B. DES DISPOSITIONS INADAPTÉES
Cette distinction fondamentale entre évaluation de la dangerosité sociale et diagnostic médical doit empêcher l'adoption de mesures inadaptées pour lutter efficacement contre la récidive en matière de délinquance sexuelle. L'attention disproportionnée donnée à un type de traitement risque ainsi de faire renaître les craintes d'une instrumentalisation de la médecine par la politique pénale et d'avoir un impact néfaste tant sur les relations entre magistrats et médecins que sur celles entre médecins et malades.
1. L'attention disproportionnée accordée à un type de traitement
L'intérêt déclaré pour la prise en charge thérapeutique des délinquants sexuels s'est porté de manière quasi exclusive sur les traitements antihormonaux connus du grand public sous l'appellation, empruntée à l'urologie, de « castration chimique » . Or, les psychiatres entendus par votre rapporteur s'accordent pour penser qu'un tel traitement, qui a pour effet d'inhiber la production de testostérone, n'a d'utilité que pour soigner 5 % à 10 % des délinquants sexuels.
Cette indication elle-même semble d'ailleurs encore sujette à discussion puisque la lecture des études médicales internationales a conduit l'un des médecins auditionnés à considérer qu'un traitement antihormonal semble principalement indiqué pour le traitement de la « pédophilie extra-familiale à tendance homosexuelle », tandis que d'autres praticiens qui le prescrivent ne le limitent aucunement à ce type de cas. Plusieurs d'entre eux ont indiqué que l'intérêt principal des traitements antihormonaux tient à leur action rapide permettant de limiter l'envahissement mental dont souffrent les malades. Il est particulièrement important de noter que les psychiatres qui prescrivent ces traitements comptent parmi leurs patients de nombreux malades qui n'ont commis aucun crime ou délit et qui essayent de lutter contre une pathologie destructrice tout en continuant à vivre en société.
Les traitements antihormonaux ne sont donc ni un traitement qui serait particulièrement indiqué pour les délinquants sexuels, ni un « remède » à l'efficacité garantie. Ils ne sont en effet prescrits qu'en accompagnement d'une psychothérapie et nécessitent l'adhésion du malade pour fonctionner. Ils ne permettent que de faire disparaître certains symptômes de la pathologie, mais ne guérissent rien. Un traitement curatif doit être mis en place parallèlement pour espérer obtenir des résultats durables, et ces traitements sont ceux dont dispose la psychiatrie actuelle avec toutes leurs limites. L'antihormonal doit être prescrit avec d'autant plus de prudence qu'il entraîne, pour faire disparaître les symptômes pathologiques, un dérèglement biologique de l'organisme analogue à celui de l'andropause. Les risques afférents, et plus particulièrement celui de l'ostéoporose, interdisent de prescrire le traitement trop tôt avant la fin de l'incarcération. L'apparition d'effets secondaires risque en effet de retarder la mise en oeuvre du traitement d'accompagnement, le plus souvent une psychothérapie. Les effets secondaires imposent également une obligation de suivi. Le traitement antihormonal est donc un traitement parmi d'autres, avec ses avantages et ses inconvénients, qu'il appartient au médecin de mesurer avant de le proposer au malade.
L'attention disproportionnée portée à ce type de traitement ne découle pas uniquement des attentes excessives de l'opinion publique. Les traitements inhibiteurs de la libido sont en effet un des seuls traitements mentionnés explicitement dans la loi, plus précisément dans le code de la santé publique : le quatrième alinéa de son article L. 3711-3 dispose que, dans le cadre d'une injonction de soins, « le médecin traitant est habilité à prescrire au condamné, avec le consentement écrit et renouvelé, au moins une fois par an, de ce dernier, un traitement utilisant des médicaments qui entraînent une diminution de la libido » .
Cette disposition exceptionnelle n'a pas été introduite pour des raisons fortuites. Elle s'explique par le fait que dans la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales « les médicaments susceptibles de limiter la libido avaient alors, de par leur autorisation de mise sur le marché, un autre objet (le plus souvent la lutte contre le cancer de la prostate). Les médecins qui les prescrivaient n'étaient donc pas couverts par leur assurance ; de même, ces médicaments n'étaient pas remboursés par la sécurité sociale ce qui freinait également leur mise en oeuvre » 29 ( * ) .
Or, il n'est plus nécessaire aujourd'hui de donner un statut légal spécifique à ce qui était un traitement novateur mais est devenu un traitement usuel pour des indications limitées. Au moins trois médicaments répondent désormais au classement pharmaco-thérapeutique Vidal « traitement des déviances sexuelles » et sont pris intégralement en charge par la sécurité sociale 30 ( * ) . Tout médecin confronté à une pathologie de ce type peut donc les prescrire. Afin de mettre fin au débat que suscitent les médicaments antihormonaux, il est donc préférable de supprimer toute référence légale qui leur est spécifique afin qu'ils soient prescrits comme l'est tout autre médicament. Votre commission vous proposera des amendements en ce sens.
* 29 Rapport Sénat n° 174 (2007-2008) de Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental
* 30 Salvacyl des laboratoires Ipsen Pharma, Cyproterone Mylan des laboratoires Mylan et Androcur des laboratoires Bayer santé.