B. UN COMPTE QUI DEMEURE INVARIABLEMENT LE MÊME, Y COMPRIS EN PÉRIODE DE CRISE

1. Un compte qui ne permet pas de prendre la mesure des enjeux

Votre rapporteur pour avis regrette que ses nombreuses préconisations, récurrentes au cours des deux exercices budgétaires précédents, n'aient pas été prises en considération, notamment en matière d'amélioration de l'information transmise au Parlement. Il ne voit pas l'intérêt ni pour le Gouvernement de communiquer des documents budgétaires identiques chaque année et réduits à la portion congrue, ni pour le Parlement de se prononcer sur un compte si opaque, sans être en position de le faire en connaissance de cause.

Depuis déjà trois années consécutives, votre rapporteur pour avis émet régulièrement des recommandations dans deux directions, principalement en ce qui concerne les recettes 6 ( * ) :

- en matière d'information sur les opérations envisagées : il avait ainsi proposé que la liste des opérations affichée puisse ne pas être exhaustive, ou ne pas mentionner des noms d'entreprises en particulier, de manière à délivrer une information minimale sur les orientations stratégiques de l'Etat dans chaque secteur, ou encore que différentes options puissent être présentées en cas d'affichage du nom d'une entreprise, ou bien encore que le programme de cession ou de prise de participation s'inscrive dans un calendrier pluriannuel ;

- en matière d'information sur le montant des recettes : il avait ainsi proposé que ce montant global fasse l'objet d'une véritable prévision, même non ventilée, ou encore que des indications sur le montant des recettes attendues de chaque opération puissent être données, au moins dans une fourchette.

2. Malgré plusieurs opérations marquantes, un exercice qui présente des résultats inquiétants

L'exécution budgétaire de 2010 demeure marquée par la crise. Les résultats des entreprises publiques s'en ressentent. Votre rapporteur pour avis souligne que ces résultats, combinés aux nouvelles orientations affichées, placent la politique de l'Etat actionnaire à la croisée des chemins.

a) L'exécution a été marquée en 2010 par l'absence de cession d'actifs

Au 21 septembre 2010, le montant des recettes s'établissait, d'après les informations transmises par le ministère de l'économie, à 482 millions d'euros. Ces recettes proviennent pour la plus grande partie de la réduction du capital de Giat Industries (300 millions) et du produit de cession indirecte de Charbonnages de France (140 millions).

D'une manière générale, ces recettes ont été utilisées, pour un total de 314 millions d'euros en 2010 :

- pour souscrire à la troisième et à la quatrième tranche de l'augmentation de capital de la Société française du tunnel routier du Fréjus (SFTRF) à hauteur de 94,6 millions d'euros ;

- pour acheter des titres Renault SA à hauteur de 60 millions d'euros ;

- pour contribuer à la création et à l'augmentation de capital de la société anonyme European Financial Facility Stability ;

- pour répondre à l'appel de fonds du Fonds de Fonds technologique 3.

Des opérations exceptionnelles d'investissement ont également conduit l'Etat, via le compte d'affectation spéciale, à :

- doter l'Agence nationale de la Recherche de 3,686 milliards d'euros pour mettre en oeuvre le plan Campus ;

- financer 2,390 milliards de dépenses d'avenir de dimension patrimoniale dans le cadre du grand emprunt 7 ( * ) .

b) Des résultats inquiétants révélant l'impact de la crise sur les entreprises à participation publique

Malgré des opérations marquantes, les entreprises dans lesquelles l'Etat détient des participations n'ont pas été épargnées par la crise.

Les années 2009 et 2010 ont ainsi été marquées par plusieurs opérations de grande ampleur, au nombre desquelles la transformation de La Poste en société anonyme, la signature d'un accord de coopération entre Renault et Daimler ou encore le projet de rapprochement de GDF Suez avec International Power, permettant de créer le deuxième producteur mondial d'électricité.

Pour ce qui est de La Poste, votre rapporteur pour avis rappelle que la loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales a fait prendre à cet exploitant public la forme juridique d'une société anonyme à compter du 1 er mars 2010. Le décret d'application a été pris le 28 février 2010.

Cette loi avait, notamment, pour vocation de transposer la directive européenne du 20 février 2008, qui fixait au 31 décembre 2010 la libéralisation totale des marchés postaux en Europe. La Poste est ainsi désignée comme opérateur du service universel pour une durée de quinze ans.

Votre rapporteur pour avis s'interroge quant à la pertinence de cette transformation de La Poste en société anonyme et craint qu'elle ne lui permette pas, bien au contraire, de continuer à améliorer la qualité de service de ses différents métiers.

Cadre communautaire des interventions de l'État actionnaire

Les mesures de soutien à une entreprise de la part des autorités publiques sont susceptibles de constituer une aide d'État au sens de l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) lorsque certaines conditions cumulatives sont remplies : l'octroi d'un avantage sélectif, la mobilisation de ressources publiques ainsi que l'affectation des échanges communautaires et de la concurrence.

Dans une telle hypothèse, tout projet d'aide doit être notifié à la Commission européenne et être autorisé par celle-ci avant de pouvoir être mis en oeuvre. Peuvent, par exemple, être autorisées par la Commission européenne, sous certaines conditions, les aides au sauvetage et à la restructuration qui permettent d'assurer le retour à la viabilité de l'entreprise bénéficiaire de l'aide. De même, la Commission européenne a publié en avril 2008 des lignes directrices précisant dans quelles conditions des aides d'Etat peuvent être octroyées à des entreprises ferroviaires.

À l'inverse, les interventions financières des autorités publiques ne constituent pas des aides d'Etat lorsque ces autorités agissent conformément au principe de « l'opérateur privé en économie de marché », c'est-à-dire dans des conditions comparables à celles d'une intervention par des entreprises privées intervenant dans des conditions normales de marché.

Ce principe, qui a été développé par les juridictions communautaires et la Commission européenne, est une émanation du principe d'égalité de traitement entre les secteurs public et privé. La notion d' « opérateur avisé » revêt une importance particulière en France en raison des nombreuses participations détenues par l'État dans l'économie. Les encadrements adoptés par la Commission en la matière sont assez anciens et les récents arrêts EDF et France Télécom rapportés ci-dessus démontrent que cette notion, en constante évolution, fait l'objet d'un contrôle attentif des juridictions communautaires, qui incitent la Commission à la fois à plus de rigueur (France Télécom) mais aussi de flexibilité (EDF) en la matière. L'APE sera naturellement attentive au respect de ces principes de conduite.

Source : Rapport de l'Etat actionnaire - 2010

Les principales opérations sur le capital des entreprises ont, en 2009 et 2010, pris la forme :

- d'une dotation du FSI de 20 milliards d'euros d'actifs 8 ( * ) ;

- du lancement, le 2 juin 2010, par l'Etat d'un processus de cession d'une fraction majoritaire du capital de la société « Agence pour la diffusion de l'information technologique » (Adit), spécialisée dans les activités de conseil en matière d'intelligence économique 9 ( * ) ;

- d'un accord de coopération stratégique (7 avril 2010) entre Renault Nissan et Daimler qui s'est traduit le 28 avril 2010 par un échange de participation entre les constructeurs à hauteur de 3,1 % du capital de Renault : l'Etat, qui a souhaité maintenir sa position d'actionnaire historique de référence de Renault à hauteur de 15,01 % a dans ce cadre procédé à l'acquisition auprès de Renault de 0,55 % de son capital afin de rester le premier actionnaire de Renault, devant Nissan.

En ce qui concerne le périmètre de combinaison de l'Etat actionnaire qui regroupe l'ensemble des entreprises au sein desquelles l'Etat détient des participations 10 ( * ) , il recouvre au titre de l'exercice 2010 cinquante-sept entités 11 ( * ) : l'Aéroport de Montpellier et Sofired sont entrés dans le périmètre tandis que RFI, désormais intégrée dans l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF), est sortie du périmètre.

Degré d'appartenance au secteur public en 2009 (Etat + secteur public hors Etat)

INDUSTRIES DE DÉFENSE

DCI

66,99 %

DCNS

75 %

GIAT INDUSTRIES-NEXTER

99,9 %

SNPE

99,9 %

SOGEADE

66,65 %

SOGEPA

99,99 %

TSA

100 %

EADS

15,1 %

SAFRAN

30,2 %

THALES

27 %

MÉDIAS

ARTE FRANCE

100 %

AUDIOVISUEL EXTÉRIEUR DE LA FRANCE (AEF)

100 %

FRANCE TÉLÉVISIONS

100 %

RADIO FRANCE

100 %

ENTITÉS EN FIN D'ACTIVITÉ - DÉFAISANCE

CHARBONNAGES DE FRANCE (CDF)

100 %

ENTREPRISE MINIÈRE ET CHIMIQUE (EMC)

Liquidation

EPFR

100 %

SGGP

100 %

ERAP

100 %

INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT

AÉROPORT DE BORDEAUX-MÉRIGNAC

60 %

AÉROPORTS DE LA CÔTE D'AZUR

60 %

AÉROPORTS DE LYON

60 %

AÉROPORT DE MONTPELLIERMÉDITERRANÉE

60 %

AÉROPORTS DE PARIS (ADP)

52,1 %

AÉROPORT DE TOULOUSE-BLAGNAC

60 %

ATMB

67,3 %

CAISSE NATIONALE DES AUTOROUTES

100 %

SFTRF

99,9 %

GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX

100 %

GRAND PORT MARITIME DE DUNKERQUE

100 %

PORT AUTONOME DE GUADELOUPE

100 %

GRAND PORT MARITIME DU HAVRE

100 %

GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE

100 %

GRAND PORT MARITIME DE NANTES SAINT-NAZAIRE

100 %

PORT AUTONOME DE PARIS

100 %

PORT AUTONOME DE LA ROCHELLE

100 %

GRAND PORT MARITIME DE ROUEN

100 %

RÉSEAU FERRÉ DE FRANCE (RFF)

100 %

AÉROPORT BÂLE-MULHOUSE

100 %

SERVICES FINANCIERS

SPPE

100 %

ENERGIE

AREVA

93,4 %

EDF

84,5 %

GDF-SUEZ

38,9 %

TRANSPORTS

RATP

100 %

SNCF

100 %

AIR FRANCE - KLM

16 %

- 20 -

SERVICES

LA FRANÇAISE DES JEUX

72 %

LA POSTE

100 %

FRANCE TÉLÉCOM

26,97 %

AUTRES INDUSTRIES

IMPRIMERIE NAT IONALE

100 %

LFB

100 %

LA MONNAIE DE PARIS

100 %

RENAULT

15,01 %

IMMOBILIER

SOFIRED

100 %

SOVAFIM

100 %

SEMMARIS

56,73 %

FSI

FSI

100 %

D'après le rapport de l'Etat actionnaire de 2010, « le bilan combiné augmente de 127 milliards d'euros entre le 31 décembre 2008 et le 31 décembre 2009 passant de 533 milliards d'euros à 660 milliards d'euros ».

Dans cette période de crise et afin de soutenir un retour à la croissance de l'ensemble de l'économie, l'Etat actionnaire a, en 2009-2010 :

- maintenu les dispositifs exceptionnels mis en place en 2008-2009 dont votre rapporteur pour avis avait fait état dans son précédent rapport ;

- amorcé une action plus soutenue et plus déterminée en matière de politique industrielle.

Dans ce cadre, la SPPE a maintenu des financements exceptionnels auprès des établissements bancaires jusqu'en novembre 2009 et reste un actionnaire de Dexia 12 ( * ) . En octobre et novembre 2009, l'ensemble des établissements financiers (BNPP, Société générale, Crédit agricole et Crédit mutuel) ont procédé au remboursement des titres de fonds propres, à l'exception du groupe BPCE.

Dans le cadre du Pacte automobile, conclu le 9 février 2009, l'Etat actionnaire a négocié avec les constructeurs automobiles les conditions financières du soutien de l'Etat, qui a pris la forme de prêts non subordonnés à 5 ans, remboursables in fine, comportant un intérêt fixe de 6 % et un intérêt variable en fonction des résultats opérationnels.

Les contrats avec Renault et PSA ont été signés le 25 mars 2009 et la mise à disposition des fonds a eu lieu le 24 avril 2009. Le prêt de 250 millions d'euros à Renault Trucks a été signé le 4 mai 2009, pour une mise à disposition le 14 mai 2009.

D'après l'APE, ces prêts « ont permis de renforcer la liquidité des constructeurs, tout en leur permettant de poursuivre le développement des véhicules décarbonés » . Le rapport de l'APE fait d'ailleurs état de conditions d'accès des constructeurs aux marchés de crédit « considérablement détendues, à tel point que les constructeurs ont demandé à l'Etat de pouvoir rembourser par anticipation une partie de ces prêts dès 2010, soit avant l'échéance contractuelle ».

Les bénéfices des entreprises publiques ont considérablement baissé, du fait de la crise.

Les bénéfices de l'ensemble combiné sont, en effet, passés de 23,6 milliards d'euros à 7,4 milliards d'euros entre 2008 et 2009, ce qui est préoccupant même si ce résultat est dû en partie à des raisons techniques 13 ( * ) .

Le chiffre d'affaires, quant à lui, est passé de 147,9 milliards d'euros à 128,5 milliards d'euros. Certaines entreprises comme La Poste, EDF ou encore GIAT ont particulièrement reculé.

La valeur du portefeuille coté de l'APE est passée de 94,9 milliards d'euros le 1 er septembre 2009 à 87,8 milliards d'euros le 1 er septembre 2010, soit une baisse de 7,4 %, à comparer à une hausse du CAC 40 de 1,13 % sur la même période.

Votre rapporteur pour avis constate enfin, alors que l'Etat actionnaire devait toucher 4,9 milliards d'euros de dividendes au titre de 2009 selon les prévisions, ce montant s'établit en réalité à 4,2 milliards d'euros, contre 5,6 milliards en 2008, soit une baisse de 23,6 %.

Source : Rapport de l'Etat actionnaire - 2010


* 6 Cf. Avis n° 101, Tome VIII (20008-2009) et Avis n° 105, Tome IX (2009-2010). Votre rapporteur pour avis avait repris à son compte, dans ses deux avis, les recommandations formulées par M. Bécot, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques en 2007.

* 7 Ces dépenses d'avenir comprennent : 1 300 millions d'euros en faveur du Fonds pour la société numérique, 400 millions d'euros pour le Fonds national d'amorçage, 400 millions d'euros pour l'opération Ville de demain, 140 millions d'euros destinés à la recapitalisation d'Oséo, 100 millions d'euros pour le Fonds pour l'économie sociale et solidaire, et enfin 50 millions d'euros pour France Brevets.

* 8 Cette dotation s'est déroulée en trois étapes : une augmentation de capital en numéraire de 1 milliard d'euros en février 2009, un apport de 14 milliards d'euros de titres détenus par l'Etat et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) le 15 juillet 2009, l'augmentation de capital du 5 novembre 2009 de 5 milliards d'euros en numéraire.

* 9 D'après le rapport de l'APE, cette « privatisation a pour objectif de permettre une accélération du développement de l'Adit en France et à l'international, et de favoriser son adaptation aux évolutions du marché de l'intelligence économique ».

* 10 Le champ de compétence de l'APE est strictement défini. Il comprend des participations minoritaires et des entités d'un poids significatif contrôlées par l'Etat mais qui ne sont pas des opérateurs de politique publique.

* 11 Cinquante-cinq entités étaient combinées au titre de l'exercice 2008. En 2009, le périmètre des entités combinées a été rapproché de celui du périmètre du décret n° 2004-963 du 9 septembre 2004 portant création du service à compétence nationale Agence des participations de l'Etat.

* 12 L'objectif de la SPPE est d'apporter aux banques des fonds propres pour que celles-ci soutiennent pleinement le développement du crédit aux ménages, aux professionnels et aux entreprises, tout en maintenant un haut niveau de solvabilité.

* 13 Le résultat groupe de 7,4 milliards d'euros en 2009 doit être comparé à un résultat de 23,6 milliards d'euros en 2008 avant retraitement et à 8,3 milliards d'euros après retraitement des éléments exceptionnels (RFF et CDF).

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