C. LA PRÉFÉRENCE FRANÇAISE POUR LES PRÊTS LIMITE SA CAPACITÉ À INTERVENIR DANS LES PAYS LES PLUS PAUVRES ET LES SECTEURS LES MOINS RENTABLES

1. Si l'opposition entre les dons et les prêts doit être relativisée

Les interventions françaises dans les pays en développement sous forme de prêts sont à des conditions extrêmement variables aussi bien en matière de taux que de bonification, ou même de durée, comme l'illustre le tableau suivant relatif aux conditions de prêts de l'AFD. Cette gradation entre les différentes catégories de prêts permet de relativiser l'opposition entre ces deux instruments.

Par ailleurs, l'analyse des instruments financiers de l'aide au développement française ne saurait se réduire à celle des dons et des prêts. Une des caractéristiques des interventions de l'AFD est en effet d'avoir la possibilité de déployer une palette d'instruments extrêmement variés. Cette variété constitue l'une des forces de la coopération française qui lui permet d'adapter ses différents instruments -fonds de garanties, financements souverains et non souverains, financements structurés, accompagnement des acteurs- au profil des pays partenaires.

Ainsi, les 2,2 milliards d'euros d'intervention de l'AFD en Afrique prennent des formes très variées, comme l'illustre le graphique suivant.

Source : AFD

2. La capacité d'intervenir sous forme de prêts dépend de la capacité d'endettement des pays ou des secteurs concernés, de ce fait la diminution des dons n'est pas cohérente avec les objectifs géographiques et sectoriels de la France.

En l'absence de crédits en montant suffisant pour intervenir de façon significative sous la forme de subventions, la coopération française cherche à soutenir la croissance des pays en voie de développement par le biais de prêts, en prenant soin de ne pas conduire les pays aidés à des situations de surendettement, comme ce fut le cas par le passé. Pour éviter ce risque, la communauté internationale a, lors des différents processus d'annulation de dettes, défini un cadre d'analyse permettant de déterminer les pays susceptibles d'avoir recours de nouveaux à l'emprunt.

Ce cadre dit « de la viabilité de la dette », défini conjointement par le FMI et la Banque mondiale pour les pays bénéficiant ou ayant bénéficié d'allègement de leur dette externe au titre de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), et/ou bénéficiant du guichet concessionnel de la Banque mondiale (AID), classe les pays en risque faible (pays « vert »), modéré (« jaune ») ou élevé (« rouge ») de surendettement.

Jusqu'au début de l'année 2010, les prêts souverains de l'AFD en faveur des pays à faible revenu ayant accès au seul guichet concessionnel de la Banque mondiale étaient réservés à ceux de ces pays dont le risque de surendettement est jugé faible (pays « vert »).

Or, parmi les 39 pays d'Afrique subsaharienne qui disposent d'une telle analyse, 14 pays seulement sont « verts » (Niger, Sénégal, Madagascar, Éthiopie, Ouganda, Tanzanie, Mozambique, Zambie, Libéria, Nigeria, Kenya, Cameroun, Cap Vert, Congo).

De nombreux pays parmi les pays prioritaires de la coopération française sont soit dans la catégorie« jaunes » (Bénin, Mali, Mauritanie, Centrafrique, Tchad, Togo, Ghana, Sierra Leone, Lesotho, Rwanda, Malawi), soit dans la catégorie « rouges » (Burkina Faso, RDC, Guinée, Gambie, Sao-Tome, Djibouti, Burundi, Guinée-Bissau,). 5 pays sont par ailleurs en situation de surendettement : Comores, Côte d'Ivoire, Guinée, Zimbabwe, Soudan 39 ( * ) .

La conjonction de cette situation et de la faiblesse des subventions conduisent à ce que les 14 pays prioritaires de la coopération française ne représentent que 24 % des engagements de l'AFD en Afrique.

De même la situation des pays francophones est telle que les engagements du groupe AFD en Afrique subsaharienne -qui sont à 80 % des prêts- concernent majoritairement les pays anglophones. Ainsi, 66 % des engagements ont concerné des pays anglophones, 33 % des pays francophones et 1 % des pays lusophones.

La répartition des engagements de l'AFD en Afrique subsaharienne
par instrument et par type de pays en 2010 (en M€) :

Subventions

Prêts

Garanties

Total

En%

14 pays pauvres prioritaires

156

211

66

433

24 %

PMA non prioritaires

33

151

17

201

11 %

Pays à faible revenu

0

419

17

436

25 %

Pays à revenu intermédiaire

14

426

42

482

27 %

Multi-pays

102

100

8

209

12 %

Total

321

1 306

150

1 778

100 %

Votre commission a bien noté qu'en janvier 2010, le ministre des finances a assoupli la politique de prêt, l'AFD étant désormais autorisée à octroyer des prêts aux pays pauvres prioritaires dont le risque de surendettement est jugé modéré et qui sont sous programme FMI.

Cette mesure devrait permettre la poursuite de la hausse des engagements de l'AFD en Afrique subsaharienne, pour atteindre 3,2 milliards d'euros en 2013, en lien avec les engagements pris par le Président de la République d'y consacrer 10 milliards de financements sur 2008-2012.

Evolution prévisionnelle des engagements de l'AFD
en Afrique subsaharienne

Les objectifs d'accroissement des engagements sous forme de prêts en Afrique conduiront l'AFD à accroître ses engagements là où l'opinion publique, et dans une moindre mesure les pouvoirs publics, l'attendent moins, c'est-à-dire dans l'Afrique non francophone, plutôt plus riche, dans des secteurs souvent intrinsèquement rentables, à travers des prêts de moins en moins concessionnels.

L'assouplissement de la politique de prêts devrait cependant permettre de promouvoir la croissance prioritaire de la coopération française.

Pour des pays qui sortent d'un processus de désendettement ou des secteurs rentables, comme l'électricité ou, à un degré moindre, l'eau, un recours accru aux prêts constitue un moyen de financement des investissements. Compte tenu des besoins de financement de l'Afrique subsaharienne en matière d'infrastructures, ces investissements ne pourront pas se faire sans un recours massif aux prêts.

Mais il faut veiller à ce que le niveau des objectifs d'octroi ne conduise pas à une nouvelle crise de surendettement. De ce point de vue l'assouplissement de la politique française de prêts constitue un risque supplémentaire et devra faire l'objet d'une évaluation régulière.

3. La montée en puissance des prêts aura, à terme, des conséquences paradoxales sur le montant de l'aide au développement déclarée de la France

Comme il a été indiqué lors de la présentation de l'APD déclarée de la France dans les années passées, la montée en puissance des prêts dans les années 90 et 2000 aura pour conséquence, dans les prochaines années, une croissance importante des remboursements qui viendront en déduction de l'aide déclarée.

C'est déjà le cas, par exemple, pour les prêts de la Réserve pays émergents du programme 851, qui sont déclarés au titre de l'APD. Actuellement, les remboursements en capital au titre du programme 851 sont supérieurs aux déboursements au titre des prêts de la Réserve pays émergents, comme le souligne le document de politique transversale.

Impact APD et budgétaire des prêts de la Réserve pays émergents
(en millions d'euros)

Programme

LFI 2011
solde budgétaire

Estimation APD 2011

PLF 2012
solde budgétaire

Estimation
APD 2012

851 - Prêts à des Etats étrangers, de la réserve pays émergents, en vue de faciliter la réalisation de projets d'infrastructure

76

-66

21

-103

dont versements

350

dont versements

390

dont remboursements

-416

dont remboursements

-421 (1)

dont remboursements par refinancements

-3

Source : DG Trésor (septembre 2011)

Au moment même où la communauté internationale se donnera rendez-vous pour apprécier la capacité de chaque pays à atteindre l'objectif de 0,7 % en 2015, la France risque de voir le montant de son APD déclarée largement amputé par le montant croissant des remboursements.


* 39 Par ailleurs, 9 pays d'Afrique subsaharienne ne sont pas soumis à ce cadre d'analyse (Gabon, Afrique du Sud, Botswana, Namibie, Swaziland, Maurice, Seychelles, Guinée Équatoriale et Angola).

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