TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 28 novembre 2012 , sous la présidence de Mme Annie David, présidente , la commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. Michel Vergoz sur le projet de loi de finances pour 2013 (mission « Outre-mer ») .

M. Michel Vergoz, rapporteur pour avis . - Le 15 novembre, le Parlement adoptait définitivement le projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer posant, après la création d'un ministère des outre-mer de plein exercice, un jalon dans la lutte contre les difficultés économiques et sociales de nos départements et collectivités ultramarins : le niveau de vie médian des populations d'outre-mer est inférieur d'un tiers au niveau hexagonal, tandis que les écarts de prix atteignent jusqu'à 40 % sur les produits alimentaires. Sur fond de chômage massif chez les jeunes (60 % en Martinique et à la Réunion contre 22 % dans l'hexagone) et de sentiment de relatif abandon, cette situation a conduit aux manifestations aux Antilles en 2009, à la paralysie de Mayotte pendant quarante-quatre jours en 2011, au conflit social à la Réunion au début de cette année.

Après plusieurs années de diminution, les crédits marquent une inflexion salutaire. Le budget de la mission s'élèvera l'année prochaine à plus de 2 milliards d'euros en crédits de paiement (+ 5 %). Il ne représente qu'une partie de l'effort total consenti en faveur des populations ultramarines. Celles-ci bénéficient de crédits transversaux, répartis en quatre-vingt-onze programmes, relevant de vingt-sept missions, à hauteur de 13,8 milliards d'euros de crédits de paiement.

Les outre-mer ont largement participé à l'effort national de maîtrise de la dépense publique. Sous couvert d'appel au développement endogène, trop propice au désengagement de l'Etat, des coûts de rabot successifs sur les dépenses fiscales ont remis en cause la solidarité nationale. Après la réduction des exonérations de charges sociales décidée par la loi pour le développement économique des outre-mer (Lodeom), les crédits de la mission ont chuté dans les deux dernières lois de finances. L'année dernière en particulier, les crédits de paiement ont baissé de 53,5 millions d'euros au préjudice du soutien aux entreprises et du service militaire adapté (SMA).

Les économies et les sociétés ultramarines sont devenues très dépendantes de la dépense fiscale, largement privilégiée par rapport à la dépense budgétaire. Elle s'élève à 3,1 milliards d'euros en 2013, après 3,4 milliards d'euros en 2011, soit une fois et demie le montant des crédits de paiement de la mission.

L'article 56 du projet de loi de finances pour 2013 abaisse le plafonnement global des réductions et crédits d'impôt à caractère incitatif ou liés à l'investissement à compter de l'imposition des revenus de l'année 2009. Compte tenu de la grande précarité de nos territoires, je salue la décision d'exonérer les dépenses fiscales spécifiques à l'outre-mer, mais j'ai aussi conscience du malaise que cela provoque. Il ne s'agit pas d'avantages indus ; les outre-mer sont trop souvent injustement accusés de profiter de soi-disant largesses. La nécessité de réduire les niches fiscales peut se justifier pour redresser les finances publiques, elle est même impérative lorsque ces niches sont improductives ou inefficaces. Toutefois, il s'agit depuis des années du principal outil de soutien à nos territoires d'outre mer. Un retrait brutal risquait de mettre en péril des pans entiers d'économies qui font face dans leur environnement régional à la concurrence de faibles coûts salariaux. Comme l'a déclaré le président François Hollande dans sa conférence de presse sur le pacte de compétitivité, « l'économie n'aime pas les chocs ; ce que demandent les acteurs économiques, c'est de la visibilité, de la stabilité, et pas des improvisations ».

Ce choix ne préjuge pas de l'évaluation des niches fiscales outre-mer que le Gouvernement réalisera avant le 1 er mai 2013, engagement défendu à travers l'amendement n° 333 soutenu par le président de la commission des finances Gilles Carrez et adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale le 15 novembre. Après une appréciation objective de l'efficacité des incitations fiscales, nous pourrons décider en toute connaissance de cause. Je serai très attentif à la réalisation effective de ce projet.

La maquette budgétaire ne connaît pas de changement fondamental par rapport à l'an dernier. Seule la constitution du ministère a entraîné la création d'une nouvelle action, consacrée au pilotage des politiques des outre-mer, dotée de 2,8 millions d'euros, qui regroupe des crédits relevant auparavant du ministère de l'intérieur.

Le programme « Emploi outre-mer » sera doté de près de 1,4 milliard d'euros en crédits de paiement, soit plus de 4 % par rapport à 2012. Représentant la plus grande partie des dépenses du programme, la compensation des exonérations de charges s'élèvera à 1,157 milliard d'euros contre 1,117 milliard en 2012. Ciblé sur les plus petites entreprises, l'allégement des charges doit, en diminuant le coût du travail, favoriser la création d'emplois pérennes dans les entreprises du secteur marchand des départements d'outre-mer et de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Les moyens de cette action sont légèrement supérieurs au montant des besoins évalués par les caisses de sécurité sociale à environ 1,15 milliard d'euros en 2012. Mais les crédits prévus sont généralement sous-budgétisés : malgré leur hausse significative, il reste malaisé de savoir si l'Etat pourra faire face à l'intégralité de ses engagements envers les organismes de sécurité sociale.

L'essentiel des autres crédits du programme « Emploi outre-mer » concerne le service militaire adapté (SMA), doté de 199 millions d'euros, en progression de 7 %. En tant que maire, j'ai mesuré avec bonheur à quel point ce dispositif essentiel répond aux besoins des outre-mer, en tout cas à la Réunion. Grâce à un programme effectué sous statut de volontaire dans les armées pendant environ un an, le SMA offre à une partie des jeunes ultramarins âgés de dix-huit à vingt-six ans, le plus souvent en situation d'échec scolaire, une formation civique et une meilleure employabilité.

Le programme « SMA 6000 », lancé début 2009, augmente la capacité de formation de 2 900 volontaires à 6 000 en 2015 et l'ouvre à de nouveaux bénéficiaires, jeunes diplômés en chômage de longue durée, pour un cursus de formation court (six mois). Pour accompagner la montée en puissance de ce programme, la mission « Outre-mer » prévoit une hausse de 43 % des dépenses d'investissement du SMA, tandis que ses dépenses courantes seront maîtrisées. Nous nous félicitons de cette évolution très positive. Les acteurs concernés se sont approprié le dispositif et le taux d'insertion des jeunes à l'issue de leur formation s'élève à 76 %.

Etant donné la dégradation de la situation économique des outre-mer, la mobilité vers l'hexagone est un facteur de succès. Le besoin est évalué à 1 200 volontaires sur 4 200 jeunes insérés par an, alors qu'aujourd'hui seulement 600 s'engagent dans cette voie. Il conviendra de renforcer l'information sur la mobilité hors des territoires d'outre-mer.

Le programme « Conditions de vie outre-mer » s'établit à 645,5 millions d'euros en crédits de paiement, en hausse de 2,7 %. La volonté de revenir à la ligne budgétaire unique (LBU) comme socle de la politique du logement dans les outre-mer se traduit par une remise à niveau significative. Elle progresse de 6 % en crédits de paiement, pour atteindre 227 millions d'euros.

La situation du logement en outre-mer demeure tendue. Les contraintes spécifiques sont connues : besoins très importants liés au rattrapage économique et à la croissance démographique supérieure à celle de l'hexagone, pauvreté, limitation des disponibilités foncières, difficultés financières de certaines collectivités territoriales. Certes, en 2011, 8 107 logements ont été financés, dont près de la moitié à la Réunion, soit 53 % de plus qu'en 2007. Cependant, il y avait plus de 70 000 demandes de logements sociaux pour l'ensemble de ces territoires. Selon les projections réalisées par la délégation générale à l'outre-mer, 20 500 logements neufs devraient être construits chaque année jusqu'en 2030 pour répondre à l'intégralité des demandes. La dotation prévue ne suffira pas pour faire face à l'immensité des besoins : elle constitue une première étape.

Les crédits du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) augmentent très fortement en 2013, de 194 % en autorisations d'engagement et 36 % en crédits de paiement, conformément à un engagement de campagne du Président de la République, qui a annoncé un programme pluriannuel d'investissements publics.

Les crédits affectés au FEI ont fortement diminué, revenant de 165 millions d'euros en autorisations d'engagement et 51 millions d'euros en crédits de paiement en 2009 à 17 millions d'euros en autorisations d'engagement et 19 millions d'euros en crédits de paiement en 2012.

Le rattrapage du retard des outre-mer en équipements structurants est impératif pour améliorer les conditions de vie de nos concitoyens ultramarins. En 2013, le plan de rattrapage des investissements publics sera doté de 50 millions d'euros et 500 millions d'euros sont prévus pour les cinq prochaines années. Les investissements devraient être ciblés sur l'adduction d'eau potable et l'assainissement, ainsi que les équipements de proximité sanitaires et sociaux.

La lutte contre le désenclavement est, de manière tout à fait inappropriée, intitulée « continuité territoriale », ce qui est un leurre si l'on compare sa dotation (51 millions d'euros) à celle de la Corse (plus de 180 millions d'euros). « Aide à la mobilité » m'apparaît plus conforme à la réalité.

Sous cette réserve, je salue la volonté de préserver l'une des rares missions dont les crédits progresseront en 2013. Selon la programmation triennale, les crédits poursuivront leur hausse, au rythme de 3,9 % entre 2013 et 2014, puis de 3,6 % entre 2014 et 2015.

Je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission, que la commission des finances a adoptés le 20 novembre dernier.

M. Claude Jeannerot . - Vous soulignez à juste titre l'évolution positive de ce budget, ainsi que la pertinence du SMA, qui s'adressera à un nombre de jeunes en hausse significative. Un tel dispositif serait très utile en métropole, où certains jeunes rempliraient parfaitement les conditions d'accès. Si l'on y ajoute les emplois d'avenir, nous avons deux dispositifs qui ouvrent des perspectives aux jeunes d'outre-mer.

Mme Catherine Génisson . - Je suis sur la même ligne que vous sur le SMA ainsi que sur ce beau département de Corse. Vous parlez d'exonérations de charges de 1,157 milliard d'euros. Ne s'agit-il pas plutôt de cotisations ? Sont-elles les mêmes que sur le territoire métropolitain ?

Vous évoquez les niches fiscales. Ma question est peut-être inopportune, mais quand pensez-vous voir la fin de ce système dérogatoire, qui mettrait enfin les Dom à égalité avec les territoires métropolitains ?

M. Michel Vergoz, rapporteur pour avis . - Pas de sitôt, voire jamais ! C'est la Constitution qui l'affirme. Elle dispose, en son article 73, que les lois et règlements « peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités » - insularité, éloignement, exiguïté de leur territoire...

Mme Catherine Génisson . - Vous-même avez parlé de « malaise ».

M. Michel Vergoz, rapporteur pour avis . - Appelons un chat un chat : oui, la défiscalisation crée un malaise. La possibilité de dérogations est inscrite, non seulement dans notre loi fondamentale, mais à l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Nous aurons de grands débats à ce sujet, qu'il nous faudra suivre avec attention. Sans être un promoteur ou un idéologue de la défiscalisation, je ne veux pas jeter le bébé avec l'eau du bain.

Donnons au nouveau Gouvernement le temps de la réflexion. Non seulement les banques locales ont tourné le dos aux entreprises, plus encore qu'en métropole, mais encore l'Etat s'est désengagé budgétairement, à hauteur de 40 %, ces dernières années. Je n'ai d'ailleurs jamais entendu la rue réunionnaise ou ultra-marine réclamer la défiscalisation : celle-ci a été élaborée dans le secret de cabinets parisiens, pour servir quelques milliers de privilégiés dans l'hexagone. Dont acte. Nous héritons de cette situation. Je suis très heureux que la sagesse l'ait emporté et que le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale ait déclaré qu'il fallait laisser du temps pour l'analyse.

Quelle est l'alternative ? Comment en sortir ? Si le Gouvernement veut remplacer un jour la dépense fiscale par une dépense budgétaire équivalente, banco ! D'autant qu'il se chuchote - parce qu'aucune étude objective n'a jamais été menée à ma connaissance - que la défiscalisation coûterait plus cher à la Nation que la dépense budgétaire. Imaginons que ce soit exact... Responsables, nous savons que la Nation affronte des difficultés.

Je suis d'accord avec M. Jeannerot sur le service militaire adapté (SMA) qui est apprécié chez les ultra-marins. J'ai plaisir à entendre un collègue souhaiter son expérimentation dans l'hexagone. Les jeunes en sortent formés, diplômés et insérés dans la société. Il y a de multiples formations comme chauffeurs de poids-lourds ou de tractopelles. Une intéressante section consacrée à l'environnement a également été ouverte.

M. Claude Jeannerot . - En Martinique, le SMA marche bien, ainsi qu'en Guyane. Il faudrait le proposer dans certaines régions de métropole.

Mme Annie David, présidente . - Le SMA forme dans tout l'outre-mer, notamment aux métiers du bâtiment.

M. Michel Vergoz, rapporteur pour avis . - Les exonérations de cotisations patronales sont spécifiques à l'outre-mer et concernent des entreprises de moins de onze salariés.

Mme Catherine Génisson . - Je voterai ce rapport, mais pourquoi ne pas envisager de péréquation pour respecter les spécificités des territoires ultra-marins ? Ce serait préférable et sans doute plus juste que les défiscalisations actuelles.

M. Michel Vergoz, rapporteur pour avis . - J'ai été révolté par les dérives de la défiscalisation. Ces bateaux de vingt-cinq mètres pourrissant dans le port de la Pointe des Galets et que des pêcheurs n'avaient pas le droit d'acheter, c'était inadmissible. Sortons par le haut en proposant des mesures plus justes.

Suivant son rapporteur, la commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer » ainsi qu'à l'article 66 ter rattaché.

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