IV. SEULS LES FINANCEMENTS INNOVANTS CONSTITUENT UNE SOLUTION DE LONG TERME A LA HAUTEUR DES ENJEUX

Comme l'ont souligné vos rapporteurs tout au long de ce rapport, le besoin de gérer collectivement un nombre grandissant d'enjeux globaux rend inéluctable la mise en place de politiques publiques à l'échelle planétaire.

Les besoins de financements liés à ces politiques globales sont importants et durables, ils requièrent des réponses structurelles.

La crise financière et la récession mondiales, de même que les mesures de consolidation budgétaire qui se sont suivies, sont venues aggraver les problèmes de financement et compromettent gravement la capacité des gouvernements à s'acquitter de leurs engagements antérieurs.

La récente crise de la dette souveraine en Europe n'a fait que renforcer la forte pression qui continue à peser sur les situations budgétaires de nombreux pays.

C'est pourquoi, il faut encourager l'essor des financements innovants du développement, c'est-à-dire de nouveaux flux financiers plus stables, plus prévisibles et moins dépendants des budgets annuels des pays membres du CAD et des nouveaux pays donateurs, que l'aide traditionnelle.

Ces financements complètent cette dernière par une fiscalité assise sur les activités économiques internationales peu ou non taxées à l'échelon mondial, à l'instar de la taxe sur les billets d'avion ou du projet de taxe sur les transactions financières internationales.

Ils peuvent également bénéficier des perspectives ouvertes par les garanties et mécanismes de marché -garanties d'achats futurs, garantie d'emprunt (IFFIM,...), mise aux enchères des quotas de CO 2 ,...

A. DES SOLUTIONS TECHNIQUES ONT FAIT L'OBJET DE TRAVAUX POUSSÉS

Plusieurs rapports d'experts ont étudié la faisabilité technique d'une taxe sur les transactions financières au regard d'un certain nombre de critères : les volumes (si les recettes potentielles sont suffisantes pour apporter une contribution significative), l'impact sur le marché (si les distorsions et les évitements restent dans des limites acceptables), la faisabilité (si les défis juridiques et techniques peuvent être surmontés) et la pérennité, et l'adéquation (si les flux de recettes sont relativement stables dans le temps et la source adaptée au rôle de financement des biens publics mondiaux).

Plusieurs options sont possibles : une taxe sur les activités financières, une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les services financiers, une taxation large sur les transactions financières, une taxe sur les transactions de change mono-devise, collectée au niveau national, une taxe sur les transactions de change multidevises, collectée de manière centralisée au niveau mondial.

Le dernier rapport du « groupe d'experts à la taskforce sur les transactions financières internationales pour le développement » a conclu, après avoir évalué les différentes options, qu' une taxe sur les transactions de change au niveau mondial constitue le mécanisme de financement le plus approprié pour les biens publics mondiaux.

D'autres solutions peuvent être envisagées, parmi les propositions, les taxes sur le tabac sont particulièrement intéressantes parce qu'elles incitent les fumeurs à abandonner la cigarette et dissuadent les gens de commencer à fumer, tout en générant des revenus non négligeables.

L'OMS a formulé l'idée d'une contribution de solidarité mondiale (STC, Solidarity Tobacco Contribution) applicable au tabac. Il s'agirait d'obliger les pays à augmenter les droits d'accise sur le tabac et d'allouer une partie des revenus supplémentaires perçus à la santé mondiale. Elle souligne que les taxes sur le tabac sont déjà omniprésentes. Elles sont appliquées sous une forme ou une autre dans 90 % des pays. Et elles sont efficaces. Bien que dans certains pays, l'ensemble des taxes sur le tabac dépasse 70 %, le droit d'accise moyen dans les pays du G20 et de l'Union européenne est d'environ 55 %.

Dans le schéma de l'OMS, les pays à revenu élevé pourraient affecter 0,10 dollar par paquet de cigarettes vendu à la santé mondiale, les pays à revenu moyen 0,06 dollar et les pays à faible revenu 0,02 dollar.

Comme le souligne le rapport de Bill Gates aux membres du G20, « si cette taxe était mise en place par les pays du G20 et d'autres membres de l'UE, ...il serait possible de générer environ 10,8 milliards de dollars pour la santé mondiale. Cette somme s'ajouterait aux bienfaits pour la santé que constituerait la baisse du nombre de fumeurs consécutive à l'augmentation des taxes sur le tabac. ».

L'idée la plus aboutie semble cependant être celle d'une taxe sur les transactions financières.

Les taxes sur les transactions financières existent déjà dans de nombreux pays où elles génèrent des revenus importants.

D'après le FMI, 15 pays du G20 taxent, sous une forme ou une autre, les transactions sur les titres. Dans les sept pays ou le FMI évalue les recettes, ces taxes rapportent, selon les estimations, 15 milliards de dollars par an. Pour un système d'imposition efficace, il est généralement conseillé d'appliquer un taux faible sur une base large. Cette ligne de conduite est valable également pour les taxes sur les transactions financières. Sur différents instruments, on pourrait envisager des variations de cette taxe pour réduire les éventuelles distorsions économiques. Ainsi, la taxe sur les capitaux propres pourrait être légèrement supérieure à la taxe sur les obligations à long et court terme, les swaps et les contrats à terme.

L'étude de certains modèles révèle que même une faible imposition de dix points de base sur les capitaux propres et de deux points de base sur les obligations pourrait générer environ 48 milliards de dollars sur l'ensemble des pays du G20 ou 9 milliards de dollars si l'on se limite aux principaux pays d'Europe. D'autres propositions de taxes sur les transactions financières offrent des perspectives sensiblement plus avantageuses, allant de 100 à 250 milliards de dollars, notamment en incluant les produits dérivés.

Aujourd'hui, la faisabilité technique de la mise en place d'un financement innovant ne semble plus aujourd'hui contestée, comme l'illustre un récent document de travail du FMI qui en a récemment montré la faisabilité technique 57 ( * ) .

Vos rapporteurs souhaitent souligner la portée politique de ce projet.

Asseoir le financement des politiques d'aide au développement sur une ressource fiscale mondialisée permettrait de jeter les bases de politiques publiques de redistribution à l'échelle mondiale.

Leur mise en place est d'autant plus justifiée qu'elles constituent une forme moderne de redistribution internationale basée pour l'essentiel sur la taxation d'activités qui bénéficient de la mondialisation vers ceux qui n'en profitent pas ou peu.

A terme, la mise en place de financements innovants au niveau mondial permettrait, en outre, de mieux répartir l'effort en faveur de l'APD. En effet, aujourd'hui, l'Europe représente 30 % du PIB mondial et 60 % de l'APD mondiale. Un financement assis sur les transactions permettrait de réduire ce déséquilibre.

B. UN ACCORD POLITIQUE RESTE À TROUVER POUR SA MISE EN oeUVRE AU NIVEAU INTERNATIONAL

La France joue un rôle central en faveur des financements innovants. La France assure le Secrétariat permanent du Groupe pilote sur les financements innovants, enceinte informelle regroupant 63 pays d'horizons divers, 18 organisations internationales et de nombreuses fondations et ONG mobilisées sur le sujet. Elle a « montré l'exemple » dès 2006 à travers la mise en oeuvre de deux initiatives pilotes : la création d'une taxe sur les billets d'avion pour le financement de l'accès des populations les plus pauvres aux médicaments essentiels (sida, tuberculose, paludisme, via UNITAID) et le mécanisme d'emprunt IFFIm sur la vaccination (deuxième contributeur après le Royaume-Uni).

Evalués quatre ans après leur mise en place, notamment par la Cour des comptes, ces mécanismes font aujourd'hui consensus.

Les financements innovants ont constitué l'une des priorités de la présidence française du G20 en 2011, avec un accent particulier porté sur le projet de taxe internationale sur les transactions financières (TTF). L'impulsion donnée par la France a permis d'obtenir la mobilisation de plusieurs partenaires jusqu'alors peu allants sur le sujet comme par exemple l'Ethiopie, l'Afrique du Sud, l'Union africaine, le Brésil et l'Argentine. Le rapport d'expertise commandé par la France à Bill Gates dans le cadre du G20 est venu renforcer le plaidoyer en faveur des financements innovants, notamment la TTF.

Le G20 de Cannes a ainsi constitué une étape majeure dans le débat international sur la TTF, illustrée par l'adoption dans la déclaration finale de Cannes d'un paragraphe spécifique sur les financements innovants (paragraphe 82) comprenant la mention du « menu d'options ». La référence aux financements innovants et à une TTF ne figure pas, en revanche, dans la déclaration du G20 de Los Cabos, le Mexique n'ayant pas souhaité faire de ce thème une priorité de sa présidence.

Plusieurs pays restent toutefois ouverts au dialogue sur la TTF tant au niveau global (Argentine, Bénin, Brésil, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Ethiopie, Guinée, Japon, Mali, Maroc, Mauritanie, Mozambique, Norvège, Sénégal, Togo) qu'au niveau européen.

C. LA MISE EN PLACE D'UNE TTF EUROPÉENNE POUR 2013 ?

Les débats européens ont avancé au cours de cette année : une coalition de neuf Etats (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Grèce, Italie, Portugal) s'est constituée, matérialisée par la co-signature d'une lettre adressée à la Présidence danoise du Conseil de l'UE en février 2012.

Celle-ci appelait à accélérer le processus d'analyse et de négociation relatif au projet de mise en place d'une TTF européenne proposée par la Commission européenne en septembre 2011. La ferme opposition de plusieurs Etats membres (Royaume Uni et Suède notamment) a toutefois mené au constat de l'impossibilité de parvenir à un accord à l'échelle des 27, ouvrant la voie à une éventuelle coopération renforcée.

En parallèle, le Parlement européen a approuvé le 23 mai 2012 une résolution en faveur d'une taxe sur les transactions financières, sur la base du rapport de l'euro-députée Anni Podimata.

Cette résolution reprend dans les grandes lignes le projet de directive de la Commission, notamment en termes d'assiette et de taux. En revanche, elle est plus ambitieuse sur la question de l'affectation du produit de la taxe puisqu'elle préconise une allocation des recettes tant au budget général qu'à des politiques de développement et de lutte contre le changement climatique.

Si l'avis de cette résolution n'est que consultatif, il s'agit néanmoins d'une avancée notable vers l'acceptation du projet d'une TTF européenne et de son rôle dans le financement du développement.

C'est pourquoi le ministre du développement devant la commission s'est montré optimiste soulignant que « nous devrions trouver une majorité au Parlement européen pour autoriser une coopération renforcée. En revanche, nous ne sommes pas encore assurés d'avoir une majorité au Conseil européen, notamment en raison de l'hostilité britannique. A ce niveau des négociations, nous n'avons pas d'indications précises sur la destination des fonds issus de la taxe, mais nous espérons bien qu'une partie de ces fonds sera affectée à l'aide au développement. » 58 ( * )

D. UN DÉBUT D'AFFECTATION DE LA TAXE FRANÇAISE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES QU'IL CONVIENT DE CONFORTER

Le PLF 2013 prévoit une ressource nouvelle pour le développement : l'affectation d'une fraction de 10% des recettes de la taxe sur les transactions financières (TTF) au Fonds de solidarité pour le développement.

Entrée en vigueur le 1 er août 2012, la TTF française est une taxe nationale envisagée comme une première étape permettant de prouver la faisabilité de l'instrument et de montrer l'exemple en vue de sa transposition à plus large échelle. Elle s'appliquera à un taux de 0,2% aux transactions d'actions d'entreprises françaises cotées en bourse et dont la capitalisation boursière dépasse 1 milliard d'euros. La taxe sur les CDS (Credit Default Swaps) est égale à 0,01% du montant notionnel du contrat et la taxe sur les opérations à haute fréquence, à 0,01% du montant des ordres annulés ou modifiés excédant un seuil.

Cette fraction est fixée à 10 %, avec une montée en charge progressive sur la période du budget triennal 2013-2015.

Le produit de la TTF est estimé dans le projet de loi de finances à 1 600M€ en année pleine. En 2013, cela devrait donc représenter 160 M€ d'engagements pour le développement. Un plafond de 60 M€ de décaissements est d'ores et déjà inscrit en loi de finances initiale.

Cette disposition qui répond à l'engagement présidentiel en faveur de la mise en place d'une taxe globale sur les transactions financières au profit du développement a été réitérée, tant lors du G20 de Los Cabos qu'à l'occasion du Sommet des Nations unies sur le développement durable (Rio+20). Elle permettra de financer des actions d'aide au développement ciblées sur deux priorités : d'une part, l'environnement et la lutte contre le changement climatique et, d'autre part, la santé, notamment la lutte contre les grandes pandémies.

Sur le plan géographique, les actions financées par la TTF traduiront en outre la priorité accordée par la France au Sahel, notamment en 2013. Si la montée en charge des déboursements sera progressive sur la période du budget triennal, la France prendra des engagements de financements à hauteur de 480 millions d'euros sur la période 2013-2015 (soit 160 millions d'euros par an, en moyenne, correspondant à 10 % du rendement prévisionnel de la TTF présenté dans le PLF 2013).

Sur le plan de la fiscalité et des finances publiques, l'article 27 du PLF 2013 dispose que « Le I de l'article 22 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 est complété par un alinéa ainsi rédigé : "Une fraction de 10 % du produit de la taxe prévue à l'article 235 ter ZD du code général des impôts est affectée à ce fonds, dans la limite du plafond prévu au I de l'article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012". »

Concrètement, il s'agit de modifier la LFR pour 2005 qui a institué le Fonds de solidarité pour le développement, FSD, géré par l'AFD, qui contribue au financement des pays en développement et à la réalisation des OMD.

Tel qu'il est présenté dans le PLF, le dispositif prévoit une affectation progressive du produit de la taxe en faveur du développement, qui n'atteindra la part de 10 % qu'à échéance de trois ans seulement. Ainsi que le précise le PLF : « Dans le cadre du budget pluriannuel 2013-2015, cette affectation sera progressive, dans la limite d'un plafond fixé dans l'article transversal de loi de finances relatif à l'encadrement des affectations de recettes ».

Ce plafond est établi pour 2013 à 60 M€, au sein de l'article 46 de la loi de finances initiale pour 2012. Il sera accru en 2014 (environ 100 M€) pour atteindre 160 M€ en 2015. » De sorte que, si le produit espéré en année pleine de la taxe est de 1,6 Md€ dès 2013, ce n'est qu'un montant de 60 M€ qui sera affecté au développement en 2013.

Le dispositif est en fait en-deçà des engagements du Président de la République, qui avait indiqué devant l'Assemblée générale des Nations unies qu'au moins 10 % du produit seraient reversés au développement. En effet, le projet loi plafonne ces 10 % à 160 millions en moyenne par an, indépendamment du montant des recettes de la taxe. Autrement dit, si la taxe rapporte plus, les recettes supplémentaires ne seront pas affectées au développement et le pourcentage in fine sera inférieur à 10%.

Comme l'a observé le ministre du développement : « Cette solution est très cohérente par rapport à la nature des projets à financer, elle présente l'inconvénient d'être peu lisible et exige un effort de pédagogie que je m'efforce de déployer ».

Vos rapporteurs estiment que la complexité du dispositif masque un recul par rapport à la pleine affectation de 10 % des revenus de la taxe.

Afin de mettre en cohérence les engagements présidentiels avec les dispositions de la loi de finances pour 2013, vos rapporteurs ont proposé de à la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées du Sénat un amendement qui déplafonne l'affectation de la taxe.

Cet amendement a été adopté à l'unanimité .


* 57 IMF Working Paper, « Taxing Financial Transactions: An Assessment of Administrative Feasibility », John D. Brondolo, August 2011.

* 58 Mardi 6 novembre 2012, audition de M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement, sur le projet de loi de finances pour 2013 (mission « Aide publique au développement »). http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20121105/etr.html#toc2

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