II. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : ACTRICES ET PARTENAIRES FINANCIERS DE LA REFONDATION DE L'ÉCOLE

Dans la mesure où les collectivités territoriales sont des partenaires à part entière de la refondation de l'école, le présent projet de loi a un impact sur leurs finances. Il traite notamment de la répartition des compétences entre elles et l'Etat en matière de matériel informatique et de la création d'un fonds « d'amorçage » de la réforme des rythmes scolaires.

A. UNE RÉPARTITION DES COMPÉTENCES EN MATIÈRE D'ACQUISITION ET DE MAINTENANCE DES MATÉRIELS INFORMATIQUES QUI POSE QUESTION (ARTICLES 12, 13 ET 14)

1. Une répartition ambigüe des compétences

La répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales pour l'acquisition et la maintenance des matériels informatiques est relativement ambigüe. La Cour des comptes relevait ainsi en 2003 que « aucune règle ne fixe précisément les compétences des services académiques, des collectivités et des établissements eux-mêmes en matière de maintenance et surtout de renouvellement des équipements » 11 ( * ) .

En effet, d'une part, l'article L. 213-2 du code de l'éducation prévoit que les départements assurent « l'équipement et le fonctionnement [des collèges], à l'exception [...] des dépenses pédagogiques à la charge de l'Etat dont la liste est arrêtée par décret ». L'article L. 214-6 du même code prévoit les mêmes dispositions pour les régions en ce qui concerne les lycées.

D'autre part, l'article L. 211-8 du code de l'éducation prévoit (5°) que l'Etat a la charge « des dépenses pédagogiques des collèges, des lycées et des établissements d'éducation spéciale dont la liste est arrêtée par décret ».

Ce décret 12 ( * ) a été codifié aux articles D. 211-14 (dépenses d'investissement) et D. 211-15 (dépenses de fonctionnement) du même code. Aux termes de ces articles, l'Etat a la charge des dépenses en matière de « premier équipement [...] dans le cadre d'un programme d'intérêt national » en équipements informatiques, ainsi que les dépenses liées à la maintenance des matériels ainsi acquis .

Comme le souligne l'étude d'impact jointe au présent projet de loi, cette rédaction s'explique par le « Plan informatique pour tous » de 1985, qui visait à mettre en place plus de 120 000 équipements dans 50 000 établissements scolaires. L'Etat a mis gratuitement le matériel à disposition des collectivités pendant trois ans. Au terme de cette période, l'Etat a transféré aux collectivités, à titre gratuit, la propriété de ces matériels.

Cependant, dans un avis 13 ( * ) du 25 mai 1999, le Conseil d'Etat a estimé que l'Etat «, qui dans le domaine de l'éducation a conservé l'exclusivité des compétences pédagogiques, [a la charge de] l'ensemble des dépenses directement pédagogiques effectuées dans les établissements scolaires ». Il précise que le décret précité ne saurait « avoir pour objet ou pour effet de décharger l'Etat du financement des dépenses pédagogiques [...] et mettre une partie de ces dépenses à la charge des collectivités territoriales ». Et de conclure que le décret précité « doit être regardé comme ayant une portée purement indicative ».

On ne peut donc a priori conclure de l'absence de la mention de l'acquisition et de la maintenance du matériel informatique dans le décret précité que ces dépenses sont à la charge des collectivités territoriales.

2. Une pratique également ambigüe

Les auditions menées par votre rapporteur ont montré que la pratique reflétait cette ambigüité de la compétence. En l'absence de règles claires, ces dépenses ont été prises en charge aussi bien par l'Etat que par les collectivités.

Ainsi, si l'étude d'impact indique que « aujourd'hui tous les équipements ont été acquis par les collectivités », les représentants des régions font valoir que le « désengagement » de l'Etat « a obligé certaines régions à investir des moyens humains et financiers plus ou moins importants pour épauler un Etat défaillant dans ce domaine [...] Le fait que des collectivités [...] aient été contraintes à compléter l'action du rectorat [...] ne remet pas en cause le fait que ce dernier garde la charge de cette mission » 14 ( * ) .

Parallèlement, les représentants des régions observent que la maintenance est parfois assurée par des enseignants, et donc financée par l'Etat, à travers des heures supplémentaires et des décharges horaires. De même, l'étude d'impact précise que « le ministère fait le choix de maintenir les emplois, qui, de facto , participent aujourd'hui à la maintenance des infrastructures numériques ».

3. Un enjeu significatif pour les collectivités territoriales
a) Une « clarification » des compétences pour le Gouvernement

En se basant sur l'interprétation précitée, selon laquelle l'acquisition et la maintenance des matériels informatiques relèvent de la compétence des collectivités, le Gouvernement propose une « clarification juridique concernant les compétences [...] souhaitée par tous les partenaires ».

Ainsi, l'article 12 du présent projet de loi propose de modifier l'article L. 211-8 précité, relatif aux dépenses pédagogiques à la charge de l'Etat. Il prévoit que seront désormais à sa charge, dans les collèges, les lycées et les établissements d'éducation spéciale, les dépenses de fonctionnement « afférentes aux ressources, contenus et services numériques spécifiquement conçus pour un usage pédagogique » et, dans les collèges et les établissements d'éducation spéciale, « la fourniture des manuels scolaires [...] et des documents à caractère pédagogique à usage collectif ».

Parallèlement, les articles L. 213-2 et L. 214-6 précités, relatifs aux dépenses pédagogiques à la charge des départements et des régions, sont respectivement modifiés par les articles 13 et 14 du projet de loi.

Ainsi, seraient à la charge des collectivités « l'acquisition et la maintenance des infrastructures et des équipements, dont les matériels informatiques et les logiciels prévus pour leur mise en service, nécessaires à l'enseignement et aux échanges entre les membres de la communauté éducative ».

b) Un transfert de compétence non compensé selon les associations d'élus

Les représentants des départements et des régions , dont votre rapporteur a reçu des contributions écrites, contestent la lecture du Gouvernement, selon laquelle l'acquisition et la maintenance des matériels informatiques relèveraient de la compétence des collectivités.

Ils y voient, à l'inverse, un transfert de compétence de l'Etat vers les collectivités territoriales. Or il faut rappeler qu'en application du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, « tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ».

C'est pourquoi, par un courrier du 11 avril dernier, Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France, et Alain Rousset, président de l'Association des régions de France, ont interpellé le ministre de l'éducation nationale. Ils ont précisément demandé que les débats au Sénat soient l'occasion pour le Gouvernement d'intégrer au texte la compensation financière de ces transferts. On rappellera qu'en application de l'article 40 de la Constitution, cette compensation financière ne peut relever d'une initiative parlementaire.

Cette éventualité est implicitement démentie par l'étude d'impact des articles 12, 13 et 14, qui indique que « s'agissant d'une clarification des compétences juridiques entre l'Etat et les collectivités régionales 15 ( * ) , il n'est pas prévu d'impact budgétaire pour l'une ou l'autre des parties concernées ».

L'interprétation du Gouvernement, reprise dans le projet de loi, comporte encore des zones d'ombre qu'il convient de clarifier pleinement. À cet égard, la publication par le Gouvernement de l'avis du Conseil d'Etat sur le présent projet de loi, au moins sur les articles concernés, apporterait probablement des éclairages utiles.

Votre rapporteur entend interroger le Gouvernement en séance publique afin de disposer des éclaircissements nécessaires sur ces questions .


* 11 Cour des comptes, « La gestion du système éducatif », avril 2003.

* 12 Décret n°85-269 du 25 février 1985 fixant la liste des dépenses pédagogiques à la charge de l'Etat pris en application de l'article 14 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983.

* 13 Section de l'Intérieur, avis n° 363 340, 25 mai 1999.

* 14 Contribution écrite adressée par l'ARF à votre rapporteur pour avis.

* 15 Le ministère de l'éducation nationale a confirmé à votre rapporteur qu'il fallait lire  collectivités « territoriales » et non « régionales ».

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