C. UTILISER PLUS VOLONTAIREMENT L'ARGENT DE LA ROUTE AU SERVICE DU REPORT MODAL

Votre rapporteur pour avis s'est interrogé sur « la dynamique » du financement des routes et des autoroutes de notre pays : comment évoluent les moyens alloués aux différents réseaux et quelles sont leurs marges de progression ? Dès lors, comment assurer, sinon une solidarité entre les territoires, du moins leur aménagement conforme aux grands choix nationaux de développement durable ?

Si l'avis budgétaire ne saurait à lui seul répondre à ces questions, il est l'occasion de poser des jalons, pour une investigation en continu au cours des années à venir. Il s'agit donc, ici, d'examiner les sources du financement des routes et des autoroutes, en rappelant deux faits majeurs :


La décentralisation routière , en 2004, a transféré aux départements 18 000 kilomètres de routes nationales d'intérêt local, en leur confiant simultanément la gestion des personnels et des moyens correspondants 14 ( * ) . A l'issue de ce transfert, la longueur du réseau dont l'État reste propriétaire est de 12 736 kilomètres qui, avec les 8 431 kilomètres d'autoroutes concédées, ne représente plus que 5 % du réseau routier hors réseau communal, mais qui reçoit 30 % du trafic interurbain du pays 15 ( * ) . C'est un sujet à part entière, qu'il s'agisse de la carte du réseau routier national ou du financement de l'entretien de ce réseau et de leurs ouvrages d'art par les départements. Le réseau à charge des départements reçoit 70 % du trafic interurbain du pays, certains départements ne comptent plus qu'une ou deux routes nationales, les départements manquent de moyens pour faire face : ces questions dépassent largement le présent avis budgétaire sur les crédits d'État, mais intéressent au plus au point la commission du développement durable, des infrastructures et de l'aménagement du territoire.


La privatisation du réseau concédé, en 2005, représente une rupture dans les politiques publiques routières aussi importante que la décentralisation elle-même. En effet, l'État s'est séparé - pour 15 milliards d'euros - d'un patrimoine très important, pour se désendetter beaucoup plus que pour investir dans les transports - l'AFITF a été dotée de 4 milliards d'euros, 26  % de la vente -, alors que la rente autoroutière était estimée au double du prix de vente à l'horizon de 2030. Ce faisant, le gouvernement de M. de Villepin a privé le report modal d'une source dynamique de financement : une fois les autoroutes privatisées, il devient beaucoup plus difficile de faire contribuer la route au financement des autres modes de transports, ce qui est particulièrement regrettable lorsque l'on sait que le transport routier est loin de payer la route à son juste prix.

L'analyse sommaire des montants financiers laisse penser que « l'argent de la route » est plutôt mal réparti, entre des ressources publiques qui se tarissent et des ressources privées qui sont garanties contractuellement (voir Annexe pour les tableaux de ressources). Sur cette toile de fond, qu'il conviendrait de préciser, se dessinent des marges de manoeuvre pour, de façon raisonnable et utile, conforter le report modal.

Les ressources publiques, d'abord, sont importantes mais se tarissent :

- Principale recette fiscale liée aux transports routiers, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), l'ex-TIPP, a rapporté 24,01 milliards d'euros en 2011 , soit 768 millions de moins qu'en 2007 (- 3 %) 16 ( * ) . La diminution de ce rendement tient à la « diésélisation » du parc et à la plus grande sobriété des véhicules 17 ( * ) . Son régime est encadré par la directive « Energie » 18 ( * ) , qui fixe les taux minimaux : depuis le 1 er janvier 2010, le taux minimal est de 33 euros par hectolitre pour le supercarburant et de 35,9 euros par hectolitre pour le gazole. En France, les taux moyens sont de 61,23 euros par hectolitre pour les supercarburants et 43,94 euros par hectolitre pour le diesel : notre pays est bien au-dessus du plancher européen et nous favorisons encore le diesel. Depuis 2007, les régions peuvent réduire ou augmenter les fractions de la TICPE qui leur sont allouées au titre des carburants routiers mis à la consommation sur leurs territoires de 1,15 euro par hectolitre sur le gazole et de 1,77 euro par hectolitre sur les supercarburants. Depuis 2011, les régions peuvent ajouter une « deuxième tranche » d'augmentation, sous réserve d'en affecter l'intégralité du produit à des infrastructures de transport durable, ferroviaire ou fluvial, mentionnées aux articles 11 et 12 de la loi « Grenelle I » ou à l'amélioration du réseau de transports urbains en Île-de-France 19 ( * ) .

- La TVA de 19,6 % sur l'essence et le gazole, mais de 7 % pour le transport de personnes, a rapporté 8,3 milliards d'euros en 2011 pour l'ensemble des produits pétroliers. Très sensible à la conjoncture, la TVA voit son rendement limité par la déductibilité pour tout véhicule utilitaire, quel que soit son tonnage, qu'il soit exploité pour le compte d'autrui (transports publics de fret routier) ou en compte propre.

- La taxe sur les certificats d'immatriculation des véhicules (« cartes grises ») a rapporté 2,07 milliards en 2011 aux régions, soit 140 millions de plus qu'en 2007 (+ 7 %). Proportionnelle au nombre de chevaux-vapeur, elle est réduite de moitié pour les poids lourds. Deux taxes additionnelles se sont greffées, l'une au profit de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et applicable exclusivement aux voitures particulières, l'autre au profit de la formation professionnelle dans les transports routiers (60 millions d'euros).

- La taxe d'aménagement du territoire (TAT) est acquittée par les sociétés concessionnaires d'autoroutes et abonde le budget de l'AFITF. Son produit devrait s'élever à 555 millions d'euros cette année et à 564 millions d'euros en 2013 (+1,6%).

- Les amendes forfaitaires de la police de la circulation ont rapporté un produit global de 539 millions d'euros en 2011, soit 208 millions de moins en un an (- 28 %) 20 ( * ) .

- La redevance domaniale a rapporté 198 millions d'euros en 2011. Elle est versée par les sociétés concessionnaires d'autoroutes : c'est le loyer qu'elles paient à l'État pour leur activité et le produit en est reversé à l'AFITF.

- Enfin, la taxe spéciale sur certains véhicules routiers (TSVR), dite « taxe à l'essieu », a rapporté 170 millions d'euros à l'État, soit 52 millions de moins qu'en 2007 (- 23 %). Censée compenser les dépenses supplémentaires d'entretien et de renforcement de la voirie liées à la circulation des véhicules de plus de 12 tonnes et plus, elle touche les seuls véhicules immatriculés en France, soit environ 440 000 véhicules. Le produit de cette taxe diminue, parce que depuis 2009 les taux ont été alignés sur les minima de la directive « Eurovignette », mais aussi parce que les véhicules récents sont plus souvent équipés d'une suspension pneumatique de l'essieu moteur qui ouvre droit à un allègement de taxe 21 ( * ) .

De leur côté, les recettes des péages autoroutiers sont garanties contractuellement et elles progressent régulièrement, avec les résultats des sociétés concessionnaires :

- En 2011, les péages des 18 sociétés concessionnaires d'autoroutes ont dégagé une recette de 8,18 milliards d'euros , soit 1,02 milliard de plus qu'en 2007 (+ 12,55 %). Malgré la crise économique, qui affectait l'ensemble des transports routiers, les recettes des péages ont continué de progresser en raison d'une hausse du trafic et d'augmentations mécaniques des tarifs avec l'inflation, à quoi s'ajoute une constante contractuelle (selon le programme d'investissement et révisable tous les cinq ans).

- En 2011, les sociétés concessionnaires ont dégagé un résultat net de 1,94 milliard d'euros (voir tableau en Annexe). Elles consacrent aux investissements 1,75 milliard d'euros par an. Leur endettement total s'élevait à 31,1 milliards d'euros fin 2011.

La comparaison de ces données d'ensemble invite à la plus grande prudence face aux propositions des sociétés concessionnaires d'autoroutes, de prolonger la durée de leurs concessions en échange d'investissements pour améliorer le service, respecter davantage l'environnement ou encore construire des « petits bouts manquants » de voies, ce que le Conseil d'État a accepté dans le principe 22 ( * ) . Ces propositions sont habiles : l'État manque de moyens, les sociétés d'autoroutes en ont beaucoup, pourquoi ne pas prolonger un peu la bonne affaire quitte à y consacrer une partie des bénéfices : c'est de la gestion d'une affaire rentable en bon père de famille.

Est-il dans l'intérêt général d'accepter cette proposition ? Votre rapporteur pour avis estime qu'il faut y regarder à deux fois et préfèrerait voir l'unique « manne » de la route revenir dès que possible dans le giron public.

Votre rapporteur pour avis attire votre attention sur les annonces concernant la mise en concession de routes nationales à des sociétés d'autoroutes pour qu'elles y réalisent des travaux, avec pour contrepartie l'instauration de péages - en particulier pour l'A63 (ex RN 10)  au sud de Bordeaux, la RN 154 Orléans-Dreux, ou encore la route centre Europe Atlantique (RCEA) entre Moulins et Mâcon : l'intérêt pour la collectivité ne va pas de soi, ce qui motive un avis défavorable de votre rapporteur.

En tout état de cause, la discussion avec les sociétés d'autoroutes sur la prolongation de leur concession en échange de travaux, ne saurait être détachée du débat sur le SNIT. Il en va de la cohérence du réseau : les tronçons et aménagements doivent d'abord conforter le plan d'ensemble. Il en va aussi, et beaucoup, du report modal : la péréquation intermodale est nécessaire, le législateur en a fait une priorité et les chiffres présentés montrent qu'il y a des marges à explorer.

L'autre volet des marges d'action est, bien entendu, celui du financement des infrastructures non routières par l'argent de la route, avec la redistribution opérée par l'AFITF, en général, et des dispositifs particuliers, comme la participation - contractuelle - des sociétés d'autoroutes au financement des trains d'équilibre du territoire.

- L'AFITF est au service du report modal puisqu'elle tire de la route quasiment toutes ses ressources, et qu'elle les alloue principalement aux autres modes, et d'abord au ferroviaire (voir tableaux en annexe). Le maintien de cette Agence est en soi une bonne chose pour le report modal : lors de son audition par votre rapporteur pour avis, le président de l'Agence, M. Philippe Duron a mis en valeur l'apport stratégique de l'Agence, à travers laquelle l'Etat explicite ses projets, hiérarchise ses priorités, arbitre entre plusieurs scénarios d'infrastructures - sous le regard du Parlement. Cependant, ses crédits vont encore pour 40 % à la route : même si l'Etat affiche une priorité à l'entretien et affirme renoncer à tout accroissement capacitaire pour la route, est-ce bien le cas dans le détail des opérations elles-mêmes ? Où passe la limite entre l'amélioration du service, le décongestionnement obtenu par une rocade, et l'accroissement capacitaire ? Le financement de l'AFITF sera conditionné par les recettes de l'écotaxe poids lourds à compter de sa mise en application en juillet 2013. C'est pourquoi votre rapporteur pour avis suivra avec attention la mise en oeuvre de cette nouvelle taxe.

- Les sociétés d'autoroute contribuent depuis 2010 au financement des trains d'équilibre du territoire (TET) : la taxe d'aménagement du territoire (TAT) a été augmentée de 35 millions d'euros à cette fin, pour les quatre années couvertes par la convention de service public entre l'Etat et la SNCF (2010-2013) qui définit notamment les lignes (une quarantaine), les matériels (300 trains), la fréquence et la subvention pour compenser le déséquilibre prévisible d'exploitation. Or, ce déficit, dès 2011, a dépassé les 300 millions d'euros, au lieu des 200 millions prévus. Dans ces conditions, la participation forfaitaire des sociétés d'autoroutes est passée de 17% à 10% du déficit : peut-on encore, à ce niveau, parler de péréquation intermodale ? Votre rapporteur pour avis ne le pense pas : il faut plutôt, comme le souligne M. Roland Ries dans son rapport pour avis sur le même PLF 2013, faire participer davantage les sociétés d'autoroutes au financement des TET, en y incluant une partie du renouvellement du matériel roulant. C'est une condition du maintien de ces lignes auxquelles nous attribuons un rôle majeur pour l'aménagement du territoire - et c'est une question prioritaire pour l'année qui vient.


* 14 La décentralisation routière est ancienne : en 1977, 55 000 kilomètres de routes nationales secondaires avaient déjà été confiées aux départements.

* 15 Voir « Le bilan de la décentralisation routière ». Cour des comptes, 2012.

* 16 D'après la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), l'addition de la TICPE et de la TVA représentaient en 2010 plus de 60% du prix de l'essence (61,4% pour le sans plomb 95 et 60,3% pour le sans plomb 98) et 53,7% pour le gazole. En 2004, elle dépassait 70% pour l'essence et 60% pour le gazole. Sur les 24,01 milliards de TICPE, 14,2 milliards sont revenus à l'Etat, 6 milliards aux départements et près de 4 milliards aux régions.

* 17 Les moteurs fonctionnant au gazole ont une consommation inférieure à celle des moteurs à essence et, de plus, la fiscalité applicable au gazole est incitative. En 2011, la diésélisation du parc des véhicules utilitaires légers (VUL) se poursuit (+ 2,9 %) tandis que le parc des VUL essence connaît une baisse de 14,5 %. Aujourd'hui, le parc des VUL essence représente à peine 9 % du parc total des VUL. Cette situation se traduit par une diminution de la consommation de supercarburant en 2011 par rapport à 2010 (-16,6% d'après les données du SOeS) et, en contrepartie, par un accroissement de la consommation de gazole des véhicules légers (+ 2,2 %).

* 18 Directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003.

* 19 Toutes les régions métropolitaines ont utilisé ces deux options, à l'exception de la Corse et de Poitou-Charentes (Rhône-Alpes, de son côté, n'a utilisé que la première modulation). L'écart entre régions atteint ainsi un maximum de 2,30 €/hl pour le gazole et de 3,54 €/hl pour le super.

* 20 La part affectée à l'AFITF augmente de 40,4 % pour se maintenir à 177 millions d'euros.

* 21 En outre, quelques milliers de véhicules spécialisés de travaux publics et industriels (essentiellement des grues automotrices) ont été exonérés de la taxe à l'essieu pour la période du 9 juillet 2006 au 31 décembre 2009. Par le décret n° 2010-554 du 26 mai 2010, cette exonération a été prorogée jusqu'au 31 décembre 2014, avec l'accord de la Commission européenne.

* 22 L'avis du Conseil d'État le 16 septembre 1999 a conclu que les règles applicables à l'attribution des concessions faisaient obstacle à ce que la réalisation d'une nouvelle section d'autoroute soit confiée à une société dont l'offre prévoit que l'équilibre financier de l'opération sera assuré par la prolongation de la durée d'une concession en cours concernant un autre ouvrage. Le Conseil d'État a cependant admis que, dans la mesure où le tronçon supplémentaire à réaliser est lié à une autoroute déjà concédée par sa situation géographique et ses conditions d'exploitation et où son intégration à la concession existante n'est pas de nature à en bouleverser l'économie, cette éventualité peut être envisagée sous le contrôle du juge.

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