2. L'utilisation différenciée des différents leviers de suppressions de postes

L'examen fin de la méthodologie et des leviers utilisés pour supprimer les postes est ainsi riche d'enseignements. En collaboration avec l'inspection générale des finances, le ministère de l'éducation nationale a identifié une série de « gisements d'efficience » qui pouvaient être exploités en actionnant des leviers dont les principaux sont la mise en réseau des établissements, l'augmentation de la taille des classes, la baisse de la préscolarisation à deux ans, une certaine « externalisation » du remplacement des enseignants absents via le recours à des contractuels et des vacataires, la réduction des moyens d'enseignement affectés hors classe et l'« internalisation » de l'enseignement des langues vivantes en primaire. Aux recteurs ensuite de choisir les modalités de suppressions effectives de postes pour remplir le quota qui leur a été notifié par l'administration centrale.

Même si votre rapporteure est sensible à l'intérêt d'une poursuite de la déconcentration de la gestion des moyens, elle s'interroge sur l'articulation entre le rôle des recteurs et de l'administration centrale . En effet, en réponse à son questionnaire budgétaire, le ministère de l'éducation nationale a tenu à préciser que « les suppressions de postes sont effectuées par académie et la répartition au sein de l'académie et par levier relève d'une démarche locale, rendant ainsi difficile une identification précise, pour chaque levier et pour chaque académie de l'impact de telle ou telle mesure prise. » Il paraît étonnant que l'administration centrale ne soit pas informée de l'utilisation de tel ou tel levier dans telle ou telle proportion dans chaque académie. Comment sans ces informations peut-elle améliorer le dialogue de gestion pour l'année prochaine ? Comment modifier en conséquence les quotas affectés à chaque académie ? Comment mesurer l'effet sur les résultats scolaires des élèves dans chaque académie ? À quoi sert alors de prétendre dans la même réponse que le dialogue a été « fructueux » ? Votre rapporteure voit là un triple problème à la fois pour la transparence et l'efficacité de la gestion, pour la garantie de l'équité sur l'ensemble du territoire national et pour l'évaluation de l'impact sur les apprentissages des mesures décidées .

L'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) a étudié l'utilisation dans chaque académie des différents leviers. Les correspondants académiques de l'inspection générale notent tout d'abord que « les situations de sur-encadrement et de sous-encadrement relatifs demeureront, ce qui est lié à l'absence de véritable rééquilibrage entre académies et département » , que manifestement le nouveau de dialogue de gestion ne suffit pas à provoquer. En particulier, ils prévoient de grandes tensions « dans les départements démographiquement dynamiques et ayant un taux d'encadrement faible, pour l'essentiel situés en banlieue parisienne et en Rhône-Alpes. » 3 ( * )

Dans le premier degré, il est à noter que pour la préparation de la rentrée 2011, la baisse de la préscolarisation dès deux ans est tellement nette depuis plusieurs années que ce gisement d'économies faciles est presque asséché « à l'exception de quelques départements où cette question est en revanche très sensible » , comme dans le Nord ou le Finistère où environ 40 % des enfants de deux ans sont encore scolarisés. En revanche, la taille des classes demeure le levier essentiel et beaucoup d'inspecteurs d'académie se préparent à augmenter les seuils « y compris en milieu rural et y compris dans les écoles de l'éducation prioritaire qui ne sont pas sanctuarisées mais traitées comme les autres » . 4 ( * ) Il est prévu que pour la rentrée 2012, l'augmentation de la taille des classes soit utilisée pour fermer les petites écoles et ainsi provoquer l'activation d'un autre levier, celui du regroupement d'écoles en réseaux. Votre rapporteure souhaite qu'aucune décision discrétionnaire ne soit prise en ce domaine sans dialogue, concertation, accord et participation active des élus locaux.

Enfin, la réduction des postes « hors classe » met en lumière certaines contradictions de la politique du ministère de l'éducation nationale . 900 postes ont été retirés à ce titre dans le premier degré par le budget 2011. Il convient de noter que les postes « hors classe » peuvent être devant élèves comme les RASED par exemple. Cette catégorie est en fait très hétérogène puisqu'elle comprend aussi les postes de soutien dans les réseaux de réussite scolaire, les professeurs mis à disposition des IUFM, les itinérants de langue régionale, les décharges de directeurs d'écoles, de maîtres formateurs, pour l'animation culturelle, pour les TICE, etc. Tous ces postes identifiés désormais comme des gisements de réduction d'emploi ont été sciemment multipliés ces dernières années : « La [direction générale de l'enseignement scolaire] DGESCO, le groupe Enseignement primaire de l'[inspection générale de l'éducation nationale] IGEN, la [direction générale des ressources humaines] DGRH continuent de demander toujours davantage de pilotage, d'animation, de partenariats divers et variés, au profit notamment des langues, du sport, de la culture et des TICE. Les recteurs font souvent de même, et certains postes paraissent intouchables, comme ceux consacrés aux langues régionales. Cette hypertrophie du discours sur le pilotage pédagogique et sur la diversification des enseignements a une incidence directe sur le nombre des emplois soustraits de l'enseignement. » 5 ( * ) Aujourd'hui, l'éducation nationale risque de défaire ce qu'elle vient de construire au risque d'une désorganisation du premier degré. Or le besoin d'animation et de pilotage pédagogique au niveau local demeure, puisque le ministère de l'éducation nationale n'a pas su résoudre la question du statut de l'école et de son directeur. Dès lors, les postes « hors classe » doivent être approchés avec beaucoup de prudence et de discernement.

Ces constats pour la rentrée 2011 dans le premier degré préfigurent la réalisation l'année prochaine du schéma d'emplois présenté dans le projet de loi de finances pour 2012. Il est à prévoir que les autorités académiques poursuivront l'augmentation du nombre d'élèves par classe, pousseront aux regroupements d'écoles et diminueront encore le stock des postes « hors classes ».

Aucune de ces orientations ne peut être interprétée en soi comme favorisant les apprentissages des élèves, alors même que les évaluations nationales et internationales demeurent défavorables et que le poids des inégalités sociales tend à s'alourdir .


* 3 IGAENR, Suivi trimestriel des académies, Rapport n° 2011-033, avril 2011, p. 3.

* 4 Ibid., p. 5.

* 5 Ibid., p. 8.

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