D. UNE PRISE EN CHARGE DES MINEURS EN DANGER ET DES JEUNES MAJEURS DÉSORMAIS CONFIÉE AUX SEULS CONSEILS GÉNÉRAUX

1. Une augmentation du nombre de mineurs en danger suivis par un juge des enfants

Le nombre de nouveaux mineurs en danger dont ont été saisis les juges des enfants en 2009 a augmenté de 0,9% par rapport à 2008, stoppant ainsi la tendance à la baisse constatée les années précédentes. Dans deux tiers des cas, le parquet est à l'origine de la saisine du juge des enfants. Parmi les nouveaux mineurs suivis au civil, 30% ont moins de sept ans et 62% ont moins de treize ans.

La plupart du temps, un mineur en danger fait l'objet de mesures de protection et d'un accompagnement éducatif pouvant durer plusieurs années : à la fin de l'année 2009, 213.512 mineurs étaient ainsi suivis en assistance éducative par un juge des enfants. 323.000 mesures ont été prononcées en 2008 (mesures nouvelles et mesures renouvelées confondues).

2. Des incidences budgétaires insuffisamment évaluées

Lorsque la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs avait préconisé, en juin 2002, le recentrage de la PJJ sur la prise en charge des seuls mineurs délinquants (voir supra ), elle avait considéré que, « selon les règles fondatrices de la décentralisation, ce transfert de compétences [devrait] s'accompagner des transferts de moyens correspondants » 22 ( * ) .

L'article 27 de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection de l'enfance a créé un fonds national de financement de la protection de l'enfance au sein de la caisse nationale des allocations familiales, destiné à compenser les charges résultant pour les départements de l'extension de leur compétence en matière de protection sociale et d'aide sociale à l'enfance 23 ( * ) . Au terme d'une procédure juridictionnelle engagée par l'Assemblée des départements de France 24 ( * ) , le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 30 décembre 2009, a enjoint à l'Etat de publier dans un délai de quatre mois le décret créant le Fonds national de financement de la protection de l'enfance prévu par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance. Celui-ci a été créé par un décret n°2010-497 du 17 mai 2010. Ce fonds est aujourd'hui opérationnel.

Dans son rapport thématique consacré à la protection de l'enfance, la Cour des comptes a quant à elle adopté un regard critique sur le volet financier de la disparition de l'intervention de la PJJ au civil : « pour compenser ce retrait, les juges des enfants seront conduits à confier à l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou au secteur associatif un nombre croissant de mesures : le département deviendra l'unique financeur des prises en charge, l'Etat conservant le financement des mesures d'investigations judiciaires. La charge financière qui en découle, variable selon les départements, n'a pas été évaluée [...]. Si l'on ne peut que prendre acte d'une orientation confirmée dans les lois de finances, ses modalités, qui n'ont pas respecté le principe d'expérimentation prévu par la loi du 13 août 2004, restent critiquables » 25 ( * ) .

3. La fin programmée de la protection judiciaire des jeunes majeurs

Depuis l'abaissement de l'âge de la majorité, les jeunes majeurs (de 18 à 21 ans) peuvent bénéficier d'un double régime de protection, sur le fondement d'une décision du juge des enfants (décret du 18 février 1975) ou du président du conseil général (article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles).

Jusqu'en 2005, les juridictions et les services de la PJJ avaient une pratique extensive du dispositif de protection judiciaire. La pertinence de cette prise en charge prêtait à discussion car en l'espèce, l'intervention du juge n'apparaissait plus justifiée, comme pour les mineurs en danger, par l'atteinte portée aux prérogatives des titulaires de l'autorité parentale. En 2005, la PJJ a décidé de réduire les prises en charge de jeunes majeurs qu'elle finançait. De leur côté, les départements ont continué à prendre en charge des jeunes majeurs sans qu'un véritable effet de transfert puisse être enregistré 26 ( * ) .

Dans le cadre du recentrage des missions de la PJJ sur les mineurs ayant commis des actes de délinquance, le PLF 2011 prévoit l'extinction des prises en charge jeunes majeurs financées par la PJJ . De plus, la procédure pour l'abrogation du décret n° 75-96 du 18 février 1975 fixant les modalités de mise en oeuvre de la protection judiciaire des jeunes majeurs a été engagée.

Parallèlement, au cours de l'année 2009, le Haut-Commissaire à la Jeunesse a proposé de réformer les mesures existantes et de créer une mesure de protection en faveur des jeunes majeurs complémentaire à la mesure de protection administrative « jeune majeur » financée par les départements. Cette mesure serait accessible à tous les jeunes sans ressources et sans soutien familial, qu'ils aient ou non fait l'objet d'une mesure éducative ou de protection judiciaire ou administrative pendant leur minorité.

Il convient de noter que l'extinction de la prise en charge des jeunes majeurs par la PJJ ne concerne que les adolescents qui étaient suivis par la PJJ au civil . Les jeunes suivis au pénal peuvent en revanche continuer à faire l'objet d'une prise en charge par la PJJ après leur majorité dans certaines conditions : d'une part, les sursis avec mise à l'épreuve peuvent perdurer au-delà de la majorité légale ; d'autre part, l'article 16 bis de l'ordonnance du 2 février 1945 permet aux juridictions pour enfants d'ordonner la poursuite du placement d'un mineur, au-delà de sa majorité, si celui-ci en fait la demande. Ainsi, au 31 décembre 2009, 34% des jeunes bénéficiant d'une prise en charge au titre de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante avaient plus de 18 ans.

Néanmoins, la commission présidée par M. André Varinard a préconisé la suppression de ces dernières dispositions, tout en optant pour la possibilité de prolonger les mesures de placement et de milieu ouvert pendant un an au-delà de la majorité 27 ( * ) .

4. Une clarification qui ne tient pas compte de la diversité des situations individuelles de certains mineurs

Au cours de ses auditions, votre rapporteur pour avis a constaté que le recentrage de la PJJ sur la prise en charge des mineurs délinquants ne faisait plus l'objet de contestations dans son principe. Toutefois, cette orientation, accompagnée d'une diminution générale des crédits depuis trois ans, a été qualifiée par plusieurs intervenants de « brutale » et « sans nuances ».

En effet, la frontière séparant mineurs délinquants et mineurs en danger est souvent ténue. Selon les plus récentes informations communiquées par la DPJJ, 15% des mineurs délinquants pris en charge par la PJJ avaient précédemment été suivis par un juge des enfants au titre de la protection de l'enfance en danger. Toutefois, comme l'a admis M. Damien Mulliez, sous-directeur des missions de protection judiciaire et d'éducation à la DPJJ, une part importante de mineurs délinquants présentent des parcours qui pourraient ou auraient pu justifier un suivi en assistance éducative.

Comme l'ont observé les représentants de la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (CNAPE) entendus par votre rapporteur pour avis, en matière pénale et s'agissant d'adolescents aux parcours fragilisés, la réponse répressive doit nécessairement être combinée avec une action éducative inscrite dans la durée. Si, dans certains cas, la prise en charge du mineur peut être assurée par les services de l'aide sociale à l'enfance des conseils généraux, certains mineurs particulièrement fragiles devraient continuer à pouvoir être suivis, au civil, par les services les ayant initialement pris en charge au titre d'une mesure pénale . Mme Catherine Sultan, présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, a ainsi attiré l'attention sur l'importance des relations de confiance qui pouvaient se nouer entre un mineur très fragilisé et un éducateur. Pour cette raison, elle a plaidé pour que des crédits soient réservés afin de financer, à titre exceptionnel, la continuité de la prise en charge de tels mineurs qui, selon ses propres termes, « ne peuvent pas passer d'une case à l'autre ».

5. Un renforcement indispensable des dispositifs de concertation entre la PJJ et les conseils généraux

Dès lors que les conseils généraux se voient confier la mise en oeuvre de l'intégralité des mesures de protection prescrites par les juges des enfants, il appartient à la PJJ, en tant que responsable de la coordination de l'ensemble des acteurs de la justice des mineurs, de veiller à la bonne articulation entre les différentes prises en charge des mineurs, afin que les décisions des magistrats au profit des mineurs en danger puissent être mises en oeuvre sans délai et sans mettre en difficulté les finances des conseils généraux.

Une circulaire d'orientation relative au rôle de l'institution judiciaire dans la mise en oeuvre de la réforme de la protection de l'enfance, datée du 6 mai 2010, a précisé les modalités de participation de l'institution judiciaire à la définition de la politique de protection de l'enfance. La DPJJ devra notamment définir une politique d'habilitation en concertation avec les juridictions et les conseils généraux.

De même, la participation des juridictions et des services territoriaux de la PJJ à l'élaboration des schémas d'organisation sociale et médico-sociale, aux observatoires départementaux et aux cellules de recueil des informations préoccupantes contribue à la définition d'une politique coordonnée de la protection de l'enfance aux côtés des conseils généraux.

Enfin, la politique d'audit (voir infra ) engagée par les directions interrégionales de la PJJ associe les conseils généraux qui le souhaitent. Des audits de structures relevant à la fois du conseil général et de la PJJ sont ainsi menés conjointement. 24 conventions ont été signées à cet effet entre l'Etat et les conseils généraux, 20 autres sont en cours de négociation.

Votre commission estime que la mise en oeuvre de dispositifs visant à mieux articuler les actions de l'autorité judiciaire, des services territoriaux de la PJJ et des services d'aide sociale à l'enfance doivent être encouragés.

En effet, de grandes disparités demeurent dans l'exécution des mesures judiciaires de protection par les services d'aide sociale à l'enfance. Dans son rapport précité de septembre 2009, la Cour des comptes a souhaité que l'Etat soit plus attentif aux conditions dans lesquelles les décisions des juges des enfants sont exécutées . En effet, elle a pu constater au cours de son enquête que, si certains ressorts ou départements avaient mis en place des dispositifs systématiques de suivi des délais d'exécution, un certain nombre de situations difficiles avaient néanmoins été identifiées. La Cour relève par exemple qu'à Auxerre, le délai de prise en charge des mesures de milieu ouvert s'élevait, lors de sa visite, à trois mois en moyenne et que certains placements au foyer de l'enfance n'avaient été exécutés que six mois après la décision judiciaire.

Ces observations rendent d'autant plus urgente la mise en place de mécanismes de régulation adaptés. En outre, la Cour estime qu'il pourrait être souhaitable de tirer les conséquences de délais excessifs de prise en charge en aménageant la faculté, pour les services de l'Etat, de se substituer au département dans l'exécution des mesures, la charge financière restant à ce dernier 28 ( * ) . Mme Mireille Gaüzere, directrice-ajointe de la PJJ, a indiqué à votre rapporteur pour avis qu'un tel mécanisme de substitution paraissait difficile à mettre en oeuvre et qu'il convenait de privilégier la qualité des articulations.


* 22 Rapport précité, page 186.

* 23 Le champ de cette loi du 5 mars 2007 est beaucoup plus large que la seule question de la mise en oeuvre des mesures judiciaires de protection. Il concerne notamment la création des observatoires départementaux de la protection de l'enfance et des cellules de recueil, de traitement et d'évaluation d'informations.

* 24 Pendant trois ans, le Gouvernement n'a pas souhaité mettre en oeuvre les mesures réglementaires nécessaires à la création de ce fonds. Ce dernier considérait en effet que, la compétence des départements en matière de protection de l'enfance ayant été affirmée dès les lois de décentralisation de 1982-1983, la PJJ avait jusqu'alors pris en charge des mesures qui auraient dû être financées par les départements. En outre, la PJJ faisait valoir que le coût de son activité au civil - environ 90 millions d'euros en 2008 (contre 111 millions d'euros en 2007) - représentait à peine 1,51 % du montant total des dépenses consacrées par l'ensemble des départements à l'aide sociale à l'enfance en 2007.

* 25 Cour des comptes, rapport précité, pages 49-50.

* 26 Cour des comptes, rapport précité, page 30.

* 27 « Adapter la justice pénale des mineurs. Entre modifications raisonnables et innovations fondamentales : 70 propositions », rapport de la commission présidée par le recteur André Varinard, La Documentation française, pages 171-172.

* 28 Cour des comptes, rapport précité, pages 122-123.

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