II. RENFORCER LA PRISE EN CHARGE SANITAIRE DES MALADES MENTAUX ET DES TOXICOMANES

Outre les dispositions concernant l'action sociale et le logement, la commission des Affaires sociales s'est saisie du volet du texte relatif à la prise en charge sanitaire des personnes qui, du fait de leur état, peuvent, en l'absence de soins adaptés, s'avérer dangereuses pour elles-mêmes et pour la société : les individus souffrant de troubles psychiatriques (articles 18 à 24 du projet de loi) et les usagers de drogues (articles 27 à 29).

A. AMÉLIORER LE SUIVI DES PERSONNES HOSPITALISÉES D'OFFICE

1. Un dispositif controversé

a) Bref historique de l'hospitalisation sans consentement

La législation française relative à l'hospitalisation sans consentement a pour objectif de concilier efficacement des principes parfois contradictoires : la prise en charge sanitaire des malades mentaux, le respect de la dignité et de la liberté individuelle des personnes internées et le maintien de la sécurité publique.

Elle tire ses fondements de la loi du 30 juin et du 6 juillet 1838 sur les aliénés , qui crée deux catégories de placements : le placement d'office, décidé par le préfet pour les individus dont les troubles affectent l'ordre public ou la sûreté des personnes, et le placement volontaire, décidé par le directeur de l'établissement à la demande d'un tiers pour les aliénés nécessitant un internement thérapeutique. Les malades mentaux étaient donc, dès cette date, pris en charge en fonction de la dangerosité de leur comportement.

Les premières modifications ne sont intervenues qu'avec la loi du 27 juin 1990 relative à l'hospitalisation sans consentement , qui a introduit la possibilité, pour un malade, d'être placé à sa demande . En conséquence, le placement volontaire, rebaptisé « hospitalisation à la demande d'un tiers », est réservé aux personnes dans l'impossibilité de donner leur consentement. Par ailleurs, le préfet est autorisé à hospitaliser d'office les personnes que l'autorité judiciaire a renoncé à poursuivre ou à condamner en raison de leur état mental et qui nécessitent des soins. Ce texte fait suite aux recommandations adoptées par le comité des ministres du Conseil de l'Europe, le 22 février 1983, en matière de sécurité juridique des personnes atteintes de troubles mentaux.

Enfin, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a précisé les conditions de l'hospitalisation d'office : le critère thérapeutique de l'internement est affirmé et l'état du patient doit gravement porter atteinte à l'ordre public.

Les droits des malades internés sans consentement sont également assurés par les textes internationaux, notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966.

Aux termes de la législation actuellement en vigueur, l'hospitalisation d'office constitue donc une mesure de police administrative spéciale dévolue au préfet et, en cas d'urgence, au maire. Ce pouvoir est toutefois largement encadré : ainsi, la décision d'hospitalisation est conditionnée à la production d'un certificat médical. De fait, les progrès de la psychiatrie ont progressivement imposé un impératif de soins , parfois au détriment du critère de sécurité publique.

b) Des problèmes récurrents

Au total, le système français peine aujourd'hui à trouver un équilibre satisfaisant entre une logique purement sanitaire, prônée notamment par le groupe d'évaluation de la loi du 27 juin 1990 2 ( * ) et le rapport de 2001 sur la santé mentale 3 ( * ) , et les impératifs d'ordre public pouvant conduire à des privations abusives de liberté.

Plus récemment, et pour tenter de remédier à cette difficulté, les inspections générales de l'administration (Iga), de la police nationale (IGPN) et de la gendarmerie nationale (IGGN) ont été chargées d'une mission conjointe sur les problèmes de sécurité liés aux régimes d'hospitalisation sans consentement 4 ( * ) . Leur rapport dresse du dispositif français un constat inquiétant : dans la majorité des situations observées, les enjeux de sécurité publique ne sont pas suffisamment pris en compte .

Plusieurs lacunes expliquent, selon les auteurs du rapport, ce bilan sévère, qui varie toutefois d'un département à l'autre :

- une relative confusion dans l'application des procédures d'urgence , qui conduit des personnes dangereuses à être trop souvent prises en charge sous les régimes de l'hospitalisation libre ou à la demande d'un tiers, moins contraignants que celui de l'hospitalisation d'office sur le plan administratif pour les acteurs de terrain ;

- une difficulté, pour de nombreux préfets, à accomplir les missions qui leur sont dévolues dans le domaine de l'hospitalisation sans consentement. Cette situation s'explique notamment par le contrôle insuffisant exercé par la Ddass , véritable cheville ouvrière du dispositif en tant qu'interlocutrice principale des autorités sanitaires et administratives, sur les personnes hospitalisées. De fait, le préfet ne dispose souvent pas des informations nécessaires à la prise des décisions qui lui reviennent ;

- enfin, une évolution de la psychiatrie peu favorable à l'internement, qui privilégie désormais les soins ambulatoires et l'hospitalisation en milieu ouvert, parfois au mépris de la dangerosité de certains individus.

Forte de ce constat, la mission confiée aux inspections a proposé une série de modifications de la législation relative à l'hospitalisation sans consentement, dont plusieurs ont été reprises par le présent projet de loi.


Les propositions du rapport de mai 2004

1. Donner plus de cohérence au dispositif des hospitalisations sous contrainte en :

- instaurant des mesures initiales d'hospitalisation par le maire ou le préfet et une phase d'observation et de diagnostic de soixante-douze heures minimum permettant de confirmer ou d'infirmer la décision prise ;

- instituant une obligation de soins, qui remplacerait l'actuelle hospitalisation à la demande d'un tiers, distincte de l'hospitalisation d'office. Aucune superposition ne serait par ailleurs possible entre les deux régimes, les personnes dangereuses ne pouvant être prises en charge que sous contrainte, même si le passage de l'un à l'autre demeurerait envisageable ;

- supprimant les incohérences du régime d'hospitalisation des personnes dangereuses à l'encontre desquelles les poursuites pénales ont été abandonnées ;

- aménageant les régimes d'hospitalisation des détenus atteints de troubles mentaux afin de mieux protéger l'ordre public.

2. Faciliter le travail des acteurs de terrain en :

- renforçant le rôle du maire, qui serait désormais chargé, en premier chef, des décisions initiales d'hospitalisation d'office ;

- instituant une procédure d'alerte par les psychiatres de secteur ;

- permettant l'accès au domicile du malade pour faciliter la mise en oeuvre des mesures initiales d'hospitalisation d'office ;

- clarifiant les responsabilités en matière de transport des malades : les équipes sanitaires, et non plus les forces de l'ordre, en seraient ainsi chargées ;

- mettant un terme à l'extra-territorialité des aéroports de Roissy-Charles-de-Gaulle et du Bourget pour en restituer la responsabilité au département de Seine-Saint-Denis en matière d'hospitalisation d'office.

3. Renforcer la prise en compte des impératifs de sécurité publique aux stades de l'instruction et de la décision administratives en :

- confiant la compétence en matière d'hospitalisation d'office au directeur de cabinet du préfet ;

- enrichissant les informations contenues dans les dossiers présentés à l'autorité préfectorale pour signature ;

- reconnaissant au préfet le pouvoir de demander des contre-expertises médicales des personnes hospitalisées ;

- créant un fichier national des hospitalisations d'office pour mieux exploiter les informations disponibles, notamment dans le domaine de la législation sur les armes.

4. Améliorer les modalités d'hospitalisation dans la perspective d'une meilleure prise en compte des impératifs de sécurité publique en :

- réorganisant le régime des sorties d'essai ;

- appliquant plus rigoureusement les règles relatives aux autorisations de sortie de courte durée des personnes hospitalisées d'office ;

- définissant la notion de fugueur et en prévoyant les moyens de réaction appropriés ;

- précisant les limites géographiques des établissements afin de n'autoriser leur franchissement qu'aux titulaires d'autorisation.

* 2 Rapport de Mme Hélène Strohl. Septembre 1997.

* 3 Rapport des docteurs Eric Piel et Jean-Luc Roelandt. De la psychiatrie vers la santé mentale. Juillet 2001.

* 4 Rapport de l'Iga, de l'IGPN et de l'IGGN. Mai 2004.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page