TITRE IV
TRANSMISSION ET REPRISE D'UNE ENTREPRISE

Article 20
(chapitre X nouveau du titre III du livre II du code de commerce,
art. 8 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990)
Location d'actions et de parts sociales

Cet article tend à créer un dispositif nouveau permettant la location d'actions de sociétés par actions et de parts sociales de sociétés à responsabilité limitée . A cet effet, serait créé un chapitre X nouveau au sein du titre III du livre II du code de commerce. Une exclusion viserait néanmoins spécifiquement les sociétés d'exercice libéral .

I. Le dispositif de location d'actions et de parts sociales inscrit dans le code de commerce

Le premier paragraphe (I) de cet article créerait un chapitre X nouveau au sein du titre III du livre II du code de commerce, intitulé : « De la location d'actions et de parts sociales ». Il serait composé de cinq articles numérotés L. 239-10-1 à L. 239-10-5.

Selon l'exposé des motifs du projet de loi, ce nouveau dispositif est destiné à « ouvrir la voie à une simplification des montages existants en matière de cession ou de transmission d'entreprise ». Il limiterait notamment le recours aux garanties d'actif 34 ( * ) ou de passif 35 ( * ) , tout en ouvrant des possibilités nouvelles par rapport aux schémas traditionnels de location-gérance de fonds de commerce. Grâce au mécanisme de location envisagé, le locataire pourra, en quelque sorte, bénéficier d'une « période d'essai » lui permettant de déterminer s'il est intéressant pour lui de devenir propriétaire des actions ou parts sociales qu'il loue.

Le contrat de bail pourra d'ailleurs être conclu, le cas échéant, avec une option d'achat au terme de la location. Juridiquement, ce mécanisme se concrétiserait par une promesse unilatérale de vente consentie au locataire par le bailleur, le I de l'article 21 du présent projet de loi consacrant cette possibilité en modifiant à cet effet l'article L. 313-7 du code monétaire et financier. Dans ce cas, les conditions de la cession à intervenir seraient soumises au régime prévu aux articles L. 313-7 à L. 313-11 du code monétaire et financier.

Ce nouveau régime viendrait donc compléter des dispositifs préexistants, tel le démembrement de propriété des titres sociaux 36 ( * ) , la vente à réméré 37 ( * ) , le crédit-bail 38 ( * ) ou le prêt de titres 39 ( * ) , offrant ainsi un éventail élargi de modalités de transmission des sociétés commerciales.

Article L. 239-10-1 nouveau du code de commerce
Champ d'application du dispositif de location d'actions
et de parts sociales

L'article L. 239-10-1 nouvellement inséré dans le code de commerce définirait l'objet de la location d'actions ou de parts sociales par référence à l'article 1709 du code civil. Aux termes de cette disposition, « le louage des choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer. »

Le dispositif de location prévu par la présente disposition consisterait donc en l'octroi de l'usage des droits conférés à son titulaire par une action ou une part sociale, en contrepartie d'un prix . Le dispositif proposé aurait cependant un champ d'application limité .

- Les sociétés concernées

La conclusion de contrats de bail d'actions ou de parts sociales ne pourrait intervenir que dans certains types de sociétés :

- d'une part, les sociétés par actions , cette catégorie incluant les sociétés anonymes (SA), les sociétés par actions simplifiées (SAS), ainsi que les sociétés en commandite par actions (SCA) ;

- d'autre part, les sociétés à responsabilité limitée (SARL). Encore convient-il que ces dernières soient soumises à l'impôt sur les sociétés de plein droit ou sur option. Cette exigence exclut donc, en principe, les entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée (EURL) dont l'associé unique est une personne physique, dans la mesure où celles-ci sont soumises à l'impôt sur le revenu. Toutefois, les parts sociales d'EURL seraient susceptibles de location dans l'hypothèse où la société aurait opté pour l'impôt sur les sociétés, comme l'y autorise le 3 de l'article 206 du code général des impôts.

L'impossibilité de faire bénéficier d'autres types de sociétés d'une telle location s'explique par la volonté d'éviter les conséquences qui pourraient résulter de l'utilisation de ce dispositif dans le cadre de sociétés dans lesquelles les associés sont indéfiniment responsables des dettes sociales (tel est le cas des sociétés civiles) ou solidairement et indéfiniment responsables de celles-ci (sociétés en commandite simple, sociétés en nom collectif). En effet, dans ce cas, les associés propriétaires de leurs parts sociales pourraient être tenus sur leur patrimoine propre à raison de décisions qui pourraient leur être imposées par de simples locataires.

Conformément à l'objet du projet de loi, le dispositif proposé s'adresse aux petites et moyennes entreprises dans le but d'en faciliter la transmission. Aussi le texte proposé exclut-il toute possibilité de location dans le cadre des sociétés faisant appel public à l'épargne . Ce choix de politique législative explique que ne pourraient faire l'objet d'un contrat de bail :

- les titres nominatifs négociables sur un marché réglementé . Cette rédaction impliquerait l'impossibilité de louer des titres au porteur ainsi que des titres susceptibles d'être négociés sur un marché réglementé, c'est-à-dire susceptibles d'une cotation boursière ;

- les titres inscrits aux opérations d'un dépositaire central . L'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales et extension à l'outre-mer de dispositions ayant modifié la législation commerciale a rendu possible l'émission de titres au porteur hors des marchés réglementés. Pour procéder à une telle émission, une société doit s'adresser à un dépositaire central. Celui-ci ouvre et tient, pour le compte de ses adhérents, des comptes courants de titres et assure la circulation de ces derniers par des virements de compte à compte ;

- ainsi que ceux qui « ne sont pas soumis à une obligation de conservation prévue à l'article L. 225-197-1 » du code de commerce, c'est-à-dire les actions distribuées gratuitement aux salariés de la société par le conseil d'administration ou le directoire, sur autorisation de l'assemblée générale extraordinaire, pour lesquelles l'obligation de conservation par leurs bénéficiaires -qui ne peut être inférieure à deux ans- s'est achevée . Cette exclusion semble logique puisqu'à défaut, l'obligation de détention posée par la disposition susmentionnée pourrait être tournée.

- La qualité du locataire

Le preneur au contrat de bail ne pourrait être qu'une personne physique. L'exclusion des personnes morales du dispositif s'explique par le souci d'éviter, en particulier, le contournement des règles relatives aux participations réciproques dans les groupes incluant des sociétés par actions.

L'existence de participations -directes ou indirectes et éventuellement croisées- entre plusieurs sociétés peut en effet conduire à des abus, caractérisés en particulier par un verrouillage des organes de direction 40 ( * ) et la limitation des possibilités d'exercer des offres publiques d'achat. Pour contrer ces pratiques, les articles L. 223-29 et suivants du code de commerce mettent ainsi en place des dispositifs interdisant les participations directes au-delà d'un pourcentage déterminé ou limitant les pouvoirs attachés aux actions d'auto-contrôle 41 ( * ) .

Or, ces règles pourraient être vidées de leur contenu si l'une des sociétés du groupe devenait locataire des actions d'une autre, ce montage lui permettant ainsi d'exercer les droits de vote lui assurant un contrôle effectif sur une autre société ou un auto-contrôle.

- L'interdiction de la sous-location ou du prêt des titres loués

L'article L. 239-10-1 interdirait le cumul des opérations de location sur un même titre, ainsi que le cumul entre une location et un prêt.

En premier lieu, un titre qui aurait fait l'objet d'une location en vertu d'un premier contrat de bail ne pourrait donner lieu à une nouvelle location tant que ce premier contrat n'est pas éteint. Ainsi, toute sous-location serait interdite, la sanction étant alors la nullité du contrat de sous-location .

En second lieu, les titres loués en vertu de la présente disposition ne pourraient faire l'objet d'un prêt au sens des articles L. 432-6 à L. 432-11 du code monétaire et financier. Ces dispositions permettent de prêter des actions dans le cadre d'une opération de prêt à la consommation, définie par les articles 1892 à 1904 du code civil, en contrepartie d'une rémunération constitutive d'un revenu de créance au sens du I de l'article 38 bis du code général des impôts.

Ces interdictions se justifient par le souci d'assurer une réelle transparence sur l'identité de la personne qui pourra effectivement exercer les droits, en particulier politiques (participation aux décisions de l'assemblée des associés ou des actionnaires), attachés aux actions faisant l'objet de la location.

Si votre commission est favorable à ce nouveau dispositif, elle estime nécessaire d'en restreindre l'utilisation lorsque la société dont les titres sont donnés à bail fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire .

En effet, à compter du jugement d'ouverture de cette procédure, les dirigeants de droit ou de fait de la société ne peuvent, à peine de nullité, céder les parts sociales, actions ou certificats d'investissement ou de droit de vote représentant leurs droits sociaux que dans les conditions fixées par le tribunal. Les actions et certificats d'investissement ou de droit de vote sont virés à un compte spécial bloqué, ouvert par l'administrateur au nom du titulaire et tenu par la société ou son intermédiaire financier. Aucun mouvement ne peut être effectué sur ce compte sans l'autorisation du juge-commissaire 42 ( * ) .

Or, un tel dispositif, qui tend à éviter que les dirigeants cèdent leurs titres pour échapper aux conséquences du redressement judiciaire, pourrait être facilement contourné par une mise en location des actions et parts sociales de la société faisant l'objet de la procédure de redressement. En conséquence, votre commission vous soumet un amendement tendant à n'autoriser la mise en location de ces titres que dans les conditions fixées par le tribunal ayant ouvert la procédure de redressement .

Article L. 239-10-2 nouveau du code de commerce
Modalités de conclusion et d'opposabilité du contrat de bail -
Formalités de délivrance des actions et parts sociales

Aux termes de l'article L. 239-10-2 du code de commerce, le contrat de bail portant sur des actions ou des parts sociales devra faire l'objet d'un écrit qui pourra être un simple acte sous seing privé . Toutefois, il devra être soumis à la formalité de l'enregistrement . L'exécution de cette formalité, mentionnée à l'article 849 du code général des impôts 43 ( * ) , permet de certifier l'existence d'un acte sous seing privé et de lui donner une date certaine.

? Cet acte devrait comporter des mentions obligatoires , qui seraient définies par décret en Conseil d'Etat. Selon les informations recueillies par votre rapporteur pour avis, ces mentions seraient relatives à :

- la durée du contrat de bail. Aux termes de l'article 1709 du code civil, le louage d'ouvrage a une durée nécessairement limitée. Il est donc indispensable que le contrat précise la durée de location ;

- la nature, l'identification et le nombre des actions ou parts sociales faisant l'objet du contrat de bail ;

- la répartition des droits de vote . Le caractère substantiel de cette mention s'explique par le fait que le contrat de location d'actions ou de parts sociales est destiné à faciliter la reprise d'une société commerciale en permettant au preneur à bail de participer, « à l'essai », à la vie de la société. La convention doit donc nécessairement définir la nature des droits qui seront conférés au locataire et ceux restant au bailleur. Toutefois, cette répartition devra nécessairement être déterminée dans les limites autorisées par les dispositions et la jurisprudence relatives aux droits respectifs du nu-propriétaire et de l'usufruitier en cas de démembrement de propriété de valeurs mobilières. Cette exigence résulterait du deuxième alinéa de l'article L. 239-10-3 tel qu'il résulterait du présent projet de loi ;

- la répartition éventuelle du boni de liquidation . Ainsi, en cas de dissolution de la société dont les actions ou parts sociales ont fait l'objet du contrat de bail, le produit de la réalisation des actifs de la société serait partagé entre le locataire et le bailleur selon les stipulations contractuelles ;

- les modalités de cession éventuelle des actions et parts sociales par le bailleur . Le contrat pourra permettre, sous certaines conditions, une telle cession, voire l'interdire purement et simplement tant que le contrat de location n'est pas parvenu à son terme.

Votre commission estime qu'il conviendrait que le décret rende également obligatoire la mention au sein du contrat de bail de la situation résultant d'une dissolution anticipée de la société avant le terme du contrat.

Le texte proposé ne définirait pas la sanction applicable en l'absence de telles mentions dans le contrat de bail . Votre commission considère qu'il s'agit de mentions substantielles et vous soumet un amendement destiné à prévoir que l'absence de ces mentions sera sanctionnée par la nullité de l'acte .

? L'opposabilité de la location d'actions ou de parts sociales à la société s'effectuerait dans les formes prévues par l'article 1690 du code civil, c'est-à-dire celles applicables aux cessions de créances .

Dans ces conditions, la situation juridique nouvelle créée par le contrat de bail ne produira ses effets vis-à-vis de la société dont les actions ou parts sociales font l'objet d'un contrat de bail qu'à la condition que celle-ci en ait reçu signification. Le cas échéant, l'opposabilité de la location pourra également intervenir au moyen d'un acte authentique par lequel la société aura déclaré accepter la situation nouvelle.

Faute de l'accomplissement de l'une ou l'autre de ces formalités, en application de la présente disposition, la société ne pourrait se voir opposer la nouvelle répartition des droits entre le bailleur et le locataire, pas plus qu'elle ne pourrait s'en prévaloir.

Tout contrat de bail emportant pour le bailleur une obligation de délivrance au preneur de la chose louée, le troisième alinéa du texte proposé déterminerait les modalités de délivrance au locataire des parts sociales ou actions faisant l'objet du contrat.

Cette délivrance interviendrait, selon le texte proposé, à la date de la mention du bail et du nom du locataire à côté du nom de l'associé ou de l'actionnaire :

- dans le registre des titres nominatifs, lorsqu'il s'agit d'une société par actions. Ces sociétés doivent détenir un tel registre en application du sixième alinéa de l'article L. 228-1 du code de commerce 44 ( * ) . A la différence des associés d'une société à responsabilité limitée, les noms des actionnaires ne figurent en effet pas dans les statuts ;

- dans les statuts, lorsqu'il s'agit d'une société à responsabilité limitée.

Ce n'est qu'à compter de la délivrance des titres et non à compter de l'opposabilité du contrat de bail que des obligations envers le locataire naîtront dans le chef de la société dont les parts ou actions sont l'objet du contrat. Selon la rédaction proposée, celle-ci devrait ainsi :

- adresser au locataire les informations dues aux actionnaires ou associés. Le preneur sera en conséquence informé dans les mêmes conditions que le bailleur ;

- prévoir sa participation et son vote aux assemblées conformément aux stipulations contractuelles.

Compte tenu des précisions qu'elle vous proposera d'apporter à l'article L. 229-10-3, votre commission vous soumet, par coordination, un amendement supprimant le renvoi à des aménagements contractuels en matière de vote et précisant que celui-ci devra s'effectuer dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de cette disposition .

Aux termes du dernier alinéa du texte proposé, les titres loués devraient faire l'objet d'une évaluation en début ou en fin de contrat, ainsi qu'à la fin de chaque exercice comptable lorsque le bailleur est une personne morale. Selon le texte proposé, cette évaluation s'effectuerait :

- « sur la base de critères tirés des comptes sociaux ». Cette formulation implique que, lors de l'évaluation, il devra notamment être tenu compte de l'inscription des actions ou parts dans les comptes annuels de la société dont elles forment le capital social, de l'évolution éventuelle de l'évaluation des actions et parts concernées effectuée sous la responsabilité des organes sociaux, ainsi que, en cas de perte de valeur de ces titres, de l'existence éventuelle d'un provisionnement dans la société ;

- par un commissaire aux comptes . L'intervention de ce professionnel a pour but de garantir la sincérité de l'évaluation donnée aux actions ou parts sociales faisant l'objet du contrat. Toutefois, elle se distinguerait notablement de celle qui est en général impartie au commissaire aux comptes puisque celui-ci serait chargé de déterminer lui-même la valeur à donner aux actions ou parts louées.

Votre commission estime que le rôle du commissaire aux comptes devrait, dans ce cadre, se limiter à celui qui est traditionnellement le sien, c'est-à-dire à la certification des évaluations faites par la personne morale dans laquelle il exerce son contrôle. Elle vous soumet, en conséquence, un amendement tendant à prévoir que la fonction du commissaire aux comptes se limite à certifier l'évaluation faite des actions ou parts louées .

Article L. 239-10-3 nouveau du code de commerce
Droits respectifs du bailleur et du locataire

L'article L. 239-10-3 déterminerait les droits respectifs du bailleur et du locataire d'actions ou de parts sociales.

? Son premier alinéa préciserait que les dispositions légales ou statutaires prévoyant l'agrément du cessionnaire de parts sociales ou d'actions sont applicables, dans les mêmes conditions, au locataire .

Les sociétés à responsabilité limitée, qui comportent un intuitus personae marqué, sont soumises à un régime restrictif en matière de cession de parts sociales, récemment modifié par l'ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises. Si les parts sociales sont librement cessibles entre les associés, la cession à des tiers est soumise à l'accord de la majorité des associés représentant au moins la moitié des parts sociales. Toutefois, les statuts peuvent prévoir une majorité plus forte 45 ( * ) .

Dans une société par actions, des clauses d'agrément concernant la cession de titres nominatifs de la société peuvent être insérées dans les statuts, à la condition que ses titres ne soient pas admis aux négociations sur un marché réglementé 46 ( * ) . Cette clause n'est cependant pas applicable en cas de succession, de liquidation de régime matrimonial ou de cession au conjoint de l'actionnaire, à l'un de ses ascendants ou descendants 47 ( * ) .

L'application des dispositifs d'agrément au locataire d'actions ou de parts sociales se justifie pleinement par le fait qu'il sera en droit d'exercer certains des droits des actionnaires. A défaut d'une telle règle, la protection mise en place par les statuts vis-à-vis des tiers serait aisément réduite à néant. En conséquence, l'opposabilité à la société de la location ne sera réellement effective que si le locataire a fait l'objet de l'agrément prévu par les statuts.

? Le deuxième alinéa de cet article déterminerait les droits respectifs du bailleur et du locataire par renvoi à ceux définis à l'égard du nu-propriétaire et de l'usufruitier d'actions ou parts sociales. Plutôt que de définir un régime spécifique, il y aurait donc une assimilation juridique complète des deux hypothèses.

La propriété d'un bien peut en effet faire l'objet d'un démembrement entre l'usufruitier, qui jouit des fruits du bien, et le nu-propriétaire, qui est titulaire d'un droit de propriété excluant toute capacité à en percevoir les fruits. Ce démembrement de propriété peut être pratiqué sur « toute espèce de biens meubles ou immeubles » 48 ( * ) et, en particulier, sur les actions ou parts d'une société.

Certaines dispositions législatives déterminent les droits respectifs du nu-propriétaire et de l'usufruitier d'actions ou de parts sociales, notamment en ce qui concerne les droits politiques attachés à celles-ci, et plus particulièrement l'exercice du droit de vote .

L'article 1844 du code civil dispose ainsi, pour l'ensemble des sociétés, que le droit de vote attaché à une valeur mobilière appartient, par principe, au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l'affectation des bénéfices, qui ressortissent à l'usufruitier. De même, l'article L. 225-110 du code de commerce réserve dans les sociétés anonymes -et, par extension, dans les sociétés en commandite par actions- au nu-propriétaire le droit de vote dans les assemblées générales extraordinaires et à l'usufruitier le droit de vote dans les assemblées générales ordinaires. Toutefois, ces deux dispositions permettent aux statuts de déroger à ces règles, dans un sens plus ou moins favorable à l'usufruitier.

Les aménagements statutaires en matière de vote sont cependant soumis au contrôle du juge judiciaire . La jurisprudence en cette matière laisse néanmoins place à certaines incertitudes. Ainsi, il est acquis que les statuts ne peuvent supprimer totalement le droit de vote reconnu à l'usufruitier, qui doit au moins voter sur l'affectation des bénéfices 49 ( * ) . Concernant la privation totale de droit de vote du nu-propriétaire, des débats demeurent après que certains arrêts eurent admis que celui-ci ne pouvait simplement pas être privé de son droit de « participer aux décisions collectives » 50 ( * ) .

D'autres dispositions règlent, hors la question du vote, la répartition des droits entre le nu-propriétaire et l'usufruitier. Dans les sociétés par actions, l'article L. 225-118 du code de commerce prévoit que le nu-propriétaire et l'usufruitier bénéficient d'un droit identique à la communication de documents 51 ( * ) . L'article L. 225-140 du même code réserve quant à lui le droit préférentiel de souscription au nu-propriétaire mais prévoit, en cas de vente de ce droit, le reversement à l'usufruitier des sommes provenant de cette cession ou des biens acquis au moyen des sommes en résultant.

Votre commission estime que l'application du régime du démembrement de propriété a pour avantage de faire l'économie d'un statut spécifique et distinct à la location d'actions ou de parts sociales qui va dans le sens d'une simplification et d'une meilleure lisibilité. Toutefois, elle estime que, compte tenu des débats actuels sur l'attribution des droits de vote entre usufruitier et nu-propriétaire, il apparaît plus opportun de fixer précisément la répartition entre le locataire et le bailleur sans que celle-ci puisse être remise en cause par les stipulations du contrat de bail .

Votre commission vous soumet, en conséquence, un amendement tendant à prévoir :

- que le droit de vote attaché à l'action ou à la part sociale louée appartient au bailleur dans les assemblées statuant sur les modifications statutaires ou le changement de nationalité de la société, et au locataire dans les autres assemblées. En conséquence, le contrat de bail ne pourrait aménager cette répartition ;

- que, pour l'exercice des autres droits attachés aux actions et parts sociales louées, le bailleur est considéré comme le nu-propriétaire et le locataire comme l'usufruitier .

? Le dernier alinéa du texte proposé assimilerait , quant à lui, le bailleur et le locataire au détenteur d'actions ou de parts sociales pour l'application des dispositions du livre IV du code de commerce .

Cette subdivision du code de commerce sanctionne, à la fois sur le plan civil et pénal, les agissements susceptibles de porter atteinte à la concurrence et à la liberté des prix. Sont en particulier visés les ententes ou les abus de position dominante, ainsi que les concentrations d'entreprises, qui sont susceptibles d'entraver la concurrence en aboutissant à des phénomènes monopolistiques.

Or, dans un tel contexte, le dispositif de location d'actions ou de parts sociales institué par le présent projet de loi pourrait être employé aux fins de contourner les règles relatives au contrôle des concentrations économiques définies par les articles L. 431-1 et suivants du code de commerce. En effet, le contrat de bail pourrait être envisagé comme un moyen de diluer la participation de certains actionnaires dans le capital d'une société afin d'échapper à une éventuelle sanction au regard des règles de concentration économique. Il convient donc d'éviter de tels contournements.

Article L. 239-10-4 nouveau du code de commerce
Renouvellement ou non-renouvellement du contrat de bail

L'article L. 239-10-4 du code de commerce déterminerait les modalités du renouvellement du contrat de bail ainsi que les effets du non-renouvellement de ce dernier.

Le bail serait ainsi renouvelé dans des conditions identiques à celles applicables à sa conclusion initiale.

En cas de non-renouvellement du contrat de bail, ou s'il a fait l'objet d'une résiliation, il devrait être procédé à la radiation de la mention du bail et de l'identité du locataire soit dans le registre nominatif des titres, pour la société par actions, soit dans les statuts, pour la société à responsabilité limitée. Cette radiation serait effectuée à la demande de la partie la plus diligente.

Il y aurait donc un parallélisme marqué avec les dispositions figurant au troisième alinéa de l'article L. 239-10-2 relatives à la délivrance des parts et actions faisant l'objet du contrat. Votre commission vous soumet un amendement rédactionnel .

Le dernier alinéa du texte proposé permettrait au gérant de la SARL dont les parts font l'objet du contrat résilié ou non renouvelé de procéder lui-même à la suppression de la mention du bail et de l'identité du locataire dans les statuts . Pour être valable, cette intervention devrait néanmoins faire l'objet d'une ratification par les associés « dans les conditions prévues à l'article L. 223-29 » du code de commerce, c'est-à-dire par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié des parts sociales.

Cette intervention directe du gérant dans ce qui ressortit pourtant à la compétence exclusive de l'assemblée des associés est inspirée de dispositions introduites par l'ordonnance précitée du 25 mars 2004 portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises. Modifiant l'article L. 223-18 du code de commerce, celle-ci a en effet autorisé le gérant à modifier lui-même les statuts afin de déplacer le siège social dans le même département ou dans un département limitrophe, ou de les mettre en harmonie avec les dispositions législatives ou réglementaires impératives. Ces modifications statutaires doivent cependant faire l'objet d'une ratification par les associés représentant les trois-quarts des parts sociales 52 ( * ) .

Votre commission est tout à fait favorable à cette prérogative confiée au dirigeant qui permet qu'il soit procédé immédiatement aux modifications statutaires liées à la résiliation ou au non-renouvellement du contrat de bail. Toutefois, elle estime qu'il aurait été également judicieux de prévoir un dispositif similaire lors de l'inscription dans les statuts de l'existence du contrat et de l'identité du locataire .

En outre, elle juge que, s'agissant des pouvoirs de la gérance de la SARL, la faculté ouverte par le présent projet de loi devrait plus logiquement figurer à l'article L. 223-18 du code de commerce qui détermine de manière générale les prérogatives de la gérance au cours de la vie sociale. La rédaction actuellement proposée différencierait d'ailleurs les modalités de la radiation de la mention de la location dans la société à responsabilité limitée, qui seraient expressément définies, de celles prévues dans la société anonyme, qui ne seraient pas précisées.

Votre commission vous soumet donc deux amendements tendant à étendre le dispositif proposé à l'hypothèse de l'inscription de la mention après signification du contrat de bail à la société et à le transférer à l'article L. 223-18 du code de commerce .

Par un troisième amendement , elle vous propose de supprimer, par coordination, le troisième alinéa de l'article L. 239-10-3 .

Article L. 239-10-5 nouveau du code de commerce
Injonction de procéder à la modification du registre
de titres nominatifs ou des statuts de la société

L'article L. 239-10-5 du code de commerce instaurerait un mécanisme d'injonction sous astreinte afin qu'il soit procédé à la modification du registre de titres nominatifs de la société par actions ou des statuts de la société à responsabilité limitée afin de prendre en compte l'existence du contrat de bail ou sa disparition. Cette injonction serait prononcée par le président du tribunal statuant selon la procédure du référé.

Ce dispositif s'inspire des dispositions figurant aux articles L. 238-1 et suivants du code de commerce qui prévoient diverses injonctions de faire en cas de manquement des organes sociaux à certaines de leurs obligations légales ou statutaires.

Grâce à cette disposition, la délivrance des actions pourra ainsi être réellement assurée, tandis que les documents ou statuts sociaux seront effectivement modifiés afin de prendre en compte la nouvelle situation juridique créée par le recours à un contrat de bail portant sur les actions ou parts sociales de la société.

II. L'exclusion des sociétés d'exercice libéral du dispositif de location d'actions ou de parts social proposé

Le second paragraphe (II) de cet article exclurait le dispositif de la location d'actions ou de parts sociales dans le cadre des sociétés d'exercice libéral créées en application de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales.

Ces sociétés de capitaux, de forme commerciale, sont dotées d'un statut destiné à assurer l'indépendance des professionnels qui exercent au sein de ces structures. Ce statut aménage, en particulier, les relations entre les professionnels membres de ces sociétés ainsi que les règles de détention du capital et de répartition des droits de vote. L'article 45 du projet de loi prévoit, à cet égard, des dispositifs nouveaux tendant à ce qu'il ne puisse pas être porté atteinte à l'indépendance des professionnels concernés par l'effet d'une dispersion des capitaux 53 ( * ) .

Or, cette indépendance pourrait être mise à mal du fait d'une location des actions ou des parts sociales de sociétés d'exercice libéral. En effet, compte tenu des droits qui seraient reconnus au locataire d'actions ou de parts sociales d'une telle société, en application de l'article L. 239-10-1 du code de commerce, l'exercice des droits de vote au sein de la société d'exercice libéral serait nécessairement affecté par la mise en location. Ainsi, la location d'actions ou de parts sociales pourrait conduire, en pratique, au non respect des règles de votes au sein des assemblées d'associés ou d'actionnaires.

Dans ce contexte, l'impossibilité du recours à la location d'actions ou de parts sociales de sociétés à responsabilité limitée apparaît comme un dispositif protecteur pour éviter la dilution du capital et des droits de vote.

Votre commission a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 20 ainsi modifié .

* 34 Clause d'un contrat de vente d'actions ou de parts sociales protégeant le cessionnaire contre les conséquences de la diminution de l'actif social postérieurement à la cession.

* 35 Clause d'un contrat de vente d'actions ou de parts sociales par laquelle le cédant s'engage à supporter les conséquences des dettes sociales afférentes à la période antérieure à la cession mais apparues après celle-ci.

* 36 Entre nue-propriété et usufruit.

* 37 Articles 1659 à 1673 du code civil.

* 38 Articles L. 313-7 à L. 313-11 du code monétaire et financier.

* 39 Articles L. 432-6 à L. 432-10 du code monétaire et financier.

* 40 Les administrateurs communs des sociétés d'un même groupe peuvent profiter de ces participations réciproques pour assurer leur réélection dans chacune des sociétés grâce aux actions détenues par les autres sociétés du groupe.

* 41 L'auto-contrôle est caractérisé lorsqu'une société assure son propre contrôle par l'intermédiaire d'une ou plusieurs sociétés dont elle détient elle-même, directement ou indirectement, le contrôle.

* 42 Article L. 621-19 du code de commerce. Aux termes du projet de loi de sauvegarde des entreprises en cours d'examen en première lecture par le Sénat, cet article serait repris, avec un objet plus étendu, à l'article L. 631-10 nouveau du même code. Voir le rapport n° 335 (Sénat, 2004-2005) de notre collègue Jean-Jacques Hyest, au nom de la commission des lois, p. 331-332.

* 43 Article 849 du code général des impôts : « Les parties qui rédigent un acte sous seing privé soumis à l'enregistrement dans un délai déterminé doivent en établir un double revêtu des mêmes signatures que l'acte lui-même, et qui reste déposé au service des impôts lorsque la formalité est requise. »

* 44 Cet article renvoyant lui-même à l'article L. 211-4 du code monétaire et financier qui dispose que « les titres des sociétés par actions qui ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé (...) doivent être inscrits à un compte tenu chez lui par l'émetteur au nom du propriétaire des titres. »

* 45 Article L. 223-14 du code de commerce. Cependant, la situation du conjoint, des ascendants ou descendants d'un associé est inverse : la cession est en principe libre, sauf si les statuts imposent un agrément dans les conditions de majorité prévues par ce dernier article.

* 46 Article L. 228-23 du code de commerce.

* 47 Lorsque la société ne fait pas appel public à l'épargne et que ses statuts réservent des actions aux salariés, des clauses d'agrément visant ces personnes sont néanmoins autorisées si elles ont pour but d'éviter la cession des actions concernées à des personnes n'ayant pas la qualité de salarié de la société.

* 48 Article 581 du code civil.

* 49 Cour de cassation, ch. commerciale, 31 mars 2004, Bull. civ. IV, n° 70.

* 50 Cour de cassation, ch. commerciale, 4 janvier 1994, Bull. civ. IV, n° 10 ; 22 février 2005, n° 03-17421.

* 51 Il s'agit notamment des comptes annuels ou consolidés, des divers rapports soumis à l'approbation de l'assemblée des actionnaires, du montant des rémunérations (article L. 225-115 du code de commerce), et de la liste des actionnaires (article L. 225-116 du même code).

* 52 Par renvoi aux dispositions de l'article L. 223-30 du code de commerce. Toutefois, compte tenu de l'article 25 du présent projet de loi, cette majorité devrait être réduite aux deux-tiers des parts sociales. Voir infra, le commentaire de l'article 25 du projet de loi.

* 53 Voir le commentaire de l'article 45 du projet de loi.

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