II. _L'ÉCOTAXE : AGIR VITE

A. POURQUOI L'ÉCOTAXE DOIT ENTRER EN VIGUEUR

1. Un manque à gagner pour le financement des infrastructures de transport

Certes, et comme l'a indiqué le Premier ministre le 29 octobre dernier, la suspension de l'écotaxe n'équivaut pas à une suppression. Elle risque toutefois de retarder nombre de projets d'infrastructures. Si l'AFITF a pu solliciter son fonds de roulement de façon exceptionnelle en 2013, ce mécanisme ne pourra être réitéré en 2014. Dès lors, en l'absence de compensation totale par l'Etat, et comme cela a déjà été le cas en 2013, elle sera obligée de revoir son programme de dépenses à la baisse.

Or, d'après le projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances, en 2014, les ressources prévisionnelles de l'AFITF devaient permettre de financer les projets suivants :

- la poursuite des travaux de construction des LGV Est Européenne (seconde phase), Sud-Europe-Atlantique (Tours-Bordeaux), Bretagne-Pays de la Loire et du contournement ferroviaire de Nîmes-Montpellier ;

- la poursuite des études et des travaux de reconnaissance déjà engagés du projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin et de ses accès français ;

- la poursuite de la modernisation et de la régénération du réseau fluvial dans le cadre du contrat de performance avec VNF ;

- la poursuite des projets routiers engagés (Route Centre Europe Atlantique, RN 88 Albi-Rodez, A150 au nord de Rouen et rocade L2 à Marseille) ;

- la poursuite des aménagements pour l'autoroute ferroviaire atlantique ainsi que la préparation de nouvelles autoroutes de la mer ;

- le financement des dernières tranches annuelles des contrats de projets 2007-2013 relatifs aux volets transports ferroviaires, fluviaux, maritimes ou collectifs, des programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI), de la nouvelle génération de contrats de plan 2014-2020, des appels à projet en cours pour les transports collectifs urbains, des contrats spécifiques à la modernisation du réseau de transports collectifs francilien (hors Grand Paris) et enfin des infrastructures routières et ferroviaires prévues dans le cadre du plan exceptionnel d'investissement (PEI) pour la Corse ;

- la poursuite du soutien au programme d'équipement du réseau ferré national en radiotéléphonie GSM-R, du financement des programmes de mise en sécurité des tunnels routiers et ferroviaires, des suppressions de passages à niveau, des mise aux normes des infrastructures pour leur accessibilité aux personnes à mobilité réduite, enfin des aménagements de régénération, de sécurité et de gestion de trafic sur le réseau routier national ;

- la poursuite des investissements spécifiques prévus dans le cadre de l'engagement national pour le fret ferroviaire ;

- la modernisation des matériels roulants d'Ile-de-France et des trains d'équilibre du territoire (remplacement des matériels Corail, Téoz et Lunéa).

L'absence des ressources liées à l'écotaxe serait d'autant plus problématique pour l'AFITF que le Premier ministre a annoncé en juillet dernier le choix du second scénario proposé par la commission « Mobilité 21 », à savoir le scénario le plus ambitieux pour le développement des infrastructures de notre pays au cours des prochaines années.

LES CONCLUSIONS ET LES SUITES DE LA COMMISSION « MOBILITÉ 21 »

A la suite du Grenelle de l'environnement, le précédent Gouvernement avait engagé l'élaboration d'un schéma national des infrastructures de transport (SNIT) afin de recenser les orientations de l'Etat dans ce domaine. L'ampleur des investissements qu'il impliquait de réaliser, évalués à 245 milliards d'euros sur 25 ans, le rendait très peu réaliste.

C'est la raison pour laquelle le ministre des transports a souhaité revoir ce schéma. Il a mis en place, en octobre 2012, la commission « Mobilité 21 », composée de parlementaires de sensibilités diverses et de personnalités qualifiées, afin de hiérarchiser les projets d'infrastructures du SNIT mais aussi de formuler des recommandations en vue de créer les conditions d'une mobilité durable.

Cette commission, présidée par Philippe Duron, a rendu le résultat de ses travaux en juin 2013. Pour formuler des propositions de hiérarchisation des grands projets, elle a envisagé deux scénarios de financement.

Le premier scénario repose sur le maintien, jusqu'en 2030, des ressources de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) à leur niveau attendu en 2017, soit 2,26 milliards d'euros par an, ce qui équivaut à un total cumulé de 31,6 milliards d'euros.

Compte tenu des engagements déjà pris par l'AFITF, à hauteur de 22,9 milliards d'euros, ainsi que des dépenses nécessaires pour la modernisation des réseaux et le renouvellement des matériels roulants, ce scénario permettrait le lancement de 8 à 10 milliards d'euros de projets nouveaux.

Le second scénario est plus ambitieux, puisqu'il propose un montant d'investissements nouveaux de l'ordre de 28 à 30 milliards d'euros. Il repose toutefois sur l'hypothèse d'une amélioration de la conjoncture économique et la mobilisation de sources supplémentaires de financement, à hauteur de 400 millions d'euros par an, montant qui équivaut à la moitié de la subvention d'équilibre que l'Etat doit verser à l'AFITF en 2013. Or, cette subvention avait à l'origine vocation à s'éteindre au cours des prochaines années, l'écotaxe devant se substituer à cette subvention prélevée sur le budget général.

Lors de son discours de présentation du plan « Investir pour la France » le 9 juillet 2013, le Premier ministre a indiqué que le Gouvernement prenait pour référence ce « scénario 2 ».

La liste des projets envisagés dans ces deux scénarios figure en annexe du rapport.

Face à cette situation, votre rapporteur est convaincu que cette taxe poids lourds doit entrer en vigueur. En outre, si l'enjeu budgétaire est important, il n'est pas le seul.

2. La mise en application concrète du principe de l'« utilisateur-payeur »

Il semble logique que les poids lourds qui empruntent le réseau non concédé paient l'infrastructure qu'ils utilisent , comme le font les transporteurs qui utilisent d'autres modes de transport, par exemple les entreprises de fret ferroviaire en s'acquittant de péages. A défaut, le transport routier resterait privilégié par rapport à d'autres types de transport pourtant plus respectueux de l'environnement.

Si l'écotaxe appartient en droit français à la catégorie des « taxes », parce que son produit ne sera pas affecté dans sa totalité à l'entretien des tronçons de réseau taxé, elle ressemble en fait beaucoup à une redevance d'utilisation . C'est d'ailleurs ainsi qu'elle est qualifiée en droit européen. Le calcul de ses taux, encadré par la directive « Eurovignette 4 ( * ) », reflète en effet les coûts d'usage de la route. Il ne s'agit donc pas, comme certains l'ont évoqué, d'une fiscalité « de rendement », dont l'unique finalité serait de générer de nouvelles recettes. La quasi-totalité de ses recettes sont d'ailleurs affectées au financement des infrastructures de transport.

Le report de certains camions sur les réseaux secondaires, pour éviter les péages par exemple, a aujourd'hui des conséquences lourdes, que ce soit en termes de sécurité routière, de congestion, ou d'état des chaussées . Renoncer à la taxe poids lourds reviendrait à continuer à faire assumer par l'Etat ou les collectivités territoriales, et donc par l'impôt, le coût des dégâts causés à la route.

L'écotaxe possède aussi l'avantage de toucher tous les utilisateurs de la route, qu'ils soient français ou étrangers. Elle est donc préférable à d'autres sources de financement, telles qu'une hausse de la fiscalité sur le gazole, qui toucherait davantage les entreprises françaises, les poids lourds étrangers pouvant remplir leurs réservoirs avant de passer la frontière.

Dès le Grenelle de l'environnement, et pour ne pas remettre en cause l'équilibre économique fragile du secteur des transports, un mécanisme de répercussion de cette redevance auprès des chargeurs a été prévu . L'article 16 de la loi n° 2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports a considérablement simplifié le dispositif envisagé par le précédent Gouvernement. Il instaure une majoration forfaitaire des prix du transport, correspondant au surcoût moyen du transport engendré par l'écotaxe, qui s'applique de façon automatique au prix du transport acquitté par le chargeur. Ce système simplifiant la répercussion vers les chargeurs est fortement défendu par la fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR).

En outre, le simple recours à un système de vignette - et donc non lié aux choix de parcours - ne permettrait d'agir ni sur le report modal lorsque des alternatives existent ni sur la rationalisation des transports (pour augmenter les taux de chargement et faire baisser les distances parcourues). L'exemple suisse exposé ci-dessous le démontre.

Le système de l'écotaxe a le mérite d'être évolutif et pourra permettre, à terme, de prendre en compte d'autres enjeux environnementaux.

3. L'argument écologique

En émettant un signal-prix sur le transport routier, la taxe poids lourds doit avoir pour effet de rationaliser les itinéraires routiers. Il s'agit par exemple de réduire le nombre de déplacements à vide et d'augmenter la charge transportée par camion.

En ce qui concerne le report modal, il est évident que la mise en oeuvre de la taxe n'a pas pour objet de transférer la totalité des camions des routes vers le rail ou les voies fluviales. Le train ou le bateau ne sont pas nécessairement adaptés à toutes les opérations de transport de marchandises. Les petites livraisons de proximité sont effectuées de façon privilégiée par la route.

En ce qui concerne les grands trajets, le succès du report modal ne dépend pas seulement de la différence de prix entre la route et le rail mais aussi, de l'offre qu'est en mesure de proposer le système ferroviaire. Or, la qualité de cette offre est conditionnée à des investissements importants, pour traiter le problème des noeuds ferroviaires afin de faciliter l'octroi de sillons de qualité au fret, ou pour améliorer la signalisation et le passage des wagons. L'exemple de la Suisse est éclairant : la recette annuelle de la taxe sur les poids lourds représente 1,2 milliard d'euros, le fret routier a cessé d'augmenter, un recul de la distance parcourue par les poids lourds de 6,4 % entre 2001 et 2005 et une baisse de 16 % du nombre de trajets effectués par des poids lourds dans les Alpes suisses ont été constatés, et les transporteurs ont augmenté leur taux de chargement de 60 % entre 2001 et 2005.

La taxe poids lourds doit justement apporter des recettes pour financer ces investissements, tout en émettant un signal-prix sur l'usage de la route. C'est en ce sens qu'elle va contribuer au report modal.


* 4 Directive 1999/62/CE du 17 juin 1999 relative à la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures.

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