C. LES EFFETS PERVERS DE LA LOLF, UN MODE DE GESTION PARFOIS EXCESSIVEMENT COMPLEXE ET RIGIDE

1. L'arrondissement judiciaire, acteur oublié de la gestion déconcentrée des crédits

La mise en oeuvre de la LOLF s'est traduite par une redistribution des rôles entre l'administration centrale, les cours d'appel et les arrondissements judiciaires.

Depuis le 1 er janvier 2006, les chefs de cour d'appel assument, dans le cadre d'un budget opérationnel de programme (BOP), la gestion de l'intégralité des moyens alloués aux juridictions situées dans le ressort de leur cour dans le cadre d'une enveloppe globale 49 ( * ) . Le décret n° 2006-806 du 6 juillet 2006 50 ( * ) , complété par un arrêté du 10 octobre 2007, a étendu le champ de leurs prérogatives aux très petites opérations immobilières ainsi qu'à toutes les dépenses d'investissement et d'études se rapportant aux opérations mobilières .

La préparation du budget se déroule en plusieurs étapes. Les projets de budget sont établis à l'issue d'un cycle de conférences budgétaires régionales organisées dans les différentes juridictions du ressort. Ces conférences consistent à discuter les demandes budgétaires et à vérifier leur justification. Ainsi, dans le ressort de Lyon, 7 conférences budgétaires se sont tenues entre avril et juin 2007, comme l'ont expliqué à votre rapporteur pour avis le premier président et le procureur général de cette cour.

Puis, les chefs de cour d'appel sont reçus par le directeur des services judiciaires dans le cadre des dialogues de gestion, à l'issue desquels les arbitrages sont rendus et l'enveloppe budgétaire notifiée aux responsables de BOP. Ces responsables organisent ensuite la répartition des crédits entre les juridictions du ressort. A l'exception des crédits de personnel gérés au niveau du service administratif régional, les juridictions disposent en théorie d'une certaine autonomie de gestion.

Votre rapporteur pour avis a pu constater que la mise en oeuvre de ces règles donnait lieu à un bilan contrasté.

Les conditions d'exécution budgétaire entre l'administration et les cours d'appel se sont notablement améliorées par rapport à l'année dernière .

L'administration centrale qui avait fait preuve d'une excessive prudence en 2006 a accordé une plus grande confiance aux cours d'appel en leur délégant rapidement leurs crédits. Ainsi, une majorité de cours d'appel s'est vu notifier 90 % de la masse salariale, 100 % des crédits de fonctionnement et 90 % de l'enveloppe allouée au titre des frais de justice dès le 1 er février, et au plus tard au 1 er mars.

Le « fléchage » des crédits s'est amoindri, comme ont pu le confirmer les représentants du SAR de Lyon rencontrés par votre rapporteur pour avis.

Une ombre au tableau demeure toutefois, la fongibilité des crédits ayant été cette année encore quasi-inexistante 51 ( * ) . En 2006, le programme justice judiciaire n'avait en effet pu donner lieu à la fongibilité en raison de la « modicité des crédits » alloués aux dépenses de personnel non utilisés en fin d'année. Selon le ministère de la justice, la situation ne devrait pas être sensiblement différente en 2007.

Il n'a donc pas été possible de redistribuer les crédits de rémunération des personnels sur d'autres postes de dépenses, ce qui a réduit les marges de manoeuvre des gestionnaires et toute possibilité de piloter véritablement les BOP. Le premier président de la cour d'appel de Lyon, M. Pierre Vittaz, a confirmé cet état de fait, après avoir expliqué qu'à l'exception de l'affectation des personnels placés et des crédits de vacations, la cour d'appel n'avait disposé d'aucune souplesse en matière budgétaire .

Le directeur délégué du SAR de la cour d'appel de Lyon, M. Michel Cramet, a au surplus ajouté que depuis 2006, le budget particulièrement contraint alloué à ce ressort apparaissait comme une régression au regard des conditions favorables dont la cour avait bénéficié lors de l'expérimentation de la LOLF menée entre 2004 et 2006.

Le mécontentement des tribunaux de grande instance est encore plus patent que dans les cours d'appel. Ces juridictions ont en effet le sentiment de ne pas avoir retiré les bénéfices qu'il était possible d'attendre de la LOLF .

Les chefs des tribunaux de grande instance de Lyon et de Nanterre rencontrés par votre rapporteur pour avis ont souligné que l'entrée en vigueur de la LOLF avait conduit à leur retirer toute capacité de peser sur les choix de la cour d'appel et à les réduire à une simple force de proposition. La gestion des crédits ne relève en effet plus que très marginalement des juridictions de première instance.

Ainsi, Mme Francine Levon-Guérin, présidente par interim du tribunal de grande instance de Nanterre, a indiqué à votre rapporteur pour avis que la cellule de gestion située dans l'arrondissement judiciaire dépend désormais principalement de la cour d'appel et du SAR. Ce service gestionnaire qui ne gère pas la masse salariale n'a plus qu'une maîtrise très partielle du budget des tribunaux de grande instance (environ 20 % des crédits). Le président et le procureur de la République du tribunal de grande instance de Dijon ont dressé le même constat.

En outre, les juridictions de première instance estiment que les progrès tangibles dans le domaine des frais de justice, n'ont pas été récompensés. Ainsi, le tribunal de grande instance de Nanterre a réalisé une économie de 1,4 million d'euros sur le poste des frais de justice mais n'a pour autant pas obtenu un abondement équivalent sur un autre poste de dépenses, contrairement à ce que la fongibilité des crédits rendue possible par la LOLF pouvait laisser espérer.

Comme l'a souligné le procureur de la République de Nanterre, M. Philippe Courroye, les juridictions de première instance n'ont aucun retour de la part de la cour d'appel sur les efforts accomplis. Cet interlocuteur a suggéré que des rapports d'exécution soient élaborés par le SAR pour prendre acte des économies réalisées par les juridictions du ressort, ce qui favoriserait une meilleure reconnaissance du travail des personnels judiciaires.

Enfin, les conditions dans lesquelles les crédits ont été délégués aux tribunaux de grande instance par les cours d'appel ne sont pas satisfaisantes. Il semble en effet que, comme l'administration centrale l'année dernière, les cours d'appel fassent preuve de frilosité et hésitent à donner une certaine marge de manoeuvre aux juridictions de première instance.

Ainsi que l'a expliqué la présidente par interim du tribunal de grande instance de Nanterre, les autorisations de crédits ont été accordées de manière parcellaire, entraînant un manque de visibilité dans la disponibilité de la dépense. Ces pratiques ont conduit à reproduire le schéma ancien selon lequel les crédits sont débloqués en fin d'année avant la fin de la clôture de l'exercice budgétaire, obligeant les juridictions de première instance à dépenser dans la précipitation la masse de crédits restante, contrairement au principe de responsabilisation des gestionnaires posé par la LOLF.

Votre rapporteur pour avis a constaté que la mise en oeuvre de la LOLF avait indiscutablement créé une distance entre l'arrondissement et la cour d'appel qui pourrait se révéler contre-productive .

Il importe donc que les chefs de cour d'appel accordent une plus grande marge de manoeuvre aux juridictions de première instance et soient davantage à leur écoute. A défaut, une démobilisation des personnels des juridictions qui ont pourtant démontré leur capacité à se responsabiliser est à craindre. Comme l'a souligné M. Pierre Garbit, président du tribunal de grande instance de Lyon, les personnels ont le sentiment d'avoir fourni des « efforts à sens unique ».

M. Léonard Bernard de la Gâtinais, directeur des services judiciaires, a indiqué, au cours de son audition par votre rapporteur, que la LOLF avait placé les cours d'appel au coeur de la gestion des juridictions et amoindri ainsi le rôle des juridictions de première instance dans ce domaine. Il lui a semblé néanmoins que les dialogues de gestion entre la cour d'appel et les juridictions de première instance situées dans son ressort, pourraient permettre de valoriser encore davantage l'arrondissement judiciaire.

2. L'ETPT, une notion encore floue pourtant lourde de conséquences pour le fonctionnement des juridictions

Le passage de la notion d'effectif budgétaire à celle de plafond d'emplois exprimé en équivalent temps plein travaillé (ETPT) s'est révélé particulièrement délicat.

L'ETPT correspond aux effectifs physiques pondérés par la quotité de travail des agents, leur position administrative et la date d'entrée et sortie des personnels au cours de l'année. Ce concept constitue un enjeu essentiel pour les juridictions car il détermine les ressources humaines disponibles des tribunaux. Cette notion présente l'avantage de donner une image fidèle des effectifs effectivement présents dans les juridictions. Elle soulève cependant de nombreuses difficultés dans son application.

La définition d'un ETPT se révèle complexe et génère un sentiment de confusion dans les juridictions .

Comme l'ont indiqué les représentants du SAR de Lyon rencontrés par votre rapporteur pour avis, cette notion, mouvante, évolue régulièrement au gré des instructions de l'administration centrale. A Lyon, le responsable de la gestion des ressources humaines a indiqué que la définition retenue par la trésorerie générale était différente de celle retenue par le ministère de la justice.

Le ministère de la justice, pour sa part, a indiqué que le décompte des ETPT était difficile à établir pour les juridictions, faute d'outils appropriés et d'une bonne compréhension de ce concept nouveau. M. Michel Cramet, directeur délégué du SAR de Lyon, a confirmé que le changement du mode de comptage des emplois avait entraîné une perte de repères dans les juridictions. En outre, le directeur des services judiciaire a précisé que la tenue d'une comptabilité des entrées et sorties des personnels avait été un exercice délicat pour les SAR peu familiers de ce mode de gestion. Celui-ci a cependant ajouté que ces services semblaient désormais avoir bien intégré ce concept.

S'agissant du mode de calcul retenu, des problèmes méthodologiques ont été signalés. Le ministère de la justice évalue en effet les besoins des juridictions en ETPT à la fin du premier semestre à un moment où les effectifs sont au niveau le plus bas du fait des mouvements de mutation. Le secrétaire général du parquet général près la cour d'appel de Lyon, M. Olivier Etienne, a indiqué qu'il existait un décalage grandissant entre l'analyse de l'administration centrale et les juridictions sur les besoins en effectifs de fonctionnaires des juridictions . En outre, les besoins en ETPT sont calculés à un niveau inférieur aux indications fournis par l'application informatique OUTILGREF -qui ne prend pourtant en compte que l'activité judiciaire.

Les juridictions ont en outre le sentiment qu'une « évaporation » des effectifs s'est produite lors de la mise en oeuvre de la LOLF. Comme l'a expliqué le ministère de la justice à votre rapporteur pour avis, il semble que le gouvernement lors de la détermination des plafonds d'emplois n'ait pas pris en compte la particularité du corps des fonctionnaires des services judiciaires.

En effet, l'institution judiciaire, fortement féminisée, compte de nombreux postes à temps partiel toutes catégories de fonctionnaires confondues 52 ( * ) (près de 23 % pour l'année 2005). Or, la mise en oeuvre de la LOLF a conduit à une stricte correspondance entre les effectifs et la quotité de travail effectivement travaillé, sans aucune pondération.

Cette situation a suscité une grande incompréhension dans les juridictions, accentuée par un manque d'explication de la part de l'administration centrale.

Cette perception est au surplus amplifiée par le projet de loi de finances pour 2008 qui fixe un plafond d'emplois en diminution (- 952 ETPT) par rapport à 2007, en raison de « correctifs techniques » opérés par le ministère chargé du budget. Les représentants de l'union syndicale autonome justice (USAJ) entendus ont dénoncé cet état de fait, qui apparaît en décalage avec les annonces du garde des sceaux relatives aux créations d'emplois. Lors de son audition, le conseiller budgétaire du garde des sceaux a expliqué que le gouvernement avait décidé de retirer du plafond d'emplois les postes vacants qui n'étaient plus financés.

Enfin, pour certains acteurs de l'institution judiciaire, la notion d'ETPT porte en germe des effets pervers en banalisant la possibilité de recourir au recrutement de vacataires 53 ( * ) pour pallier la pénurie chronique de fonctionnaires .

Ce problème a été particulièrement mis en lumière par la présidente par intérim du tribunal de grande instance de Nanterre, Mme Francine Levon-Guérin. Cette interlocutrice s'est inquiétée de ce que la justice recourt de plus en plus souvent à des non professionnels non assermentés. Elle a souligné les limites d'un système où à peine formés, ces personnels temporaires quittaient les juridictions. Ce haut magistrat a en outre souligné que cette évolution était contradictoire avec la volonté récemment affirmée par le garde des sceaux de spécialiser la justice.

Dans le même sens, le responsable de FO magistrats a souligné que la LOLF conduisait à méconnaître les spécificités du métier de magistrat, après avoir fait valoir que les assistants de justice, rémunérés sur les crédits alloués aux vacataires 54 ( * ) , étaient de plus en plus sollicités pour accomplir des tâches quasi-juridictionnelles (traitement du contentieux économique et financier dans les JIRS). Votre rapporteur pour avis a en effet pu constater que certains assistants de justice, au tribunal de grande instance de Dijon, assuraient le contrôle des comptes des tutelles en renfort des juges des tutelles, débordés.

Il est regrettable que l'annexe justice du projet de loi de finances ne présente aucune information sur les emplois de vacataires et le montant des dépenses de rémunération de ces personnels.

* 49 Qui finance les dépenses de fonctionnement, les dépenses de rémunération des personnels (titulaires, contractuels, intervenant rémunéré à l'acte), ainsi que les frais de justice.

* 50 Relatif aux compétences dévolues en qualité d'ordonnateurs secondaires aux premiers présidents et procureurs généraux de cour d'appel.

* 51 Ce qui signifie que les dépenses allouées aux BOP peuvent être redéployées, sous réserve du caractère asymétrique de la fongibilité des crédits de personnel. Si ces crédits peuvent être redéployés vers d'autres catégories de dépenses (fonctionnement, intervention ou investissement), l'inverse n'est pas possible, le montant des crédits de personnels fixés dans le cadre de l'enveloppe globale du BOP par le responsable de programme étant limitatif.

* 52 Alors que l'aménagement du temps de travail des agents publics ne concerne que 10 % des effectifs réels dans toute la fonction publique.

* 53 Le plafond des ETPT limitatif encadre l'emploi de tous les personnels rémunérés par la mission, y compris les vacataires et les contractuels. Avant 2006, les vacataires et les contractuels n'étaient pas comptabilisés parmi les effectifs des juridictions.

* 54 Au 1 er juillet 2007, on dénombrait près de 1.250 assistants de justice, recrutés par contrat pour deux ans, renouvelables deux fois. Ils exercent leur fonction à temps partiel.

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