V. UNE NÉCESSAIRE TRANSFORMATION DU RÉGIME DES AIDES AUX ÉNERGIES RENOUVELABLES

A. QUELLE POLITIQUE POUR LES TARIFS D'ACHAT ET LES APPELS D'OFFRES ?

1. Les charges de service public et la perspective d'une réforme des outils de soutien

M. Philippe Martin, ministre de l'Écologie, du développement durable et de l'énergie, a annoncé le 22 octobre dernier, lors d'un colloque de l'Union française de l'électricité, le lancement d'une large consultation concernant les outils de soutien aux énergies renouvelables .

Une incertitude existe donc actuellement sur l'avenir des mécanismes actuels et tout particulièrement des tarifs d'achat de l'électricité produite, même si le ministre a exclu leur disparition immédiate.

Le coût de ces dispositifs est en effet amené à croître. La Comission de régulation de l'énergie, dans une communication du 18 novembre 2013, indique que les charges de service public, qui doivent être couvertes par la contribution au service public de l'électricité (CSPE), devraient être de 6,2 milliards d'euros en 2014, auxquels il faudrait ajouter 2,2 milliards d'euros au titre des charges non encore remboursées à EDF.

Votre rapporteur pour avis souligne que le dispositif des tarifs d'achat a présenté des avantages indéniables : par sa simplicité, il a permis à de nombreux particuliers ou petits professionnels de devenir des acteurs de la transition énergétique. Un système d'appels d'offres favorise au contraire des structures d'une taille relativement importante, capables de soumettre des dossiers et de participer à des procédures complexes.

Votre rapporteur pour avis sait toutefois que le tarif de rachat garanti, comme l'a indiqué le Président de la République lors de la deuxième Conférence environnementale le 20 septembre dernier, ne permet pas toujours de réguler au mieux et d'orienter correctement la production, alors que les appels d'offres permettent de mieux maîtriser les volumes d'énergie produits.

Il est en particulier conscient des dérives que le mécanisme a entraînées, notamment dans le domaine photovoltaïque où une « bulle » artificielle a été créée. Des entreprises, encouragées par la puissance publique, se sont lancées dans une filière dont les perspectives ont été brutalement remises en cause par la même puissance publique lors du moratoire de la fin 2010 et du début 2011. Les effets désastreux de cette politique de « stop and go » se font encore sentir dans le secteur.

Toutefois les appels d'offres , quelle que soit l'appétence de l'administration pour ces procédures sur lesquelles elle a plus de maîtrise, ne sauraient être vus comme une solution universelle . Non seulement ils excluent de fait les petits acteurs et ne favorisent guère les initiatives locales, mais ils ne garantissent pas toujours une production au moindre coût, comme on a pu le constater lors des appels d'offre pour la construction de parcs éoliens en mer mais aussi photovoltaïques.

Votre rapporteur pour avis souligne donc la nécessité de définir un régime d'aide qui favorise un développement équilibré des moyens de production d'énergie renouvelable. En particulier, les mesures prises devront donner aux installateurs et aux industriels une visibilité suffisante qui leur permette d'embaucher, d'investir et de structurer des filières industrielles d'avenir.

2. Les incertitudes du secteur photovoltaïque

Selon le tableau de bord éolien-photovoltaïque du Commissariat général au développement durable, des installations d'une puissance totale de 207 MW seulement ont été raccordées au premier semestre 2013, ce qui représente une baisse de 73 % par rapport au premier semestre 2012.

On peut certes considérer que, la puissance du parc s'élevant à 4 263 MW à la fin juin, les objectifs fixés par le Grenelle (5 400 MW en 2020) devraient être atteints avec plusieurs années d'avance.

Votre rapporteur pour avis considère toutefois que, compte tenu du retard accumulé dans la plupart des autres filières 11 ( * ) , des objectifs plus élevés devraient être assignés à la filière photovoltaïque, afin d'atteindre autant que possible l'objectif de porter la part des énergies renouvelables à au moins 23% de la consommation d'énergie finale d'ici à 2020.

Il approuve en conséquence le premier pas accompli par le Gouvernement en janvier dernier : doublement des volumes cibles pour les appels d'offre portant sur les grandes installations (400 MW en 2013 contre 200 MW en 2012) et revalorisation de 5 % du tarif d'achat pour les installations avec intégration simplifiée au bâti.

Pour mémoire, les tarifs sont révisés de manière trimestrielle par application du nouveau mode de calcul des tarifs d'achat défini en mars 2011.

Source : arrêté du 31 août 2010, arrêté du 4 mars 2011, documents annexés aux délibérations de la Commission de régulation de l'énergie (CRE)
du 23 octobre 2012 et du 17 octobre 2013. Graphique Sénat.

3. L'hydroélectricité : une incertitude persistante

Votre rapporteur pour avis a souligné, l'an passé, la nécessité de poursuivre la réflexion au sujet du programme de renouvellement des concessions qui avait été lancé par le précédent gouvernement puis suspendu par celui-ci.

Une mission d'information mise en place par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a conduit à la publication d'un rapport présenté par Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Éric Straumann. Ces députés ont imaginé plusieurs scénarios en excluant le renouvellement au gré à gré : la remise en concurrence en favorisant la création de lots unifiés sur une même vallée avec une date d'échéance unique, la désignation par la loi d'un opérateur unique sur l'ensemble du parc, l'exploitation des concessions par un établissement public et enfin le passage du régime de la concession à celui de l'autorisation sur le modèle des réseaux de gaz et d'électricité. Chacune de ces solutions présente des avantages ou des inconvénients sur le plan du coût, de la complexité ou de la conformité au droit de la concurrence.

Votre rapporteur pour avis , pour sa part, a proposé en février dernier, par le dépôt d'une proposition de loi, une prolongation des concessions existantes . Il considère en effet qu'aucune raison de fond n'exige que la France s'impose une mise en concurrence qui n'existe pas chez un bon nombre de nos voisins.

Quoi qu'il en soit, il souligne la nécessité de préserver et, dans la mesure du possible, de développer cet outil indispensable que constitue le parc hydroélectrique qui remplit une double fonction pour la transition énergétique : production d'électricité « verte » et stockage d'énergie.

4. La biomasse : un potentiel important mais des dispositifs de soutien à améliorer

Votre commission a pu constater, lors d'une double table ronde sur la biomasse organisée le 2 octobre dernier conjointement avec la commission du développement durable et le groupe d'études de l'énergie, le potentiel mais aussi les difficultés du développement de la biomasse-énergie.

• Le fonds chaleur , fortement soutenu par l'Ademe, est un dispositif à l'efficacité reconnue .

Ainsi le rapport de la Cour des comptes de juillet 2013 sur la politique de développement des énergies renouvelables, fort critique sur d'autres dispositifs de soutien, considère que « même si son soutien aux filières géothermie, biogaz et solaire thermique doit être réévalué, les capacités du fonds chaleur ne doivent pas être limitées par les arbitrages budgétaires ». Le fonds chaleur paraît ainsi particulièrement approprié pour soutenir les projets de type « biomasse », pour lesquels la production d'électricité ne devrait pas être un objectif premier.

Engagement majeur du Grenelle Environnement, le fonds chaleur a pour objectif de financer les projets de production de chaleur à partir d'énergies renouvelables . Il favorise ainsi l'emploi et l'investissement dans ce secteur.

Sont éligibles au fonds chaleur des installations de production de chaleur renouvelable au moyen de différentes techniques (solaire thermique, géothermie, chaudières à biomasse, énergies de récupération, réseaux de chaleur) :

- des installations biomasse de grande taille dans les secteurs industriels et agricoles, gérés dans le cadre d'un appel à projets national « biomasse chaleur industrie, agriculture et tertiaire » (BCIAT) ;

- des projets régionaux gérés par les directions régionales de l'ADEME en lien avec les régions.

Alors que le fonds chaleur devait recevoir des dotations annuelles allant progressivement jusqu'à 500 millions d'euros en 2012, puis 800 millions d'euros en 2020, ces dotations ont en fait stagné autour de 240 millions d'euros en moyenne sur la période 2009-2013. En 2014, 220 millions d'euros sont destinés aux interventions du fonds chaleur.

Or le coût du fonds chaleur est particulièrement faible : le montant d'aide ADEME est d'environ 40 euros par tonne équivalent pétrole annuelle renouvelable produite, soit 3,4 €/MWh 12 ( * ) .

Votre rapporteur pour avis exprime donc son soutien à ce dispositif, qui est l'un des plus performants, et souligne la nécessité de le développer dans les années à venir .

• Il faut saluer également la présence d'un volet « forêt » dans le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt , déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 13 novembre 2013. L'exploitation de la biomasse est en effet liée à l'exploitation forestière, dont elle est (et doit demeurer) un sous-produit par rapport aux usages plus nobles. Il est donc essentiel de mieux mobiliser la ressource forestière.

• Ce projet de loi prévoit à cet effet l'élaboration d'un programme national de la forêt et du bois, décliné en programmes régionaux pour assurer une meilleure gestion de la forêt française, et surtout la création d'un fonds stratégique de la forêt et du bois, satisfaisant ainsi une demande ancienne.

5. La nécessité de soutenir la recherche et développement ainsi que les nouvelles filières émergentes

Dans un secteur aux perspectives encore incertaines et qui nécessite des investissements en capitaux souvent importants, l'identification des filières d'avenir est cruciale afin d'atteindre les objectifs de progression des nouvelles énergies tout en favorisant le développement économique et la création d'emplois. Votre rapporteur pour avis se réjouit par conséquent de l'accent mis sur la transition énergétique dans le nouveau programme d'investissements d'avenir, ainsi que du lancement d'une nouvelle filière dans le domaine des énergies marines.

a) Le nouveau programme d'investissement d'avenir : un outil pour la transition énergétique

Le Gouvernement a engagé, le 9 juillet 2013, un nouveau programme d'investissement d'avenir (PIA 2), qui fait suite à celui lancé en 2010. Le montant du PIA 2 est de 12 milliards d'euros et il a pour objet le soutien à la recherche et l'université, l'accompagnement de la transition énergétique et écologique ainsi que la construction urbaine durable, l'encouragement à l'innovation et à la recherche dans les filières industrielles.

Dans le cadre de la mission « Écologie, développement et aménagement durables », le PIA 2 entraîne la création de trois nouveaux programmes qui contribuent tous trois à la transition énergétique.

En premier lieu, la réorientation stratégique de l'industrie suppose, au niveau de la recherche et de l'innovation , la réalisation de démonstrateurs, pour lesquels le programme 403 « Innovation pour la transition écologique et énergétique » est doté de 800 millions d'euros de crédits de paiement en 2014. Le même programme prévoit 300 millions euros pour des projets de recherche et développement dans le domaine des « transports de demain », plus sobres et moins polluants. L'opérateur de ce programme est l'Ademe.

En deuxième lieu, les différentes filières industrielles devront investir dans des projets qui permettent de mener à bien la transition énergétique et écologique. Le programme 404 « Projets industriels pour transition écologique et énergétique » est doté, en lien avec la Banque publique d'investissement (BPI), de 470 millions d'euros en 2014 sous la forme d'une part de garantie et bonification de « prêts verts » accordés à des PME et entreprises de taille intermédiaire, d'autre part de participation directe au financement de projets mis en oeuvre par les filières.

Votre rapporteur pour avis approuve cet engagement renouvelé de l'État pour une industrie d'avenir, créatrice d'emplois et exportatrice, dans le domaine de la transition énergétique .

Par ailleurs, le programme 414 « Ville et territoire durables » consacre 370 millions d'euros en 2014 d'une part à un fonds dédié aux projets territoriaux allant au-delà des normes en vigueur, d'autre part à des actions de rénovation urbaine visant une excellence environnementale.

b) Une nouvelle filière d'avenir : les énergies marines

Votre rapporteur pour avis souligne le potentiel particulier que représente, compte tenu de la configuration des côtes françaises, la production d'énergie par des installations marines.

Au-delà des installations éoliennes en mer qui font l'objet actuellement d'un second appel d'offres, qui porte sur une capacité totale de 1 000 MW, plusieurs technologies moins matures sont à l'étude :

- l'énergie hydrolienne, produite par les courants marins ;

- l'énergie marémotrice, pour laquelle la France a été pionnière avec l'usine marémotrice de la Rance ;

- l'éolien en mer avec des aérogénérateurs flottants, susceptibles d'être installées dans des zones, par exemple en mer Méditerranée, où les différentes contraintes (environnementales, touristiques ou liées à la pente du sol marin) ne permettent pas d'envisager l'implantation d'éoliennes plantées dans le sol ;

- l'énergie houlomotrice, engendrée par le mouvement des vagues ;

- l'énergie thermique des mers, qui exploite le gradient thermique entre surface et grande profondeur selon le même principe que la géothermie ;

- enfin l'énergie osmotique qui tire parti du gradient de salinité à l'embouchure des fleuves.

La technologie la plus proche de l'exploitation industrielle semble être l'énergie hydrolienne, d'autant que la France dispose avec le raz Blanchard, au large du Cotentin, de l'un des sites les plus propices en Europe.

Votre rapporteur pour avis salue donc le lancement d'un premier appel d'offres pour la réalisation de « fermes » hydroliennes , lancé dans le cadre des investissements d'avenir le 1 er octobre dernier. La France a tout à gagner à se positionner sur une nouvelle filière d'avenir, d'autant qu'elle dispose déjà d'acteurs industriels capables de construire des turbines de grande dimension, ainsi que d'installations portuaires de haut niveau pour réaliser l'assemblage final des hydroliennes.


* 11 Voir par exemple le bilan dressé par votre rapporteur l'an passé dans son avis n° 149 (2012-2013), fait au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi de finances pour 2013.

* 12 Ademe, Fonds chaleur : lancement du 5ème appel à projets BCIAT et bilan des 4 premiers , 20 septembre 2012.

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