III. UNE POLITIQUE COMPLEXE DONT LE CONTRÔLE ET L'ÉVALUATION SONT DE PLUS EN PLUS DIFFICILES

Outre l'existence d'objectifs et d'instruments différenciés selon les zones, le budget de la mission Aide au développement finance des mécanismes de plus en plus complexes.

Cette complexité prend essentiellement deux formes. La première est le financement de projets de développement par des coalitions d'acteurs hétérogènes : État, organisations non gouvernementales, organisations multilatérales, fondations privées. La deuxième est le recours croissant à des instruments financiers de plus en plus élaborés associant des éléments de financements publics avec des instruments de marché.

A. UNE POLITIQUE DE PLUS EN PLUS COMPLEXE

1. La France, comme l'ensemble de ses partenaires, intervient de plus en plus rarement seule et de plus en plus fréquemment au sein de coalitions de bailleurs de fonds nationaux ou multilatéraux

La coopération française s'est longtemps pensée à travers les relations privilégiées que la France entretenait avec ses anciennes colonies.

De ce point de vue, une des évolutions les plus marquantes de ces dernières années est le fait que la coopération ne se conçoit plus comme un exercice solitaire, mais comme une relation de partenariat avec les pays récipiendaires d'abord, avec les autres bailleurs de fonds nationaux et multilatéraux, ensuite, et, enfin, avec un nombre croissant d'intervenants en France (ONG, collectivités, entreprises) et au niveau international (organisations internationales, fonds verticaux, fondations, nouveaux pays donateurs ...).

Le nombre de ces acteurs avec lesquels l'Etat interagit a crû de façon considérable. Le nombre d'organisations internationales ou de fonds spécialisés éligibles à l'APD auxquels la France a contribué, soit par le versement de contributions obligatoires, de contributions volontaires, ou par la reconstitution de fonds concessionnels s'est ainsi accru de plus de 100 % ces dernières années : il s'établissait à une trentaine jusqu'en 2004, 38 en 2005, 56 en 2006, 60 en 2007, 61 en 2008, 66 en 2009 et 64 en 2010. Selon les estimations de l'IGF, le nombre d'associations dans le domaine du développement s'établit entre 35 000 et 45 000.

De même, le nombre total d'opérations de l'AFD cofinancées avec d'autres bailleurs de fonds est passé de 60 en 2002 à 103 en 2011.

Alors que les cofinancements de projets ou programmes de développement avec d'autres bailleurs de fonds représentaient 17% des engagements nets de l'AFD en 2002, ils en représentaient 54% en 2010, et 36% en 2011.

En cumulé depuis dix ans, les cofinancements avec d'autres bailleurs de fonds concernent 222 projets, près de 8 Md€ d'engagements nets de l'AFD, pour un montant total des projets proche de 50 Md€. Ils représentent un tiers des engagements nets de l'AFD accordés durant cette période en opérations courantes, ABG et C2D dans les pays en développement pour lesquels l'AFD a mandat. Ainsi plus de 20 % des projets de l'AFD sont désormais des cofinancements.

Source: AFD

Même sans cofinancement, la France intervient de plus en plus rarement seule. La mise en oeuvre de notre politique bilatérale consiste aujourd'hui à repérer des opportunités où elle peut faire valoir sa valeur ajoutée et à construire des partenariats autour d'une action.

Aujourd'hui la gestion de projet de coopération internationale consiste à former des coalitions d'acteurs susceptibles de s'accorder avec un pays récipiendaire sur un projet de développement.

C'est dans ce cadre, conformément aux travaux sur l'efficacité de l'aide, que se sont développées une division du travail, des programmations conjointes et la mise en place, selon les pays et selon les secteurs, de chefs de file. C'est tout le sens du code de conduite sur la division du travail adopté par les membres de l'Union européenne et des travaux qui s'en sont suivis.

Une des conséquences concrètes de ces pratiques est qu'un certain nombre des crédits inscrits au budget de la coopération vont être mis en oeuvre par un opérateur qui peut être aussi bien français qu'allemand, finlandais, danois ou européen.

Dès lors, la responsabilité de la gestion de ces crédits, leur lisibilité et l'évaluation des actions entreprises se trouvent partagées entre un nombre croissant d'acteurs.

2. Une politique de coopération qui se joue de façon croissante au niveau multilatéral comme l'illustrent la montée en puissance des crédits multilatéraux ainsi que l'inscription de la coopération pour le développement dans l'agenda du G20 et du G8

Convaincus de la valeur ajoutée d'une action européenne pour le développement, les gouvernements successifs ont fait le choix d'inscrire la politique française d'aide au développement dans un cadre européen. C'est pourquoi la France a toujours oeuvré pour l'affirmation de cette compétence de l'Union.

Il en résulte que le quart du budget de la coopération est mis en oeuvre par des actions de la Commission européenne.

Evolution de l'APD en volume (en Md USD) et en % de l'APD nette par canal

Source : DPT 2012

La coopération française s'inscrit aussi résolument dans le cadre multilatéral qui constitue, dans un monde devenu totalement interdépendant, le niveau approprié pour l'élaboration de nombre de réponses communes aux défis mondiaux, parmi lesquels figure l'extrême pauvreté.

Pour cette raison la moitié de l'aide française transite par des organismes multilatéraux et européens.

En 2010, l'aide française multilatérale et communautaire représente environ 40% des crédits d'APD nette alors qu'elle n'était que de 20% en 1990 et 30% environ en 1998.

A cet égard, la tendance générale suivie par l'aide française est conforme aux évolutions connues par les autres membres du CAD, dont la part du multilatéral a également augmenté depuis 1990 et s'établit en 2011 autour de 30%.

La France est cependant désormais le pays qui utilise le plus le canal multilatéral, qui représente 57% des crédits de la mission APD. Cette situation conduit à ce qu'une part majoritaire des crédits qui sont soumis au vote du Parlement soit mise en oeuvre par des organismes qui échappent au contrôle du Parlement. Certes, les organismes auxquels la France contribue disposent d'organes de contrôle. En outre, la France est généralement représentée dans les organes exécutifs de ces organismes, de sorte qu'elle participe à la programmation de ces organismes qui, par ailleurs, rendent des comptes à leur conseil d'administration.

Il reste que le Gouvernement ne saurait être entièrement responsable des performances de chaque organisme.

Il revient, en définitive, au Parlement de juger de la pertinence de ses contributions au regard des objectifs de la coopération française et de la qualité du partenariat qu'entretiennent les pouvoirs publics avec les organismes de développement qu'ils financent.

La qualité des différents partenariats est cependant difficile à évaluer. On en juge souvent par l'adéquation entre le pouvoir accordé aux représentants de la France et la part des financements français ainsi que par la capacité des représentants français à orienter la programmation de ces organismes dans le sens des objectifs de la coopération française.

3. Des modalités d'intervention de plus en plus complexes

En l'espace d'une décennie, les instruments utilisés par la coopération française ont vécu une révolution spectaculaire. L'aide au développement traditionnelle comprenait exclusivement des prêts et dons.

Depuis, les modalités d'intervention de la coopération française se sont considérablement diversifiées avec la mise en place de mécanismes d'imposition ou de quasi-imposition tels que les taxes sur les tickets d'avions 16 ( * ) ; l'augmentation des investissements dans les capitaux à risques ; le recours de plus en plus fréquent aux outils des marchés financiers tels que, par exemple, la facilité financière internationale appliquée à la vaccination (IFFim) 17 ( * ), les partenariats publics privés comme l'Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (GAVI Alliance) 18 ( * ) , les mécanismes d'assurance, les systèmes de garantie, la mise en place de nouveaux canaux pour l'aide tels que les fonds et programmes mondiaux « verticaux » a l'instar du Fonds mondial pour l'environnement ou du fonds, ou le développement d'instruments de prêts cont racycliques ou contingents, etc.

Une des conséquences de ces innovations est, de fait, que le budget de la mission coopération inscrit dans la loi de finances reflète de moins en moins la réalité des financements réellement disponibles pour l'aide au développement.

Ainsi, la taxe sur les billets d'avions est un mécanisme extra-budgétaire, de même que l'IFFIm qui est un mécanisme basé sur des emprunts d'Etat. Les mécanismes de garantie de l'AFD ne se traduisent également pas par une ligne de crédit, mais rentrent, en cas de sinistre, dans les comptes de résultats de l'AFD.

Même quand l'instrument mis en oeuvre figure dans la loi de finances, comme c'est le cas pour l'aide budgétaire, la traçabilité de ses crédits du budget français à leur emploi effectif sur le terrain est problématique tout comme leur évaluation.

4. Des acteurs français sans cesse plus nombreux qui rendent le pilotage de cette politique difficile.

Les responsabilités de la politique de coopération s'articulent autour de différents dispositifs principaux qui impliquent au moins deux ministères et l'AFD, mais également un nombre croissant d'opérateurs publics, d'institutions multilatérales, d'ONG ou de fondations.

Si l'on prend le seul secteur de la santé, on retrouve un nombre particulièrement élevé d'acteurs dont les compétences se complètent et souvent se recoupent :

• le ministère des Affaires étrangères

Le ministère des Affaires étrangères assume la responsabilité générale de définition de la stratégie de l'APD, et est aussi responsable dans le secteur de la santé de la coopération multilatérale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Il gère, dans le cadre du programme 209, les dotations multilatérales (dont FMSTP, OMS, ONUDISA), un appui au GIP-ESTHER, plusieurs FSP dont le FSP régional Muskoka en appui à quatre agences des Nations unies spécialisées dans ce secteur (OMS/AMPS, UNFPA/ONU Femmes et UNICEF).

Le ministère des Affaires étrangères anime un réseau de conseillers régionaux de coopération en santé (les CRCS sont chargés du suivi des activités liées au FMSTP, ils collectent et analysent les avis dans le cadre du dispositif 5%, des activités des 4 Agences des Nations unies appuyées dans le cadre du FSP Muskoka et d'autres modalités de coopération en santé, coopération décentralisée, coopération régionale, inter universitaire, etc.).

• le ministère des Affaires sociales et de la santé

Certaines actions du ministère des affaires sociales et de la santé entrent dans le cadre de l'aide publique au développement (notamment par le biais du programme 124), comprenant ses contributions au GIP-ESTHER et à l'OMS, ou la mise à disposition de personnel. Le ministère suit le champ communautaire et les accords bilatéraux de coopération qu'il a signés avec une cinquantaine de pays ainsi que de nombreux jumelages institutionnels. En outre, il gère des partenariats hospitaliers dans les géographies où l'AFD n'est pas autorisée à fournir un appui.

Le ministère dispose à l'étranger d'un réseau des conseillers pour les affaires sociales (CAS) implantés sur 13 sites, incluant les représentations permanentes de la France à Bruxelles et à Genève, dont 8 dans les pays de l'Union européenne.

• l'Agence française de développement

L'AFD a été chargée par le CICID (2004) de la responsabilité de la mise en oeuvre de l'aide bilatérale en santé, ainsi que de l'assistance technique qui l'accompagne. Conformément aux directives de l'Etat, l'Agence appuie les secteurs public et privé et recourt à une large gamme d'instruments (subventions pour des projets Muskoka, prêts souverains ou non souverains, lignes de crédits bancaires, garanties...).

Entre 2007 et 2011 l'Agence a engagé 372 M€ dans le secteur de la santé (hors Outre-Mer), dont près de la moitié (173 M€) en Afrique, principalement orientés sur les projets de renforcement des systèmes de santé qui ont concerné, entre autres, le développement des ressources humaines en santé ou encore l'extension des systèmes de partage des risques financiers liés à la maladie (forfait obstétrical, micro assurance santé).

• Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche finance les centres de recherche et notamment l'Institut de recherche pour le développement (IRD) entièrement voué à la coopération au développement, les universités, certains instituts de formation, et apporte des subventions à l'ANRS.

• Le MINEFI gère le mécanisme financier IFFIm, une des sources de financement du GAVI.

Comme le soulignent les travaux du bilan évaluatif de la coopération française depuis dix ans menés par le Cabinet Ernst and Young : au-delà de la concentration des moyens en faveur des grandes initiatives multilatérales, la coopération française dans le secteur de la santé reste très dispersée, mise en oeuvre sur un large spectre thématique, et par une profusion d'acteurs hétérogènes. La mise en cohérence d'approches différentes, voire divergentes ou concurrentes, n'est pas assurée actuellement, et ne pourra l'être que sur la base d'une connaissance et d'un suivi beaucoup plus consistant des actions.

Car les acteurs en aval des principales institutions précitées sont également particulièrement nombreux.

On trouve :

- un ensemble de structures publiques ou parapubliques, France Expertise Internationale (EPIC sous tutelle du MAEE qui a pris en 2010 la suite de FCI), le réseau d'expertise GIP ESTHER, l'ADECRI en matière de protection sociale, le GIP SPSI (santé, protection et action sociales), etc.

- les hôpitaux qui, depuis la loi du 31 juillet 1991, sont autorisés à signer des conventions et à entreprendre des partenariats sur le plan international ;

- les universités, qui depuis les lois de 1991 et 2007, peuvent assumer des missions de coopération internationale ;

- les institutions académiques ou de recherche, INSERM, IRD, ANRS, CNRS ;

- des fondations privées, l'Institut Pasteur, la Fondation de France, les fondations des entreprises (Total, Veolia, Sanofi-Aventis), etc.

- les ONG (AMI, AMP, CIDR, CRF, DSF, Un Coeur pour la Paix, IECD, Santé Sud, AOI, ATD Quart Monde, La Chaîne de l'Espoir, HI, ID, INTER AIDE, MDM, MRCA, PCS, REMED, SAMU social international, SDM,...) ;

- les intervenants de la coopération décentralisée, conseils régionaux, grandes municipalités ;

- les cabinets et entreprises privées (CREDES, Conseil santé, France accréditation, IRIS Conseil,...) ;

Cette hétérogénéité, parfois décrite comme une richesse par la variété des capacités mises en oeuvre et des partenaires de coopération, est surtout pointée comme un des principaux points faibles en termes de pilotage et de cohérence.

B. UNE POLITIQUE DIFFICILE À EVALUER.

L'augmentation des financements croisés et des contributions multilatérales rend de plus en plus difficile le rapprochement entre les crédits votés et les résultats obtenus sur le terrain.

Concernant l'aide multilatérale, l'Inspection générale des finances (IGF) a produit, en novembre 2010, un rapport sur les indicateurs de performance qui pourraient être retenus. L'IGF constate qu'aucun pays n'est parvenu, à ce jour, à mettre en place des indicateurs de performance de l'aide transitant par les canaux multilatéraux. Le rapport retient trois conclusions principales. Il n'est pas possible de bâtir des indicateurs de performance synthétiques de l'aide multilatérale au développement financée par le France, en raison de :

- l'obstacle lié à l'attribution des résultats. Le document-cadre de coopération au développement français rappelle également cet obstacle : « Le développement est le résultat de politiques nationales complexes et imbriquées, à l'élaboration et au financement desquelles la communauté internationale contribue généralement pour une part mineure. Il est donc très difficile de distinguer les effets de l'aide extérieure dans l'évolution globale de l'économie ou de la situation sociale d'un pays, et ce, d'autant que le pays concerné peut être largement affecté par des éléments extérieurs : évolution des cours mondiaux, crise financière ou économique internationale, effet d'une plus ou moins bonne pluviométrie... » ;

- la quantité limitée de données fiables et abrégeables ;

- l'absence d'harmonisation, voire de compatibilité entre les différents systèmes de mesure de la performance, mise en place dans les différentes organisations multilatérales.

De même que, dans des co-financements, il est très difficile de pouvoir distinguer la part des résultats qui revient à chacun et peu rigoureux de s'attribuer, comme c'est souvent le cas, l'ensemble des résultats obtenus.

C. UNE ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE CONTESTÉE

La politique de coopération française a fait preuve, ces dix dernières années, d'une capacité d'adaptation importante.

La lecture du projet de loi de finances pour 2013 et du document de politique transversale, qui est annexé par comparaison avec les documents budgétaires des années 2000, illustre le chemin parcouru.

Cette politique s'appuie aujourd'hui sur une stratégie acceptée par l'ensemble des acteurs. Cette stratégie a été déclinée au niveau des opérateurs, notamment à l'AFD à travers le contrat d'objectifs et de moyens et le plan d'orientation stratégique récemment adopté. Les structures ont évolué avec le transfert de compétence effectué vers l'AFD, la mise en place de structures de coordination interministérielle avec le Comité interministériel de coopération internationale au développement (CICID), présidé par le Premier ministre, ou le Conseil d'orientation stratégique (COS) de l'AFD qui réunit l'ensemble des ministres en charge de la tutelle de l'AFD.

Mais, surtout, les modalités d'intervention ont évolué afin de favoriser des effets systémiques grâce à la mobilisation de coalition d'acteurs nationaux et multilatéraux et d'instruments de plus en plus variés associant initiatives publiques et privées. Les stratégies sectorielles et géographiques tentent de s'articuler au niveau national, au niveau européen et au niveau multilatéral.

De nombreux acteurs, à la direction générale de la Mondialisation, à l'Agence française de développement et à la direction du Trésor, ont ainsi dessiné en une décennie le nouveau visage de la coopération française moderne.

Malgré ces évolutions, cette mutation apparaît cependant encore inachevée. Les évaluations effectuées cette année, tant celle de la Cour des comptes, que celles du Cabinet Ernst and Young, dressent en effet un tableau assez sévère de notre outil de coopération sur lequel vos rapporteurs reviendront en fin de rapport.

1. Une organisation bicéphale et un réseau de mise en oeuvre dispersé

La répartition du budget de l'APD dans les différents programmes 209 et 110 reflète l'organisation institutionnelle de la coopération française.

a) Un dispositif de coopération éclaté entre les affaires étrangères, les finances et l'AFD

A la double tutelle du ministère des affaires étrangères et du ministère des finances qu'illustre la présence des programmes 110 et 209 s'ajoutent le secrétariat d'Etat à la coopération et surtout l'Agence française de développement qui gère une partie importante des crédits des trois programmes.

Si la réforme de 1998 a conduit à la rationalisation administrative de l'aide autour de deux grands pôles, l'un diplomatique, issu de l'absorption du secrétariat d'Etat à la coopération par le ministère des affaires étrangères et européennes, et l'autre, financier, centré sur le ministère des finances, elle a surtout conforté le rôle de l'AFD qui est devenue l'« opérateur pivot » de l'aide française.

Depuis lors, les transferts successifs de compétences ont conduit l'AFD à prendre en charge la gestion de plus de 60  % des moyens de l'aide programmable mise en oeuvre par les canaux bilatéraux.

En dépit des réformes, le dispositif institutionnel est encore composé de nombreuses structures qui appellent nécessairement de multiples mécanismes de coordination.

L'AFD, édifiée sur sa culture et son expérience de banque de développement, contrôle plusieurs types d'instruments (projets, aide budgétaire, prêts, subventions) et bénéficie d'une relative autonomie dans le cadre de la triple tutelle des ministères des finances, des affaires étrangères et européennes et de l'immigration et du développement solidaire, d'un conseil d'orientation stratégique et d'un contrat d'objectifs et de moyens sur lequel vos rapporteurs reviendront.

Dans les pays partenaires, les Services de coopération et d'action culturelle (SCAC), dirigés par un conseiller de coopération et d'action culturelle (COCAC), à la fois conseiller de l'ambassadeur sur le pilotage du dispositif de l'aide française au plan local et chef de service, sont les interlocuteurs privilégiés de la direction générale de la mondialisation.

Cette direction gère les actions et programmes de coopération technique dans les domaines de la gouvernance. Le Fonds de solidarité prioritaire (FSP), dont le ministère des affaires étrangères et européennes a la maîtrise, lui permet d'intervenir dans différents secteurs.

Au ministère de l'économie, des finances et de l'emploi, la direction générale du Trésor est responsable de la gestion des contributions françaises auprès de la Banque mondiale, du FMI et des banques régionales de développement (BafD, BAsD, BID) et est en relation directe avec les administrateurs représentant la France auprès de ces institutions.

Les contributions françaises auprès des institutions de l'Union européenne et du système des Nations unies sont gérées par les services du MAEE.

Le MINEFE gère également les financements d'appuis budgétaires (leur instruction est toutefois menée de manière conjointe par la DGTPE, la DGM et avec l'appui de l'AFD), les remises et allègements de dettes (Club de Paris) ainsi que l'instruction et la mise en oeuvre des Contrats de développement et de désendettement.

Toutes ces actions sont menées de manière conjointe entre la DGTPE et la DGM avec l'appui technique de l'AFD.

Sur ces différents points, au sein de la DGTPE, les conseillers financiers régionaux entretiennent des relations très suivies avec les SCAC et les agences de l'AFD.

Sur place, les missions économiques, au sein des ambassades, sont peu impliquées dans les problématiques de coopération au développement. Elles le sont davantage dans les pays dits « émergents » en raison de leur fonction de mise en oeuvre des instruments spécifiques du MINEFE dans ces pays (instruments financiers FASEP et réserve pays émergents).

D'un point de vue budgétaire, l'éclatement de l'action de l'Etat en matière de coopération se traduit par une multiplication des programmes et des lignes budgétaires dont l'architecture ne répond pas toujours à une logique facilement accessible.

D'un point de vue opérationnel, la complexité du pilotage de la politique de coopération française implique cependant des délais de concertation qui peuvent être importants. Cette concertation ne permet pas toujours de surmonter les divergences et impose donc le recours fréquent à des arbitrages du Premier ministre et du Président de la République. Ainsi, à titre d'exemple, on peut constater que l'AFD a adopté un budget pour l'année 2011 avant le mois de mai de cette même année.

Chaque réforme, même minime, donne lieu à des négociations complexes au sein du ministère des affaires étrangères puis entre le ministère des affaires étrangères et le ministère des finances. Ainsi, la modification du document de politique transversale consécutive à l'amendement proposé par votre commission a été adoptée par le Parlement en décembre dernier et a donné lieu à des discussions fournies sur l'interprétation qu'il convenait de donner aux exigences du Parlement. Ces discussions et la volonté de ne publier ce document qu'après les conclusions du G20 ont participé au retard considérable avec lequel ce document a été publié.

Ainsi, malgré des réformes successives, le dispositif institutionnel reste marqué par certains héritages de l'histoire : l'importance des ex-colonies du « pré carré », le rôle hypertrophié de la Présidence de la République, et une certaine concurrence entre les deux ministères les plus concernés par cette politique, ceux de l'Économie et des affaires étrangères.

Le dispositif institutionnel ne permet pas de porter cette politique de manière globale et cohérente : le secrétaire d'Etat ou ministre délégué chargé de la coopération, placé auprès du ministre des affaires étrangères, a bien du mal, par construction, à jouer le rôle d'animation et de coordination interministérielle qui lui est en théorie assigné, coincé entre un ministre de plein exercice qui exerce les arbitrages internes au Quai d'Orsay, et le ministre de l'économie. Deux ministres puissants qui, de par leurs missions, répondent à des fonctions d'objectifs différentes de celles de la Coopération : un prisme essentiellement monétaire et financier ou commercial à Bercy, un prisme avant tout diplomatique et d'influence au Quai d'Orsay.

Quelles que soient la majorité et la bonne volonté du ministre en charge du dossier, la priorité gouvernementale semble ailleurs. Cela se traduit concrètement aussi bien dans les agendas des ministres, souvent accaparés par d'autres missions, que dans les arbitrages budgétaires. Depuis que la Coopération lui a été rattachée en 1998, le ministère des Affaires étrangères a ainsi globalement démontré une grande difficulté à défendre les moyens de l'APD, en particulier dans le contexte d'arbitrages avec d'autres moyens du Quai, de son réseau ou de ses politiques.

Pour sa part, le ministère de l'économie est, par construction, plus mobilisé par les moyens nécessaires pour les activités dont il a la charge directe en faveur des banques de développement et, au plan bilatéral, par les activités de prêt qui figurent à son budget que par ceux des dons pour les projets dans les pays les plus pauvres ou pour l'assistance technique qui figurent au budget du ministère des affaires étrangères. Le choix des instruments n'est dès lors plus guidé par les objectifs visés ou les besoins de nos partenaires, mais par le poids respectifs de chaque ministre de part et d'autre de la Seine.

b) Les solutions pour assurer la coordination et la cohérence de la politique de développement connaissent un succès inégal.

Cet éclatement des centres de décision se traduit, au quotidien, par la nécessité d'une étroite collaboration entre tous les acteurs. Une institutionnalisation de cette collaboration a été recherchée par la création d'instances de cogestion telles que le Comité interministériel de Coopération Internationale au Développement (CICID), présidé par le Premier ministre, ou le Conseil d'orientation stratégique (COS) de l'AFD, qui réunit l'ensemble des ministres en charge de la tutelle de l'AFD.

Ces instances connaissent un succès inégal : le CICID ne s'est réuni que deux fois depuis 2006 et pas depuis deux ans et demi. Il n'a validé ni la stratégie française à l'égard de la Banque mondiale, ni celle à l'égard de la politique européenne de développement, ni même le document-cadre au développement qui définit la stratégie française d'aide au développement pour les dix ans à venir.

Ce dernier épisode illustre l'existence d'un dysfonctionnement. Soit le dispositif est trop lourd pour être mobilisé quand il le faudrait, soit les ministres concernés considèrent la coopération comme un sujet suffisamment secondaire pour ne pas trouver le temps, en deux ans et demi, de se réunir une seule fois pour valider une stratégie qui a vocation à marquer le secteur pendant plus d'une décennie.

Le COS, de création récente, a pour l'instant été convoqué 4 fois depuis 2009.

Quant à la Conférence d'orientation stratégique et de programmation (COSP), créée par le CICID, de juillet 2004, elle n'a pas tenu de réunion depuis décembre 2007.

Aussi, la cohérence de la politique menée est-elle, au quotidien, assurée par une étroite concertation entre chacune des administrations et les cabinets ministériels et, sur le long terme, par l'adoption de documents stratégiques, comme le document-cadre (DCCD), qui permettent de fédérer les différents acteurs, autour d'objectifs communs.

La complexité du pilotage de la politique de coopération française implique cependant des délais de concertation qui peuvent être importants. Cette concertation ne permet pas toujours de surmonter les divergences, et impose donc le recours fréquent à des arbitrages du Premier ministre et du Président de la République.

c) Une mise en oeuvre locale dispersée.

Les ambassades conservent en effet des services spécialisés, les services de coopération et d'action culturelle (SCAC), qui ont succédé aux « missions d'aide et de coopération » en 1998 et constituent les deux tiers des effectifs de la direction générale de la mondialisation.

La direction générale du Trésor dispose, de son côté, d'une trentaine de services économiques régionaux, placés auprès des ambassades ou des représentations auprès des organisations internationales. Leur format évolue actuellement dans le cadre du transfert de certaines de leurs activités à l'opérateur UBIFRANCE.

Censés se consacrer à la « promotion des intérêts français à l'étranger » plus qu'à l'aide, encore présents dans certains pays d'Afrique sans vocation régionale (Bénin, Burkina Faso, Madagascar, Mali, etc.), ils contribuent à la gestion des deux instruments d'aide-projet liée : la « réserve pays émergents » (RPE) et le fonds d'étude et d'aideau secteur privé (FASEP).

Enfin, l'Agence française de développement (AFD) dispose d'un réseau propre d'agences à l'étranger dont le nombre s'est accru (30 en 1998, 55 en 2011) et dont l'effectif est de plus de 660 agents. Sa fonction première est de mettre en oeuvre les projets de prêts et de subventions qu'elle finance, ce qui la conduit à dimensionner son réseau a priori en fonction des possibilités de prêts aux partenaires locaux.

Les agences de l'AFD doivent cependant assumer d'autres missions (subventions-projets, gestion des organisations non gouvernementales), qui nécessitent que l'évolution de ce réseau soit coordonnée avec celle des services de l'Etat, comme le prévoit le nouveau contrat passé entre l'Etat et l'Agence.

Bien qu'une coordination ait été mise en place dans certaines ambassades dans le cadre de « pôles de développement », vos rapporteurs ont pu constater que les interlocuteurs de terrain, notamment les partenaires locaux, éprouvent des difficultés face au partage des responsabilités et des rôles respectifs au sein du dispositif français.

A Madagascar, ils ont observé que si le développement agricole relevait de l'agence de l'AFD, le soutien au cadastre rural relevait du SCAC, que si la santé est de la compétence de l'AFD, le FSP peut financer une maternité.

Cette situation tient à la répartition des compétences entre les services des ambassades et les agences de l'Agence française de développement.

En effet, par une décision gouvernementale de juillet 2004, la mise en oeuvre des programmes financés par le ministère chargé des affaires étrangères dans la plupart des secteurs (agriculture et développement rural, santé, éducation de base, formation professionnelle, environnement, infrastructures et développement urbain) a été transférée à l'Agence. Le ministère n'a donc, en principe, conservé, en exécution directe, que les actions dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche, de la francophonie et de la culture et dans celui de la gouvernance.

Or, d'un point de vue local, le partage des compétences qui en est résulté a, selon l'évaluation de la Cour des comptes : « plutôt brouillé les repères. D'une part, il a perturbé la mise en oeuvre de certains projets et affaibli leur cohérence, notamment dans le domaine de l'éducation où interviennent simultanément les deux acteurs. D'autre part, le ministère a poursuivi son action dans des secteurs en principe transférés en lançant de nouveaux projets ou en conservant des assistants techniques » 19 ( * ) .

Cette complexité associée, nous le verrons plus avant, avec une faible évaluation des résultats, fait dire à la Cour des comptes, s'agissant de l'ensemble de la politique de coopération que « malgré des améliorations incontestables, ce modèle continue cependant de souffrir d'une impulsion intermittente, d'une absence d'identification d'un responsable à compétence générale, d'une difficulté à raisonner en termes d'aide pilotable, du poids de cloisonnements administratifs traditionnel et d'une insuffisante attention portée aux résultats concrets des projets. »

2. La création d'un ministère délégué au développement change-t-elle la donne ?

Dans le Gouvernement Ayrault, l'innovation en matière de coopération au développement a été la modification de l'intitulé du ministre en charge de ce portefeuille. Cette modification a-t-elle des conséquences sur la politique menée et le budget présenté ?

A première vue, le décret d'attribution du ministre ne diffère guère de son prédécesseur.

Les décrets d'attribution du ministre délégué au développement et de son prédécesseur.

M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, traite, par délégation du ministre des affaires étrangères, des questions relatives au développement, notamment en ce qui concerne la préparation et la mise en oeuvre de la politique du Gouvernement en matière de coopération technique et d'aide au développement.
A la demande du ministre des affaires étrangères, il conduit les négociations internationales relevant de son domaine de compétence ou y participe. Il représente le Gouvernement ou participe à sa représentation dans les instances internationales traitant de questions de coopération internationale et de développement. Il veille à favoriser la cohérence des actions d'aide au développement, notamment en matière de biens publics mondiaux. A cette fin, il est consulté sur les interventions publiques et sur toute décision pouvant avoir une incidence sur le développement des pays concernés. Il est associé aux négociations relatives aux questions de développement avec les institutions financières internationales et participe aux réunions entre bailleurs de fonds qu'elles organisent. Il suit les actions de l'Union européenne en matière d'aide au développement. Par délégation du ministre des affaires étrangères, il peut représenter le Gouvernement aux conseils des ministres prévus dans ce cadre. En outre, il accomplit toute mission que le ministre des affaires étrangères lui confie.

M. Henri de Raincourt, ministre auprès de la ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération, connaît de toutes les affaires relatives à la coopération et au développement que lui confie la ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes, notamment pour la préparation et la mise en oeuvre de la politique du Gouvernement en matière de coopération culturelle, scientifique et technique et d'aide au développement. A la demande de la ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes, il conduit les négociations internationales relevant de son domaine de compétence, ou y participe. Il représente le Gouvernement

ou participe à sa représentation dans les instances internationales traitant de questions de coopération internationale et de développement. Il veille à favoriser la cohérence des actions d'aide au développement. A cette fin, il est consulté sur les interventions publiques et sur toute décision pouvant avoir une incidence sur le développement des pays concernés. Il est associé aux négociations relatives aux questions de développement avec les institutions financières internationales et participe aux réunions entre bailleurs de fonds qu'elles organisent, y compris celles des groupes consultatifs de la Banque mondiale. Il suit les actions de l'Union européenne en matière d'aide au développement. Par délégation de la ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes, il peut représenter le Gouvernement aux conseils des ministres prévus dans le cadre de la coopération de l'Union européenne avec les Etats de l'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. En outre, il accomplit toutes missions que la ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes, lui confie, notamment à l'égard des Français de l'étranger.

Quant à la structure ministérielle et budgétaire, elle n'a pas changé, comme en témoigne la stabilité de la maquette budgétaire.

Le changement de titre manifeste cependant un changement de philosophie dont la seule pratique permettra d'en mesurer la portée. Il s'agit de dissocier l'aide au développement des relations bilatérales avec l'Afrique qui relève directement du ministre des affaires étrangères. Ainsi la volonté de rupture avec la Françafrique se traduit par une dissociation entre les objectifs de solidarité et les objectifs d'influence.

Cette volonté de dissocier l'influence politique de l'aide au développement affichée de manière assez prononcée par le nouveau ministre délégué au développement peut être également interprétée comme un exemple de l'européanisation de la coopération française.

Ainsi une évolution récente du dispositif européen de coopération a vu la création du SEAE en charge des relations politiques avec les pays partenaires de l'Union européenne et la création de la DG DEVCO (de la fusion d'une partie de la DG DEV et de la DG AIDCO) en charge des problématiques de développement.

La politique de coopération française apparaît au milieu du gué. Elle a presque définitivement abandonné la rive de la coopération postcoloniale et des dérives de la Françafrique, mais elle n'est pas encore parvenue à devenir cette boîte à outils d'une « mondialisation maîtrisée » qu'évoquent des discours volontaristes, dont on peine à voir la concrétisation.


* 16 la contribution de solidarité sur les billets d'avion (CSV), destinée à financer l'accès des populations des pays les plus pauvres aux médicaments et aux moyens de diagnostic est entrée en vigueur sur le territoire français le 1 er juillet 2006..Le montant de cette contribution s'élève en France de 1 à 10 € par billet sur les vols intérieurs et de 4 à 40 € sur les vols internationaux, selon la classe du billet. Elle a rapporté 788 millions depuis 2006 (chiffre au 21 juillet 2011)

* 17 L'IFFIm est un mécanisme de financement innovant, basé sur des emprunts d'Etat, permettant de lever rapidement des fonds qui sont remboursés par les Etats sur une période plus longue.

* 18 L'Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination, plus connue sous le nom de GAVI Alliance (Global Alliance for Vaccines and Immunization) est un partenariat public et privé lancé le 31 janvier 2000, à l'intention des 49 pays les plus pauvres (revenu national brut inférieur à 1000 $US par habitant), lors du Forum économique mondial à Davos (Suisse). Les gouvernements, l'UNICEF, l'OMS, la Banque Mondiale, la Fondation Bill et Melinda Gates, les producteurs de vaccins du Nord et du Sud, des institutions de santé publique et des organisations non gouvernementales se sont engagés à travailler en partenariat en vue de protéger tous les enfants des pays pauvres contre les principales maladies que l'on peut prévenir par la vaccination.

* 19 La politique française d'aide au développement, rapport rendu public mardi 26 juin 2012 : http://www.ccomptes.fr/content/download/44455/770878/version/1/file/rapport_public_politique_francaise_aide_publique_au_developpement.pdf

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