2. Des difficultés de paiement observées dès le mois de juin

• Des difficultés de paiement plus importantes et plus précoces

Les syndicats de magistrats et de fonctionnaires du ministère de la justice entendus par votre rapporteur ont souligné que l'année 2009 avait vu réapparaître des difficultés de paiement des frais de justice dans certaines juridictions, dès le mois de juin.

La cour d'appel de Versailles avait ainsi épuisé dès le 28 mai 2009 les crédits annuels destinés à payer les frais de justice. Le premier président et le procureur général près cette cour ont donc dû solliciter de la chancellerie l'allocation de crédits complémentaires.

Le président du tribunal de grande instance de Bobigny et le procureur près ce tribunal ont également indiqué à votre rapporteur qu'en 2009, la Cour d'appel de Paris avait connu des difficultés de paiement des frais de justice dès le mois de juin, alors que ces difficultés n'étaient apparues, en 2008, qu'à partir du mois de septembre. Ils ont estimé que ces difficultés pouvaient aboutir à une paralysie de l'institution judiciaire, qui ne pourrait, faute de rémunérer les prestataires de services, faire procéder aux expertises et analyses indispensables à certaines enquêtes.

Aussi la gestion des frais de justice mérite-t-elle une analyse approfondie.

Cette situation conduit à s'interroger sur les modalités de suivi des dépenses relatives aux frais de justice. Les magistrats de la cour d'appel de Bordeaux, rencontrés par votre rapporteur, ont en effet estimé que la mise en place d'un circuit de paiement centralisé des frais de justice, visant à assurer un paiement plus rapide des factures, pouvait également entraîner un épuisement plus rapide des crédits.

Mme Dominique Lottin, directrice des services judiciaires, a indiqué que 414 millions d'euros de crédits avaient été délégués pour le paiement des frais de justice en 2009, pour 409 millions d'euros inscrits dans la loi de finances initiale.

Elle a souligné que le nouveau circuit de paiement permettait le règlement dans un délai de deux à trois semaines des frais de justice d'un montant inférieur à 150 euros, soit près de 80 % des mémoires de frais de justice. La mise en oeuvre de ce circuit de paiement réaménagé aurait donc provoqué un effet d'entonnoir asséchant les crédits alloués aux juridictions.

Confirmant cet effet d'accélération de la dépense, M. Gilbert Azibert, secrétaire général du ministère de la justice, a précisé qu'en 2009, l'augmentation du nombre d'affaires poursuivables avait également entraîné une progression des frais de justice. Il a expliqué que le recours croissant de la justice à la preuve intangible que peut constituer une analyse génétique et le coût élevé de certaines techniques, comme la « géolocalisation » à partir d'une téléphone mobile, renforçaient cette tendance à l'augmentation.

Par ailleurs, les syndicats de fonctionnaires du ministère de la justice entendus par votre rapporteur ont relevé l'impact que devrait avoir sur les dépenses de frais de justice la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs.

En effet, cette loi pose le principe d'une révision quinquennale de la mesure de protection, à l'issue de la première période du régime de protection. Pour les mesures de protection en cours, elle prévoit une révision de chaque mesure avant le 1 er janvier 2012. A défaut, la mesure prononcée sera caduque de plein droit.

Cette réforme doit donc induire un nombre très important d'examens médicaux (environ 700.000 mesures de protection sont en cours). Or, le décret n° 2008-1485 du 22 décembre 2008 fixe désormais le tarif du certificat médical à 150 euros pour l'ouverture d'une mesure de protection.

La Chancellerie estime toutefois que le coût de ces certificats médicaux ne s'imputera que partiellement sur les frais de justice, puisque l'examen médical de tutelle est en principe à la charge de la personne protégée ou de sa famille. Les syndicats entendus par votre rapporteur ont néanmoins souligné que de nombreuses personnes protégées n'auraient pas les moyens de prendre en charge le coût de ces actes.

• Le suivi du paiement des frais de justice

Le ministère de la justice a indiqué à votre rapporteur qu'en l'état, il ne disposait pas d'outils permettant d'évaluer avec précision le nombre et le montant des mémoires de frais en cours de règlement.

Cependant, les frais de justice font l'objet d'un suivi mensuel au niveau du programme, grâce aux restitutions obtenues au moyen des applications « INDIA dépenses » et FRAIJUS. L'application FRAIJUS permet ainsi d'avoir une vision sur le niveau des engagements.

Selon la Chancellerie, ce suivi de la dépense permet, à partir de la fin du 1 er semestre, d'abonder en frais de justice les BOP dont la consommation prévisionnelle dépasserait l'enveloppe allouée en début d'exercice ou au contraire, de faire « remonter » des crédits qui ne pourraient être consommés, afin de redistribuer, cette dernière situation se révélant toutefois plus rare.

Pour procéder aux abondements, une réserve en frais de justice a été constituée en début d'exercice 2009 au niveau du programme. D'un montant de 35 millions d'euros, elle a été entièrement déléguée aux BOP, prioritairement pour la couverture des charges à payer de l'exercice 2008.

Le pilotage des crédits par les responsables de BOP s'effectue de manière identique.

Le suivi des dépenses payées par les régies ou mandatées par le service administratif régional est effectué chaque mois, avec pour objectif, s'agissant plus particulièrement des régies, d'éviter toute rupture des paiements. Une réserve régionale peut être constituée à cet effet au niveau des BOP, en particulier pour s'assurer de la disponibilité de crédits en vue de la couverture des frais de justice au titre des procès d'assises organisés au dernier trimestre.

Après trois exercices sous format LOLF, le ministère de la justice considère que le bilan de la gestion budgétaire des frais de justice reste plutôt positif. Le plan de maîtrise des frais de justice a permis de modérer leur croissance à qualité constante, sans entraver la liberté de prescription.

Consommation des frais de justice
à l'échelle des budgets opérationnels de programme en 2007 et 2008 (en euros)

Budget opérationnel de programme (BOP)

Consommation 2007

Consommation 2008

BOP central des services judiciaires

20 434 178,48

18 589 686,97

Cour de cassation

244 909,00

261 807,80

Conseil supérieur de la magistrature

0,00

0,00

Casier judiciaire national

2 080 236,99

1 930 505,88

Ecole nationale des greffes

0,00

0,00

Sous total hors cours d'appel et tribunaux supérieurs d'appel

22 759 324,47

20 782 000,65

Agen

3 530 725,90

3 899 999,19

Aix-en-Provence

35 259 971,11

33 685 090,31

Amiens

9 124 057,72

10 452 747,90

Angers

5 575 074,64

6 851 380,14

Basse-Terre

1 847 785,01

2 241 846,53

Bastia

4 164 665,75

3 986 319,82

Besançon

4 700 422,55

5 054 352,87

Bordeaux

15 784 934,61

16 356 940,77

Bourges

3 537 130,52

3 780 967,65

Caen

6 053 564,29

6 385 209,18

Chambéry

4 867 776,90

5 642 593,52

Colmar

8 495 663,12

9 095 886,72

Dijon

4 845 467,16

5 531 434,42

Douai

21 813 665,98

22 944 663,88

Fort de France

3 892 860,27

3 980 440,89

Grenoble

8 338 634,15

9 265 161,85

Limoges

3 104 907,93

3 075 202,16

Lyon

14 774 936,90

15 321 916,31

Mayotte

409 995,11

385 449,52

Metz

4 578 990,19

5 037 526,48

Montpellier

10 995 972,31

12 266 607,20

Nancy

6 347 724,86

6 305 567,09

Nîmes

9 049 120,29

10 654 852,16

Nouméa

1 233 896,31

1 577 036,84

Orléans

5 847 212,89

7 160 873,06

Papeete

1 394 460,86

1 315 119,31

Paris

74 698 881,71

75 036 254,45

Pau

6 263 851,40

8 316 835,66

Poitiers

7 951 898,22

7 700 013,15

Reims

6 075 941,95

6 105 105,48

Rennes

16 067 585,48

17 133 865,57

Riom

6 527 133,81

6 650 005,88

Rouen

9 650 295,66

9 535 038,54

Saint-Denis

2 451 224,00

2 590 996,00

Saint-Pierre et M

31 476,84

47 191,59

Toulouse

10 042 940,62

9 907 231,96

Versailles

26 531 711,54

25 671 784,92

Sous total cours d'appel et tribunaux supérieurs d'appel

365 862 558,56

380 949 508,97

TOTAL

388 621 883,03

401 731 509,62

Source : ministère de la justice.

• L'expérimentation d'un nouveau circuit de paiement des frais de justice

Pour répondre aux observations de la Cour de comptes, le ministère de la justice souhaite améliorer la gestion comptable et le circuit de paiement des frais de justice.

L'architecture générale de la nouvelle procédure de traitement de la dépense est fondée sur la création d'un service centralisateur des mémoires de frais de justice , placé auprès du tribunal de grande instance et, le cas échéant, de la cour d'appel.

Ce service est chargé, pour l'ensemble des juridictions de l'arrondissement judiciaire, de tous les actes de gestion concernant les frais de justice (réception et enregistrement des mémoires, contrôle et, le cas échéant, mandatement de ceux-ci). Il bénéficie d'un outil informatique de pilotage, dénommé LMDJ. Seuls les frais de justice des tribunaux de commerce sont exclus de l'expérimentation.

Ce schéma est entré en application en 2008, à titre expérimental, dans cinq ressorts de cours d'appel : Amiens, Nîmes, Pau, Grenoble et Versailles.

Un premier bilan des expérimentations a été effectué. D'ores et déjà, la mise en place d'un service centralisateur montre son efficacité (réduction des délais de traitement des mémoires de frais, meilleure connaissance des stocks et des charges à payer).

L'accélération du rythme de traitement des mémoires a d'ailleurs pu générer, comme l'a évoqué votre rapporteur, des insuffisances de ressources budgétaires en 2009. De la même manière, une opération de dénombrement exhaustif des charges à payer en fin de gestion 2008, alors que ce dénombrement était antérieurement réalisé de manière statistique, a contribué à cette accélération, les services en charge de la gestion des mémoires ayant rassemblé l'intégralité de ceux-ci, permettant ensuite une mise en paiement rapide.

Ces expérimentations ont été élargies à compter du 1er septembre 2009, aux cours d'appel de Bastia, Dijon, Nancy. Elles devraient être étendues à compter du 1 er janvier 2010, à la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Votre rapporteur juge indispensable l'amélioration du suivi des dépenses de frais de justice et du circuit de paiement. En effet, comme l'ont expliqué les magistrats et le responsable du service administratif régional (SAR) de la Cour d'appel de Bordeaux, les SAR ne sont jamais en mesure d'assurer le paiement intégral d'une année de frais de justice. Il en résulte des arriérés qui réapparaissent lorsque le circuit de paiement est amélioré.

Aussi convient-il de centraliser la réception des mémoires de frais de justice au sein de chaque juridiction, afin d'éviter que ces mémoires ne soient adressés aux magistrats prescripteurs, dont la mission prioritaire est de traiter les affaires qui leurs sont confiées, et non de procéder au règlement des frais de justice.

Un bilan global de la gestion des frais de justice devra être conduit lorsque les services centralisateurs des mémoires auront été généralisés à l'ensemble des arrondissements judiciaires.

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