B. LA PRIVATISATION D'AIR FRANCE RÉPOND AUX BESOINS DE L'ENTREPRISE ET DE L'ÉTAT

1. La privatisation d'Air France, élément du programme de privatisations du gouvernement

Dès l'été 2002, le gouvernement dirigé par M. Jean-Pierre Raffarin a annoncé un important programme de privatisation, en établissant une liste de treize sociétés, dont certaines sont déjà cotées, susceptibles d'être cédées partiellement ou en totalité d'ici à 2004. Il s'agit d'EDF, de GDF, de France Télécom, d'Areva, de Renault, d'ASF, d'Air France, de Thalès, d'EADS, de Thomson, de Dassault Systèmes, et de Bull. D'autres entreprises publiques non cotées pourraient également être mises sur le marché : la Snecma, la société des autoroutes Paris-Normandie (SAPN), la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (SAPRR) ainsi qu'Aéroports de Paris (ADP).

Quatre opérations ont été réalisées au cours de l'année 2002, permettant à l'Etat d'encaisser 6 milliards d'euros : la vente du solde de 11 % du Crédit Lyonnais à BNP Paribas, la mise sur le marché des Autoroutes du sud de la France, la vente de 10 % de Renault et de 13,6 % de Thomson (anciennement Thomson Multimédia).

2. La privatisation d'Air France, condition d'une adaptation de la compagnie à la restructuration du marché du transport aérien

a) Une demande ancienne de votre commission des finances

Votre commission des finances n'a, concernant la question du maintien dans le secteur public ou du passage dans le secteur privé de la compagnie Air France, pas modifié le point de vue qu'elle exprimait lors de la discussion de l'article 51 de la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, relatif à l'ouverture du capital et à l'actionnariat salarié de la compagnie nationale Air France.

Dans son commentaire de première lecture, le rapporteur général de l'époque, Alain Lambert, estimait que « sans même qu'il soit nécessaire de débattre à ce stade de la pertinence de l'objectif posé ni même des chances de l'atteindre, il faut souligner combien il est choquant que l'actionnaire majoritaire se dispense d'accompagner financièrement le développement de son entreprise. Il est manifeste qu'en agissant ainsi l'Etat ne remplit pas ses devoirs d'actionnaire. C'est d'ailleurs cette impuissance qu'il reconnaît lorsqu'il envisage d'ouvrir partiellement le capital d'Air France (...) Seule, donc, une privatisation est de nature à apporter une solution satisfaisante aux difficultés financières suscitées pour la compagnie et l'Etat par le maintien d'Air France dans le secteur public (...) Mais la privatisation ne doit pas être comprise comme une opération seulement financière. Elle représente aussi une solution aux problèmes de gestion d'Air France .

« L'appartenance de la compagnie au secteur public limite en temps ordinaires l'autonomie de gestion de l'entreprise. Les tutelles qui pèsent sur elle ralentissent les décisions ou même entravent les mesures d'adaptation qui se révéleraient nécessaires. Les choix industriels peuvent être biaisés et le dialogue social est vicié dès lors que les ministres apparaissent comme des recours d'autant mieux mobilisables que pèsent sur eux des contraintes de toutes sortes.

« Que dans ces conditions nul ne s'empresse d'apporter un soutien financier substantiel à la compagnie ne doit pas étonner.

« On trouve un pendant à cette timidité dans les réticences des alliés potentiels d'Air France à conclure avec l'entreprise des accords stratégiques ».

Le rapport de la commission de contrôle chargée d'examiner la gestion administrative, financière et technique de l'entreprise nationale Air France et des sociétés de toute nature, comme des compagnies aériennes qu'elle contrôle, présidée par notre collègue Ernest Cartigny et dont le rapporteur était notre collègue Serge Vinçon, publié en 1991, indiquait que « l'ouverture aux capitaux privés paraît inéluctable. Tout y conduit. Tout le permet. Une opération de ce type, comportant une augmentation de capital répartie entre l'Etat et les investisseurs privés, a été préparée en 1987 avant que le krach boursier ne la stoppe et que le gouvernement suivant ne l'enterre. Une occasion exceptionnelle, ce jour-là, a été perdue. Il faudra toutefois attendre quelque temps encore pour qu'une autre se présente. (...)

« La compagnie, dans un marché hautement concurrentiel, tant à l'extérieur qu'en métropole, est aussi en compétition avec les autres sociétés nationales d'envergure mondiale, qui, elles aussi, attendent de l'Etat qu'il joue son rôle d'actionnaire.

« Paradoxalement, les difficultés des sociétés sont souvent un atout pour bénéficier de fonds publics, et tel un pompier pyromane, l'Etat comble le retard qu'il a laissé se creuser. Est-ce une bonne méthode de traiter au coup par coup les besoins de financement du secteur public ? Air France, dans cette situation, par son marché, par son image, paraît au moins aussi bien placée que d'autres sociétés à l'ouverture aux capitaux privés (...).

« L'évolution des investissements et les limites auxquelles se heurtent les autres moyens de financement (autofinancement réduit par la crise, capacité d'emprunt obérée, cessions d'actifs limitées) imposerait de nouvelles augmentations de fonds propres que le secteur privé, dans certaines conditions , peut assurer ».

Le rapport de la commission de contrôle estimait cependant que la situation financière de la compagnie n'était pas favorable à une ouverture de son capital, compte tenu notamment de la faiblesse des dividendes distribués, et de l'absence de résultats et de perspectives positifs.

b) Les raisons d'une privatisation d'Air France aujourd'hui

L'exposé des motifs du présent projet de loi dispose que « pour permettre à la compagnie de consolider ses alliances et de nouer des partenariats, notamment avec d'autres transporteurs européens, et d'accélérer la modernisation de sa flotte en lui facilitant l'accès aux ressources offertes par les marchés financiers, l'Etat doit lui donner de nouveaux espaces de liberté ».

La première raison de la privatisation d'Air France est sans doute l'absence de raison pour maintenir la compagnie dans la sphère publique. En effet, il n'existe pas de monopole naturel dans le secteur du transport aérien, qui est devenu fortement concurrentiel, ainsi que le montre notamment le développement des compagnies low cost au sein de l'Union européenne. Par ailleurs, l'Etat actionnaire n'a pas toujours - c'est un euphémisme - démontré ses qualités de gestionnaire, y compris s'agissant des décisions d'investissement relatives à Air France.

Le transfert de la majorité du capital de la société Air France du secteur public au secteur privé permettra à celle-ci d'avoir un meilleur accès aux marchés financiers, et une plus grande réactivité pour prendre ses décisions, notamment en matière d'investissements et de recours à des financements extérieurs.

La principale justification de la privatisation d'Air France réside cependant dans l'évolution actuelle du secteur du transport aérien en Europe. Plusieurs alliances mondiales se sont développées entre les compagnies aériennes au cours des dernières années, parmi lesquelles l'alliance Skyteam, dont Air France est l'une des principales compagnies membre. Au terme de la crise que traverse actuellement le transport aérien, et compte tenu des évolutions de la jurisprudence communautaire relative aux accords bilatéraux qui octroient les droits de trafic, une consolidation du secteur du transport aérien en Europe parait inévitable. Afin de participer à cette consolidation et de confirmer sa position dominante, Air France devra être en mesure de prendre des participations capitalistiques dans d'autres compagnies européennes . Or, la détention de la majorité du capital d'Air France par l'Etat est susceptible de décourager nombre de compagnies aériennes de s'engager dans une alliance capitalistique avec la compagnie française. Ainsi, les discussions menées par la compagnie Air France avec KLM et Alitalia, au cours desquelles ont été évoquées des prises de participation capitalistiques importantes de la compagnie française, ont échoué, les compagnies estimant qu'il était impossible de nouer des alliances capitalistiques avec Air France tant que la société serait détenue majoritairement par l'Etat. Par ailleurs, dès lors qu'Air France ne serait pas en mesure de procéder à des échanges d'actions, mais ne pourrait que racheter des titres d'une compagnie étrangère, ce qui accroîtrait considérablement son endettement. On rappellera cependant qu'un échange de participations a été conclu entre Air France et Alitalia, portant sur 2 % du capital respectif des deux compagnies.

MM. Michel Combes et Loïc Tribot La Spière écrivent ainsi dans la conclusion de leur ouvrage « Transport aérien - les nouveaux défis » 5 ( * ) qu' « ( ...) en Europe, on peut pronostiquer à très brèves échéances la marginalisation d'un certain nombre de petites et moyennes compagnies qui s'obstinent à vouloir maintenir, développer des réseaux internationaux surdimensionnés et qui ne concentrent pas leurs efforts à développer de véritables stratégies alternatives (Alitalia, KLM, LOT). Une bonne partie d'entre elles devraient disparaître, sous la pression conjuguée des compagnies leaders, en l'occurrence celles qui disposent de plates formes aéroportuaires (hubs) et des compagnies développant de véritables alternatives, notamment le low cost  ».

La bonne situation globale de la société Air France, exposée plus haut, permet d'envisager une opération de privatisation dans de bonnes conditions pour préparer le développement de la compagnie.

* 5 Transport aérien - Les nouveaux défis, sous la direction de Michel Combes, Jean-Marc Montserrat et Loïc Tribot La Spière, éditions Publisud, mai 2002.

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