2. L'évaluation, parent pauvre de la politique de la ville

a) L'étendue progressive des champs d'action

Parallèlement à la multiplication des territoires concernés, la politique de la ville a connu un élargissement progressif de ses domaines d'intervention sectoriels.

Concentré, dans un premier temps, sur les problèmes d'aménagement urbain et d'insertion sociale, considérés pour l'essentiel sous l'angle de la sécurité et de la prévention de la délinquance, son champ d'action s'est ainsi rapidement étendu à la plupart des domaines d'action de l'Etat. La politique de la ville a, en particulier, pris depuis quelques années une dimension économique importante avec le développement des zones franches et des actions spécifiques en matière d'insertion et d'emploi.

De fait, on peut aujourd'hui considérer que la politique de la ville s'articule autour de quatre axes majeurs, eux-mêmes constitués de nombreux sous-thèmes :

- aménagement urbain et gestion de proximité

L'architecture des quartiers sensibles ayant longtemps été présentée comme l'une des principales causes des difficultés rencontrées par les populations qui y vivent, les interventions consistent principalement en de vastes opérations de démolition/reconstruction, s'accompagnant souvent d'un effort pour améliorer la gestion sociale de proximité, c'est-à-dire l'entretien et la sécurité des locaux.

Ce thème recouvre également les problèmes de transport et de communication entre les quartiers et les centres-villes, qui sont fréquemment complexes et coûteux à résoudre.

- citoyenneté, prévention, sécurité

Ce thème requiert une grande diversité d'actions : lutte contre la discrimination et pour la citoyenneté, accès au droit et à la justice de proximité, aide aux victimes, médiation sociale, soutien à la parentalité, lutte contre la violence scolaire, aide aux jeunes en difficulté, lutte contre la délinquance ou encore prévention de la récidive.

C'est en outre dans ce cadre qu'entrent les actions menées en matière de police (îlotage, par exemple) et de justice de proximité (maisons de la justice et du droit).

- lien social et service public

Sous cet intitulé, sont regroupés de nombreux sujets d'intervention, dont le secteur associatif constitue souvent un acteur majeur : actions éducatives dans les zones d'éducation prioritaire (ZEP), actions dans le domaine culturel, du sport, de l'action sociale ou encore de la santé.

- actions relevant de l'insertion, de l'emploi et du développement économique des quartiers

Ce quatrième axe de la politique de la ville, développé plus récemment, se préoccupe du cas particulier des quartiers sensibles et des réponses à y apporter, à l'instar notamment de la création des ZRU et des ZFU.

Le présent projet de loi, s'il est essentiellement centré sur la rénovation urbaine, s'inscrit dans la continuité de cette évolution de la définition du champ d'action de la politique de la ville. De fait, il va même au-delà en intégrant ces différents axes en complément des actions de rénovation des quartiers, en vue de rendre ces opérations plus efficaces par la prise en compte globale des problèmes rencontrés par les habitants.

En outre, il fixe pour la première fois des objectifs de résultats pour chacun de ces axes , répondant ainsi à une critique récurrente à l'encontre de la politique de la ville : l'absence d'évaluation.

b) Une évaluation rendue difficile par l'absence d'objectifs clairs et mesurables

- des objectifs mal identifiés

L'une des lacunes évidentes de la politique de la ville, telle que définie jusqu'à présent, tient à la difficulté d'en connaître les objectifs précis.

Ce point a notamment été relevé par la Cour des comptes 2 ( * ) , pour laquelle cette difficulté à définir les objectifs de la politique menée provient en grande partie du fait qu'elle poursuit parallèlement deux buts fondamentaux qui ne sont pas convergents.

« En effet, certaines actions visent à améliorer les conditions de vie dans les territoires de la politique de la ville : il s'agit notamment de rénovation et d'aménagement urbain, des actions de gestion sociale de proximité, des programmes visant à renforcer la présence de services publics dans ces quartiers et à y développer des actions de médiation sociale et de prévention de la délinquance.

« Mais dans le cadre de la politique de la ville ont également été développées, parfois alternativement, parfois conjointement avec les premières, des actions destinées à améliorer la situation personnelle des habitants de ces territoires (...).

« Le succès de ce deuxième type d'action offre la possibilité aux habitants dont la situation personnelle s'est améliorée de quitter les quartiers prioritaires, qui sont ainsi privés des effets bénéfiques des actions menées surtout si les partants laissent la place à de nouvelles familles présentant des problèmes d'exclusion ».

Les risques d'incompréhension des actions de la politique de la ville, qui tiennent au déploiement tant géographique que thématique de celle-ci, auraient pourtant rendu nécessaire un effort spécifique de définition et d'explicitation des objectifs.

Or, les concepts utilisés sont restés très globaux, à l'instar de la présentation faite par le Comité interministériel des villes (CIV) du 30 juin 1998 des objectifs de la politique de la ville : « cette nouvelle ambition pour les villes va se construire autour de quatre objectifs : garantir le pacte républicain sur tout le territoire ; assurer la cohésion sociale dans nos villes ; mobiliser autour d'un projet collectif ; construire un nouvel espace démocratique avec les habitants ».

En particulier, il n'existe pas d'objectifs quantitatifs affichés au niveau national en matière de résultat, hormis un objectif très général visant à réduire l'écart entre la situation des populations de ces quartiers et la moyenne nationale. Or, c'est bien cette imprécision des objectifs qui est source de la quasi-absence d'évaluation de la politique de la ville, telle que dénoncée par la Cour des comptes 3 ( * ) .

- une évaluation lacunaire

L'évaluation de la politique de la ville est ainsi rendue très difficile à la fois par l'imprécision des objectifs poursuivis et par les lacunes du système d'information. Pour évaluer une politique, il est en effet nécessaire d'avoir défini des objectifs et de s'être donné les moyens de mesurer s'ils sont atteints. Aucune de ces deux conditions n'est actuellement remplie pour ce qui concerne la politique de la ville.

La Délégation interministérielle à la ville a toutefois pris plusieurs initiatives :

- les compétences de ses différents services, en matière d'évaluation, ont été précisées dans une note de septembre 2001 et une mission « observation, veille scientifique, évaluation » a été constituée ;

- elle a réuni, en séminaire, les évaluateurs qui avaient participé à l'évaluation des précédents contrats de ville en décembre 2000. Le compte rendu de leurs travaux n'est toutefois pas disponible ;

- un effort de formation des acteurs, notamment des sous-préfets ville a été entrepris. Mais le guide méthodologique sur l'évaluation annoncée pour le début 2001 par la circulaire du 13 novembre 2000 ne devait être publié qu'à la fin du premier trimestre 2002 ;

- un conseil de l'évaluation a été créé à l'été 2001. Composé de représentants des administrations, d'élus, de scientifiques et d'universitaires, il sera associé aux trois niveaux de l'évaluation de la politique de la ville : local, régional et national.

Mais la complexité de la politique de la ville et la multiplicité des domaines dans lesquels elle intervient rendent le travail d'évaluation particulièrement difficile. Ainsi, en l'absence d'objectif chiffré dans la plupart des contrats, les quelques travaux d'évaluation menés font souvent moins porter leurs conclusions sur les résultats obtenus que sur les moyens qui ont été mobilisés ou sur les méthodes de travail qui ont été suivies.

* 2 Rapport précité.

* 3 Rapport précité.

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