II. LE PROJET DE LOI : UN TEXTE HISTORIQUE

Par plusieurs aspects, le présent projet de loi est historique :

- depuis la loi du 28 Germinal An VI, soit 1798, aucune loi n'avait été adoptée sur l'organisation et les missions de la gendarmerie.

- il procède au rattachement de la gendarmerie au ministre de l'intérieur ;

- en matière d'ordre public, il supprime pour la gendarmerie le principe datant de la Révolution française de la réquisition des forces armées ;

- il abroge le décret du 20 mai 1903, véritable charte de la gendarmerie depuis plus d'un siècle (article 8) .

Ce projet de loi très court - dix articles comparés aux 324 articles du décret du 20 mai 1903 - prévoit une entrée en vigueur le 1 er janvier 2009 (article 9) . Toutefois, compte tenu de l'ordre du jour parlementaire, cette date peut être considérée comme caduque.

A. LE RATTACHEMENT AU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR DANS LE RESPECT DU STATUT MILITAIRE

1. Une rupture historique

Depuis l'origine, la gendarmerie nationale est placée sous l'autorité du ministre de la défense en sa qualité de force armée.

Le projet de loi rompt avec cette tradition et place la gendarmerie nationale sous l'autorité du ministre de l'intérieur (article 1 er ) . Simultanément, le projet de loi de finances pour 2009 transfère la responsabilité du programme budgétaire « Gendarmerie nationale » au ministre de l'intérieur. La mission « Sécurité » qui était une mission interministérielle deviendra une mission ministérielle à compter du 1 er janvier 2009.

Le ministre de l'intérieur sera à la fois l'autorité organique, fonctionnelle et budgétaire de l'arme. Il aura la responsabilité de son organisation, de sa gestion, de sa mise en condition d'emploi et de l'infrastructure militaire.

Toutefois, comme l'a indiqué Mme Bernadette Malgorn, secrétaire général du ministère de l'intérieur, ce passage de la gendarmerie sous l'autorité principale du ministre de l'intérieur est l'aboutissement d'une évolution amorcée en 2002 lorsque la gendarmerie lui fut rattachée pour emploi pour l'exercice des missions de sécurité intérieure - M. Hervé Morin, ministre de la défense, estime même que la véritable rupture est intervenue en 2002. Un nouveau stade fut franchi en 2007 lorsque le ministre de l'intérieur se vit attribuer conjointement avec le ministre de la défense la responsabilité de définir les moyens budgétaires de la gendarmerie et d'en assurer le suivi.

2. L'affirmation de l'autorité des préfets sur la gendarmerie

Le projet de loi tire les conséquences du rattachement au ministre de l'intérieur en le déclinant au niveau local. A cette fin, il tend à placer sans ambiguïté les responsables locaux de la gendarmerie - les commandants de groupement - sous l'autorité des préfets de département (article 3) . Cette autorité ne s'exercerait toutefois qu'en matière d'ordre public et de police administrative, la police judiciaire relevant de l'autorité judiciaire.

L'affirmation de l'autorité du préfet de manière aussi claire est importante, même si l'essentiel du chemin a déjà été fait par la loi n° 2003-239 du 18 mars pour la sécurité intérieure. Elle dispose que les préfets dirigent l'action de la police et de la gendarmerie nationales dans le département et que celles-ci doivent lui rendre compte de l'exécution de leurs missions.

Lors de son audition par les commissions, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, des collectivités territoriales et de l'outre-mer, a d'ailleurs déclaré que le projet de loi ne changerait rien à la nature des relations actuelles entre les préfets et la gendarmerie dans le département.

3. Le maintien du statut militaire

Le rattachement organique et fonctionnel de la gendarmerie au ministre de l'intérieur s'accompagne d'une réaffirmation de son statut militaire et de certaines de ses particularités.

Très classiquement, le projet de loi dispose que la gendarmerie est une force armée comme le sont l'armée de terre, l'armée de l'air et la marine (article 1 er ) . A ce titre, elle participe « à la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la nation ». Cette expression permet de viser l'ensemble du spectre des missions militaires, en particulier les opérations extérieures. Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, a rappelé son souhait que tous les officiers de gendarmerie participent à une opération extérieure au moins.

Pour l'exécution des missions militaires, le ministre de la défense restera compétent (article 1 er ) . Certaines unités de gendarmerie continueront d'ailleurs d'être sous son autorité, en particulier les gendarmeries spécialisées que sont la gendarmerie de la sécurité des armements nucléaires, la gendarmerie de l'armement, la gendarmerie des transports aériens, la gendarmerie de l'air et la gendarmerie maritime. En outre, le ministre de la défense demeurera seul compétent en matière de discipline (article 1 er ) et de formation initiale. M. Hervé Morin, ministre de la défense, a ainsi précisé que l'école des officiers de gendarmerie resterait une école militaire et que les officiers de gendarmerie seraient toujours recrutés à la sortie des grandes écoles militaires (Saint-Cyr, Navale et école de l'Air).

Le projet de loi consacre également l'obligation du logement en caserne qui est l'une des principales particularités de la gendarmerie, tant vis-à-vis de la police nationale que des autres forces armées. Le logement en caserne constitue un des éléments essentiels de l'identité des gendarmes . Il est aussi une condition indispensable au fonctionnement de la gendarmerie qui repose sur un maillage territorial très dense et déconcentré, lequel impose en retour une disponibilité particulière et donc une capacité de mobilisation immédiate (article 5) .

Enfin, le rôle de la réserve de gendarmerie fait l'objet d'une reconnaissance particulière dans le code de la défense tout en continuant à relever du cadre juridique de la réserve militaire. Rappelons que la réserve opérationnelle de gendarmerie se compose de 25.000 personnes qui contribuent au quotidien aux missions de la gendarmerie (article 5) .

4. Une triple tutelle qui subsiste

Depuis l'origine, la gendarmerie est placée sous une forme de triple tutelle même si celle du ministre de la défense est naturellement prédominante.

Le projet de loi ne remet pas en cause ce schéma tripolaire, mais il place la gendarmerie sous la tutelle prédominante du ministre de l'intérieur (article 1 er ). L'autorité judiciaire et le ministre de la défense conservent toutes leurs attributions pour les missions de la gendarmerie qui les concernent.

Le ministre de l'intérieur ne pourra donc pas restreindre à son profit les moyens de la gendarmerie utilisés par l'autorité judiciaire ou le ministre de la défense. Ainsi, s'agissant des opérations extérieures, il n'est pas imaginable que le ministre de l'intérieur refuse les moyens demandés par le ministre de la défense, d'autant que la décision d'envoyer une force armée à l'étranger relève nécessairement d'un arbitrage du président de la République et du Premier ministre.

Le ministre de l'intérieur ne gèrera pas unilatéralement la gendarmerie. Il devra systématiquement consulter ses collègues sur les questions les intéressant, faisant ressortir ainsi la vocation interministérielle de la gendarmerie.

Rappelons que l'article 66 du décret du 20 mai 1903 dispose qu'« en plaçant la gendarmerie auprès des diverses autorités pour assurer l'exécution des lois et règlements émanés de l'administration publique, l'intention du Gouvernement est que ces autorités, dans leurs relations et dans leur correspondance avec les chefs de cette force publique, s'abstiennent de formes et d'expressions qui s'écarteraient des règles et principes posés dans les articles ci-dessous, et qu'elles ne puissent, dans aucun cas, prétendre exercer un pouvoir exclusif sur cette troupe, ni s'immiscer dans les détails intérieurs de son service. »

5. Une compétence partagée : la gestion des ressources humaines

La gestion des ressources humaines est exemplaire à cet égard. C'est d'ailleurs le seul domaine qui fasse l'objet d'un développement dans le projet de loi. Il dispose que le ministre de la défense participe à la gestion des ressources humaines et exerce la discipline à l'égard des personnels militaires de la gendarmerie (article 1 er ) . Il sera également compétent en matière de formation initiale.

En outre, certaines compétences seraient exercées conjointement ou alternativement en fonction des missions concernées (articles 1 er et 6) .

Ce découpage fin des compétences peut toutefois apparaître assez théorique tant il est parfois difficile de faire la part, par exemple, entre l'avancement et la discipline.

Fort heureusement, ces difficultés de coordination au quotidien devraient être en grande partie éliminées par le fait que la direction générale de la gendarmerie nationale continuera à exercer ces différentes missions pour le compte des deux ministres.

Pour nuancer également la portée du changement, il faut rappeler que depuis 2002, cette cogestion existe déjà ; le ministre de la défense prend formellement les décisions, mais le ministre de l'intérieur est systématiquement consulté.

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