QUATRIÈME PARTIE - POSTES ET COMM UNICATIONS ÉLECTRONIQUES : LA SITUATION DU GROUPE LA POSTE

Tout comme les précédentes années, votre rapporteur pour avis 28 ( * ) souhaite se focaliser, à l'occasion de l'examen des crédits de la mission Économie du projet de loi de finances pour 2011, sur un thème spécifique.

Or, cette année s'avère capitale pour le groupe La Poste, marqué à la fois par son changement de statut - au terme de la loi du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales, que votre rapporteur pour avis avait eu l'honneur de rapporter au nom de votre commission - et sa prochaine augmentation de capital.

Aussi, prenant en compte le récent et très riche rapport de la Cour des comptes sur l'entreprise postale 29 ( * ) , il a semblé opportun à votre rapporteur pour avis de revenir sur les évolutions récentes de l'entreprise postale et ses conséquences en termes économiques et financiers.

A. UNE ENTREPRISE CONFRONTÉE À DES DIFFICULTÉS INTERNES ET EXTERNES

Si La Poste a toujours su, depuis sa création voici plus de cinq siècles, évoluer et s'adapter aux mutations de l'économie et de la société, elle est aujourd'hui confrontée à un bouleversement majeur de son environnement qui, allié à la persistance d'incohérences internes, interroge sur son évolution future.

1. Des faiblesses structurelles
a) Un réseau dense mais coûteux

Avec 17 000 bureaux de poste et points de contact , La Poste, qui emploie 287 000 personnes et constitue à ce titre le deuxième employeur du pays après l'État, dispose d'un réseau inégalé de points de contact avec le public qui constitue un atout indéniable en termes commerciaux.

La loi du 9 février 2010 précitée a d'ailleurs, à l'initiative du Sénat, conféré à ce réseau une valeur législative en prévoyant le financement du maillage territorial de La Poste, piloté par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), qui doit comporter au moins 17 000 points de contact.

Votre rapporteur ne partage donc pas l'avis de la Cour de compte qui, dans son rapport public thématique de juillet 2010 sur l'entreprise postale, estime que « les besoins commerciaux des métiers de la banque, du courrier et du colis pourraient s'accommoder de 3 000  bureaux ».

Il adhère cependant à l'avis de la haute juridiction financière, selon lequel les coûts de ce réseau ne sont pas encore suffisamment optimisés . A cet égard, et malgré la montée en puissance des partenariats, dont le nombre a plus que doublé entre 2004 et 2009, les bureaux de poste gérés directement par La Poste représentent une proportion encore deux fois supérieure à la moyenne européenne.

b) Un process industriel encore perfectible

Projet de modernisation le plus important jamais engagé par La Poste, dans lequel l'entreprise a investi 3,4 milliards d'euros, le programme Cap qualité courrier (CQC), lancé en 2005, était destiné à améliorer les services de l'opérateur postal en acquérant des matériels de nouvelle génération pour le traitement des plis.

Très concrètement, l'objectif principal était d'accélérer au maximum les opérations de tri, pour atteindre un objectif de fiabilité à 90 % de la distribution à J +1 , et de renforcer au maximum la finesse du tri automatique, dans le but de remettre à la distribution 80 % du courrier déjà trié par quartier et 32 % trié dans l'ordre même de la tournée du facteur.

Or, ainsi que le souligne la Cour des comptes dans son rapport, « ces objectifs n'ont jamais été atteints depuis 2003 et semblent trop ambitieux pour l'être à un terme proche , malgré l'ampleur des investissements consentis (...). Le programme CQC, qui devait s'achever en fin 2010, à la veille de l'ouverture complète à la concurrence du marché postal, a pris trois ans de retard » 30 ( * ) .

Si des retards étaient inévitables au regard de l'ambition du projet, « ce délai n'a pas été mis à profit en 2008 pour reconfigurer plus fortement cette organisation industrielle sans doute surdimensionnée aujourd'hui », continue la haute juridiction financière, qui ajoute que « toutes les conséquences de la mécanisation du tri sur l'organisation encore rigide des tournées ne sont pas encore tirées ».

c) Un endettement excessivement élevé

Déjà très élevé en 2002, à près de 4 milliards d'euros, l'endettement de La Poste s'est accru de façon brutale en 2006, dépassant les 6 milliards d'euros, du fait cependant de la contribution exceptionnelle de 2 milliards d'euros exigée de l'entreprise pour la réforme du financement de la retraite des fonctionnaires.

Certes, et comme le montre le tableau ci-dessous, l'endettement du groupe s'est réduit de 2006 à 2009, mais il demeure encore très élevé, à 5,5 milliards d'euros , ce qui constitue un handicap dans sa stratégie d'investissement . A cet égard, et comme le souligne la Cour des compte, « il n'est pas certain que l'augmentation de capital à venir de 2,7 milliards d'euros puisse (le) réduire ».

d) Un financement des missions de service public encore problématique

Définies par le législateur et faisant l'objet d'un contrat de service entre l'État et La Poste, les missions de service public assurées par l'opérateur historique national sont au nombre de quatre.

En vertu de la loi du 9 février 2010 précitée, le Gouvernement doit présenter en 2013 au Parlement un rapport sur l'exécution des missions de service public . Comme le souligne la Cour des comptes, et votre rapporteur pour avis s'associe à cette analyse, « cette occasion devrait être mise à profit pour apprécier l'adaptation de ces missions aux évolutions des attentes du public, des usagers et des clients, en tenant compte de leur coût, de leur consistance et de la situation financière de La Poste ».

(1) Le service public des envois postaux et le service universel postal

Pour financer ces missions, le droit communautaire prévoit la possibilité de réserver à l'opérateur en charge du service universel un secteur d'activité (appelé « secteur réservé »), dans la mesure où cela est nécessaire au maintien du service universel. Ainsi, le secteur réservé à La Poste, en qualité de prestataire du service universel dans le domaine des envois de correspondance, constitue la contrepartie des obligations particulières et des charges que le prestataire supporte au titre du service universel postal . En effet, ces obligations représentent pour l'opérateur un « surcoût net » par rapport à ce qui résulterait d'une pure logique de rationalisation commerciale estimé par l'opérateur à 1 milliard d'euros par an .

Or, avec la disparition du monopole dont jouit La Poste sur ce secteur protégé au 31 décembre prochain, se posera la question du financement de ces missions de service public . Certes, la loi du 9 février 2010 a prévu la mise en place d'un fonds de compensation alimenté par l'ensemble des opérateurs ; cependant, sa mise en oeuvre reste encore incertaine et le financement du service universel sujet d'inquiétude.

Ainsi, que le relève la Cour des comptes, en effet, « la question de la compensation du coût net des obligations du service universel ne saurait donc être complètement éludée. La mise en place éventuelle du fonds de compensation apparaît soit comme une hypothèse d'école, soit comme une solution délicate quant à la détermination de la « charge inéquitable » de l'opérateur. Dans ces conditions, la compensation appropriée des missions de service public est une question essentielle ».

(2) Le service public du transport et de la distribution de la presse

Cette mission engendre un surcoût net qui a pu être évalué à 670 millions d'euros en 2006 . Les tarifs spécifiques associés à cette mission ne couvrant que 37 % des coûts, La Poste bénéficie chaque année d'une subvention de l'État , à hauteur de 242 millions d'euros en 2008 .

Le solde du surcoût net était jusqu'à présent couvert par les bénéfices tirés par La Poste de son activité sur le secteur réservé. Avec leur disparition prochaine, des financements alternatifs seront nécessaires. C'est ce que les trois parties prenantes à la mission - Etat-presse-Poste - ont tenté de faire à travers la signature d'un accord en 2008 , dit « accord Schwartz », prévoyant La Poste supportera tout écart résiduel entre les revenus dégagés par cette activité et les coûts engendrés . Comme le souligne la Cour des comptes, « l'équilibre financier du transport de presse dépendra du respect de (cet) accord tripartite ».

(3) La mission d'accessibilité bancaire

Cette mission occasionne également un surcoût net pour La Banque Postale, filiale de La Poste chargée de l'assurer. Il est évalué par le Gouvernement à 393 millions d'euros au titre de l'année 2007 .

Depuis le 1 er janvier 2009, il est compensé par une rémunération dite « complémentaire » comprenant une compensation dont le montant, fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie, doit être proportionnée aux missions de service d'intérêt économique général (SIEG) confiées à La Poste.

MONTANT DE LA RÉMUNÉRATION COMPLÉMENTAIRE
POUR LES ANNÉES 2009 À 2014

Année

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Montant (en millions d'euros)

280

270

260

250

235

210

Source : Cour des Comptes - La Poste.

Si la Cour des comptes juge « satisfaisante » l'organisation de cette compensation, elle relève également que son « caractère dégressif (...) suppose que le groupe La Poste réalise d' importants gains de productivité ».

(4) La mission d'aménagement du territoire

Le maillage territorial de La Poste est financé au moyen du fonds postal national de péréquation territoriale , qui est abondé à hauteur de 137 millions d'euros par an par l' abattement sur les bases d'impositions locales . Ce montant pourrait passer à 170 millions d'euros par an avec la réforme de la taxe professionnelle prévue par la loi de finances pour 2010.

Or le surcoût occasionné par ce réseau est estimé, en tenant compte des efforts engagés par La Poste en termes de productivité et d'adaptation de son réseau, à 250 millions d'euros environ . Il reste donc un besoin de financement à la charge de La Poste . L' État , quant à lui, est ainsi absent du financement de cette mission , assis sur la fiscalité locale, alors même que c'est lui qui assigne cette mission à La Poste.

La loi du 9 février 2010 modifie le dispositif sur un point essentiel en confiant désormais à l' ARCEP la responsabilité de définir le coût de cette mission d'aménagement du territoire . Par ailleurs, à compter de 2011 , le taux de l'abattement fiscal sera fixé chaque année dans la limite , non plus de 85 %, mais de 95 % , « de manière à ce que le produit de cet abattement contribue au financement du coût du maillage territorial complémentaire de La Poste tel qu'il est évalué par l'ARCEP ».

Or, selon la Cour des comptes, « le coût de la mission d'aménagement du territoire ne sera qu'en partie couvert par l'abattement maximal de 95 % sur la nouvelle contribution économique territoriale », même si le produit de ce dernier est supérieur à celui du système précédent. Son financement constitue donc toujours, comme votre rapporteur le soulignait dans son rapport sur le projet de loi modifiant le statut de La Poste, une « question non résolue ».

Par ailleurs, le texte d'application de la disposition de la loi du 9 février 2010 précitée confiant à l'ARCEP la fixation du coût de la mission d'aménagement du territoire de La Poste tarde à être publié . Selon les informations communiquées par Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie, et de l'emploi, à votre commission, à la demande de votre rapporteur pour avis, lors de son audition le 27 octobre dernier, le projet de décret a été transmis au Conseil d'État, dont l'avis devait être rendu en novembre. Il devrait être publié avant la fin de l'année et l'ARCEP, qui a été associée à la préparation de ce décret, pourra alors déterminer les coûts de la présence postale. La ministre a d'ailleurs proposé à votre rapporteur pour avis de réfléchir conjointement à la façon dont les travaux de l'ARCEP permettront d'arriver à une méthode objective de chiffrage.


* 28 M. Pierre Hérisson, sénateur de Haute-Savoie.

* 29 La Poste : un service public face à un défi sans précédent, une mutation nécessaire, rapport public thématique de la Cour des comptes, juillet 2010.

* 30 Fin 2009, 65 % de l'investissement et 72 % de l'objectif de productivité étaient atteints.

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