II. UNE MISE EN oeUVRE QUI DOIT NÉCESSAIREMENT ÊTRE DIFFÉRENCIÉE SELON LES PARTENAIRES

La stratégie française de coopération au développement doit reposer sur une application différenciée de ces objectifs selon les pays concernés.

Notre coopération n'a pas le même sens, ne poursuit pas les mêmes objectifs, n'utilise pas les mêmes instruments à Nouakchott et à Nankin.

C'est pourquoi le CICID avait développé la notion de partenariats différenciés qui permettent d'adapter les moyens utilisés parmi la palette d'instruments du dispositif de coopération français au développement aux spécificités de chaque zone.

Rappelons que ces partenariats différenciés officialisés par le CICID du 5 juin 2009 identifiaient quatre catégories de pays :

a) les pays pauvres prioritaires (14 pays d'Afrique subsaharienne : Bénin, Burkina Faso, Comores, Ghana, Guinée Conakry, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République Démocratique du Congo, République Centrafricaine, Sénégal, Tchad, Togo) ;

b) les pays à revenu intermédiaire entretenant des relations privilégiées avec la France ;

c) les pays émergents à enjeux globaux ou régionaux ;

d) les pays en crise ou en sortie de crise.

La notion de partenariats différenciés proposée par le CICID établissait une correspondance entre catégories de pays, catégories d'instruments et catégories d'enjeux. Elle conduit notamment à favoriser un accès privilégié des pays pauvres prioritaires aux financements les plus concessionnels, ainsi que la sanctuarisation d'une enveloppe de subventions pour pouvoir intervenir de manière significative dans les pays en crise.

Le document-cadre reprend, tout en les modifiant, ces partenariats différenciés.

A. L'AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Sans surprise, le document-cadre définit l'Afrique comme la première zone prioritaire de l'aide au développement française.

Le continent au sud du Sahara devrait compter 1,8 milliard d'habitants en 2050, soit trois fois plus que l'Europe de demain, plus que l'Inde et 25 % d'habitants de plus que le Chine.

L'Europe, de par sa proximité, est concernée au premier chef par cette Afrique en marche.

La commission des affaires étrangères l'a souligné de nombreuses fois cette année : l'Europe a un intérêt immédiat au développement de l'Afrique.

Qui peut penser que, si cette Afrique à douze kilomètres du continent européen, forte de 1,8 milliard d'habitants en 2050, n'assure pas son développement et son autosuffisance alimentaire, l'Europe ne sera pas touchée par des tensions migratoires sans commune mesure avec celles que nous connaissons aujourd'hui ?

Ce continent s'apprête à accueillir, à partir de 2030, 27 millions de jeunes actifs de plus chaque année, c'est dire combien l'Afrique doit trouver le chemin d'une croissance durable.

Dans le même temps, le document-cadre français de coopération au développement a le mérite d'abandonner le discours misérabiliste et compassionnel trop souvent utilisé à propos de l'Afrique et de regarder en face les risques et les opportunités d'un continent de plus en plus contrasté.

Il souligne que, depuis le sommet du Millénaire, l'Afrique conjugue trois atouts :

- l'économie africaine a bénéficié d'une croissance plus rapide que celle du Brésil et de l'Inde entre 2000 et 2010 et devrait continuer à bénéficier d'une croissance de plus de 6 % d'ici 2015 ;

- une forte amélioration du cadre macro-économique (réduction de l'inflation et du taux d'endettement) ;

- enfin une diminution importante du nombre de conflits.

L'Afrique souffre cependant d'un retard important pour l'atteinte des OMD et d'une croissance économique générant moins d'emplois qu'ailleurs.

Comme l'a souligné M. Jean-Michel Severino, ce continent est à l'aube d'un bouleversement considérable : « Une population qui double en trente ans et qui s'urbanise à grande vitesse met nécessairement l'offre de service publics et les sources d'alimentation sous tension -des tensions qui pénètrent au plus profond des sociétés et des systèmes politique » 6 ( * ) .

Les enjeux sont multiples, certains sont plus spécifiques à la France, comme les enjeux linguistiques et culturels.

Comme l'a souligné M. Abdou Diouf, secrétaire général de la francophonie, lors de son audition devant la commission : « L'Afrique est l'avenir de la francophonie. Si les objectifs en matière de scolarisation sont atteints et compte tenu de la croissance démographique, il pourrait y avoir demain 600 millions de locuteurs francophones en Afrique, contre 200 millions aujourd'hui dans le monde. » 7 ( * ) .

D'autres enjeux sont communs à l'Europe et à l'Afrique, comme la gestion des flux migratoires, la sécurité, ou l'approvisionnement en matières premières, d'autres enfin, situés d'emblée à l'échelle planétaire, comme la vulnérabilité climatique ou la biodiversité, le captage forestier du carbone ou les réserves de terres arables.

Votre commission avait estimé que le projet de document-cadre plaçait à juste titre l'Afrique au premier rang des priorités de notre politique d'aide au développement, mais ne s'engageait pas suffisamment dans un effort de concentration des moyens budgétaires sur cette zone.

Elle se félicite que le document final réitère l'engagement que l'Afrique subsaharienne bénéficie de plus de 60 % de l'effort financier bilatéral français pour le triennum budgétaire 2011-2013.

Votre commission entend veiller à ce que les projets de loi de finances respectent bien cet engagement.

Le document-cadre précise qu'un partenariat renforcé sur quatorze pays pauvres d'Afrique subsaharienne sera poursuivi sur des enjeux de renforcement de l'Etat dans sa capacité de délivrance de services publics et de sécurité, de croissance et de lutte contre la pauvreté. Il s'agit des pays suivants : Bénin, Burkina Faso, Comores, Ghana, Guinée Conakry, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République Démocratique du Congo, République Centrafricaine, Sénégal, Tchad, Togo.

Le projet de document-cadre reprenait les décisions du CICID du 5 juin 2009 et fixait un objectif de plus de 50 % des subventions bilatérales consacrées aux OMD, hors intervention en sortie de crise et subventions non ventilables à ces 14 pays pauvres prioritaires.

Dans la version du document-cadre qui avait servi à la consultation de la commission, ce critère ne paraissait pas assez contraignant.

Dire que 50 % des dons de l'aide bilatérale devaient aller aux 14 pays pauvres prioritaires aurait été satisfaisant, si cela n'était pas assorti du codicille selon lequel, en fait, il ne s'agissait que des subventions destinées aux OMD, hors interventions en sortie de crise et subventions ventilables.

Avec ce critère limitatif, la France était déjà à 76 % !

C'est pourquoi, la commission se félicite que les derniers arbitrages aient conduit à retenir pour les 14 pays pauvres prioritaires le critère de 50  % de l`ensemble des subventions bilatérales françaises.

Elle entend rester vigilante sur la définition des subventions qui sera retenue.

B. LA MÉDITERRANÉE

Le document-cadre fait de la Méditerranée la deuxième zone prioritaire de la coopération française.

Il souligne que la France et les pays voisins des rives sud et est de la Méditerranée ont tissé des rapports étroits dus à la proximité géographique, aux liens entre sociétés, notamment à travers la présence en France d'importantes communautés originaires de ces pays, la persistance de flux migratoires, une communauté francophone importante.

Zone de contact entre l'Europe, l'Asie et l'Afrique, entre le Christianisme, l'Islam et le Judaïsme, le bassin méditerranéen est à la fois une zone de rencontres, une zone de tensions et de conflits et une voie de passage stratégique.

Le document-cadre préconise des interventions majoritairement sous forme de prêts éventuellement bonifiés, complétées, le cas échéant, par des ressources de subventions et/ou d'assistance technique.

Au total, la coopération méditerranéenne devrait mobiliser 20 % de l'effort financier de la coopération bilatérale française au développement pour le prochain triennum 2011-2013.

Votre commission estime que la question de l'aide au développement est une des seules thématiques qui peut donner corps au cadre politique de l'Union pour la Méditerranée, à travers des projets concrets concernant, par exemple, la dépollution de la mer, le soutien à l'énergie solaire, ou la gestion durable de l'eau. Elle encourage la recherche de synergies avec les importants fonds européens destinés à la coopération de voisinage.

C. LES PAYS EN CRISE

La priorité, dans les pays fragiles, est de développer des approches préventives, de façon à éviter l'éclatement de conflits : outre le coût humain et matériel immédiat des crises, les opérations de sortie de crise sont des opérations de longue haleine, incertaines dans leurs résultats et généralement bien plus onéreuses que les politiques de prévention en raison de l'implication fréquente de dispositifs militaires lourds et complexes.

Le second rôle essentiel de la coopération, dans le cadre des crises et de leurs suites immédiates, est de coordonner les interventions relevant de l'assistance humanitaire et les programmes de reconstruction et de reprise de l'appui au développement pour éviter les ruptures dans le processus d'assistance à des populations et des institutions fragiles.

Trois zones géographiques sont d'un intérêt particulier pour la France aussi bien dans sa contribution à la construction d'un monde plus sûr qu'au titre de ses propres intérêts sécuritaires. Ces zones se déploient le long d'un arc de crise, caractérisé, selon le cas, par la fragilité préoccupante des Etats, un développement insuffisant ou trop peu inclusif, des affrontements épisodiques, voire des conflits armés. Cet arc de crise s'étend de la Mauritanie à l'Asie centrale à l'Est, en passant par le Moyen-Orient.

Pour le triennum budgétaire 2011-2013, 10 % des subventions bilatérales de la coopération française au développement seront réservés aux interventions en situation de crise ou de post-crise.

D. LES PAYS ÉMERGENTS

Le document-cadre observe que les pays émergents sont de trois types : les grands pays à enjeux systémiques, tels la Chine, l'Inde et le Brésil, les pays à enjeux régionaux, tels l'Indonésie et l'Afrique du Sud, et au-delà, tous les pays à revenus intermédiaires confrontés à une accélération du changement économique et social.

Ces pays occupent une place majeure dans le paysage mondial, car ils représentent un impact important sur les équilibres globaux et un défi environnemental de grande ampleur.

Le document-cadre définit trois enjeux prioritaires de notre coopération avec les pays émergents :

- inventer un nouveau modèle de développement, moins énergétivore, moins émetteur, prometteur d'une gestion des ressources naturelles plus durable et davantage assis sur la demande intérieure et des mécanismes de protection sociale ;

- participer à la gouvernance collective sur les biens publics globaux, à l'établissement de normes pour éviter le dumping social ou environnemental, et à la régulation économique et financière d'ensemble ;

- instituer une coopération triangulaire avec certains pays émergents et certains pays récipiendaires de l'aide en Afrique.

Il est indiqué que le besoin de financement n'étant pas le besoin premier, l'investissement vaut surtout comme point d'entrée sur les politiques publiques et la promotion d'expertise, de savoir-faire et de technologie.

La coopération scientifique, culturelle et universitaire représente à la fois le complément des partenariats technologiques et le moyen d'un approfondissement des liens avec les pays émergents.

Ces actions passent donc par des prêts, éventuellement bonifiés, complétés, le cas échéant, par une composante d'assistance technique.

Cette nouvelle priorité géographique s'est déjà traduite par une extension du champ d'intervention de l'AFD, comme l'illustre la carte des implantations de ses agences ci-après :

Votre commission ne doute, dans son principe, ni de l'intérêt d'asseoir un partenariat fort avec des grands pays comme la Chine, ni de l'intérêt d'inciter ces pays à prendre le chemin d'une croissance plus durable.

La nécessité d'infléchir le modèle de croissance des pays émergents n'est guère discutable. Ne serait-ce que par leur poids démographique, ces pays sont la clef de la préservation du climat.

L'intérêt de nouer des partenariats avec les « grands émergents » n'est pas plus contestable.

Les enjeux de la présidence française du G20 l'illustrent. Des progrès en matière de gouvernance ne seront obtenus qu'en élargissant les sujets sur lesquels l'Europe et les pays émergents ont des intérêts communs.

La gouvernance mondiale dans des structures comme les Nations unies ou le FMI pourrait être redessinée dans les décennies à venir et modifier la place de la France dans le concert des nations.

Notre pays, pour maintenir son rang, se doit d'entretenir des relations de partenariat avec les grands pays émergents.

Cela étant dit, la multiplication des interventions dans des pays comme la Chine suscite des interrogations légitimes . Alors que la Chine est aujourd'hui en mesure de financer un fonds souverain de 300 milliards de dollars, la France s'endette sur les marchés pour financer son budget et, indirectement, celui de l'aide au développement.

De même, la récente décision d'autoriser l'AFD à intervenir, par exemple en Colombie et aux Philippines, suscite des interrogations. Dans ces pays, nos interventions, et par conséquent notre rôle, sont souvent très minoritaires dans les projets soutenus.

Votre commission avait jugé, lors de l'examen du projet de document-cadre, souhaitable, au moment où la France redéfinissait ses objectifs, d'avoir une vision claire du coût budgétaire de nos interventions dans les pays émergents, des charges de fonctionnement des agences de l'AFD dans ces pays et de leurs retombées en matière de développement pour les pays concernés et d'influence pour la France.

Elle entend faire le point sur ce sujet au cours de la session 2010-2011.

Vos rapporteurs ont parfois eu le sentiment que certains projets pourraient utilement être financés par des bailleurs multilatéraux, voire par les pays eux-mêmes.

Une évaluation du coût et des avantages de ces interventions permettrait de faire un bilan et de définir les critères sur lesquels l'AFD se fonde pour choisir les pays et les projets sur lesquels elle intervient.

Vos rapporteurs avaient estimé, lors de la consultation sur le document-cadre, qu'un plafond à nos interventions dans les pays émergents devait être inscrit dans le document-cadre.

Elle se félicite que cette proposition ait été retenue.

Le document-cadre adopté le 3 novembre dernier prévoit qu'au total la coopération avec les pays émergents devrait mobiliser au plus 10 % de l'effort financier de coopération au développement bilatérale pour le triennum 2011-2013.

Votre commission a considéré que l'ensemble de ces objectifs ainsi définis étaient bien adaptés à la situation du monde du 21 è siècle.

Elle n'a pu s'empêcher de penser que ces objectifs, dans leur généralité, étaient très ambitieux par rapport aux moyens qui sont les nôtres.

Que nos finances publiques ne nous permettent pas de poursuivre tous ces objectifs, qu'il faille, au sein même de ces objectifs, faire des arbitrages entre les priorités, les secteurs, voire les pays, vos rapporteurs en sont convaincus.

Ils n'oublient cependant pas que la France est loin d'être seule à agir. Le gouvernement doit non seulement fédérer les acteurs de la coopération française autour de cette stratégie, mais également la faire partager au niveau européen où les moyens budgétaires sont plus conséquents.

L'aide au développement est une politique qui a vocation à être un domaine de souveraineté partagée entre l'Union et les Etats membres. Dans cette période de rigueur budgétaire, des synergies doivent plus que jamais être trouvées avec nos partenaires européens et avec l'Union.

Quoi qu'il en soit, certains pourraient regretter que ces objectifs ne soient pas plus sélectifs, plus priorisés, de sorte qu'ils puissent constituer plus facilement un guide à l'action dans le contexte budgétaire difficile que nous connaissons. Autrement dit, cette stratégie pourrait être plus opérationnelle.

Les rapporteurs de la commission des affaires étrangères partagent cette opinion, mais veulent croire que pour s'inscrire dans la durée, il fallait sans doute garder un certain degré de généralité.

Ils retiennent de cette stratégie les quatre partenariats différenciés qui fourniront une base d'arbitrage pour l'affectation des moyens bilatéraux consacrés par la France à sa politique de coopération au développement, ainsi que pour les positions de la France quant à l'orientation des instruments auxquels elle contribue aux niveaux européen et multilatéral.

Cibles de répartition de l'aide bilatérale françaisepar partenariats différenciés

Afrique

Pays

Méditerranéens

Pays

Émergents

Pays en crise

(gestion des crises et post-crise, hors prévention)

Afrique subsaharienne

14 PPP 8 ( * ) b

Subventions

Cibles

> 50 %

10 %

Effort financier

Cibles

> 60 %

20 %

<10 %

De ce point de vue, la commission des affaires étrangères constate le décalage entre les objectifs fixés par le document-cadre et la façon dont sont présentés les crédits de l'aide au développement dans le projet de loi de finances.

Tel qu'il est présenté, le budget de l'APD ne permet pas de comprendre si la programmation budgétaire se situe dans l'épure de la stratégie ni même quelles sont les lignes du budget qui entrent dans le périmètre du calcul.

Un travail de réflexion s'impose donc pour formaliser une présentation qui pourrait permettre de suivre la mise en oeuvre de la stratégie adoptée par le gouvernement.


* 6 Le temps de l'Afrique, Jean-Michel Severino, Olivier Ray, Odile Jacob. 2010.

* 7 Audition de M. Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie. 2 juin 2010.

http://www.senat.fr/bulletin/20100531/cult.html#toc2

* 8 Bénin, Burkina Faso, Comores, Tchad, République démocratique du Congo, Ghana, Guinée, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, Sénégal, Togo. Cette liste est révisable par décision conjointe des ministres de tutelle, sur proposition du cosecrétariat du CICID.

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