EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Lors de son discours d'Alfortville, le 21 mars 2013, le chef de l'État a confirmé la mise en oeuvre du plan « investissement-logement » annoncé par le Premier ministre, rappelant la nécessité d'un « choc de confiance » « face à une offre qui, incontestablement, n'est pas suffisamment stimulée ; une demande qui peine à s'exprimer, faute de solvabilité ; et aussi des hésitations psychologiques, qui existent depuis toujours ».

Le mal-logement affecte une part croissante de nos concitoyens, comme le relève la Fondation Abbé Pierre qui, dans son rapport de 2013, rappelait que tous les segments de l'offre d'hébergement ou de logement social rencontrent des difficultés majeures pour répondre à la demande sociale, avec des conséquences préjudiciables pour la vie familiale des ménages les plus défavorisés. Le Gouvernement a donc souhaité adopter un ensemble de mesures législatives par voie d'ordonnances , cette procédure de dessaisissement temporaire du Parlement pouvant se justifier au regard de l'urgence sociale.

Dans cette optique, le Gouvernement a déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 2 mai 2013 un projet de loi d'habilitation qui a été adopté en séance publique le 21 mai. Ce texte a été renvoyé au fond à votre commission des affaires économiques. Cependant, votre commission a souhaité se saisir pour avis des articles 1 er et 4 de ce texte qui relèvent de ses compétences au titre du contentieux administratif et des règles d'expropriation pour cause d'utilité publique.

Tout d'abord, s'agissant des mesures destinées à faciliter et accélérer la construction de logements en France , le projet de loi fixe le domaine de l'habilitation législative qui serait conférée au Gouvernement ( article 1 er ), au rang desquels la détermination de règles législatives pour « accélérer le règlement des litiges dans le domaine de l'urbanisme et prévenir les contestations dilatoires ou abusives ».

Conformément aux exigences de l'article 38 de la Constitution, cette délégation est enserrée dans un double délai puisque, s'agissant des règles encadrant les recours contentieux en matière d'urbanisme, le Gouvernement serait habilité à adopter des ordonnances durant 4 mois à compter de la publication de la loi ( article 2 ), un projet de loi de ratification devant être déposé devant le Parlement dans un délai de cinq mois à compter de la publication de l'ordonnance ( article 3 ). A l'occasion de la ratification de l'ordonnance, votre commission pourra contrôler les choix opérés par le Gouvernement.

Le projet de loi prévoit au premier chef des mesures pour favoriser la construction de logements que votre rapporteur juge utile de souligner bien qu'elles n'entrent pas dans le champ de la saisine de votre commission.

Le projet de loi vise ainsi à réduire les délais de réalisation des projets de construction de logements, à favoriser la densification des projets et le développement d'une offre nouvelle.

Pour ce faire, le Gouvernement serait habilité à créer une procédure intégrée pour le logement, ce qui aurait pour effet, sous réserve de la réalisation d'une évaluation environnementale, de permettre une mise en compatibilité et une adaptation des documents ou règles s'imposant au projet, dans des délais raccourcis par rapport aux procédures classiques.

Un autre aspect de l'habilitation concerne l'accès aux documents d'urbanisme opposables aux projets d'aménagement et de construction qui serait facilité par la création d'un portail national de l'urbanisme. Ce service fortement attendu des professionnels du secteur permettrait de mettre à disposition gratuitement des données standardisées et librement diffusables. La loi est nécessaire pour intégrer l'ensemble des autorités administratives concernées, y compris décentralisées, puisque la libre administration des collectivités territoriales est en cause.

De même, le financement de projets d'aménagement pourrait également être facilité en augmentant le taux maximal de garantie d'emprunt que les collectivités territoriales pourraient consentir à des personnes privées.

Par ailleurs, pour faciliter la réalisation de logements dans les zones tendues caractérisées par un déséquilibre entre l'offre et la demande de logements, « la recomposition de la ville sur elle-même et à la densification des zones urbaines », selon les termes de l'exposé des motifs, seraient rendues plus aisées (règles d'urbanisme en matière de stationnement, dérogation aux règles locales d'urbanisme relatives au gabarit et à la densité, à la densité et aux aires de stationnement lors de projet de surélévation d'immeubles ou de transformation de bureaux créant des logements, etc.).

Le développement de logements intermédiaires en direction des classes moyennes serait favorisé par la création d'un statut spécifique, notamment d'un bail de longue durée spécifique et l'autorisation pour les organismes de logement social de créer des filiales dédiées à la production et à la gestion de ces logements intermédiaires.

Le Gouvernement serait habilité à prendre des mesures relevant du domaine de la loi supprimant la possibilité de garantie intrinsèque pour les opérations de vente de logements en l'état futur d'achèvement (VEFA) afin de protéger les accédants en cas de défaillance du promoteur en cours de chantier.

Enfin, la gestion de la trésorerie des entreprises du bâtiment serait facilitée en réduisant les délais de paiement des maîtres d'ouvrage public.

S'agissant plus spécifiquement du champ de la saisine de votre commission, l' aléa contentieux reste régulièrement évoqué parmi les freins à la construction de logements. L'étude d'impact annexé au présent projet de loi rappelle d'ailleurs que le contentieux de l'urbanisme a en effet connu une augmentation de 8,7 % des affaires enregistrées entre 2010 et 2011 auprès des tribunaux administratifs et de 4,1 % sur la même période au niveau des cours administratives d'appel

Bien qu'en droit, l'autorisation d'urbanisme soit, comme tout acte administratif, exécutoire 1 ( * ) , le recours devant le juge ne présentant pas de caractère suspensif, l'introduction d'un recours a souvent pour effet de paralyser le chantier dans l'attente de la décision du juge . Si le recours en référé peut aboutir dans un délai réduit, l'examen au fond de la requête exige plusieurs mois ou années jusqu'à l'épuisement des voies de recours. Par prudence ou crainte des conséquences de la décision juridictionnelle, les promoteurs et les financeurs suspendent ainsi les travaux alors même que l'acte d'urbanisme reste juridiquement valide car la démolition, le cas échéant, serait à leur frais.

Votre rapporteur souligne que cette difficulté est identifiée depuis plusieurs années et abordée de manière constante et non partisane par les ministres successifs en charge de l'urbanisme. Lors de l'examen en séance publique du projet de loi relatif à la majoration des droits à construire le 29 février 2012, M. Benoist Apparu, ministre délégué chargé du logement, annonçait en réponse à un amendement de notre collègue Daniel Dubois qu'un décret en Conseil d'État était ainsi en cours de préparation pour limiter les recours abusifs. Poursuivant ce même objectif, Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, indiquait lors de la séance publique du 10 juillet 2012 qu'il faudrait « envisager la meilleure manière de lutter efficacement contre les recours manifestement abusifs, tout en préservant le droit au recours quand il y a intérêt à agir, et permettre l'accélération du traitement des contentieux », jugeant néanmoins, au regard d'un avis du Conseil d'État, que des dispositions législatives seraient nécessaires. La ministre de l'égalité des territoires et du logement a alors confié la présidence d'un groupe de travail à M. Daniel Labetoulle, ancien président de la section du contentieux du Conseil d'État, qui a remis en avril 2013 ses conclusions afin de trouver un meilleur équilibre entre droit au recours et construction de logements dans notre pays. Le présent projet de loi concrétise la volonté du Gouvernement d'affronter cette question en s'inspirant des préconisations ainsi formulées.

Dans ce cadre, le Gouvernement doit veiller, comme le rappelait la ministre lors de son intervention devant notre assemblée en juillet 2012, à maintenir les garanties légales attachées au droit constitutionnel à un recours juridictionnel effectif que le Conseil constitutionnel déduit de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789. Une protection équivalente existe parallèlement au titre de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'Homme.

Cette consécration du droit au recours au sein de normes supra-législatives ne fait cependant pas obstacle à son encadrement par la loi. A cet égard, le contentieux de l'urbanisme connaît d'ailleurs des règles procédurales dérogatoires par rapport au contentieux administratif général, visant à mieux assurer la sécurité juridique des actes. La question de l'extension de certaines de ces règles au contentieux général est souvent débattue et devrait l'être d'autant plus si des mesures pour lutter contre les recours abusifs en matière d'urbanisme étaient adoptées et se révélaient efficaces.

Dans cette matière spécifiquement, de nombreuses règles particulières de procédure ont par ailleurs, depuis une vingtaine d'années, été édictées afin de sécuriser les autorisations individuelles.

Les règles contentieuses propres aux recours en matière d'urbanisme

Issu de l'article 3 de la loi n° 94-112 du 9 février 1994 portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction, l'article L. 600-1 du code de l'urbanisme introduit ainsi une sorte de pare-feu entre le permis de construire et les documents d'urbanisme en vigueur sur le territoire de la commune d'implantation du projet, en faisant obstacle, sauf cas particuliers, à ce que puissent être invoqués, à l'appui d'un recours contre le premier, les vices de forme ou de procédure qui entacheraient les seconds d'illégalité.

En obligeant l'auteur du recours contre un permis à le notifier à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation, l'article R*. 600-1 du code de l'urbanisme, issu du décret n° 94-701 du 16 août 1994 portant application de l'article L. 600-3 et modifiant le code de l'urbanisme, et faisant directement écho, comme d'ailleurs l'article L. 600-1, à une proposition du Conseil d'État ( Urbanisme : Pour un droit plus efficace , Paris : EDCE, La Documentation française, 1992), est la première manifestation de l'attention prêtée à la situation du bénéficiaire du permis, alors que, jusqu'alors, le contentieux de l'urbanisme avait été conçu et construit autour du requérant.

L'obligation faite à la juridiction, lorsqu'elle annule un acte en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, de se prononcer, par dérogation au principe d'économie qui gouverne l'office habituel du juge, sur l'ensemble des moyens qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension demandées, est un peu plus récente puisqu'elle résulte de l'article 37 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains et figure à l'article L. 600-4-1 du code. Mais elle témoigne de la même préoccupation, imposant au juge d'éclairer, autant qu'il le peut, le titulaire de l'autorisation sur l'étendue des possibilités qui, après l'annulation, s'offrent à lui pour reprendre son projet, le cas échéant modifié.

Cette démarche de régularisation a, depuis lors, été rendue plus aisée et plus rapide par les dispositions insérées dans le code, en un article L. 600-5, par l'article 11 de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement ; celles-ci favorisent les annulations partielles pouvant donner lieu à un arrêté modificatif sans empêcher, dans l'intervalle, la poursuite des travaux pour la partie du projet qui n'est pas affectée par le vice constaté par le juge.

L'article L. 600-1-1, enfin, issu de l'article 14 de cette même loi du 13 juillet 2006, répond à une problématique plus spécifique. Déniant toute qualité pour agir aux associations créées postérieurement à l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire, il entend lutter contre la constitution opportuniste de structures offrant artificiellement un intérêt pour agir à des personnes qui en sont, en réalité, dépourvues.

Source : Rapport du groupe de travail présidé par M. Daniel Labetoulle, Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre, 25 avril 2013, p. 3

La notion de recours abusif doit, aux yeux de votre rapporteur, être clairement posée pour aboutir à une réponse efficace. La définition du recours « abusif » 2 ( * ) ou « dilatoire » connaît plusieurs acceptions.

Cette expression doit être préalablement distinguée du recours dont la durée de traitement peut paraître particulièrement longue au bénéficiaire d'une autorisation d'urbanisme mais pour lequel cette durée excessive relève du fonctionnement de la juridiction administrative. Dans ce cas, ni le bien-fondé de la requête, ni le comportement du requérant ne sont en cause. Les conséquences du délai de traitement des litiges sur le comportement des acteurs économiques trouvent une application en matière d'urbanisme mais rejoignent une problématique générale au contentieux administratif. Les efforts entrepris par la juridiction administrative commencent à produire leurs effets : en 2011, au sein des juridictions administratives de droit commun, le délai de traitement des dossiers est maintenu en moyenne, tous contentieux confondus, à une durée inférieure à un an.

Catégorie de juridiction administrative de droit commun

Délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock

Tribunaux administratifs

11 mois et 8 jours

Cours administratives d'appel

11 mois et 16 jours

Conseil d'État

8 mois et 5 jours

L'urgence sociale à construire des logements afin d'assurer le respect de l'objectif à valeur constitutionnelle d'accès à un logement décent appelle sans nul doute des règles spécifiques au contentieux de l'urbanisme pour accélérer le traitement de ces litiges.

Au sein de la notion de recours « abusif » ou « dilatoire » proprement dite, deux catégories se distinguent. La première, qui se retrouve dans tous les contentieux administratifs, concerne les requêtes, même vouées au rejet, pour lesquelles le requérant use de l'ensemble des possibilités procédurales à sa disposition, comme des moyens soulevés au compte-goutte pour prolonger l'échange de mémoires entre parties, afin de retarder la décision du juge. Dans cette hypothèse, la seule possibilité ouverte au législateur et au pouvoir règlementaire est de mieux encadrer la procédure administrative contentieuse afin de déjouer les « artifices de procédure ». L'usage par le requérant des facultés procédurales à sa disposition n'est pas en soi fautive ; seule l'intention de nuire peut justifier l'engagement de la responsabilité civile de l'auteur du recours.

La seconde catégorie recouvre des requêtes rares mais néanmoins réelles ayant pour seule motivation de retirer un avantage financier ou provoquer une perte économique au bénéficiaire de l'autorisation d'urbanisme . Ces « quelques requérants qui font profession des désistements contre rémunération », comme les décrit le rapport du groupe du travail présidé par M. Daniel Labetoulle, s'exposent à des sanctions pénales dont l'effectivité a été soulignée par des condamnations récentes. Ce dernier type de requêtes appelle les réponses les plus énergiques, la protection constitutionnelle du droit au recours n'étant pas un obstacle à la lutte contre ces procédés de détournement manifeste de l'objet premier d'un recours : la défense de ses droits.

Le groupe de travail présidé par M. Daniel Labetoulle propose des solutions dignes d'intérêt qu'il appartiendrait au Gouvernement de mettre en oeuvre dans le cadre de cette habilitation. Votre rapporteur reste cependant convaincu, comme le groupe de travail le souligne, que l'intervention législative sur les voies de recours ouvertes en matière d'urbanisme ne permettra pas de faire l'économie d'une réflexion sur les règles d'urbanisme : « c'est, avant tout, le fond du droit de l'urbanisme et de l'environnement qui est en cause » souligne le rapport. L'annonce par Mme Delphine Batho, ministre de l'environnement, de l'organisation d'états généraux de la modernisation du droit de l'environnement au printemps 2013 est à cet égard un signal encourageant.

Partageant l'objectif poursuivi par le Gouvernement, votre commission a approuvé la rédaction du 4° de l'articler 1 er du projet de loi.

Enfin, le projet de loi ( article 4 ) porte sur la prise de possession d'un bien ayant fait l'objet d'une expropriation et sur l' indemnisation des personnes expropriées . Cette disposition vise à réécrire les articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique censurés en avril 2012 par le juge constitutionnel 3 ( * ) avec effet différé au 1 er juillet 2013. Cet article a été introduit au sein du projet de loi pour permettre son entrée en vigueur avant cette date dans le cas où la même disposition, introduite au sein d'un autre projet de loi soumis actuellement à l'examen du Conseil constitutionnel, serait censurée pour défaut de lien avec le texte au sein duquel elle avait été introduite à la demande du Gouvernement.

Votre commission a estimé que cet article renforçait, conformément aux exigences rappelées par le Conseil constitutionnel, les droits de l'exproprié en lui assurant par principe une indemnisation préalable pour le bien ayant fait l'objet d'une expropriation , réservant la consignation de la somme due à ce titre à des hypothèses désormais plus restreintes et mieux encadrées. Elle a donc estimé que le droit de propriété, protégé par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, était mieux garanti et a donc approuvé cet article.

*

* *

Au bénéfice de ses observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des articles 1 er et 4 du projet de loi.


* 1 Le caractère exécutoire d'une décision administrative est une règle fondamentale du droit public (CE, 2 juillet 1982, n° 25288 et 25323).

* 2 La notion de requête abusive est présente à l'article R. 741-12 du code de justice administrative qui permet au juge de prononcer d'office à l'encontre de l'auteur d'une telle requête une amende maximale de 3 000 euros.

* 3 CC, 6 avril 2012, n° 2012-226 QPC.

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