ANNEXE I -

AUDITION EN COMMISSION DE
M. ERNEST-ANTOINE SEILLIÈRE, PRÉSIDENT DU MOUVEMENT DES ENTREPRISES DE FRANCE (MEDEF) ET DE M. JEAN-PIERRE RODIER, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION « ENVIRONNEMENT » DU MEDEF (9 JUIN 2004)

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a, tout d'abord, procédé à l'audition de M. Ernest-Antoine Seillière, président, et de M. Jean-Pierre Rodier, président de la commission « environnement » du MEDEF , sur le projet de loi constitutionnelle , adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la Charte de l'environnement .

Se disant très heureux d'accueillir les deux responsables du MEDEF dans le cadre de l'examen de ce texte, M. Jean-Paul Emorine, président , a rappelé que celui-ci était soutenu par le Président de la République et qu'il avait déjà fait l'objet de modifications en première lecture par l'Assemblée nationale. Rappelant que la commission des lois était saisie au fond, il a indiqué que M. Jean Bizet avait été désigné rapporteur pour avis par la commission des Affaires économiques.

Souhaitant s'exprimer au nom des quelque 700.000 adhérents qui composent le MEDEF, M. Ernest-Antoine Seillière a fait part de son inquiétude au sujet de l'inscription du principe de précaution à l'article 5 du projet de loi constitutionnelle et a indiqué que ses craintes étaient partagées par de nombreux experts, intellectuels, professeurs et institutions, telles que l'Académie des Sciences ou l'Académie de Médecine. Précisant qu'il fallait écarter toute vision manichéenne, selon laquelle le MEDEF chercherait uniquement à préserver un hypothétique droit à polluer, il a souligné que les entreprises avaient intégré, depuis des décennies, la prise en compte de l'environnement.

Soulignant que les réticences de son mouvement étaient motivées par la volonté de mieux encadrer un principe de précaution nulle part défini, afin d'éviter que ses extensions jurisprudentielles ne risquent d'entraver tout développement économique, il a indiqué que le MEDEF était favorable à l'élaboration d'une Charte du développement durable, qui aurait l'avantage de faire référence à une notion internationalement reconnue, qui prendrait en compte les aspects non seulement environnementaux, mais aussi économiques et sociaux du développement.

Insistant sur le fait que les entreprises n'étaient pas, en elles-mêmes, hostiles à l'idée de précaution, il a estimé que le refus de toute prise de risque ne pouvait cependant être érigé en principe d'action économique et il a plaidé pour que l'équilibre gains/coût soit réintroduit dans la définition du principe, proposée à l'article 5.

Il a ensuite fait état de quatre éléments étayant la réticence de son organisation envers le principe de précaution :

- l'incitation au développement d'une culture du « risque zéro », qui s'étendrait à tous les pans de l'activité humaine, entrave considérable au développement économique et scientifique ;

- la crainte d'un affaiblissement de notre compétitivité économique, d'autant plus grand que notre pays est déjà en retard en matière de recherche et d'innovation ;

- l'introduction d'une nouvelle contrainte de nature asymétrique, la France étant le seul pays, avec l'Équateur, à inscrire dans sa constitution un principe de précaution que l'Union européenne tente simplement à l'heure actuelle de définir ;

- l'absence de sécurité juridique, du fait tant de l'indéfinition du principe de précaution que de son invocabilité directe et de l'acception très large de l'intérêt à agir, qui auront pour effet, sous la pression des médias et de l'opinion publique, d'accroître très sensiblement le nombre des contentieux.

Après avoir estimé que l'amendement à l'article 1er de la Charte de l'Environnement, qui fait référence au droit pour chacun de vivre dans un environnement « respectueux de » - et non plus « favorable à » - sa santé, allait dans le bon sens, M. Jean-Pierre Rodier a expliqué que ce n'était qu'en approfondissant l'examen du projet de loi constitutionnelle qu'il s'était alarmé, après s'être aperçu qu'on ne maîtrisait pas les conséquences juridiques de la reconnaissance constitutionnelle du principe de précaution.

D'un point de vue juridique, il s'est inquiété également du caractère directement applicable de l'article 5, ce qui contribue à donner au juge le pouvoir de fixer le contenu du principe, sachant que son extension à la santé n'est pas évaluée à l'heure actuelle. Rapportant avoir constaté sur le terrain un durcissement des mesures administratives envers les entreprises au nom du principe de précaution, il a craint que ce climat d'incertitude juridique ne soit pas levé avant une dizaine d'années, délai nécessaire à la jurisprudence pour être en mesure de donner une interprétation suffisamment homogène du principe, mais délai trop long en termes de sécurité juridique pour les entreprises.

D'un point de vue plus culturel, il s'est inquiété de voir se développer, à côté d'une bonne application du principe, consistant à évaluer objectivement chaque risque et à décider ou non de l'assumer en fonction de sa gravité et de la potentialité de sa réalisation, une mauvaise application tendant à ériger en règle ultime la maxime « Dans le doute, abstiens toi » et à encourager la recherche du risque zéro.

Considérant que l'agitation médiatique constatée autour du principe de précaution avait eu pour effet d'en dévoyer le sens, il s'est dit interloqué des déclarations du rapporteur du texte de la commission des lois de l'Assemblée nationale, selon lesquelles la mise en oeuvre de ce principe permettrait d'éviter de transformer le monde pour l'épargner, et de celles du président de l'Union syndicale des magistrats (USM) à propos de l'affaire d'Outreau, pour qui la présomption d'innocence doit progressivement s'effacer devant le principe de précaution.

S'interrogeant rétrospectivement sur le point de savoir si certaines inventions ou innovations comme l'aspirine, les tunnels ferroviaires, ou encore les téléphones portables auraient eu lieu s'il avait été fait application du principe de précaution, il a craint que ce dernier ne retarde la prise de décisions opportunes et n'encourage les délocalisations, sachant que ce qui ne se fait pas en France peut se faire à l'étranger, même en matière de recherche qui se délocalise à l'heure actuelle vers la Chine et même en Inde.

En vue d'améliorer le projet de loi, il a proposé que le Parlement puisse encadrer la définition et le caractère directement applicable du principe de précaution, en renvoyant à la loi le soin d'en détailler le processus d'application suivant les différents secteurs d'activité, et de préciser notamment sur qui reposerait la responsabilité de décider du niveau de risque acceptable, ainsi que les procédures correspondantes.

M. Jean-Paul Emorine, président , a souligné que le texte était de nature constitutionnelle et qu'il serait, en tant que tel, complété par l'élaboration de dispositions législatives.

Reconnaissant avoir eu à l'origine les mêmes appréhensions vis-à-vis du projet de loi constitutionnelle que les deux responsables du MEDEF, à travers le dossier des organismes génétiquement modifiés (OGM) où le principe de précaution était assimilé à un principe d'inaction, M. Jean Bizet, rapporteur pour avis , s'est toutefois voulu rassurant en expliquant que le projet de loi clarifiait le contenu d'un principe, dont l'absence de définition dans la loi du 2 février 1995 le consacrant en droit positif avait rendu son utilisation excessive et inadéquate.

Ainsi, il a tout d'abord distingué le principe de précaution du principe de prévention, expliquant que le premier avait pour objet les risques inconnus, incertains ou éventuels, tandis que le second ne s'appliquait qu'aux risques connus et quantifiés. Il a ajouté que, seul, le dossier des pesticides et des OGM relevait, à l'heure actuelle, du principe de précaution en tant que tel. D'autre part, il a précisé qu'il revenait aux pouvoirs publics, et non aux entreprises, de définir et de mettre en oeuvre les mesures rendues nécessaires par l'application du principe. Enfin, il a indiqué avoir demandé au garde des sceaux que le Parlement puisse se saisir d'office d'un projet de loi d'application, afin d'être certain que ce soit bien aux assemblées parlementaires, et non aux juges et aux experts, de débattre du sujet.

Estimant que le principe de précaution aurait dû conduire à ne pas examiner un texte de cette nature, mais reconnaissant qu'il fallait à présent chercher à l'améliorer, M. Philippe Leroy a souhaité obtenir du MEDEF des informations sur l'actualité du principe au niveau mondial, que ce soit dans les législations, institutions ou colloques internationaux. Faisant état de l'inquiétude des élus locaux, qui gèrent des équipements sources de grands risques, il a exprimé le désir que soit élargi le principe de précaution aux collectivités territoriales.

Disant partager entièrement les propos du président du MEDEF, M. Jean-Paul Emin a toutefois nuancé sa position en estimant que le projet de loi permettrait de définir un principe qui ne l'avait jusqu'ici jamais été. Rappelant que la Constitution européenne en cours de finalisation faisait référence à ce principe, il a insisté sur le fait qu'il ne pourrait, en aucune manière, paralyser une entreprise, car sa mise en oeuvre reposerait sur les seules autorités administratives. Il a cependant exprimé ses craintes quant aux possibles divergences d'interprétation qu'en donneraient ces autorités.

Considérant par ailleurs que la notion de développement durable, présente dans le texte, était très fréquemment mise en avant par les entreprises, et que la très grande majorité des mesures en la matière relevaient du domaine règlementaire, il s'est félicité que l'examen des textes législatifs pris en application de ce texte donne, au Parlement, l'opportunité de les encadrer davantage.

M. Henri de Richemont s'est demandé dans quelle mesure l'industrie française avait besoin, à travers ce texte, d'une protection constitutionnelle pour ne plus craindre le pouvoir des juridictions quant à l'application du principe de précaution. Il s'est également demandé si un glissement du principe de précaution vers un droit de protection n'était pas à l'oeuvre. Il s'est aussi interrogé sur l'utilité d'une loi qui viendrait préciser les conditions d'application d'une disposition censée être d'effet direct, suggérant que plusieurs lois viennent plutôt les préciser dans chacun des secteurs économiques concernés.

Se référant à son expérience personnelle de responsable d'une entreprise de taille moyenne intervenant en matière d'innovation, M. Michel Bécot s'est inquiété de ce que le principe de précaution empêche ce type d'entreprises de se développer.

Se réjouissant de la proximité entre le point de vue qu'il avait développé et celui de plusieurs des intervenants, M. Ernest-Antoine Seillière a regretté que les responsables politiques nationaux, en voulant anticiper et donner au monde une image positive de la France, ne risquent d'y paralyser l'activité économique et d'inciter les entrepreneurs et les chercheurs à s'expatrier, alors qu'aucun autre pays européen n'a choisi de se doter d'une telle contrainte.

Assurant avoir compris les craintes du MEDEF à l'encontre du principe de précaution, M. Jean Bizet, rapporteur pour avis , s'est voulu rassurant en rappelant que son application serait encadrée par de futures lois. Il a estimé que l'éventualité du déplacement de l'article 6 du projet de loi constitutionnelle après son article 2 permettrait de mettre en valeur le triptyque économie-environnement-social. Soulignant que le principe de précaution figurait dans l'une des dispositions du Traité de Maastricht, il a fait observer qu'il n'était inscrit qu'en pointillé dans les textes relatifs à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et a regretté que les Etats-Unis ne soient pas prêts à ratifier le protocole de Kyoto. Il a ainsi exhorté les responsables politiques et économiques à faire pression pour que le principe de précaution s'applique au niveau mondial, jugeant impensable qu'il ne puisse être appliqué qu'au niveau européen.

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