CHAPITRE III -

UNE POLITIQUE DE LA CONCURRENCE
EN COURS DE RÉFORME

I. UN CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS TRÈS SOLLICITÉ ET RIGOUREUX

1. Les interventions croissantes des autorités nationales de la concurrence en amont et en aval de l'important mouvement de concentration

A l'échelle nationale, l'année 2000 a été marquée par la poursuite du mouvement de concentration des entreprises à un rythme soutenu, par une coopération étroite des autorités françaises avec la Commission européenne et par la confirmation du rôle croissant joué par le Conseil d'Etat dans le droit de la concurrence.

L'année 2000 a également été marquée par la préparation, puis par la discussion parlementaire de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE), qui prévoit une réforme une réforme profonde du contrôle des concentrations.

En 2000, 324 concentrations ont été examinées, et 53 ont fait l'objet d'un examen approfondi. Parmi ces dernières, 30 ont donné lieu à une procédure formelle.

Le ministre a saisi pour avis le conseil de la concurrence de huit opérations. Une de ces saisines a débouché sur une interdiction : le ministre a considéré, malgré un avis positif du Conseil de la concurrence, que l'acquisition par la société Sara Lee, qui détient notamment la marque de cirages « Kiwi », de la marque de cirages « Baranne », créerait une position dominante au profit de Sara Lee, qui aurait détenu plus de 80 % de parts de marché, sans qu'aucun concurrent, actuel ou potentiel, ne soit en mesure de venir rééquilibrer cette puissance de marché.

Deux opérations ont donné lieu à des autorisations soumises à conditions. Une opération a été autorisée sans conditions. Deux opérations ont été abandonnées à la suite de la saisine. Sept opérations ont été autorisées, sans qu'il ait été besoin de saisir le Conseil de la concurrence, sous réserve de l'exécution par les parties d'engagements de nature à rétablir une concurrence effective sur les marchés concernés. Ces engagements sont en général structurels, et complétés, le cas échéant, par des engagements comportementaux. Les engagements structurels ont consisté en des cessions d'actifs (magasins, dépôts, filiales...). Ont également été souscrits des engagements de recomposition du capital de la nouvelle entité, pour supprimer tout lien structurel entre une entreprise et ses clients, par exemple. Les engagements comportementaux ont consisté, par exemple, en des dispositions visant à éviter des subventions croisées entre activités, ou à encadrer les transferts d'information entre entreprises. Ces engagements, surtout lorsqu'ils sont souscrits lors de la phase initiale d'examen d'une concentration, sont particulièrement utiles car ils permettent à la fois de préserver la concurrence tout en permettant aux entreprises de bénéficier d'une autorisation dans un délai très bref de deux mois.

Deux opérations examinées avaient été renvoyées aux autorités françaises par la Commission européenne , sur le fondement de l'article 9 du règlement sur les concentrations, pour ce qui concerne leurs aspects locaux (TotalFinaElf et Carrefour/Promodès). Ces opérations ont donné lieu à des autorisations, sous réserve de l'exécution d'engagements de la part des parties.

L'année 2000 a également été marquée par un nombre croissant d'opérations pour lesquelles les entreprises viennent consulter la DGCCRF très en amont de leur projet, avant même la signature des actes . Dans quelques rares cas, ces discussions ont conduit les entreprises à renoncer à l'opération, devant l'ampleur des problèmes soulevés et le coût prévisible des remèdes. Plus souvent, ces discussions ont permis aux parties de faire évoluer leur projet au fur et à mesure que progressait l'analyse concurrentielle. Cette pratique présente l'avantage pour les entreprises d'un gain de sécurité juridique et d'un gain de temps : le projet définitif, qui prend alors en compte les éventuelles difficultés de concurrence, peut être accepté par la suite en deux mois ou moins ; elle permet, en outre, une valorisation plus fine des actifs acquis ou cédés, puisque les accords définitifs anticipent sur les éventuelles modifications de périmètre imposées par les règles de concurrence. La prise en compte des impératifs de concurrence par les parties, dès le montage initial de l'opération, leur a ainsi permis, après un travail important tant de la part des entreprises que de l'administration, de mener, dans la plupart des cas, les projets jusqu'à leur terme.

Enfin, le Conseil d'Etat s'est prononcé sur trois décisions du ministre en matière de concentrations. Il a confirmé la légalité de deux d'entre elles (Coca-Cola/Orangina, sur un recours de Pernod-Ricard, et Opéra, la centrale d'achat commune aux distributeurs Casino et Cora). il a annulé la troisième car le vendeur, que le ministre avait considéré comme n'étant plus concerné par la procédure de contrôle, n'avait pas été informé de la saisine du Conseil de la concurrence (Koramik/Wienerberger).

Dans son arrêt Opéra, le Conseil d'Etat a notamment précisé la notion de concentration dans le cas, souvent délicat, de la création d'une entreprise commune.

2. Une convergence confirmée entre les analyses concurrentielles françaises et communautaires des concentrations

Les autorités nationales et communautaires de la concurrence régulent les marchés afin d'assurer le maintien d'une économie concurrentielle garantissant aux consommateurs un choix suffisant de produits à des prix compétitifs.

Le processus de concentration des entreprises et de globalisation de l'économie s'est encore amplifié durant l'année 2000, en Europe, avec des opérations de grande ampleur, qualifiées de « mégafusions », notamment dans les secteurs des télécommunications, de l'information et de la communication (AOL/Time Warner, Vivendi/Canal +Seagram), de l'énergie (Total/Fina/Elf ; Framatome/Siemens/Cogéma), de la chimie (Astra Zeneca/Novartis ; Industri Kapital/Dyno) ou encore de l'aéronautique (General Electric/Honeywell).

Même si la progression se ralentit quelque peu d'une année à l'autre, le nombre de dossiers notifiés (344 en 2000) et le nombre de décisions rendues par la Commission européenne (336) en vertu du règlement 4064/89 du 21 décembre 1989 sur les concentrations -lequel confie à la Commission européenne la compétence sur les concentrations d'entreprises de « dimensionnement communautaire »- a connu une nouvelle augmentation en 2000, soit une progression des opérations notifiées de 18 % par rapport à 1999 (contre 24 % entre 1998 et 1999). Depuis 1997, le nombre d'opérations notifiées à Bruxelles a été multiplié par trois. La même tendance se dessine pour 2001.

Les télécommunications, la chimie, l'information et la communication, et l'énergie constituent les secteurs économiques les plus concernés par le mouvement de concentration . La France a été impliquée dans 63 affaires de concentration en 2000, 14 d'entre elles étant même des opérations « franco-françaises », comme l'opération Schneider/Legrand. Les pays les plus impliqués conjointement avec la France sont le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et les Etats-Unis.

Sur 344 dossiers de notification déposés en 2000, 20 ont fait l'objet d'une enquête approfondie, 13 ont finalement été autorisés sous conditions et deux opérations ont été interdites (MCI Worldcom/Sprint et Volvo/Scania). En 2001, trois opérations ont déjà fait l'objet d'une interdiction (SCA/Metsa Tissue ; General Electric Honeywell et Schneider/Legrand). Les notifications sont parfois retirées avant la décision d'interdiction (Industri Kapital/Perstorp ; CGC/Partest/BCP/Sairgroup ; Time Warner/EMI ; Aker Maritime/Kvaerner ; Microfost/Liberty ; Media/Telewest...).

La commission a ouvert autant d'enquêtes approfondies qu'en 1999 et le nombre de retraits en vue d'éviter une interdiction est également le même qu'en 1999. La même tendance se confirme en 2001, mais le nombre d'interdictions est en hausse. Globalement, depuis septembre 1990, la Commission a interdit 16 fusions sur 1.850 dossiers ; si l'on y ajoute des dossiers finalement retirés, le taux de rejet atteint environ 2 %, et ne progresse pas en dépit de la vague de concentrations .

Parmi les opérations de concentrations importantes examinées en 2000, on peut citer la fusion entre TotalFina et Elf Aquitaine, autorisée en février 2000 sous réserve d'engagements destinés à restaurer des conditions de concurrence effectives dans le secteur de la vente au détail de carburants et de fioul domestique par une ouverture substantielle de la logistique pétrolière. TotalFina s'est engagé à éliminer les effets de la fusion sur le marché de la vente de carburants sur autoroutes en cédant 70 stations-service, ce qui a permis l'arrivée de nouveaux entrants, dont un opérateur de la grande distribution, et a entraîné des baisses de prix du carburant pour les consommateurs à proximité de ces stations nouvellement reprises.

Dans de très nombreux cas, et de façon systématique lors des phases d'enquête approfondie, les autorités françaises de concurrence sont intervenues auprès des services de la Commission , en vertu du principe communautaire de liaison étroite et constante entre la Commission et les Etats membres, afin de confronter leurs définitions des marchés, leurs analyses concurrentielles et afin de donner leur position sur le projet de décision de la Commission et, notamment, sur les engagements proposés par les parties à une opération afin de remédier aux problèmes de concurrence. Elles ont systématiquement participé aux auditions organisées par la Commission à la demande des tiers et ont assisté aux réunions du comité consultatif sur les concentrations.

En 2000, la Commission a renvoyé pour examen aux autorités nationales cinq affaires de concentration. L'une d'entre elle (Carrefour/Promodès) concernait les autorités françaises qui ont demandé et obtenu le renvoi de l'examen de 99 marchés locaux. La Commission a autorisé, sous condition, les autres aspects de la concentration. Après avoir examiné les marchés locaux susceptibles de soulever des problèmes concurrentiels, le ministre chargé de l'économie, par un arrêté du 5 juillet 2000 et après avis du Conseil de la Concurrence, a autorisé l'opération, sous réserve d'engagements souscrits par la société Carrefour. En 2001, aucune demande similaire de renvoi n'a été faite jusqu'à ce jour.

Avec l'adoption de la loi sur les nouvelles régulations économiques, le 15 mai 2001, le contrôle national des concentrations se met au diapason du régime de contrôle communautaire en ce qui concerne la procédure et l'analyse concurrentielle suivie par la Commission. Le contrôle national et le contrôle communautaire devraient mutuellement y gagner.

Votre rapporteur pour avis tient toutefois à rappeler que le premier objectif des règles relatives à la concurrence doit être d'éviter que le consommateur ne soit lésé . Elle s'interroge sur l'application de cet objectif en Europe, dont des autorités de concurrence semblent surtout chercher à ménager les concurrents locaux des compagnies demandant leur fusion, comme l'atteste le rejet des fusions Scheider-Legrand ou, plus récemment, Tetra Laval-Sidel.

Elle observe qu'aux Etats-Unis, de pratiques monopolistes, quoique susceptibles de heurter des concurrents, peuvent rester légales tant qu'elles n'ont pas d'effets négatifs sur les consommateurs et que leur taille permet, au contraire, des réductions de coûts et des effets d'échelle à l'avantage des consommateurs . La protection des consommateurs devrait donc primer sur tout autre critère d'appréciation dans l'examen européen des concentrations. Ceci préserverait, en outre, la capacité d'entreprises européennes de grande taille -et n'abusant pas de leur position dominante- à affronter la mondialisation.

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