II. FOCUS : LA PROMOTION DU FRANÇAIS DANS LE MONDE PROFESSIONNEL ET AUPRÈS DES NOUVEAUX ARRIVANTS

A. LA PROMOTION DU FRANÇAIS EN ENTREPRISE : UN ABANDON PROGRESSIF

1. Un principe bafoué ?

En vue de prolonger la réflexion entamée l'an passé dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2013, votre rapporteur pour avis a souhaité se pencher à nouveau sur la promotion du multilinguisme au sein des entreprises présentes à l'international.

Auditionné dans ce cadre par votre rapporteur pour avis, Jean-Loup Cuisiniez, expert de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) dans la défense des droits linguistiques des salariés, a dénoncé l'inertie, voire le non-respect des pouvoirs publics français dans la défense de la langue française dans le monde du travail , en entreprise comme dans l'administration.

L'obligation d'utiliser le français en milieu professionnel, d'abord cantonnée au contrat de travail et à l'offre d'emploi, est née avec la loi n° 75-1349 du 31 décembre 1975 relative à l'emploi de la langue française. Elle a ensuite été étendue par la loi « Toubon » n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française aux annonces d'offres d'emploi, aux formations, aux consignes de sécurité et aux relations collectives. Le non-respect de ces règles par l'employeur est soumis à sanctions. De nombreuses sociétés ne s'y conforment pourtant pas. Dans son dossier n° 185 du 9 octobre 2013, le quotidien Liaisons sociales estime ainsi que, « dans un contexte de mondialisation imposer le français comme langue régissant les relations de travail n'est pas (ou plus) une évidence ». On citera à titre d'exemple Danone, qui, bien que condamnée à faire traduire un logiciel de travail en français, préfère se soumettre à l'amende que de s'acquitter de son obligation légale.

Or, le non-respect de l'usage du français dans les relations professionnelles pénalise les salariés français qui ne maîtrisent pas l'anglais et dégradent leurs conditions de travail, comme le souligne le rapport de Claude Saint-Dizier, maître de conférences à l'Université de Corse Pascal Paoli, sur les langues de travail dans l'entreprise.

Pourtant, votre rapporteur pour avis estime que des progrès en faveur d'un renforcement de la place du français au sein des milieux économiques peuvent être réalisés au travers de trois créneaux d'intervention de l'action publique :

- la correction, par le législateur, d'une faiblesse de la loi Toubon qui exclut les documents de travail réalisés à l'étranger de l'obligation de traduction, ce qui pose notamment de nombreuses difficultés en matière de maintenance informatique où l'Inde produit l'essentiel des documents. Il est à cet égard urgent de mettre à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la proposition de loi portée par nos collègues Jacques Legendre et Philippe Marini et adoptée par le Sénat, visant à compléter le dispositif Toubon en prévoyant que le comité d'entreprise soit informé de l'usage de la langue française dans la société ;

- l'accompagnement de la formation des employés, en particulier dans les secteurs exposés à l'internationalisation des échanges et de la coopération dans le domaine de la sécurité ;

- et la possibilité pour l'OIF de promouvoir, au niveau international, une modification des réglementations linguistiques susceptible d'avantager les entreprises francophones dans l'environnement international des affaires.

Peut cependant être saluée la publication, le 21 octobre 2013, d'un « Guide des bonnes pratiques linguistiques dans les entreprises » élaboré par la délégation générale à la langue française et aux langues de France du ministère de la culture et de la communication. Cet outil, destiné aux entreprises et aux représentants syndicaux, vise tant la gestion des compétences linguistiques des salariés que les bonnes pratiques de communication interne et externe.

Il semblerait enfin plus efficace , pratiquement et symboliquement, que la défense du multilinguisme dans le monde professionnel ressorte également des compétences du ministère du travail, et non seulement de celles du ministère de la culture . Il s'agit en effet bien, au bout du compte, de veiller à l'emploi des salariés francophones.

2. Le français comme atout commercial

Il n'empêche que, pour des fleurons de l'économie française, la langue représentent un atout, une marque de fabrique.

Ainsi, Air France pose comme un prérequis, pour le recrutement de collaborateurs en France comme en contrat local à l'étranger, une connaissance suffisante du français et propose, pour assurer un niveau de maîtrise supérieur, un certain nombre de formations internes (14 500 heures de cours dispensées entre 2006 et 2013). De fait, la langue de travail au sein de l'entreprise demeure le français, pour les relations professionnelles comme pour les procédures d'exploitation, même si celles-ci font l'objet de traductions en anglais indispensables aux relations avec les sociétés étrangères, notamment en matière d'assistance et de maintenance. Ainsi, à l'occasion de la fusion avec KLM en 2004, des cours de français ont été dispensés aux cadres néerlandais susceptibles d'être en contact avec l'entreprise française.

En outre, à bord des avions, les menus, annonces d'accueil et magazines réalisés par Gallimard sont en français avec une traduction anglophone a minima . La presse est majoritairement française. 50 % des films sont français et le sous-titrage est systématiquement préféré au doublage. Enfin, la compagnie propose une chaîne musicale intégralement francophone.

Seule entorse au principe de défense du français, la cartographie aérienne et les documents techniques des avions transmis par les constructeurs, intégralement en anglais, ne sont pas traduits, conformément à la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives, qui a entériné le renoncement à l'exigence de traduction des documents de sécurité dans le domaine de l'aéronautique .

Ce vote est allé à l'encontre des principes énoncés à l'article premier du Protocole de Londres 2 ( * ) et de l'avis de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie, qui s'était opposée à l'appauvrissement terminologique de la langue française et à la perte de sa fonctionnalité . Votre rapporteur pour avis estime cependant que, dans ce cas limité, la traduction en français pouvait générer de véritables problèmes de sécurité, en raison de potentielles approximations de traduction mais également parce que les commandes des avions sont elles-mêmes en anglais. Le rapport relatif à l'accident du vol AF447 Rio-Paris, où les documents techniques étaient en français, a d'ailleurs envisagé, parmi d'autres causes, une mauvaise compréhension des procédures.

Dans un souci de promotion du français à l'étranger , Air France a également créé et finance l'Institut africain des métiers aériens (IAMA) au Mali, destiné à la formation, en français, de jeunes à ces professions. Enfin, la Fondation Air France offre une aide à de nombreuses écoles primaires francophones.

On citera également le cas du groupe LVMH où, parce que la langue française comme le « Made in France » font partie d'une image des marques de luxe que recherchent les clients, préserve, malgré son internationalisation, la place du français en son sein. Ainsi, la majorité des réunions de travail, comme le conseil d'administration se tiennent en français : les cadres sont donc francophones et les étrangers se sont vus dans l'obligation pratique d'apprendre la langue. Dans les boutiques et sur l'étiquetage des produits, les modes d'emploi et la signalétique sont également en français, même si les traductions se développent. 50 % des 120 000 salariés du groupe étant français, il s'en trouve en outre dans la très grande majorité des implantations à l'étranger.

Votre rapporteur pour avis serait favorable à la création d'un label destiné aux entreprises qui valorise la promotion du français en leur sein.

La francophonie peut enfin constituer un espace privilégié d'échanges commerciaux. Le ministère délégué en charge de la francophonie envisage d'ailleurs de développer un dispositif d'information des entreprises françaises, et notamment des PME, sur les opportunités commerciales et industrielles dans les pays francophones.

À cet effet, seraient organisées des rencontres décentralisées et individualisées entre conseillers économiques des ambassades des pays francophones et entreprises locales . Elles pourraient notamment se tenir dans les villes membres de l'AIMF (Marseille, Lyon, Lille, Bordeaux, Toulouse) avec le soutien des chambres de commerce et d'industrie.

Une expérimentation sera prochainement organisée sur ce modèle en région Midi-Pyrénées.


* 2 Accord conclu en octobre 2000 entre des pays de l'Office européen des brevets (OEB), c'est-à-dire signataires de la convention de Munich de 1973. Ce protocole a pour objet de simplifier le régime linguistique des brevets en Europe, en invitant les pays à renoncer à une partie des exigences de traduction au stade de la validation des brevets européens délivrés.

Page mise à jour le

Partager cette page