II. LES DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER SUR LE CHEMIN DE LA RESPONSABILITÉ

A. DES ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES DIFFÉRENCIÉES

1. Les prémices des évolutions institutionnelles en cours

Le 11 mars 2000, lors d'un discours demeuré célèbre et prononcé plus de cinquante ans après la départementalisation de 1946, au palais des congrès de Madiana, en Martinique, Jacques Chirac, alors Président de la République, admit le principe du « différentialisme statutaire » et la possibilité de larges évolutions institutionnelles pour les départements d'outre-mer :

« L'institution départementale, fondée sur l'assimilation, et qui a longtemps été synonyme de progrès et de dignité, a, probablement, atteint ses limites. (...) Ma conviction est que les statuts uniformes ont vécu et que chaque collectivité d'outre-mer doit pouvoir désormais, si elle le souhaite, évoluer vers un statut différencié, en quelque sorte, un statut sur mesure. »

Dans l'exacte continuité de ce discours fondateur, l'actuel Président de la République, lors du CIOM du 6 novembre 2009, affirma que « l'unité de la République n'est pas l'uniformité de ses institutions ». Il a ainsi fallu dix ans pour que les principes de Madiana, précédés de nombreuses réflexions de la part des élus domiens, trouvent à se concrétiser.

Par ailleurs, la possibilité de créer une collectivité unique dans les départements d'outre-mer résulte de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. A cet égard, il faut rappeler que le Conseil constitutionnel censura, en 1982, la loi qui avait prévu dans les départements d'outre-mer une assemblée unique se substituant au conseil général et au conseil régional nouvellement créé, considérant que « le statut des départements d'outre-mer doit être le même que celui des départements métropolitains sous la seule réserve des mesures d'adaptation que peut rendre nécessaires la situation particulière de ces départements d'outre-mer » 18 ( * ) . Cette décision conduisit à la création des régions monodépartementales d'outre-mer.

La révision constitutionnelle de 2003 fut suivie de la consultation des électeurs de Guadeloupe et de Martinique le 7 décembre 2003, qui permit de faire connaître la volonté des communes de Saint-Barthélemy et Saint-Martin d'être érigées en collectivités de l'article 74 de la Constitution distinctes du département de la Guadeloupe auquel elles étaient rattachées, mais qui se conclut également par l'échec de la collectivité unique de l'article 73 dans les deux départements : une courte majorité de 50,48 % des électeurs votèrent « non » à la collectivité unique en Martinique, mais 72,98 % en Guadeloupe.

2. La Guyane et la Martinique sur la voie de la collectivité unique
a) Les consultations des 10 et 24 janvier 2010

Conformément aux engagements pris par le Gouvernement en réponse aux demandes formulées par le congrès des élus départementaux et régionaux de Guyane le 2 septembre 2009 et par le congrès des élus départementaux et régionaux de Martinique le 18 juin 2009, les électeurs de Guyane et de Martinique furent consultés en janvier 2010 sur leur préférence en matière d'évolution statutaire et institutionnelle. Les questions posées lors de ces deux consultations successives furent conçues en lien avec les élus.

Le 10 janvier, les électeurs durent choisir entre le maintien au sein de l'article 73 de la Constitution et la transformation en collectivité de l'article 74 de la Constitution. Une nette majorité d'électeurs, dans les deux départements, opta pour le maintien dans l'article 73, à la suite d'intenses débats politiques, alors que le congrès en Guyane comme en Martinique avait fait le choix d'une organisation particulière dans le cadre de l'article 74.

Résultat de la consultation du 10 janvier 2010

Taux de participation

Oui à l'article 74

Non à l'article 74

Guyane

48,16 %

29,78 %

70,22 %

Martinique

55,32 %

20,69 %

79,31 %

Le 24 janvier, les électeurs durent ensuite choisir entre le statu quo au sein de l'article 73 de la Constitution et la transformation en une collectivité unique exerçant les compétences de la région et du département. Une majorité d'électeurs fit le choix de la collectivité unique de l'article 73, mais avec un taux de participation particulièrement faible.

Résultat de la consultation du 24 janvier 2010

Taux de participation

Oui à la collectivité unique de l'article 73

Non à la collectivité unique de l'article 73

Guyane

27,42 %

57,49 %

42,51 %

Martinique

35,81 %

68,30 %

31,70 %

La Guyane et la Martinique suivront ainsi Mayotte, précurseur en tant que collectivité unique de l'article 73 de la Constitution, à l'issue des élections au conseil général de Mayotte de mars 2011.

b) La suite du processus de mise en place de la collectivité unique

Après les consultations, l'étape suivante du processus appartient aux élus départementaux et régionaux, auxquels le Gouvernement a tenu à donner le temps nécessaire pour essayer de parvenir à un accord sur les principaux aspects de la collectivité unique : modalités d'organisation, avec un éventuel exécutif distinct de la présidence de l'assemblée délibérante, mode de scrutin et nombre d'élus, compétences et date de mise en place. Sur ce dernier point, certains plaident pour une mise en place en 2014, simultanément aux élections territoriales générales, tandis que d'autres souhaitent avancer plus vite.

Ces modalités d'élaboration de la collectivité unique correspondent à l'engagement du Gouvernement de concevoir dans la loi deux collectivités distinctes et différenciées, respectant le choix particulier des élus locaux. Ceci marque bien la fin des « statuts uniformes ».

Par ailleurs, concernant spécifiquement la Guyane, votre rapporteur déplore l'insuffisance des retombées économiques du centre spatial de Kourou pour la population guyanaise. Pour accompagner au mieux le développement, la nouvelle collectivité unique de Guyane devrait pouvoir bénéficier de toutes les ressources situées sur son territoire.

Concernant également la Guyane, votre rapporteur salue la mise en place enfin effective, depuis juin 2010, du conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinenge, prévu par la loi n° 2007-224 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, qui doit permettre de mieux défendre les intérêts de ces populations.

3. Le processus d'évolution institutionnelle en Guadeloupe
a) Un calendrier différent des deux autres départements d'Amérique

Le 24 juin 2009, le congrès des élus départementaux et régionaux de Guadeloupe a décidé, avant toute évolution institutionnelle, l'élaboration d'un projet de société pour la Guadeloupe, associant la société civile. Un comité du projet a été mis en place en juin 2010 et devrait achever ses travaux à la fin de l'année 2010, avant une nouvelle réunion du congrès. Le Gouvernement avait accepté ce calendrier différé de dix-huit mois par rapport aux deux autres départements d'Amérique et donc le report de la consultation de la population.

Votre rapporteur tient à saluer la volonté partagée et responsable des élus guadeloupéens de faire parvenir à maturité un authentique projet de société, avec la participation de la population, tant la réforme institutionnelle n'est pas la réponse à la question du développement économique et social mais simplement un instrument qui doit permettre d'y parvenir plus sûrement.

Dans ces conditions, si le congrès en fait la demande, les électeurs de Guadeloupe pourraient être consultés au cours du premier semestre 2011.

Ce parcours différencié, qui pourrait ne pas aboutir à une collectivité unique mais, par exemple, à une assemblée unique pour le département et la région, n'interdit pas la coopération avec les deux autres départements. C'est ainsi qu'a été constituée l'Union régionale des Antilles et de la Guyane (URAG), le 17 juin 2010 à Basse-Terre, à l'initiative des trois présidents de région, en vue de mettre en commun les expériences, parler d'une même voix sur des sujets d'intérêt commun, notamment vis-à-vis de l'État, et développer des projets communs. L'URAG constitue un cadre permanent de coopération entre les exécutifs régionaux de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique.

b) Deux habilitations mises en oeuvre

Si la Guadeloupe n'a certes pas suivi le rythme de la Guyane et de la Martinique pour son évolution institutionnelle, elle est néanmoins la seule à avoir mis en oeuvre la faculté de délibérer dans le domaine de la loi.

L'article 73 de la Constitution permet en effet aux départements et régions d'outre-mer d'être habilités, dans les conditions prévues par une loi organique, à adapter les lois et règlements sur leur territoire ou à fixer les règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières relevant du domaine de la loi ou du règlement.

Par deux délibérations en date du 27 mars 2009, le conseil régional de la Guadeloupe avait demandé à être habilité à fixer des règles permettant, d'une part, la création d'un établissement public régional en charge de la formation professionnelle et concernant, d'autre part, la maîtrise de l'énergie, la réglementation thermique et le développement des énergies renouvelables. Ces délibérations ont été régulièrement publiées au Journal officiel , comme le prévoit la procédure fixée par le code général des collectivités territoriales. Par les articles 68 et 69 de la LODEOM, promulguée le 27 mai 2009, le législateur a accordé ces habilitations, pour la durée de deux ans prévue par le code.

Le conseil régional de la Guadeloupe a procédé à un long travail préparatoire, qui a abouti en 2010 à la publication au Journal officiel de trois délibérations au titre de ces habilitations :

- délibération du 26 février 2010 relevant du domaine de la loi portant création d'un établissement public de formation professionnelle ;

- délibération du 26 février 2010 relevant du domaine du règlement portant adoption des statuts de l'établissement public administratif régional de formation professionnelle ;

- délibération du 20 juillet 2010 relevant du domaine du règlement relative au développement des installations de production d'énergie électrique mettant en oeuvre de l'énergie fatale à caractère aléatoire.

Les deux habilitations ayant été données par le législateur, le conseil régional avait donc compétence pour intervenir dans le domaine de la loi mais aussi du règlement.

A cet égard, votre rapporteur rappelle pour mémoire que le conseil général et le conseil régional de la Martinique avaient sollicité en 2008, bien avant la Guadeloupe, une habilitation en matière de transports publics de voyageurs. Le Gouvernement n'y avait pas donné suite, en refusant de publier les délibérations correspondantes au Journal officiel , considérant que ces demandes ne reflétaient pas un consensus local suffisant. Votre rapporteur tient à nouveau à rappeler que le Gouvernement ne dispose pas en la matière d'un pouvoir d'appréciation qui lui aurait été conféré par le législateur organique, lui permettant d'exercer un contrôle d'opportunité. Aussi, à l'occasion de l'examen en octobre 2009 du projet de loi portant engagement national pour l'environnement (dit « Grenelle 2 »), le Sénat adopta un amendement habilitant le conseil général de la Martinique à fixer les règles instituant un périmètre unique de transports ainsi qu'une autorité organisatrice unique de transports, ce qui conduisait à ce que le conseil général intervienne dans le domaine de compétence d'autres collectivités. L'Assemblée nationale supprima cette habilitation pour lui substituer la faculté de désigner par décret, dans les départements et régions d'outre-mer, une autorité unique et de définir, par décret également, un périmètre unique de transports. Cette question pourra néanmoins être reprise, s'il y a lieu, dans le cadre de la collectivité unique.

Votre rapporteur constate que les départements et régions d'outre-mer ne sollicitent guère de cette faculté d'habilitation qui leur est reconnue depuis 2003, puisque ces deux habilitations pour la Guadeloupe sont les premières. Concernant le régime juridique des habilitations, il souhaite néanmoins relever deux éléments nouveaux.

D'une part, dans le cadre de l'URAG, les présidents des trois régions ont demandé que les durées d'habilitation soient portées de deux à six ans. Une proposition de loi organique a été déposée en ce sens le 20 juillet 2010 par notre collègue député Victorin Lurel, président du conseil régional de la Guadeloupe 19 ( * ) . Cette proposition reprend, au demeurant, une piste d'évolution déjà suggérée publiquement par le Président de la République pour les régions mais aussi les départements.

D'autre part, à la suite de l'ajout à l'article 73 de la Constitution de la possibilité pour les départements et régions d'outre-mer de fixer les règles applicables sur leur territoire dans le domaine non seulement de la loi mais aussi du règlement, à l'initiative de votre rapporteur lors des débats de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, par souci de simplification 20 ( * ) , la modification des dispositions concernées 21 ( * ) attendait d'être accomplie par le législateur organique. Cette modification figure dans le projet de loi organique relatif au Département de Mayotte, adopté par le Sénat le 22 octobre 2010.

4. La volonté de la Réunion de conserver son statut actuel

La Réunion ne fait état d'aucune velléité d'évolution institutionnelle, en cohérence avec la position prise par ses élus lors des débats de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003.

L'actualité porte davantage sur la situation économique et sociale que sur le cadre institutionnel de région monodépartementale d'outre-mer, qui fait assez largement consensus. A cet égard, la Réunion est concernée comme tous les départements et régions de métropole, et à la différence des trois autres actuels départements d'outre-mer, par la mise en place du conseiller territorial.

Ainsi, les préoccupations concernent à la fois le domaine social, et singulièrement le logement, et les infrastructures. Sur ce second point, votre rapporteur salue l'ouverture de la route des tamarins à l'été 2009, dotée de très nombreux ouvrages d'art, à l'issue d'un chantier long et exceptionnel. Il observe également que le débat se poursuit sur les modalités du projet de transport public littoral.

Enfin, le rapporteur relève que l'engagement particulier de la Réunion en faveur de la préservation de l'environnement a été pleinement récompensé par le classement comme site naturel au patrimoine mondial de l'UNESCO des « pitons, cirques et remparts de l'île de la Réunion », le 1 er août 2010. Ce site correspond au parc national de la Réunion. Avec ceux de Guadeloupe et de Guyane, le parc de la Réunion est l'un des trois parcs nationaux ultramarins, sur un total de neuf parcs nationaux en métropole et outre-mer. Ceci atteste bien du fait que la richesse environnementale de la France résulte pour une très large part du patrimoine naturel ultramarin.


* 18 Décision n° 82-147 DC du 2 décembre 1982 sur la loi portant adaptation de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la Réunion.

* 19 Proposition de loi organique n° 2765 tendant à modifier l'article L.O. 4435-6 du code général des collectivités territoriales pour porter de deux à six ans la durée des habilitations prévues à l'article 73 de la Constitution.

* 20 Il s'agissait de permettre que l'habilitation à fixer des règles dans le domaine du règlement relève de la compétence du règlement, sans nécessiter une intervention législative.

* 21 Articles L.O. 3445-9 et suivants du code général des collectivités territoriales pour les départements d'outre-mer et L.O. 4435-9 et suivants pour les régions d'outre-mer.

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