EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue le mercredi 22 février 2006, sous la présidence de M. Jacques Valade, président, la commission a examiné le rapport pour avis de M. Philippe Richert sur le projet de loi n°2787 (2005-2006), adopté par l'Assemblée nationale, pour l' égalité des chances .

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur pour avis.

Mme Annie David a souligné qu'elle ne partageait pas le point de vue du rapporteur concernant la question de l'apprentissage junior. Elle a notamment regretté que l'on puisse envisager d'orienter dès 14 ans les élèves en difficulté scolaire vers une filière dans laquelle ceux-ci n'ont aucun avenir.

Après avoir estimé que cette mesure était dévalorisante pour la filière de formation et décourageante pour les élèves concernés, elle a souligné que l'apprentissage à 16 ans pouvait toutefois conduire à de véritables réussites professionnelles.

Concernant les 10 % d'apprentis entrant actuellement dans la filière à 15 ans, elle s'est interrogée sur le pourcentage d'entre eux ayant réussi à poursuivre leurs études. Alors que les chances de réussite de l'apprenti augmentent avec son niveau de qualification, elle a en effet indiqué qu'il existait un taux d'échec important au niveau V, laissant par conséquent un nombre important d'élèves sans diplôme.

Estimant que cette mesure constituait une véritable régression sociale conduisant des mineurs à travailler la nuit, elle a souhaité que le ministère de l'éducation nationale encourage plutôt le développement des classes d'initiation préprofessionnelle en alternance (CLIPA) et de la Mission générale d'insertion (MGI), deux dispositifs permettant de redonner aux élèves en difficulté scolaire l'envie d'apprendre et de réussir.

Elle a également suggéré que les maîtres d'apprentissage soient réellement formés pour cette tâche et qu'ils disposent d'un véritable diplôme afin d'être en mesure de concilier la formation de leur élève avec l'intérêt de l'entreprise qui les emploie.

Après avoir souligné l'inadéquation entre la situation géographique des centres de formation des apprentis, souvent situés en milieu rural, et la provenance des élèves, majoritairement urbaine ou péri-urbaine, elle a regretté que les mesures fiscales prévues par le projet de loi bénéficient aux entreprises par le biais de crédits d'impôt et non directement aux apprentis, sous la forme de bourses.

M. Serge Lagauche a félicité le rapporteur pour ses propositions d'amendements et sa présentation de l'apprentissage, filière de formation pouvant devenir une voie d'excellence. Il a toutefois estimé que les principales dispositions du projet de loi demeuraient inacceptables en l'état.

M. Jacques Legendre a regretté que les questions relatives à la formation professionnelle et à l'éducation relèvent de la compétence de deux commissions permanentes différentes au Sénat et a souhaité que cette question soit abordée à l'occasion d'une réforme du règlement de la Haute assemblée.

Après avoir constaté que les chiffres relatifs à l'échec scolaire demeurent au même niveau depuis une trentaine d'années, il a regretté que le projet de loi fasse suite aux troubles intervenus récemment dans les banlieues, donnant ainsi une image négative à l'apprentissage.

Il a affirmé que l'échec des politiques d'éducation successives résultait d'une méprise entre collège unique, filière unique et pédagogie unique. Si précédemment les filières de type 1, de type 2 et de type 3 étaient trop cloisonnées, elles avaient le mérite d'être liées à des pédagogies adaptées à des publics différents. Estimant que le projet de loi réintroduisait finalement un type 3 au sein du collège unique et reconnaissant que cette initiative pouvait s'avérer intéressante dans la mesure où elle s'accompagnerait d'une pédagogie adaptée, il a toutefois précisé qu'il convenait de s'assurer que cette orientation ne soit pas irréversible, mais permette la reprise d'études en vue d'obtenir des qualifications ou des connaissances supérieures.

Il a également souhaité que l'apprentissage demeure un contrat de travail de type particulier. Il a en effet précisé que le contrat de travail offrait plus de garanties qu'un simple stage, formule dont les gouvernements successifs ont abusé dans le but de diminuer les chiffres du chômage.

Il a enfin mis l'accent sur les mesures d'accompagnement du dispositif contenues dans le projet de loi et dont la qualité assurera le succès ou l'échec de l'apprentissage junior.

M. Yannick Bodin a, quant à lui, rappelé que le projet de loi ne portait pas sur la question de l'apprentissage en France mais proposait simplement une mesure vouée à l'échec autorisant l'apprentissage dès 14 ans.

Il a ainsi estimé que les maîtres d'apprentissage auront des difficultés à donner à ces jeunes élèves le goût du travail. A cet égard, il a indiqué que les représentants des chambres de métiers et des chambres de commerce et d'industrie étaient particulièrement inquiets de se retrouver, du fait de cette mesure, dans la position d'éducateurs, de psychologues scolaires ou d'enseignants et de se voir confier une tâche qui n'a pu être réalisée avec succès dans un cadre adapté.

Il a également estimé qu'il était illusoire d'envisager qu'une partie des élèves entrés en apprentissage à 14 ans puisse rejoindre par la suite le cycle de scolarité classique. L'expérience montre en effet que la quasi-totalité des apprentis demeure dans le monde de l'entreprise à l'issue de cette formation professionnelle.

Il s'est ensuite demandé dans quelle mesure ces élèves en grande difficulté scolaire et appelés à ne plus fréquenter le collège pourront acquérir le socle commun défini par la loi « Fillon ».

Il a enfin rappelé que le travail de nuit des enfants était interdit en France depuis 1874 et que l'abrogation de cette mesure par le présent projet de loi constituerait une nouvelle date historique pour la République.

Evoquant l'article 13 relatif à l'implantation de multiplexes cinématographiques dans les zones franches urbaines, Mme Catherine Morin-Desailly a jugé que le dispositif proposé traduisait un mépris du travail de terrain réalisé dans les quartiers concernés. Par ailleurs, elle a qualifié de « gadget » la proposition de réduire de 4 à 2 mois le délai imparti aux commissions compétentes pour autoriser ce type de projet, ceci compte tenu notamment du caractère déjà incitatif des mesures fiscales existantes, et s'est prononcée pour la suppression de l'article 13.

Estimant que les dispositifs en faveur de la culture étaient menacés, elle a souhaité que ceux en faveur de l'éducation à l'image soient développés (notamment dans le cadre des salles d'art et essai) et que les moyens de financement consacrés aux actions culturelles dans ces quartiers soient renforcés.

M. Jacques Valade, président, a précisé que la commission s'était saisie pour avis des dispositions du projet de loi relevant de sa compétence, celles concernant la culture s'avérant modestes.

Il a évoqué, ensuite, l'expérience de la communauté urbaine de Bordeaux, dont les 27 communes se sont accordées sur un moratoire, afin d'éviter l'implantation anarchique de multiplexes cinématographiques. Il a estimé qu'une trop grande libéralisation des créations de multiplexes, comme de zones commerciales d'ailleurs, posait des problèmes d'organisation territoriale et d'aménagement urbain.

Mme Catherine Morin-Desailly a fait alors état d'études du Centre national de la cinématographie (CNC) montrant qu'une gestion correcte de ces implantations pouvait contribuer à créer une dynamique sur l'ensemble du territoire concerné. Puis elle a relevé que le critère retenu par l'Assemblée nationale (la densité en équipements cinématographiques) était par trop réducteur.

Evoquant la situation de Brive-la-Gaillarde, M. Bernard Murat a indiqué que, sans constituer réellement un facteur de cohésion sociale, l'installation d'un multiplexe avait permis parallèlement une dynamique en faveur des salles d'art et essai.

Après avoir rappelé son propre cursus en matière d'apprentissage, il a fait état des niveaux de maturité très divers des jeunes de 14 ans et de certains comportements observés par les élus de terrain. Jugeant « virtuelle » la discussion sur l'apprentissage junior, il a estimé que ce dernier pouvait ouvrir une voie constructive pour les jeunes en échec scolaire.

M. Philippe Richert, rapporteur pour avis , a apporté aux intervenants les éléments de réponse suivants :

- s'agissant de l'implantation de multiplexes cinématographiques, seule disposition du projet de loi concernant le secteur de la culture, il n'apparaît effectivement pas souhaitable de sortir des logiques en vigueur ; l'amendement proposé reviendra donc sur la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale ;

- il est très positif de relever un consensus pour reconnaître que l'apprentissage est une filière de formation à part entière et une voie de réussite ;

- plusieurs conditions devront être réunies pour garantir le succès de la formation d'apprenti junior et prévenir les risques de dérapage ; le texte définit pour cela quelques principes essentiels : l'admission à la formation se fait sur la demande conjointe du jeune et de ses parents ; le retour au sein du collège est possible tout au long de la formation ; la phase initiale, qui se déroule sous statut scolaire, est une année de préparation et de découverte des métiers ; le choix d'un métier ne se fera qu'à partir de l'âge de 15 ans ;

- en outre, la qualité du lien entre l'école et l'entreprise est déterminante pour la réussite du dispositif : ces deux mondes sont encore trop souvent hermétiques l'un à l'autre ; or, assurer une continuité entre les deux par un contact régulier entre le maître d'apprentissage et le formateur référent sera un facteur d'enrichissement mutuel ; cette liaison incitera à une plus grande implication du tuteur en entreprise dans la formation pédagogique, et, réciproquement, une plus grande présence du tuteur pédagogique au sein de l'entreprise ; le suivi de l'apprenti junior sera ainsi renforcé, pour mieux prévenir les difficultés qui pourront se présenter ;

- le système d'apprentissage fonctionne bien en Alsace, où les maîtres d'apprentissage reçoivent une formation spécifique ; à cet égard, le renforcement de la liaison avec le tuteur pédagogique permettra d'assurer un meilleur suivi du maître d'apprentissage ;

- les méthodes pédagogiques sont fondées, dans notre pays, sur une approche théorique et abstraite des savoirs, par exemple pour l'enseignement des mathématiques ; le recours à une approche plus pragmatique, par un contact concret avec les métiers, peut permettre à certains jeunes de retrouver goût et motivation pour les apprentissages ;

- l'apprentissage junior remplace, en l'améliorant, le dispositif des classes d'initiation préprofessionnelle en alternance (CLIPA) ; ces classes ont permis à des jeunes de reprendre confiance et de poursuivre ensuite leur formation en apprentissage ; leur réussite ne doit pas seulement s'apprécier au regard du nombre d'élèves rejoignant ensuite le cursus général.

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Après avoir adopté les amendements proposés par son rapporteur pour avis, la commission a donné un avis favorable à l'adoption du projet de loi pour l'égalité des chances, les groupes socialiste et communiste républicain et citoyen ne prenant pas part au vote.

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