bois, négoce des matériaux de construction, matériel thermique et frigorifique, entrepôts d'alimentation, commerce de gros confiserie-chocolaterie, coopératives de consommation, négoce des engrais, commerce de gros des tissus, mareyeurs, industrie des instruments à écrire, papiers cartons, négoce des combustibles, importation charbonnière, fournitures dentaires, matériel médical, grande distribution alimentaire, commerce de détail des fruits et légumes, magasins populaires, bricolage, jardinerie, articles de sport, commerce de détail de la bijouterie et de l'horlogerie, commerce du flaconnage, habillement, pharmacie).

Dans le secteur des services et des professions libérales, 53 accords ont été conclus, dont cinq concernent les professions libérales (experts-comptables, avocats, notaires, greffiers)...

Au 1 er juillet 2001, 42.000 entreprises de 20 salariés ou moins sont passées aux 35 heures, ce qui représente seulement 2,5 % des entreprises considérées, soit 8 % des salariés concernés. Ce retard patent des très petites entreprises atteste de leur grande difficulté à appliquer les 35 heures.

Compte tenu de cette réalité, le Gouvernement a dû multiplier les dispositifs d'appui et d'accompagnement pour permettre aux petites et moyennes entreprises de bénéficier d'une prise en charge par l'Etat d'une partie des frais liés aux études préalables à la réduction du temps de travail. Sont ainsi prévus :


L'appui-conseil aux entreprises

Un nouveau dispositif a été institué par le décret n° 2001-256 du 14 juin 2001 au bénéfice des entreprises de moins de 250 salariés et prioritairement aux entreprises de 20 salariés ou moins. Il prévoit l'intervention de consultants compétents en matière d'aide à l'aménagement et à la réduction du temps de travail et aux réorganisations qui y sont associées, et la prise en charge totale ou partielle de son coût par l'Etat. Ce dispositif peut être mis en place par l'Etat, soit par convention d'action collective avec des organisations professionnelles ou des chambres consulaires, soit par convention d'appui et d'accompagnement interentreprises, soit par convention individuelle pour les entreprises qui rencontrent des difficultés particulières pour réduire leur temps de travail.

Le coût maximum d'une journée d'intervention de conseil est fixé à 838 euros HT (5.496,92 francs). La participation de l'Etat au financement des actions collectives est proportionnée au nombre d'entreprises concernées, aux objectifs visés dans la convention, ainsi qu'à la nature des actions retenues. Elle ne pourra pas dépasser 80 % du coût total de l'action. Pour les conventions interentreprises, le nombre de journées prises en charge par l'Etat est fixé à une journée par entreprise, auquel s'ajoute un forfait maximum de quatre jours. Pour les conventions individuelles d'appui-conseil, le nombre de journées prises en charge par l'Etat est fixé par paliers en fonction de l'effectif de l'entreprise.

Les crédits budgétaires qu'y consacre le ministère de l'emploi et de la solidarité ont été portés pour l'année 2001 de 42,69 à 83,85 millions d'euros (280 à 550 MF).

L'appui-conseil aux branches professionnelles financé par le Fonds pour l'amélioration des conditions de travail (FACT)

Dans les petites entreprises, où la conclusions d'un accord d'entreprise sur la réduction de la durée du travail peut être remplacée par l'application directe d'un accord de branche étendu, un rôle actif revient aux branches professionnelles. Il leur incombe d'organiser les négociations, de procéder aux études préalables, d'informer les entreprises sur les accords éventuellement conclus et de les aider à les mettre en oeuvre.

C'est pourquoi, il est prévu que les aides du FACT puissent être mobilisées dans le cadre du dispositif d'appui-conseil pour soutenir des initiatives de branches professionnelles visant à aider la négociation sur le passage aux 35 heures et à accompagner les entreprises.

Les organisations professionnelles du secteur artisanal et du commerce indépendant de l'alimentation, de l'hôtellerie et de la restauration s'engageant dans une négociation pour la réduction du temps de travail peuvent ainsi recourir aux services de consultants et mener des études de faisabilité. Les entreprises artisanales et les entreprises de moins de 20 salariés de l'alimentation de détail peuvent également être informées sur le contenu et les modalités d'application des accords signés dont elles relèvent. Un dispositif de formation et de conseil, adapté à chaque branche de l'artisanat, est prévu.

Déjà l'an dernier, votre commission estimait que ces dispositions ne permettaient pas de compenser les effets pervers de la loi pour les petites entreprises. Elle attirait l'attention du Gouvernement sur la nécessité d'introduire dans le dispositif des éléments de flexibilité, notamment grâce à l'augmentation du contingent d'heures supplémentaires et à la réduction des majorations salariales pour les heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale.

Longtemps sourd à cet appel, le Gouvernement a finalement convenu de son bien-fondé en adoptant le 15 octobre 2001 un décret n° 2001-941 relatif à la fixation du contingent d'heures supplémentaires
prévu à l'article L. 212-6 du Code du travail. Par ce décret, le Gouvernement a assoupli le régime d'heures supplémentaires en relevant le contingent d'heures supplémentaires par an et par salarié dans les entreprises de 20 salariés et moins à 180 heures en 2002 -le calcul du contingent démarrant au-delà de 37 heures- et 170 heures en 2003 -s'appliquant au-delà de 36 heures-. En 2004, le droit commun s'imposera, avec un contingent de 130 heures annuelles supplémentaires au-delà de 35 heures par semaine.

L'assouplissement que le Gouvernement a dû concéder à deux mois de l'échéance ne suffira malheureusement pas à éviter les très grandes difficultés d'organisation et l'alourdissement des coûts du travail -à temps travaillé constant- que devront nécessairement affronter les petites et moyennes entreprises dès 2002. La conséquence en est prévisible : affaiblissement de la compétitivité des petites et moyennes entreprises, qui provoquera des pertes d'emploi ou une augmentation du travail au noir.

C'est pourquoi votre rapporteur pour avis regrette que le contingent d'heures supplémentaires n'ait pas été relevé au-delà de 180 heures, spécialement pour les petites entreprises de l'alimentation. Il invite le Gouvernement à réduire la majoration salariale -de 10% en 2002 puis de 25 % en 2003 et 2004- pour les heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale et à étaler sur une plus longue période la transition vers le nouveau droit commun que constitue la semaine de 35 heures de travail .





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