2. Une loi équilibrée mais irrégulièrement appliquée

Votre rapporteur s'est attaché à rencontrer un grand nombre de responsables publics ou privés intéressés, à des aspects divers, aux problèmes posés par la défense de notre langue.

Le sentiment qui prévaut de ces auditions est globalement positif : les dispositions de la loi couvrent bien les différents domaines de la défense de notre langue, et aucun secteur significatif n'a été laissé de côté. En outre, son dispositif traduit une volonté d'équilibre qui a contribué à asseoir l'autorité de la loi et à faciliter son acceptation : très libérale à l'égard de la présentation conjointe de traductions, elle s'efforce de proportionner ses exigences linguistiques à des objectifs de protection des consommateurs, d'information du public, ou de défense des salariés.

Enfin, sa rédaction a su s'élever à un niveau de généralité suffisant pour s'adapter aux évolutions de la société, ou à celles de la technique.

Mais ce constat global positif doit aussitôt être nuancé.

Malgré sa cohérence juridique d'ensemble, la loi du 4 août 1994 reste en pratique inégalement appliquée.

a) Les dispositions relatives à l'information du consommateur

Les dispositions de l'article 2 de la loi qui garantissent au consommateur le droit à une information en français dans la présentation et le mode d'emploi d'un produit ou d'un service méritent une mention particulière.

Ce sont celles qui sont le mieux appliquées , grâce à un mécanisme de contrôle efficace qui confie la sanction des infractions à certains corps de fonctionnaires spécialisés, et notamment aux agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et à ceux de la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDI).

Les statistiques relatives à ces contrôles sont encourageantes : le nombre de contrôles est progressivement passé d'un millier au début des années 90 (sous l'empire de l'ancienne loi de 1975) à dix mille environ en 2002 et 2004. Dans le même temps, le taux d'infraction a été divisé par deux, tombant de 20 % à 10 %.

Les services de la DGCCRF estiment que la majorité des professionnels, et en particulier ceux des secteurs industriels et des services, ont une bonne connaissance de la législation relative à l'emploi de la langue française, et des obligations qu'elle leur impose. Dans l'ensemble, les manquements seraient le plus souvent de faible gravité et donneraient lieu davantage à des rappels de la réglementation qu'à la mise en oeuvre de procédures contentieuses.

En proportion, le nombre des interventions de la Direction générale des douanes et des droits indirects est beaucoup plus limité. Il a cependant fortement progressé sur les trois dernières années, passant de 1 092 en 2002 à 2 284 en 2004. Le nombre des infractions relevées est passé de 31 en 2002 à 39 en 2004 mais reste situé à un taux très marginal.

Alors que les dispositions de l'article 2 de la « loi Toubon » relatives à la protection des consommateurs sont en pratique, celles dont le respect est le mieux assuré, elles font l'objet depuis quelques années entre les autorités françaises et les autorités européennes, d'un débat sur la conciliation entre la libre circulation des marchandises au sein de l'Union et le droit des consommateurs à être informés dans leur langue .

La Commission européenne reconnaît aux Etats membres le droit d'adopter des mesures nationales exigeant que certaines mentions relatives à la désignation et à l'étiquetage des produits soient libellées dans une langue aisément compréhensible par le consommateur, qui peut être la langue nationale. Mais, s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, elle estime que le respect du principe de proportionnalité, qui s'impose aux Etats dans l'exercice de leurs compétences, doit permettre « l'emploi éventuel de moyens alternatifs assurant l'information des consommateurs, tels que des dessins, des symboles ou des pictogrammes. »

Elle ajoute que cette obligation de recourir au français doit être limitée aux mentions auxquelles l'Etat membre attribue un caractère obligatoire et pour lesquelles l'emploi d'autres moyens que leur traduction ne permet pas d'assurer une information des consommateurs appropriée.

Votre rapporteur ne reviendra pas ici sur les étapes successives qui ont ponctué la recherche d'un compromis, et qu'il a exposées en détail dans de précédents rapports 3 ( * ) .

La solution actuellement adoptée par les pouvoirs publics français a consisté dans la publication au Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (BOCCRF) du 26 avril 2005, d'une instruction à l'intention de services de contrôle de la DGCCRF.

Celle-ci prend appui sur l'un des considérants de la décision par laquelle le Conseil d'Etat avait, en juillet 2003, annulé une circulaire précédente en date du 20 septembre 2001. Dans celui-ci, le Conseil avait rappelé qu'il appartenait, « le cas échéant, aux ministres, dans l'hypothèse où des dispositions législatives se révéleraient incompatibles avec des règles communautaires, de donner instruction à leurs services de n'en point faire application ».

L'instruction du 26 avril 2005 se borne en conséquence à recommander aux services de suspendre l'application de l'article 2 de la loi dans les seuls cas où il contreviendrait aux directives communautaires.

La solution qui consiste à écarter, par une instruction ministérielle, l'application d'une disposition législative, dès lors que celle-ci s'avérerait contraire à une norme européenne (dont la valeur est, il est vrai, supérieure à celle des lois, en vertu de l'article 55 de notre Constitution) ne satisfait pas pleinement votre commission, qui la juge cependant acceptable à titre transitoire .

A l'occasion de la discussion de la proposition de loi relative à l'emploi de la langue française, elle a donc invité le Gouvernement français à se rapprocher des nouveaux membres de l'Union européenne qui ont intégré dans leur droit des dispositions législatives proches des nôtres garantissant l'information du consommateur dans sa langue nationale, pour faire évoluer la position des instances européennes .

Elle a réaffirmé pour sa part son attachement au caractère intangible du principe posé par la loi de 1994, et en particulier son article 2.

b) L'application des autres dispositions : un bilan plus nuancé

Les autres dispositions de la loi du 4 août 1994 ne bénéficient pas, comme celle de l'article 2 relatives à la publicité et à l'information du consommateur, de modalités spécifiques de contrôle spécialement confiées à certains corps de fonctionnaires dans l'exercice de leurs missions, et le caractère effectif de leur application s'en ressent.

La proposition de loi adoptée par le Sénat a privilégié deux voies pour y remédier :

- une extension aux associations de consommateurs de la capacité déjà reconnue aux associations de défense de la langue française d'exercer les droits reconnus à la partie civile pour un certain nombre d'infractions à la législation linguistique ;

- un renforcement du contrôle opéré par les différentes administrations concernées , dans leur domaine de compétence.

Votre commission tient en effet à rappeler ici qu'elle déplore vivement le caractère incomplet du rapport que le Gouvernement est tenu, aux termes de l'article 22 de la « loi Toubon », de présenter au Parlement sur l'application de la loi sur l'emploi de la langue française . Celui-ci ne comporte, à de rares exceptions près, aucun compte rendu de la façon dont plusieurs des différents ministères concernés, et notamment celui de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, celui de la justice, ou celui de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, ou encore celui des transports s'acquittent de leur mission de veille dans les secteurs de leur compétence.

Ces raisons ont conduit le Sénat, sur la proposition de votre commission, à compléter l'article 22 de la « loi Toubon » relatif au rapport annuel au Parlement par une phrase invitant les différentes administrations concernées par les dispositions de la loi à y apporter leur contribution et demandant plus particulièrement à la Chancellerie de tracer un bilan des procès-verbaux constatant les infractions à la législation linguistique, précisant la nature et les suites judiciaires qui lui sont réservées, particulièrement dans le cas où les associations agréées ont exercé les droits reconnus à la partie civile.

* 3 - Avis n° 69 - Tome XIV (2002-2003) fait par M. Jacques Legendre au nom de la commission des affaires culturelles sur le projet de loi de finances pour 2003 - Francophonie - p. 37 et sq.

- Avis n° 75 - Tome XII (2004-2005) fait par M. Jacques Legendre au nom de la commission des affaires culturelles sur le projet de loi de finances pour 2005 - Francophonie - p. 38 et sq.

- Rapport n° 27 (2005-2006) fait par M. Jacques Legendre au nom de la commission des affaires culturelles sur la proposition de loi relative à l'emploi de la langue française - p.30 et sq.

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