II. DES CONTRAINTES AGGRAVANTES : UNE ORIENTATION À L'ARRÊT ET L'ÉCHEC DE LA MASTÉRISATION

A. LA PERPÉTUATION DES INÉGALITÉS SOCIALES ET TERRITORIALES

1. Une logique de tri social

Les phénomènes de reproduction des inégalités sociales, désormais amplement documentés, ont largement survécu à la réforme de la voie professionnelle, qui n'en attaquait pas les racines. Votre rapporteure craint même plutôt que ne se creusent encore les inégalités scolaires et sociales du fait d'une régionalisation des politiques éducatives qui ne dit pas son nom . Le maintien d'un cadre national fort et de la compétence générale de l'État est essentiel pour contrer cette tendance redoutable.

Il faut surtout éviter que le CAP ne devienne une voie de relégation pour les enfants des milieux populaires , au capital socioculturel plus faible et dont la tendance à l'autocensure est plus marquée. Couplé avec l'affaiblissement définitif des BEP en raison de l'inadéquation de la certification intermédiaire, avec l'inefficacité des passerelles vers le bac professionnel et avec les lacunes de la carte des formations, un tel fléchage des CAP accentuerait encore la logique de tri social qui prévaut après le collège.

L'orientation à l'issue du collège connaît toujours de grandes disparités selon le milieu d'origine de l'enfant. En 2010, à l'issue de la Troisième, 60 % des élèves se sont orientés vers une seconde générale et technologique et 26 % d'entre eux ont intégré la voie professionnelle , tandis que 5 % de la cohorte redoublait et 10 % quittaient le système scolaire . Si le taux de redoublement a fléchi en dix ans, le taux de sorties est resté inchangé. Dans la mesure où l'on ne peut attribuer uniquement les sorties à des entrées massives dans l'apprentissage, il faut reconnaître que la politique de lutte contre le décrochage menée depuis des années ne produit aucun effet tangible et durable.

À la rentrée 2010, 18 % des élèves de 3 e ont rejoint une seconde professionnelle, 5 % des CAP et 3 % les derniers BEP. En dix ans, les flux vers le CAP ont ainsi doublé.

ORIENTATION EFFECTIVE DES ÉLÈVES APRÈS LA TROISIÈME (EN %)
FRANCE MÉTROPOLITAINE + DOM - PUBLIC ET PRIVÉ

2000

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Seconde générale et technologique

56,7

56,4

56,6

56,5

56,7

57,2

58,8

59,9

Second cycle professionnel dont:

26,3

26,8

26,7

26,3

26,3

26,3

25,8

25,9

- Première année de BEP en 2 ans

23,7

23,2

23,0

22,4

22,2

15,4

3,3

3,0

- Première année de CAP en 2 ans

2,4

3,3

3,4

3,4

3,5

3,9

5,0

4,8

- 2nde professionnelle

(Première année de BPRO en 3 ans) (1)

-

-

0,2

0,4

0,5

7,0

17,4

18,0

- Autres formations professionnelles (2)

0,2

0,3

0,1

0,1

0,1

0,0

0,1

0,1

Redoublement de la troisième

6,6

6,5

6,1

6,2

5,8

5,4

5,0

4,9

Entrées en apprentissage, orientations hors éducation nationale et sorties du système éducatif

10,4

10,3

10,5

10,9

11,0

11,0

10,4

10,1

(1) Première année de baccalauréat professionnel en 3 ans à partir de la classe de 3 e .

(2) Première année de CAP en 3 ans ou CAP en 1 an.

Source : Ministère de l'éducation nationale

Les enfants d'ouvriers, de chômeurs n'ayant jamais travaillé ou de personnes sans activité sont massivement surreprésentés dans le second cycle professionnel. La moitié des élèves en voie professionnelle sont issus d'une famille d'ouvriers ou de personnes sans activité, alors qu'ils ne représentent qu'un tiers de l'effectif global du second degré .

En outre, ces élèves vont quasiment deux fois plus souvent en CAP qu'en bac professionnel. Parmi les catégories sociales orientées massivement vers la voie professionnelle, les enfants d'employés se distinguent des enfants d'ouvriers ou de chômeurs en ce qu'ils vont davantage vers le baccalauréat que vers le CAP. La voie professionnelle recrée ainsi en son sein des hiérarchies et des stratifications sociales secondaires à partir de la dichotomie entre le CAP et le bac professionnel .

À l'inverse, la part des enfants d'enseignants est proportionnellement plus élevée dans le second cycle général et beaucoup plus faible dans l'enseignement professionnel. Au sein même de la voie professionnelle, ces élèves se dirigent plus vers le bac professionnel que vers le CAP. Ainsi, ils représentent 3,3 % de l'effectif global dans le secondaire mais seulement 0,6 % des CAP. Il en est de même pour les enfants de parents exerçant une profession libérale ou d'encadrement : comptant pour 18,2 % des effectifs du secondaire, ils ne représentent que 6,9 % des baccalauréats professionnels et 4,2% des CAP contre plus d'un quart des lycéens de la voie générale et technologique.

ÉLÈVES DU SECOND DEGRÉ SELON LA CATÉGORIE SOCIALE
DE LA PERSONNE RESPONSABLE DE L'ÉLÈVE EN 2010-2011 (EN %)

Agricul-teurs

Artisans, commerçants

Prof.lib., cadres

Prof. interméd.

Enseignants

Employés

Ouvriers

Sans activité

Second cycle GT

2,1

10,8

25,4

15,3

4,7

15,8

18,8

4,7

CAP

1,1

7,1

4,2

8,1

0,6

16,9

38,6

19,8

BEP

2,0

8,6

5,9

12,2

0,9

20,5

37,2

10,0

Bac pro

1,5

9,4

7,2

11,4

1,0

18,8

35,5

11,3

Ensemble

2,0

10,4

18,2

13,2

3,3

16,8

26,3

7,7

Source : RERS 2011 - Ministère de l'éducation nationale

Votre rapporteure note qu'en un an, au cours de la montée en charge de la réforme de la voie professionnelle, ces écarts se sont encore accrus , comme si les catégories sociales au plus fort capital socioculturel ou économique fuyaient encore davantage l'enseignement professionnel que par le passé. Ce constat conforte malheureusement l'impression générale d'une réforme non seulement incapable de renverser la logique de tri social mais qui s'en accommode et le consoliderait presque.

La course à la performance scolaire a surtout eu pour effet de renforcer la pression sur les meilleurs élèves pour que leurs résultats tirent statistiquement vers le haut les évaluations globales. Pendant ce temps, les plus faibles, dont le nombre est grandissant d'année en année comme le révèlent les tests nationaux et internationaux les plus rigoureux, sont laissés à la dérive par un système qui ignore leurs besoins et cherche uniquement à les envoyer le plus tôt possible sur le marché du travail avec des perspectives de salaires et de carrière extrêmement restreintes.

Accroître l'équité du système scolaire ne peut plus être un objectif périphérique, mais doit devenir une priorité de toute future réforme, quel que soit le maillon éducatif concerné.

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