EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er - Habilitation du Gouvernement à adopter par voie d'ordonnance des mesures législatives en matière de recours contentieux contre les autorisations d'urbanisme

En son 4°, cet article habilite le Gouvernement, dans le cadre de l'article 38 de la Constitution, à adopter par voie d'ordonnance des dispositions législatives visant à « accélérer le règlement des litiges dans le domaine de l'urbanisme et prévenir les contestations dilatoires ou abusives, notamment en encadrant les conditions dans lesquelles le juge peut être saisi d'un recours en annulation ou d'une demande de suspension, en aménageant les compétences et les pouvoirs des juridictions et en réduisant les délais de traitement des procédures juridictionnelles ».

Cette habilitation législative permettrait au Gouvernement d'adopter des règles relevant du domaine de la loi de nature à accélérer le traitement des recours contentieux en matière d'urbanisme et à lutter contre les recours « abusifs » . L'alinéa en cause vise plus spécifiquement les recours en annulation ou les demandes de suspension, c'est-à-dire les recours en excès de pouvoir et les référés-suspension présentés devant la juridiction administrative. Il envisage, sans souci d'exhaustivité, deux moyens principaux pour ce faire : aménager les compétences et les pouvoirs des juridictions et réduire les délais de traitement des procédures juridictionnelles.

Sur proposition de sa rapporteure, la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a précisé, au sein du champ de l'habilitation, que l'ordonnance pourrait «  permettre [au juge] de condamner à dommages et intérêts l'auteur d'un recours abusif ».

Dans ce cadre, le Gouvernement a confirmé à votre rapporteur son souhait de mettre en oeuvre la quasi-totalité des préconisations du groupe de travail installé par la ministre de l'égalité des territoires et du logement en février 2013 et qui, au terme d'un travail de plusieurs semaine sous la direction du président Daniel Labetoulle, a rendu son rapport le 25 avril 2013.

Le groupe de travail avance sept solutions dont cinq relèvent du domaine législatif. Si la procédure administrative contentieuse relève par principe de la compétence du pouvoir règlementaire 4 ( * ) , le législateur est compétent dès lors que les règles restreignent la liberté d'agir en justice 5 ( * ) ou l'exercice de voies de recours 6 ( * ) . Dans cette perspective, l'habilitation législative du Gouvernement à intervenir dans le domaine de la loi se justifie.

Sans que ces pistes de réflexion ne présentent un caractère ni obligatoire, ni limitatif pour le Gouvernement lors l'édiction des ordonnances pour lesquelles le Parlement l'aurait habilité, votre rapporteur souligne l'intérêt des recommandations formulées par le groupe de travail présidé par M. Labetoulle.


• Clarifier les règles de l'intérêt pour agir

Le groupe de travail propose, de manière relativement classique, de clarifier les règles de l'intérêt à agir en matière de contentieux des actes d'urbanisme. Sous réserve de ne pas porter d'atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif, le législateur est libre de limiter l'intérêt à agir de requérants 7 ( * ) . Comme le relevait le rapport précité, l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme empêche d'ores et déjà la constitution d'association dans le seul but de contester des actes d'urbanisme 8 ( * ) .

Le resserrement de l'intérêt à agir ainsi proposé ne peut cependant qu'être limité comme en témoigne la prudence du groupe de travail ; elle ne contrebalancerait que partiellement le libéralisme traditionnel dont fait preuve le juge administratif dans l'appréciation de cette condition de recevabilité d'un recours en excès de pouvoir.


• Introduire une procédure de cristallisation des moyens

Visant plus spécifiquement les manoeuvres dilatoires éventuelles d'un requérant, le groupe de travail propose de rompre avec les règles biens établies du contentieux de l'excès de pouvoir 9 ( * ) en cristallisant au cours de l'instance les moyens soulevés par le requérant, ce qui aurait pour effet de l'empêcher de soulever de nouveaux moyens et d'ainsi prolonger l'échange des mémoires et la durée de l'instruction.

A la demande d'une partie à l'instance, le juge pourrait ainsi décider de la date à compter de laquelle la cristallisation prendrait effet. Cette mesure d'ordre règlementaire n'empêcherait cependant le requérant de soulever ni les moyens d'ordre public, ni de nouveaux moyens en cas d'appel de la première décision.

Conscient des effets limités de ce mécanisme et des parades que certains requérants pourraient y trouver, le groupe de travail estime néanmoins que « la cristallisation mérite au moins d'être essayée et évaluée ».


• Organiser un mécanisme de régularisation en cours d'instance à l'initiative du juge

Une piste évoquée par le groupe de travail prévoit d'organiser un mécanisme de régularisation en cours d'instance à l'initiative du juge, conduisant à approfondir le dispositif actuel de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme.

Par un pragmatisme bienvenu, le juge administratif admet, spécifiquement en matière de contestation d'actes d'urbanisme, qu'au cours de l'instance un acte de régularisation intervienne, effaçant ainsi les irrégularités initiales attaquées par le requérant. Ce mécanisme est particulièrement dérogatoire à la règle du contentieux de l'excès de pouvoir au terme duquel la légalité de l'acte est appréciée à la date d'introduction de la requête, excluant toute régularisation en cours d'instance.

Le groupe de travail propose ainsi de permettre au juge, dans le cadre d'un recours contre un acte d'urbanisme, d'accorder un délai à l'autorité administrative et au bénéficiaire de l'acte pour régulariser celui-ci si un seul moyen est de nature à justifier son annulation. Si la régularisation était effectuée dans ce délai et qu'elle permettait de répondre au grief dirigé contre l'acte , le juge pourrait ainsi rejeter la requête, plutôt qu'annuler l'acte attaqué. Cette préconisation se fond dans un vaste mouvement jurisprudentiel visant à ne réserver l'annulation qu'en ultime recours 10 ( * ) .


• Permettre au défendeur à l'instance de présenter des conclusions reconventionnelles à caractère indemnitaire

Le groupe de travail souhaite également permettre au défendeur à l'instance de présenter des conclusions reconventionnelles à caractère indemnitaire. Cette solution permettrait ainsi au bénéficiaire d'un acte d'urbanisme attaqué de présenter, au cours du procès, au juge saisi de la requête une demande d'indemnisation pour le caractère abusif du recours.

De jurisprudence ancienne et constante, le juge condamne au versement de dommages-intérêts l'auteur d'un recours qui se serait révélé abusif en application de la théorie de l'abus de droit 11 ( * ) . En revanche, dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir, la victime du recours abusif ne peut directement présenter des conclusions reconventionnelles à caractère indemnitaire devant le juge saisi du recours contre l'acte attaqué 12 ( * ) . Le bénéficiaire d'un acte d'urbanisme qui aurait été contesté de manière abusive peut néanmoins engager la responsabilité de l'auteur du recours ; il doit cependant l'introduire devant le juge judiciaire, seul compétent pour juger d'un contentieux entre personnes privées.

Le groupe de travail reconnaît à cette évolution qu'il appelle de ses voeux une « vocation surtout symbolique » et sans doute dissuasive. Si votre rapporteur partage la finalité de cette proposition, elle appelle cependant des observations. Cette faculté ouverte au bénéficiaire de l'acte aurait pour effet de modifier la répartition entre ordres de juridiction et de distraire ce contentieux de son juge naturel, le juge judiciaire. A titre d'exemple, lorsqu'une association ou un voisin attaque de manière abusive un permis de construire accordé à un promoteur, ce dernier doit saisir le juge judiciaire car le litige oppose deux personnes privées quand bien même il trouverait son origine dans une instance administrative. En liant le contentieux principal - le recours jugé abusif - et la demande accessoire d'indemnisation, le juge administratif se retrouve saisi d'un contentieux qu'il est sans doute mieux placé pour juger d'un seul bloc qui ne relève que pour partie de sa compétence. A cet égard, votre rapporteur ne peut qu'attirer l'attention du Gouvernement sur le respect des compétences traditionnelles, parfois fondées sur le plan constitutionnel, des deux ordres de juridiction.

En outre, sous couvert de faciliter l'indemnisation de victimes de recours abusifs, il ne faudrait pas restreindre les possibilités pour ces dernières d'obtenir réparation du préjudice subi. Aussi, conviendrait-il de veiller à ce que la faculté de solliciter une indemnisation en cours d'instance ne soit pas exclusive de la voie existante devant le juge judiciaire  pour obtenir réparation à la suite du rejet du recours abusif. Dans le cas contraire, la victime du recours abusif ne disposerait que d'une période restreinte au cours de laquelle elle pourrait obtenir réparation ; au-delà, il ne serait plus recevable à le faire. La mesure envisagée doit donc s'opérer sans préjudice du recours actuellement ouvert aux victimes de recours abusif .

De même, une définition du recours abusif ouvrant droit à réparation qui se révèlerait trop stricte s'avèrerait moins favorable que l'état du droit qui permet à la victime de se fonder sur le principe général de la responsabilité pour faute posé par l'article 1382 du code civil.

Au-delà de l'aspect séduisant de cette solution, ce mécanisme nécessite donc une réflexion approfondie au regard des réserves exprimées.


• Encadrer le régime des transactions par lesquelles il est mis fin à l'instance

Il est proposé par le groupe de travail d' encadrer le régime des transactions par lesquelles il est mis fin à un recours contre un acte d'urbanisme. Si les transactions sont une mesure parfaitement admissible de résolution amiable d'un contentieux engagé, l'observation des pratiques rapportées par les professionnels du secteur de la construction conduit à constater certains dévoiements de cette faculté que de récentes condamnations pénales ont mis en lumière. Détournant le recours de sa finalité première, des personnes déposent des requêtes manifestement infondées dans l'espoir de percevoir, au terme d'un chantage sur le bénéficiaire de l'acte d'urbanisme attaqué, une somme d'argent contre un désistement d'instance. La perception de cette somme s'opère dans le cadre d'une transaction. Ces pratiques particulièrement choquantes tombent sous le coup de l' incrimination pénale d'escroquerie 13 ( * ) .

Outre cette sanction actuellement applicable, il importe, au moins un temps, d'imposer un mécanisme préventif qui dissuade de recourir à ces « transactions ». L'enregistrement auprès de l'administration fiscale, sous peine de nullité, est une solution de nature à assurer un début de transparence et, éventuellement, à permettre de détecter des conclusions régulières de transactions au profit d'une même personne.

A terme et pour une période temporaire, la question de l'homologation de certaines transactions par voie judiciaire est une solution à explorer, même si votre rapporteur ne méconnaît pas les difficultés pratiques qu'elle implique.


• Recentrer l'action en démolition sur son objet premier

Par ailleurs, le groupe de travail appelle à recentrer l'action en démolition sur son objet premier. Cette préconisation n'est pas strictement liée au souci d'accélérer le traitement contentieux des litiges, ni même de lutter contre les recours abusifs ou dilatoires pour lesquels elle serait sans effet direct. Votre rapporteur rejoint cependant le groupe de travail lorsqu'il juge cette voie « prometteuse » car elle porte plus fondamentalement sur l'impact des recours contentieux dans le secteur de la construction.

En effet, l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme permet au juge judiciaire de condamner le propriétaire à démolir une construction en cas de méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative. Cette disposition ne distingue pas selon le motif d'annulation du juge administratif . Constituant une sanction a posteriori particulièrement lourde et dissuasive, elle se justifiait pleinement avant l'introduction des référés qui permettant désormais d'arrêter en urgence un projet manifestement illégal. Désormais, le groupe de travail estime que l'éventualité, même rarement mise en oeuvre, d'une démolition de la construction incite les banques à bloquer le versement des financements dans l'attente d'une décision écartant cette hypothèse et les promoteurs à différer d'autant l'opération envisagée 14 ( * ) .

En réservant l'action en démolition aux cas de constructions illégales les plus graves, les recours contentieux sur les projets immobiliers présenteraient un effet moins paralysant pour les acteurs économiques, et ce, d'autant plus lorsque la requête en référé a été rejetée.


• Donner aux cours administratives d'appel une compétence de premier et dernier ressort pour certains projets de construction de logements

Enfin, le groupe de travail propose d'accélérer le traitement de certains recours en matière d'urbanisme en matière d'urbanisme en confiant leur règlement en premier et dernier ressort aux cours administratives d'appel, seul le recours en cassation devant le Conseil d'État restant ouvert contre la décision de la cour.

Cette modification relèverait du pouvoir règlementaire dans la mesure où elle dispose d'un fondement législatif à l'article L. 311-1 du code de justice administrative, modifié par l'article 48 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011. Lors de l'examen de cette disposition, notre collègue Yves Détraigne, alors rapporteur, relevait que « l'attribution d'une compétence de premier ressort aux cours d'appel ôte aux justiciables le bénéfice du double degré de juridiction » et que s'il n'était effectivement porté atteinte à aucune règle constitutionnelle 15 ( * ) , « la suppression d'une telle garantie semble plutôt relever de la loi », ce qui fut chose faite avec la loi du 13 décembre 2011.

L'article L. 311-1 du code de justice administrative dispose désormais que « les tribunaux administratifs sont, en premier ressort, juges de droit commun du contentieux administratif, sous réserve des compétences que l'objet du litige ou l'intérêt d'une bonne administration de la justice conduisent à attribuer à une autre juridiction administrative » qui peut être le Conseil d'État, comme antérieurement à la loi du 13 décembre 2011, ou les cours administratives d'appel dorénavant.

Le groupe de travail envisage de restreindre le bénéficie du double degré de juridiction en matière d'urbanisme seulement lorsque deux conditions cumulatives seraient réunies :

- l'acte contesté devrait être délivré sur le territoire d'une commune où la taxe annuelle sur les logements vacants est applicable en vertu de l'article L. 232 du code général des impôts, c'est-à-dire les communes où il « existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d'accès au logement sur l'ensemble du parc résidentiel existant » ;

- l'acte contesté devrait permettre la construction d'un logement dont la surface excède une certaine surface - 1 500 mètres carrés selon les préconisations du groupe de travail - afin de ne viser que les projets d'ampleur.

Si ce mécanisme a déjà été mis en oeuvre, que ce soit au sein de la juridiction judiciaire 16 ( * ) ou administrative 17 ( * ) , la mesure proposée marquerait une nouvelle étape au regard du nombre de litiges qu'elle concernerait. Elle présenterait également une originalité en ce qu'elle ferait varier le parcours juridictionnel d'un même type d'acte (permis de construire, permis d'aménager, etc.) en fonction de critères géographiques et matériels. Un permis de construire pourrait ainsi selon le lieu de sa délivrance et son contenu être contesté devant le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel selon les cas.

Le transfert de contentieux en première instance aux cours administratives d'appel ne s'opérerait ainsi pas par bloc d'actes attaqués mais au sein même de catégories d'autorisations d'urbanisme, ce qui induit une différence notable de traitement entre les justiciables. Aussi, le respect du principe d'égalité devant la justice exige que le partage entre litiges relevant du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel en premier instance doit-il reposer sur des critères objectifs et rationnels . Se poserait alors la question du maintien du ministère obligatoire d'avocat devant la cour administrative d'appel 18 ( * ) pour ces recours alors qu'ils en seraient dispensés devant le tribunal administratif.

Au-delà des propositions formulées par le groupe de travail présidé par M. Daniel Labetoulle, Mme Annick Lepetit, rapporteur de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, évoquait dans son rapport une « dernière piste pour endiguer les recours malveillants » : « augmenter le seuil maximal de l'amende pour recours abusif ». En effet, l'article R. 741-12 du code de justice administrative permet au juge administratif de prononcer d'office à l'encontre de l'auteur d'un recours abusif une amende qui peut atteindre 3 000 euros. La rapporteure de l'Assemblée nationale jugeait alors équilibré de porter ce montant maximal à 10 000 euros. Sans minorer l'aspect symbolique de cette mesure, votre rapporteur doute de son caractère dissuasif, le juge restant à ce jour très mesuré dans sa mise en oeuvre. En outre, le produit de cette amende est perçu par l'État et non par la victime du recours abusif comme le serait une condamnation pour dommages et intérêts dans le cadre de l'instance, ce que propose le rapport du groupe de travail.

Sans se prononcer, à ce stade, sur le bien-fondé des dispositions que le Gouvernement pourrait adopter sur le fondement de cette habilitation, votre commission estime que le dispositif sera d'autant plus efficace qu'il s'appuiera sur des mécanismes ciblés mais efficaces plutôt que sur des règles multiples à faible portée.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 1 er .

Article 4 (Art. L. 15-1 et l. 15-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique) - Prise de possession de biens et modalités d'indemnisation des personnes expropriées

Cet article modifie les articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique relatifs à la prise de possession de biens ayant fait l'objet d'une expropriation et aux modalités d'indemnisation des propriétaires de ces biens.

L'expropriation pour cause d'utilité publique est un mécanisme ancien permettant le transfert forcé de propriété au profit d'un expropriant , personne publique ou privée, par une décision de la puissance publique . Les principes fondamentaux de la procédure actuelle ont été fixés par la loi du 8 mars 1810 qui a instauré une phase administrative à laquelle succède une phase judiciaire. La phase administrative, conduite par l'autorité administrative déconcentrée ou centrale, comporte une enquête publique aboutissant, le cas échéant, à la déclaration d'utilité publique et à un arrêté de cessibilité délimitant les biens dont l'expropriation poursuivrait un but d'intérêt général.

Dans le cadre de la seconde phase, le transfert est opéré, comme le rappelle l'article L. 12-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, par un accord amiable entre l'expropriant et l'exproprié ou par voie judiciaire. Dans ce dernier cas, le juge judiciaire, au vu des éléments de la phase administrative, statue sur ce transfert de propriété et le prononce le cas échéant. Le transfert de propriété acquis, le montant de l'indemnisation due par l'expropriant à l'exproprié est alors fixé, conformément à l'article L. 13-1 du même code, par un accord entre les parties ou par le juge. Le juge de l'expropriation fixe alors une indemnité qui couvre l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain subi par l'exproprié du fait de l'expropriation, que cette indemnité soit versée en espèces ou en nature par la voie d'un relogement des expropriés. En application de l'article L. 13-21 du même code, il peut être relevé appel du jugement rendu, l'arrêt de la cour d'appel étant susceptible d'un recours en cassation.

Lorsque le montant de l'indemnisation est arrêté, les occupants disposent d'un délai d'un mois pour ne plus occuper les biens expropriés. Ce délai, fixé à l'article L. 15-1 du même code, court à compter du versement ou de la consignation de l'indemnité. L'article L. 15-2 prévoit qu'en cas d'appel du jugement, l'expropriant peut prendre possession du bien, ce qui écarte l'effet suspensif de cette voie de recours 19 ( * ) . Dans l'attente de la décision d'appel, le montant de l'indemnité proposée initialement par l'expropriant est versé à l'exproprié mais le surplus éventuellement accordé par le juge est automatiquement consigné.

Dans sa décision du 6 avril 2012 20 ( * ) , le Conseil constitutionnel a abrogé, à compter du 1 er juillet 2013, les articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique

Le juge constitutionnel a censuré l'article L. 15-2 et, par voie de conséquence, l'article L. 15-1 au regard de la violation du droit de propriété garanti par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen 21 ( * ) . Cette disposition constitutionnelle exige en effet que l'indemnisation de la personne expropriée soit « juste et préalable ».

Comme le relevait le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel, « la règle de l'indemnisation préalable tend à garantir que l'exproprié ne se trouvera pas dans une situation où il a perdu la jouissance du bien mais n'est pas encore entré en jouissance de l'indemnité », ajoutant que « le caractère préalable de l'indemnité impose une continuité patrimoniale pour l'exproprié qui doit être indemnisé au plus tard au jour de l'entrée en possession par l'expropriant ».

Le juge constitutionnel estime que la possibilité que l'indemnité soit temporairement remplacée par une provision est conforme à la Constitution. Il ne l'admet cependant que dans certaines circonstances justifiées par un motif impérieux d'intérêt général . Or, dans sa rédaction actuelle et censurée par le Conseil constitutionnel, les dispositions législatives ouvraient à l'expropriant la faculté de consigner avec pour seul tempérament le versement du montant de l'indemnité qu'il avait proposé à l'exproprié avant la saisine du juge. Cette situation aboutit à ce que, dans l'attente de la décision d'appel, l'exproprié ne perçoive pas, le cas échéant, l'intégralité de la somme que lui avait accordée le juge de l'expropriation en première instance : l'indemnisation n'est que partiellement préalable. Lorsque l'expropriation porte sur la résidence principale ou le siège de l'activité professionnelle de l'exproprié, cette règle peut être particulièrement préjudiciable pour lui.

Dans la perspective de l'abrogation de ces dispositions législatives au 1 er juillet 2013 à la suite de cette censure, l'Assemblée nationale a adopté, dans sa séance du 11 avril 2013, un amendement du Gouvernement au sein du projet de loi portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et services de transport dont le Conseil constitutionnel a été saisi par 60 députés pour examiner sa conformité à la Constitution. Dans ce cadre, cette disposition pourrait être censurée pour son défaut de lien avec le texte comme un « cavalier législatif ». Aussi, le Gouvernement a-t-il souhaité, par prudence, reprendre cette disposition au sein de ce projet de loi.

L'article 4 reprend donc, sous réserve d'une modification rédactionnelle, la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire 22 ( * ) sur le projet de loi précité et issue d'une proposition de notre collègue Roland Ries, alors rapporteur pour le Sénat.

La rédaction proposée introduit donc deux nouvelles exceptions au principe de paiement préalable de l'indemnité , se fondant sur l'exception dégagée par la jurisprudence constitutionnelle qui admet qu'une consignation puisse valoir paiement.

La première hypothèse, inscrite à l'article L. 15-1, prévoit la consignation lorsque l'expropriant serait dans l'impossibilité de payer l'exproprié du fait de ce dernier, ce qui pourrait constituer une mesure dilatoire de l'exproprié pour s'opposer indirectement à la prise de possession et à la décision d'expropriation qui la fonde. Cette exception au principe du versement préalable de l'indemnité se justifie pleinement, d'autant qu'elle n'est pas sans rappeler la faculté ouverte au débiteur par l'article 1257 du code civil de consigner la somme en cas de refus du créancier de recevoir son paiement.

Dans le second cas, prévu à l'article L. 15-2, la consignation devient une possibilité soumise à autorisation du juge , en cas d'appel du jugement, et ouverte dans une hypothèse circonstanciée : la présence d'indices sérieux pour l'expropriant de ne pouvoir, à terme, récupérer éventuellement une partie de la somme en cas d'une décision d'appel plus favorable que la décision de première instance.

Soucieuse de maintenir des garanties pour l'exproprié, la commission mixte paritaire, sur proposition du rapporteur du Sénat, avait introduit une double limite à la consignation dans la seconde hypothèse. D'une part, la consignation ne pourrait porter que sur tout ou partie du surplus de l'indemnité accordée par le juge par rapport à la proposition initiale de l'expropriant, ce qui est la reprise du droit actuel. L'exproprié est ainsi assuré de percevoir au moins le montant de la proposition d'indemnité de l'expropriant, ce qui forme a priori un niveau minimal d'indemnisation sur lequel s'accordent les parties.

D'autre part, pour ce qui est du surplus, le juge de l'expropriation disposerait d'un pouvoir de modulation pour apprécier le niveau souhaitable de consignation au regard des circonstances de l'espèce. Dans ce cadre, au regard du montant de l'indemnité proposé par l'expropriant - et dont le versement direct est acquis de plein droit -, le juge pourrait décider d'augmenter le montant de la somme versée directement considérant que la somme initialement proposée par l'expropriant est insuffisante. Ce pourrait être le cas dans l'hypothèse où la proposition initiale de l'expropriant serait manifestement minorée par rapport à la valeur réelle du bien et au montant accordé par le juge de l'expropriation de première instance. A défaut, l'exproprié subirait une atteinte excessive à son droit de propriété car la consignation, qui n'est qu'une exception au principe du paiement direct de l'indemnité, le priverait d'une indemnisation dans des proportions qui pourraient mettre en péril son activité professionnelle, son accès à un logement ou son patrimoine. Ce serait notamment le cas si l'expropriation portait sur la résidence principale de l'exproprié ou le siège de son activité professionnelle et qu'à cause de l'appel, l'indemnisation soit encore partiellement différée malgré la prise de possession du bien.

Aussi, la rédaction retenue invite le juge à opérer une balance des intérêts en présence entre ceux de l'exproprié et ceux de l'expropriant pour déterminer le montant de l'indemnité à verser sans délai et celui soumis à consignation dans l'attente de la décision d'appel.

Le juge constitutionnel a censuré les articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l'expropriation pour leur méconnaissance du droit de propriété puisqu'ils permettaient, en toutes circonstances, à l'expropriant de prendre possession du bien qu'il expropriait sans verser l'intégralité de la valeur pécuniaire de ce bien dès lors qu'il relevait appel de la décision de première instance. La nouvelle rédaction proposée répond à cette censure à un double niveau :

- elle restreint, d'une part, les cas dans lequel la somme peut être consignée : obstacle au paiement ou impossibilité de payer l'exproprié du fait de ce dernier, indices sérieux laissant présumer qu'en cas d'appel l'expropriant ne pourrait pas recouvrer tout ou partie des sommes qui lui seraient dues en restitution ;

- dans le dernier cas, elle assure que l'exproprié, dans l'attente de la décision d'appel et en contrepartie de la prise de possession du bien, perçoive au moins le montant proposé par l'expropriant voire une partie du surplus sur décision expresse du juge.

Votre commission estime que ces dispositions sont conformes à la protection constitutionnelle du droit de propriété en rappelant que le paiement d'une indemnité pour cause d'expropriation doit demeurer le principe et la consignation l'exception.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 4.

*

* *

Au bénéfice de ses observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des articles 1 er et 4 du projet de loi.


* 4 CC, 14 octobre 2010, 2010-54 QPC.

* 5 CC, 2 décembre 1980, 80-119 L.

* 6 CC, 14 octobre 2010, 2010-54 QPC.

* 7 CC, 17 juin 2011, n° 2011-138 QPC .

* 8 Parmi les précédents législatifs limitant les possibilités de recours de certaines catégories de requérants, l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme n'admet l'intérêt à agir d'une association pour contester une décision relative à l'occupation ou l'utilisation des sols que si le dépôt de ses statuts en préfecture est intervenu antérieurement à l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.

* 9 Un requérant ne peut soulever de nouveaux moyens par rapport à sa requête initiale que dans le temps du délai de recours ; au-delà, le nouveau moyen doit se rattacher à l'une des deux causes juridique : la légalité externe ou la légalité interne de l'acte attaqué (CE, 15 juillet 1954, Société des aciéries et forges de Saint-François, n° 4190).

* 10 En ce sens, s'agissant des vices de forme ou de procédure : CE, 23 décembre 2011, Danthony.

* 11 Cette théorie permet de sanctionner l'usage d'un droit qui, dans son principe, n'est pas fautif mais qui, parce qu'il excède l'usage normal et raisonnable de ce droit, le devient.

* 12 CE, 24 novembre 1967, Noble, n°66271

* 13 Par un arrêt du 18 novembre 2012, la cour d'appel de Paris a condamné plusieurs personnes physiques dont un avocat à des peines de prison avec sursis et d'amendes pour des manoeuvres frauduleuses constitutives d'escroquerie.

* 14 Pour le groupe de travail, « ce risque, en effet, fait craindre au banquier de voir disparaître le collatéral qui garantit le remboursement de son crédit en cas de défaillance du promoteur ; quant aux acheteurs, ils peinent, quand par extraordinaire ils le souhaitent, à trouver un notaire qui accepte de conclure une opération grevée d'un tel aléa. »

* 15 CC, 12 février 2004, n° 2004-491 DC

* 16 Sont ainsi portées devant les cours d'appel les contestations relatives à l'élection du président du tribunal de commerce ou certains contentieux ordinaux ou disciplinaires pour les professions judiciaires ou juridiques réglementées en application des articles L. 311-2 à L. 311-5 du code de l'organisation judiciaire.

* 17 L'article R. 311-2 du code de justice administrative prévoit, depuis le décret n° 2012-1130 du 5 octobre 2012, que les recours contre les arrêtés pris par le ministre du travail relatifs à la représentativité des organisations syndicales sont directement portés devant les cours administratives d'appel.

* 18 Article R. 811-7 du code de justice administrative.

* 19 La lecture de cet article a été rendue malaisée par l'abrogation en 2005 par le pouvoir règlementaire du premier alinéa qui écartait le caractère suspensif de l'appel.

* 20 CC, 6 avril 2012, n° 2012-226 QPC

* 21 Le Conseil constitutionnel a prononcé l'abrogation de ces dispositions sans se prononcer sur l'autre moyen tiré de la violation du caractère équitable de la procédure contentieuse et de l'égalité des parties lors du procès.

* 22 Contrairement à la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, la commission mixte paritaire a opté pour une réécriture complète des deux articles ayant fait l'objet d'une censure différée afin de répondre à la censure totale des deux articles en cause par le juge constitutionnel.

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