II. AMÉLIORER LA RÉGLEMENTATION DE L'ÉQUIPEMENT COMMERCIAL

La loi d'orientation du commerce et de l'artisanat n° 73-1193 du 27 décembre 1973, dite loi Royer , avait pour but de lutter contre le développement anarchique de certains types de commerces perçus comme responsables de la disparition du commerce traditionnel. Son article 1 er dispose d'ailleurs que « les pouvoirs publics sont chargés de veiller à ce que l'essor du commerce et de l'artisanat permette l'expansion de toutes les formes d'entreprises, indépendantes, groupées ou intégrées, en évitant qu'une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l'écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux et ne soit préjudiciable à l'emploi » . Des commissions départementales ont ainsi été chargées de délivrer les autorisations d'exploitation commerciale en se fondant sur un ensemble de principes d'orientation et de critères définis par la loi.

La loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier et la loi n° 96-603 du 6 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, dite loi Raffarin , sont ensuite intervenues afin de renforcer le contrôle des implantations commerciales exercé par les commissions départementales d'équipement commercial (CDEC). Toutefois, il n'est pas certain que les effets pratiques de la nouvelle législation aient totalement atteints les objectifs qui lui ont alors été fixés. Dès lors, il semble légitime de mener une réflexion sur les améliorations à apporter à l'actuelle réglementation de l'équipement commercial .

A. LE CADRE JURIDIQUE ACTUEL

Cette section a été rédigée à partir d'une étude réalisée, à la demande du président de la commission des affaires économiques, par le service des collectivités territoriales du Sénat.

1. Les équipements commerciaux soumis à autorisation

Est soumis à autorisation tout projet de création ou d'extension d'un magasin de commerce de détail ou d'un ensemble commercial dès lors que la surface de vente (SV) obtenue après réalisation est supérieure à 300 m² . Sont plus précisément concernés :

- les projets de création de magasins de commerce de détail par construction nouvelle ou transformation d'un immeuble existant, ainsi que par transfert d'une activité commerciale existante ;

- les projets de réutilisation d'un local libéré après transfert d'activités commerciales existantes, de réouverture d'un magasin fermé depuis plus de deux ans, d'extension de magasins de commerce de détail, de création ou d'extension d'ensembles commerciaux ;

- et les projets de constructions nouvelles, d'extensions ou de transformations d'immeubles existants entraînant la constitution d'établissements hôteliers d'une capacité supérieure à trente chambres hors de la région d'Île-de-France, et à cinquante chambres dans cette dernière.

En outre, tout changement de secteur d'activité d'un commerce d'une surface de vente supérieure à 2.000 m² est également soumis à l'autorisation d'exploitation commerciale, ce seuil étant toutefois ramené à 300 m² lorsque l'activité nouvelle du magasin est à prédominance alimentaire.

En tout état de cause, cette autorisation doit être délivrée préalablement à l'octroi du permis de construire.

2. La composition des CDEC

La loi du 5 juillet 1996 précitée a réduit le nombre de membres composant les CDEC de sept à six, établissant une parité entre les élus et les représentants socio-professionnels . Dans les départements autres que Paris, les commissions départementales sont composées, pour les élus, du maire de la commune d'implantation, du président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'aménagement de l'espace et de développement dont est membre la commune d'implantation ou, à défaut, du conseiller général du canton, et du maire de la commune la plus peuplée de l'arrondissement autre que la commune d'implantation. Quant aux personnalités socio-professionnelles, il s'agit du président de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) et du président de la chambre des métiers (CM) dont les circonscriptions territoriales comprennent la commune d'implantation, ainsi que du représentant des associations de consommateurs du département.

3. L'instruction des dossiers par les CDEC

Le décret n° 93-306 du 9 mars 1993 modifié définit les modalités d'instruction des dossiers de demandes d'autorisation d'exploitation commerciale, qui doivent comporter des informations telles que la description du projet , une estimation des emplois créés , l' étude de marché , l' étude d'impact pour les demandes portant sur des surfaces supérieures à 1.000 m², le rapport de l' enquête publique pour les surfaces supérieures à 6.000 m²... Le secrétariat de la CDEC, assuré par les services de la préfecture, est chargé de vérifier la recevabilité des demandes, de les enregistrer et de l'instruire en vue de leur examen par la commission.

La direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DDCRF) procède à une analyse critique de l'étude de marché fournie par le demandeur, et rapporte le dossier devant la commission. Le directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) est chargé d'évaluer l'impact éventuel du projet en termes d'emplois salariés et non salariés, et le directeur départemental de l'équipement (DDE) de formuler un avis sur l'impact du projet au regard notamment de l'aménagement du territoire et de l'équilibre des agglomérations. Notons qu'en matière d'hôtellerie, le délégué régional au tourisme (DRT) présente l'avis de la commission départementale de l'action touristique.

L'étude d'impact jointe à la demande est par ailleurs adressée, par le secrétariat de la commission, à la chambre de commerce et d'industrie (CCI) et à la chambre de métiers (CM) dont les circonscriptions englobent la commune d'implantation, les chambres consulaires disposant d'un délai de six semaines à compter de leur saisine pour communiquer leurs observations à la commission.

4. Les critères de décision des CDEC

L'autorisation d'un projet est accordée sur un vote favorable de quatre des membres de la CDEC . La loi du 5 juillet 1996 institue une telle majorité qualifiée afin, selon notre collègue M. Pierre Hérisson, qui en fut le rapporteur au nom de notre commission des affaires économiques, d' obtenir une plus grande sélectivité des commissions et de lutter contre les abstentions .

Les CDEC doivent statuer sur les demandes d'autorisations d'exploitation commerciale en prenant en considération, à la fois :

les principes d'orientation définis par les articles L. 720-1 et L. 720-2 du code de commerce.

Ces principes sont la satisfaction du projet aux exigences d'aménagement du territoire , de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme et sa contribution au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine . Le projet doit également contribuer à la modernisation des équipements commerciaux , à leur adaptation à l'évolution des modes de consommation et des techniques de commercialisation, au confort d'achat du consommateur et à l' amélioration des conditions de travail des salariés .

et les critères de décision définis à l'article L. 720-3 dudit code.

Ces critères sont définis comme suit :

- l'offre et la demande globales pour chaque secteur d'activité dans la zone de chalandise concernée ;

- la densité d'équipement en moyennes et grandes surfaces dans la zone ;

- l'effet potentiel du projet sur l'appareil commercial et artisanal de cette zone et des agglomérations concernées, ainsi que sur l'équilibre souhaitable entre les différentes formes de commerce. De plus, la loi n° 2004-804 du 9 août 2004 relative au soutien à l'investissement et à la consommation a prévu que, lorsque le projet concerne la création ou l'extension d'un ensemble commercial, majoritairement composé de magasins spécialisés dans la commercialisation d'articles de marques à prix réduit, l'effet potentiel dudit projet est également apprécié indépendamment de la spécificité de la politique commerciale de ce type de magasins ;

- l'impact éventuel du projet en termes d'emplois salariés et non salariés ;

- les conditions d'exercice de la concurrence au sein du commerce et de l'artisanat ;

- les engagements des demandeurs de création de magasins de détail à prédominance alimentaire de créer dans les zones de dynamisation urbaine ou les territoires ruraux de développement prioritaire des magasins de même type, d'une surface de vente inférieure à 300 mètres carrés, pour au moins 10 % des surfaces demandées ;

.- depuis la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, l'impact global du projet sur les flux de voitures particulières et de véhicules de livraison ;

- la qualité de la desserte en transport public ou avec des modes alternatifs ;

- les capacités d'accueil pour le chargement et le déchargement des marchandises.

Les décisions des CDEC doivent se référer aux travaux des Observatoires départementaux d'équipement commercial (ODEC) dont la mission, aux termes de l'article 1 er du décret du 9 mars 1993, est d'établir, par commune, un inventaire des équipements commerciaux d'une surface de vente égale ou supérieure à 300 m² , par grandes catégories de commerces, de dresser la liste des magasins de commerce de détail et des prestataires de services à caractère artisanal d'une surface de vente inférieure à 300 m², d'analyser l' évolution de l'appareil commercial du département et d' élaborer les schémas de développement commercial .

Faute de textes d'application, ces derniers n'ont, dans un premier temps, pas été mis en place. Quelques départements s'en sont toutefois dotés à la suite du décret n° 2002-1369 du 20 novembre 2002 relatif aux schémas de développement commercial, qui a défini le contenu des procédures d'élaboration, de révision et de publicité des schémas de développement commercial communes à l'ensemble des départements français, ainsi que la procédure spécifique à la région Île-de-France. Ces schémas, qui doivent être compatibles avec les schémas de cohérence territoriale (SCOT) et les schémas de secteur, sont des documents à caractère économique conçus comme des outils d'aide à la décision. Leur contenu est adapté aux particularités des périmètres pertinents et des objectifs recherchés par les ODEC.

La motivation des décisions des CDEC constitue une condition substantielle de leur légalité : les considérants des décisions des CDEC doivent par conséquent être précis et se fonder sur les seules prescriptions précitées. Le Conseil d'Etat a ainsi jugé que « les conséquences sur le chiffre d'affaires des concurrents sont un motif insuffisant pour refuser une autorisation » (8 ( * )), et que « le renforcement de la concurrence ne doit pas constituer le seul motif de la décision » (9 ( * )). Une circulaire du 19 décembre 1997 portant sur le fonctionnement des CDEC et sur la motivation des décisions propose, à titre d'exemple pour les préfets, une séquence de considérants correspondant à l'hypothèse fictive d'une création de grande surface. Les préfets sont au demeurant encouragés à exercer leur droit de recours lorsqu'un vote est contradictoire avec toutes les motivations retenues.

5. Les recours contre les décisions des CDEC : le rôle de la CNEC

A l'initiative du préfet , de deux membres de la commission , dont l'un au moins est élu , ou du demandeur , la décision de la commission départementale peut, dans un délai de deux mois à compter de sa notification ou de son intervention implicite, faire l'objet d'un recours auprès de la commission nationale d'équipement commercial (CNEC), qui se prononce dans un délai de quatre mois. Il s'agit d'un recours préalable obligatoire .

La CNEC comprend huit membres nommés, pour une durée de six ans non renouvelable , par décret pris sur le rapport du ministre chargé du commerce. Les décisions sont prises à la majorité des membres présents .

La décision de la CNEC se substitue à celle de la CDEC et couvre donc les éventuelles irrégularités de forme de la décision prise par la commission départementale. Les décisions rendues par la CNEC peuvent faire l'objet d'un recours administratif en annulation devant le Conseil d'État , soit à la requête du pétitionnaire, soit à la requête de tiers. Le juge administratif exerce un contrôle normal sur les décisions des CDEC. Comme l'a montré une récente décision du Conseil d'État en date du 15 juillet 2004, par ailleurs très médiatisée, il s'agit, dans la pratique, d'un contrôle fort important (10 ( * )).

* (8) CE, 5 mars 1986, Chambre des métiers de l'Oise .

* (9) CE, 27 avril 1984, Société Hypermarché Continent .

* (10) Extrait de la décision n° 252427 du Conseil d'Etat : « Eu égard, d'une part, aux particularités commerciales de la zone de chalandise, caractérisée par l'existence d'un commerce de centre-ville et rural important dans les domaines de l'équipement de la personne et de la maison et, d'autre part, à la dimension du centre commercial envisagé, l'autorisation attaquée est de nature à compromettre l'équilibre recherché par le législateur entre les différentes formes de commerce. Toutefois, l'étendue particulièrement importante de la zone de chalandise du projet, laquelle comprend, en totalité ou en partie, onze départements, la croissance de la population de cette zone et la limitation à moins de 300 m2 de la surface de vente des magasins dont l'implantation est envisagée dans l'ensemble commercial sont de nature à atténuer les effets du projet en cause sur les commerces traditionnels, notamment situés dans le centre-ville de Cholet. En outre, le projet est de nature à renforcer le caractère attractif des équipements commerciaux existants et, plus généralement, de l'agglomération de Cholet et à conforter l'activité économique de cette dernière en offrant un débouché aux industries locales du textile et de la chaussure. Il comporte également des effets positifs quant à la satisfaction des besoins des consommateurs locaux et de la clientèle touristique ainsi qu'au développement de l'emploi » .

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