N° 75

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 25 novembre 2004

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur le projet de loi de finances pour 2005 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME VIII

RECHERCHE ET NOUVELLES TECHNOLOGIES

Par M. Pierre LAFFITTE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Jacques Legendre, Serge Lagauche, Jean-Léonce Dupont, Ivan Renar, Michel Thiollière, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Pierre Martin, David Assouline, Jean-Marc Todeschini, secrétaires ; M. Jean-Pierre Bel, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Jean-Marie Bockel, Yannick Bodin, Pierre Bordier, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Christian Demuynck, Denis Detcheverry, Mme Muguette Dini, MM. Alain Dufaut, Louis Duvernois, Jean-Paul Emin, Hubert Falco, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Jean-François Humbert, Mme Christiane Hummel, MM. Soibahaddine Ibrahim, Pierre Laffitte, Alain Journet, André Labarrère, Philippe Labeyrie, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Jean-Luc Mélenchon, Mme Colette Melot, MM.Jean-Luc Miraux, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jean-François Picheral, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, Mme Catherine Troendle, MM. André Vallet, Marcel Vidal, Jean-François Voguet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 1800 , 1863 à 1868 et T.A. 345

Sénat : 73 et 74 (annexe n° 26 ) (2004-2005)

Lois de finances .

SOMMAIRE

Pages

INTRODUCTION 5

I. LA RÉFORME DU SYSTÈME DE RECHERCHE : AU CoeUR DU DÉBAT PUBLIC 9

A. SUR LE CHEMIN DE LA RÉFORME 9

1. Une prise de conscience salutaire 9

2. Quelle synthèse pour quelle refondation ? 10

B. DE QUELQUES URGENCES 11

1. La confiance dans la science et la recherche 11

a) Nouvel obscurantisme ou regain d'intérêt ? 11

b) Le choix de thèmes prioritaires 12

c) Vers une amélioration de l'évaluation 14

d) Pour une meilleure diffusion de la culture scientifique et technique 15

2. Le défi du recrutement 18

a) Une situation démographique peu favorable 18

b) Des besoins croissants 19

3. Renforcer l'attractivité des carrières 19

a) Des critiques nombreuses 20

b) La question du statut 20

II. UN BUDGET CLAIREMENT PRIORITAIRE 22

A. UNE HAUSSE DES CRÉDITS ET LA PRÉSERVATION DE L'EMPLOI SCIENTIFIQUE 23

1. Une hausse de 4,7 % du budget du ministère de la recherche 23

a) Les dotations des établissements publics de recherche 23

b) Le soutien à l'emploi scientifique 26

c) Une simplification des procédures administratives 27

2. La recherche universitaire 28

a) Une hausse des crédits 28

b) Des créations d'emplois 28

c) Des mesures en faveur des jeunes chercheurs 28

B. LA CRÉATION D'UNE AGENCE NATIONALE POUR LA RECHERCHE 29

C. LE DÉVELOPPEMENT DES SYNERGIES ENTRE SECTEURS PUBLIC ET PRIVÉ ET LE SOUTIEN À L'INNOVATION 31

1. La création de pôles de compétitivité et de campus de recherche 31

2. Le développement des fondations de recherche 33

3. De nouvelles mesures fiscales 35

a) La création d'un nouveau contrat d'assurance-vie 35

b) La réforme des Fonds communs de placement dans l'innovation 35

D. LA NÉCESSITÉ DE GARANTIR DES FINANCEMENTS DE RECHERCHE PÉRENNES 36

E. L'APPLICATION DE LA LOI ORGANIQUE RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES (LOLF) 36

1. Présentation de la mission « Recherche et enseignement supérieur » 36

2. La mesure des résultats et de la performance 38

III. VERS L'ESPACE EUROPÉEN DE LA RECHERCHE ET DE L'INNOVATION 40

A. LA PRÉPARATION DU SEPTIÈME PROGRAMME-CADRE (PCRD) 40

B. POUR UN FINANCEMENT MASSIF PAR LA BANQUE EUROPÉENNE D'INVESTISSEMENT 41

C. LA NÉCESSITÉ DE SORTIR LES DÉPENSES DE RECHERCHE DU PACTE DE STABILITÉ EUROPÉEN 42

EXAMEN EN COMMISSION 43

ANNEXE 1 : ORIENTATIONS ET PROPOSITIONS DU GROUPE DE RÉFLEXION, COMMUN AUX COMMISSIONS DES AFFAIRES CULTURELLES, DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET DES FINANCES, SUR L'AVENIR DE LA RECHERCHE 47

ANNEXE 2 : VERS UN GRAND EMPRUNT EUROPÉEN 54

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Votre rapporteur élabore depuis 19 ans l'avis budgétaire sur la recherche, approuvé par notre commission sous l'égide attentive de ses présidents successifs : MM. Léon Eeckhoutte, Maurice Schumann, Adrien Gouteyron et Jacques Valade.

Depuis 19 ans, nous insistons sur cinq points :

- l'importance de la recherche et de l'innovation dans une politique nationale moderne ;

- l'évaluation, qui doit en particulier conduire à renforcer les équipes d'excellence ;

- la simplification des procédures administratives, inadaptées à la recherche et à l'innovation ;

- le lien entre recherche de base et transferts technologiques ;

- enfin, l'importance du capital-risque et du renforcement des liens entre secteurs public et privé.

Certaines de nos remarques ont fini par être prises en compte, parfois à la suite de réflexions, notamment émises par le groupe d'études « Innovation et Entreprise » rattaché à notre commission (création du Nouveau marché, nécessaire au capital-risque), ou lors de l'examen de la loi de 1999 sur l'innovation (largement amendée par notre commission).

Mais en France, comme dans nombre de pays européens, ce qui à nos yeux est prioritaire dans le monde moderne ne paraît pas toujours fondamental aux décideurs. Ils considèrent souvent recherche et innovation comme un luxe dont, à la limite, on peut se passer.

Une série de points sont apparus clairement en 2004 :

- en matière d'innovation et de technologie, le retard de notre pays par rapport aux Etats-Unis et au Japon s'accroît malgré de brillantes exceptions, l'avionique ou le nucléaire par exemple. Ceci conduit à une perte coûteuse et dangereuse : le départ vers l'étranger de chercheurs parmi les plus brillants et innovants ;

- le carcan statutaire bride nos structures de recherche et d'enseignement supérieur ;

- l'évaluation, indispensable, n'est pas suivie d'effets et les équipes de haut niveau ne sont pas soutenues ;

- la « sanctuarisation » des crédits affectés à la recherche n'existe pas, ce qui conduit à des gels de crédits.

Tout ceci a provoqué la révolte de la communauté scientifique. Un des effets bénéfiques de celle-ci consiste en une prise de conscience des médias, qui ont évoqué avec émotion des questions qui touchent à l'avenir de notre pays.

On commence à percevoir, pas assez de l'avis de votre rapporteur, qu'est en jeu certes l'avenir de la science française ou européenne mais aussi, à terme, l'existence même d'une Europe économiquement et techniquement crédible. La mondialisation inéluctable et la montée fulgurante des grandes puissances asiatiques nous menacent -avec tous les Européens- de devenir vraiment la « vieille Europe », qui n'existerait plus que comme un grand musée du passé et un lieu cultivant l'art de vivre.

Outre la mise en évidence de la grave inquiétude des milieux de la recherche publique, de très nombreux débats, rapports, études, articles et suggestions ont été publiés. Les rapporteurs des commissions compétentes du Sénat, de même que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, ont procédé à de nombreuses auditions et investigations à Paris, en province et en Europe.

Tout ceci, comme les récentes conclusions des assises tenues à Grenoble, permettra de nourrir le projet de loi d'orientation et de programmation que le Gouvernement entend soumettre au Parlement au printemps prochain.

Ce projet de loi devra faire la meilleure synthèse possible des débats et propositions.

En fonction de l'état des lieux qui fait l'objet de l'encadré ci-dessous, cette future loi devrait permettre la mise en oeuvre d'un programme visant à une stratégie de pôles d'excellence et d'expérimentation à la fois audacieuse et tenace.

Dans l'excellence scientifique, ce sont les hommes et les équipes qui comptent en priorité. Il importe que les institutions n'inhibent pas les énergies et initiatives mais, au contraire, les aident.

Tout scientifique de qualité considèrera comme des évidences la quête de l'excellence par les hommes et les équipes, la libération des énergies à la base, l'appui au sommet et la méthode expérimentale.

Votre rapporteur et votre commission ne cessent de les mettre en exergue. Les habitudes bureaucratiques, la facilité du saupoudrage égalitaire vont à l'encontre de ces évidences. Ceci m'apparaît être l'une des causes de la faible efficacité de notre dépense publique de recherche et développement.

Dans notre monde globalisé, on ne peut demander à chaque université, à chaque centre de recherche, de couvrir tous les domaines avec succès. Les moyens humains et financiers doivent, pour l'essentiel, être concentrés en faveur des meilleures équipes. Ceci implique des redéploiements de moyens et des reconversions.

Une telle stratégie intéresse tous les scientifiques où qu'ils se trouvent car les thèmes d'excellence sont très nombreux et les zones d'excellence peuvent être géographiquement réparties, à condition que les petites équipes se ménagent des réseaux internationaux ou nationaux efficaces.

ÉTAT DES LIEUX SUR LE PROCESSUS DE LISBONNE

Le processus de Lisbonne a pour but d'amener en 2010 l'Europe au niveau des régions du monde les plus avancées en matière de société basée sur la connaissance.

Il se traduit par l'objectif que les dépenses en recherche/développement (R & D) atteignent 3 % du produit intérieur brut ; or :

- aucune feuille de route n'est prévue ;

- à presque mi-parcours, alors que le pourcentage de R & D aux Etats-Unis et au Japon dépasse ce taux, celui de l'Europe des Quinze reste de l'ordre de 2 % et il est sensiblement inférieur depuis l'adhésion des dix nouveaux États membres ;

- la nécessaire libération des énergies dans les établissements dépendant de l'État n'a pratiquement pas été effectuée en France (un peu plus en Grande-Bretagne et en Allemagne) ;

- le passage de la recherche vers l'innovation et le transfert de l'innovation vers la création de richesse et d'emplois a largement commencé en Europe et en France. Mais il est fortement freiné par l'insuffisance du transfert de l'épargne vers la création et le développement d'entreprises, notamment en France, ce qui renforce l'inquiétante frilosité du capital-risque privé et l'insuffisance des « business angels » ;

- l'augmentation souhaitée de la R&D européenne nécessitera d'augmenter fortement la formation de spécialistes et d'attirer vers l'Europe chercheurs et d'étudiants. Selon votre rapporteur, presque tout reste à faire en France (les universités britanniques ou suisses sont en pointe) ;

- l'idée d'un financement massif par emprunt de la Banque Européenne d'Investissement (BEI) progresse. Elle est appuyée par de nombreux scientifiques et industriels et elle est considérée par des responsables de la BEI et les groupes Eurêka de haut niveau. Elle a été demandée, lors d'une réunion au sommet franco-allemand, puis par les premiers ministres polonais et danois ;

- la Commission européenne prépare un 7e PCRD plus important pour la recherche.

L'implication plus forte de l'Etat dans les processus Eurêka et son appui pour le développement des relations recherche publique/recherche privée devrait conduire à un financement systématique par la Commission européenne, dans la mesure où les projets Eurêka s'intègrent aux priorités du nouveau programme-cadre européen.

Inciter ou obliger l'épargne à s'investir dans le financement de l'innovation des entreprises innovantes, et plus généralement dans les entreprises, est indispensable en France.

La future loi d'orientation et de programmation devra sanctuariser le financement du budget de la recherche publique ainsi que les incitations à la recherche privée pour une période pluriannuelle. Il s'agit d'une action régalienne de même nature que le budget régalien de la défense.

Votre rapporteur a examiné ce budget de la recherche pour 2005 en considérant qu'il était à la fois préparatoire à la loi d'orientation et de programmation et qu'il devait faciliter et préfigurer les budgets ultérieurs.

Rappelons ici que la possibilité de conduire des expérimentations aura, entre autres avantages, celui d'impliquer les forces vives locales.

Toute expérimentation peut, en effet, renforcer localement l'attractivité vis-à-vis de compétences et d'excellences de niveau international. Des initiatives nationales permettant à ces expérimentations d'utiliser des moyens flexibles et dénués de carcans administratifs (y compris dans le domaine du droit du travail) permettraient de construire des campus de recherche et des pôles de compétitivité encore plus attractifs.

Ces campus territoriaux devraient s'assurer de l'appui de réseaux européens et internationaux pour renforcer visibilité et efficacité.

Cette voie assurerait à la France un avantage considérable dans la compétition mondiale.

I. LA RÉFORME DU SYSTÈME DE RECHERCHE : AU CoeUR DU DÉBAT PUBLIC

A. SUR LE CHEMIN DE LA RÉFORME

1. Une prise de conscience salutaire

Comme l'a relevé M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, au cours de son audition devant votre commission le 3 novembre dernier : « en 2004, derrière la question maltraitée des postes, se révélait en réalité une crise existentielle profonde, comme si tout un système était essoufflé et grippé ».

Votre rapporteur ajoutera que la politique de gels de crédits instaurée par le ministère des Finances, au mépris du vote du budget par le Parlement, est particulièrement inadapté à un secteur tel que celui de la recherche et de l'innovation. Il conviendrait désormais de « sanctuariser » les moyens qui lui sont consacrés sous forme de lois de programmation.

Depuis un an, tant les Pouvoirs publics -le Gouvernement comme le Parlement- que l'ensemble de la communauté scientifique et universitaire ont consacré beaucoup de temps et d'énergie constructive pour analyser les causes profondes de cette crise et ses différentes facettes, et aborder la phase de propositions constructives.

Le Gouvernement a fait les gestes nécessaires à l'apaisement des craintes immédiates de la communauté scientifique. Il a légitimement souhaité que soit instauré un débat de fond pour rénover le système et libérer les énergies, ce qui est depuis longtemps souhaité par votre commission des affaires culturelles.

Ce débat a eu lieu dans différentes enceintes en particulier avec les Etats généraux conclus à Grenoble les 28 et 29 novembre derniers. Cela aura permis d'évoquer de façon globalement constructive des sujets autrefois tabous au sein de la communauté scientifique (celui des carrières, de l'évaluation, de l'articulation entre recherche publique et privée notamment dans des pôles d'excellence).

2. Quelle synthèse pour quelle refondation ?

Si les points de vue sont encore divers, il existe, outre un consensus sur la nécessité d'une réforme, des propositions nombreuses et constructives.

L'heure de la synthèse pour une refondation de notre système de recherche a bientôt sonné et le Gouvernement devra soumettre un projet de loi d'orientation et de programmation à l'examen du Parlement au printemps prochain. Votre rapporteur souhaite que les commissions parlementaires compétentes soient associées à son élaboration.

Elle doit tenir compte de six défis majeurs distingués par le récent rapport de FutuRIS intitulé « Avenirs de la recherche et de l'innovation en France » 1 ( * ) , et qui résument bien différents enjeux de la réforme : les défis de l'excellence scientifique et technologique, de la gouvernance, les défis budgétaire, européen et territorial, institutionnel ainsi que les défis des statuts des personnels de la recherche publique et de la valorisation de la recherche.

Parmi les éléments de cette synthèse, on tiendra compte en particulier du récent rapport 2 ( * ) de M. Michel Camdessus qui défend une stratégie à laquelle votre rapporteur souscrit d'autant plus volontiers que cette stratégie va dans le sens des rapports successifs sur la recherche adoptés par votre commission. Il s'agit de moderniser le fonctionnement des structures de recherche françaises - enseignement supérieur ou organismes de recherche - de faciliter leurs coopérations au niveau local et de veiller à ce que le financement tienne compte de la nécessité de constituer des pôles de recherche performants et compétitifs au plan international.

Un nouvel état d'esprit doit accompagner cette stratégie, ce qui implique une action tenace et continue des responsables nationaux et des responsables opérationnels, dont les pouvoirs et l'autonomie doivent être renforcés.

* 1 Rapport FutuRIS, sous la direction de Jacques Lesourne, Alain bravo et Denis Randet : « Avenirs de la recherche et de l'innovation en France » - Documentation française (2004)

* 2 Rapport : « Le sursaut : vers une nouvelle croissance pour la France » - Michel Camdessus (19 octobre 2004)

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