III. RÉDUIRE NOS AMBITIONS PAR UNE PLUS GRANDE SÉLECTIVITÉ DES ZONES D'INTERVENTION ?

Considérant que les marges de manoeuvre susceptibles d'être dégagées à partir des financements multilatéraux sont limitées, sachant que les redéploiements au sein de l'aide bilatérale auraient des conséquences incertaines, il ne reste, en réalité, que deux types de solutions : soient dégager de nouvelles sources de financement, c'est la solution des financements innovants dont on sait qu'elle constitue une piste à moyen terme, soit en attendant de réduire les ambitions et, notamment, l'étendue des pays dans lesquels la coopération française intervient. En d'autres termes, soit on augmente les crédits, soit on revoit les ambitions.

Cette conclusion s'impose à partir de l'examen des crédits disponibles pour les zones prioritaires de l'aide au développement.

Vos rapporteurs se sont suffisamment expliqués dans ce rapport sur ce sujet pour ne pas y revenir trop longuement.

Deux exemples illustreront ce propos.

Le premier exemple porte sur l'enveloppe des crédits disponibles au sein des Services de Coopération et d'Action Culturelle (SCAC) qui sont issus du programme 209 qui comprennent les crédits en matière de gouvernance, soit 14,2 millions d'euros déclinés en différents instruments, les projets du Fonds de solidarité prioritaire (FSP) déléguée aux SCAC, soit en 2011, 36 millions d'euros de crédits de paiement. Les SCAC coordonnent et assurent également le suivi des subventions allouées pour l'aide alimentaire et les urgences humanitaires, soit 8,9 millions d'euros en 2011 et en 2012.

Si on ne considère que les pays de la ZSP 56 ( * ) , ces quelque 60 millions d'euros doivent être répartis entre une soixantaine de pays , soit un million chacun.

Si on ne considère que la gouvernance, dont certains estiment que cela devrait être le coeur de l'aide au développement, les crédits s'établissent à moins de 15 millions pour 60 pays.

Le deuxième exemple porte sur les autres crédits la coopération, c'est-à-dire les crédits gérés par l'AFD dans les secteurs autres que la gouvernance ou l'éducation et l'enseignement supérieur. Si on s'en tient aux 14 pays prioritaires, le montant des subventions pour ces pays s'élève à 199 millions d'euros.

APD nette, en millions d'euros

2006

2007

2008

2009

2010

Pays pauvres prioritaires

Aide bilatérale

Dons a

Total

794

676

572

520

519

dont Subventions b

271

246

243

205

199

Prêts

Nets

-27

5

4

28

2

Bruts

20

36

79

59

59

Réaménagements de dette d

47

106

135

44

121

Aide multilatérale imputée e

418

352

425

556

619

Pour mémoire : APP c

45

63

70

107

422

APD bilatérale totale nette

814

787

710

592

643

Source : DPT 2013

Ce montant signifie que la France dispose de moins de dix millions d'euros par an et par pays pour poursuivre une politique de dons dans les 14 pays qu'elle juge prioritaires.

La politique française se caractérise par une dispersion des interventions sous forme de prêts et une forte concentration de l'effort budgétaire.

Une des solutions pour accroître les moyens susceptibles consacrés aux pays prioritaires consisterait à réduire nos ambitions dans d'autres zones géographiques.

Il est vrai que la coopération française intervient aujourd'hui sur à peu près tous les continents. La définition de zones prioritaires avec la ZSP, puis la définition des 14 pays prioritaires devenu 17, puis le cadrage proposé par le document-cadre de coopération autour des quatre partenariats différenciés ont néanmoins permis de définir des objectifs de concentration de l'effort budgétaire qui commence à produire des effets.

L'Afrique subsaharienne doit bénéficier ainsi de 60 % de l'effort financier bilatéral de la mission APD. Les 14 pays pauvres prioritaires doivent concentrer 50 % des subventions bilatérales. Les pays méditerranéens bénéficient de 20 % de l'effort financier bilatéral de la mission APD. Dans les pays émergents l'enveloppe des crédits budgétaires sera limitée au maximum à 10 % des crédits de la mission APD.

Peut-on aller plus loin ?

Une première piste consisterait à accroître davantage les objectifs de concentration , en augmentant, par exemple, la concentration des subventions à 80 % sur les 17 pays prioritaires ou à croiser le critère géographique avec un critère lié aux PMA.

Une seconde piste déjà évoquée ici consisterait à réduire le nombre des pays dans lesquels les SCAC ou l'AFD interviennent , de façon à économiser aussi bien en subventions qu'en frais de fonctionnement.

La Grande-Bretagne constitue à cet égard un exemple de pays qui continue à accroître son effort bilatéral de développement à fin de 0,7 % en 2015 tout en réduisant le nombre de pays concernés par son aide.

En effet, en 2008/2009, quelque 140 pays recevaient du Royaume-Uni une aide, dont 87 bénéficiaient, à un titre ou à un autre, des services de l'opérateur pivot de la coopération britannique le DFID ; dans 43 pays, des programmes bilatéraux significatifs étaient mis en oeuvre. Au terme de la revue de l'aide bilatérale à laquelle l'agence britannique a procédé en 2010, il a été décidé que le DFID, à l'horizon 2016, ne se concentrerait plus, au mieux, que sur 27 pays et trois programmes régionaux, en Afrique, Asie et dans les Caraïbes. Nombre de programmes bilatéraux seront par conséquent clos et toutes les catégories de pays sont concernées : en tout premier lieu, les grands pays émergents, la Chine ou la Russie, mais aussi les pays à revenus intermédiaires, considérés comme ne dépendant désormais plus de l'aide pour leur développement, tel le Vietnam dont l'économie est jugée performante. Certains PMA, comme le Niger ou le Burundi, verront aussi l'assistance du DFID s'interrompre, dans la mesure où d'autres donateurs sont désormais vus comme étant mieux placés pour continuer à y travailler en bilatéral.

Une étude plus approfondie des réformes en Grande-Bretagne ainsi qu'une comparaison du degré de concentration des politiques d'aide de part et d'autre de la Manche permettraient de se faire une opinion sur l'opportunité de resserrer le dispositif français et les gains financiers d'une telle opération.

Jusqu'à présent les gouvernements successifs ont fait le contraire, augmentant le nombre de pays prioritaires de 14 à 17 et multipliant les exceptions à la délimitation des interventions de l'AFD à la ZSP.

Il faut croire que les raisons qui conduisent à la dispersion sont plus fortes que celles qui conduiraient à une plus grande concentration. Mais loin de résulter d'une stratégie, cette situation est le fruit d'une succession de décisions liées notamment à des déplacements présidentiels.

Votre commission plaide donc pour un réexamen « à froid » des différents périmètres d'intervention.

Quelle que soit la piste retenue, les choix à opérer sont délicats dans la mesure où ils nécessitent, pour avoir un impact budgétaire significatif, d'interrompre des coopérations dans des pays partenaires avec lesquels la France a pu entretenir des relations très anciennes.

C'est la raison pour laquelle il est toujours plus facile d'ouvrir la liste des pays prioritaires que de la réduire.

Renforcer les cibles de concentration de l'effort budgétaire peut également présenter des inconvénients techniques importants. La pratique montre que des cibles de concentration trop contraignantes peuvent se révéler contre-productives en imposant des contraintes trop formelles .

La multiplication des cibles de concentration par géographie et par secteur peut conduire à gérer le budget de la coopération non plus en fonction des projets mais par souci de remplir un tableau de bord aux multiples entrées.

D'autre part, si la grande majorité des interventions dans des pays relativement avancés comme en Méditerranée peut se faire à travers des prêts, l'expérience montre que des crédits de subventions sont également nécessaires dans ces pays en petites quantités pour financer les études préalables.

De ce point de vue, il n'apparaîtrait pas judicieux de réduire trop les possibilités de recours aux subventions dans d'autres pays que les 17 pays prioritaires.

En ce qui concerne un resserrement des zones géographiques d'intervention de l'AFD, vos rapporteurs ont déjà abordé cette question dans la partie consacrée à l'AFD.

Tant que l'on peut intervenir dans les pays à revenus intermédiaires et ce à des conditions peu ou pas bonifiées, cette coopération est peu consommatrice de crédits budgétaires et présente en contrepartie un intérêt politique et économique non négligeable.

Dès lors, les marges de manoeuvre dégagées par des fermetures d'agences risquent d'être relativement limitées.

Reste la question des coûts de fonctionnement de ce réseau qu'il conviendrait d'approfondir. Dans la mesure où l'activité financière de l'AFD lui permet de financer ses agences, leur présence, dans des pays où la France ne dispose pas d'autres moyens de coopération, constitue vraisemblablement, pour l'État, une opportunité peu coûteuse pour les finances publiques.

Dans ces conditions, les choix seraient difficiles à opérer.

Sans doute une analyse fine du coût réel des interventions dans les pays hors ZSP et des résultats obtenus permettrait d'éclairer les options possibles et leurs conséquences.

C'est pourquoi votre commission demande une étude sur les élargissements successifs des zones d'intervention de l'AFD.


* 56 La Zone de solidarité prioritaire (ZSP) a été définie par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 14 février 2002. Proche et Moyen-Orient : Liban, Territoires palestiniens, Yémen. Afrique du Nord : Algérie, Maroc, Tunisie, Afrique sub-saharienne et Océan Indien : Afrique du Sud, Angola, Bénin, Burkina, Burundi, Cameroun, Cap-Vert, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d'Ivoire, Djibouti, Erythrée, Ethiopie, Gabon, Ghana, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Kenya, Liberia, Madagascar, Mali, Mauritanie, Mozambique, Namibie, Niger, Nigeria, Ouganda, R.D.du Congo, Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Sierra Leone, Soudan, Tanzanie, Tchad, Togo , Zimbabwe. Asie : Cambodge, Laos, Vietnam À titre provisoire : Afghanistan Caraïbes : Cuba, Haïti, République dominicaine. Amérique latine : Suriname Pacifique : Vanuatu

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