B. LES PISTES D'ÉVOLUTION PROPOSÉES PAR VOTRE RAPPORTEUR

Afin de permettre une entrée en vigueur rapide de la taxe poids lourds, et d'éviter toute perspective d'enlisement, il est indispensable de trouver rapidement des réponses aux difficultés exposées par les différents acteurs qui ont amené au blocage actuel.

1. Remédier aux difficultés rencontrées par les entreprises de transport

L'application concrète de l'écotaxe soulève un certain nombre de problèmes pour les transporteurs. Une des causes principales de la contestation de l'écotaxe est qu'elle n'est pas appliquée égalitairement et qu'elle pourrait donc favoriser la concentration du secteur du transport routier . Son application concrète désavantage en effet les petites entreprises de transport. Votre rapporteur préconise dès lors de trouver les dispositifs adéquats pour gommer les inégalités face à cette redevance, entre les grandes entreprises et les PME, TPE et ETI du secteur.

Une première série de difficultés est liée à la distinction entre les redevables abonnés et non-abonnés.

Les abonnés souscriront un contrat directement avec une société habilitée de télépéage (SHT). Ils disposeront d'un équipement embarqué venant soit d'Ecomouv `, soit de la SHT elle-même. Dans tous les cas, c'est la SHT qui acquittera la taxe auprès d'Ecomouv' et la facturera ensuite à ses clients. Les abonnés bénéficieront d'un abattement d'écotaxe de 10 % correspondant à l'économie de gestion engendrée par ce dispositif par rapport aux non-abonnés. Cette première différence d'application de l'écotaxe est aggravée par deux avances de trésorerie dont devront s'acquitter les non-abonnés : le prépaiement de l'écotaxe et la caution sur l'équipement embarqué .

En premier lieu, alors que les abonnés paieront après passage, avec une date de facturation négociée avec la SHT, les non-abonnés devront prépayer l'écotaxe. Pour un transporteur utilisant principalement le réseau taxé, qui serait lui-même payé de sa prestation de transport à trente jours, un rapide calcul amène à estimer l'avance de trésorerie à plusieurs centaines voire milliers d'euros par camion. Cette différence de traitement est particulièrement contestable dans la mesure où les SHT sont libres de choisir leurs abonnés, et donc de refuser des clients (notamment, pour éviter les impayés, ceux ne bénéficiant pas de garanties financières suffisantes). Les petits transporteurs sont par conséquent directement menacés par ce système, qui crée une inégalité manifeste entre usagers de la route face à cette taxe.

Certains acteurs ont également déploré le prix parfois élevé des abonnements. En effet, les SHT peuvent proposer et facturer dans le cadre de ces abonnements des services à valeur ajoutée (proposition de parcours optimisé, reconstitution de parcours...). Il existe toutefois des abonnements gratuits, dont le contenu est limité à la collecte de la taxe. Le droit à abonnement gratuit pour tous les transporteurs, sans possibilité de refus a priori par les SHT, semblerait la réponse la plus simple.

En second lieu, les non-abonnés devront s'acquitter d'une caution auprès d'Ecomouv' pour se procurer l'équipement embarqué nécessaire à la collecte de la taxe, à hauteur de 100 euros. Multiplié par le nombre de camions, la caution pourra elle aussi poser des problèmes de trésorerie. Dès lors, votre rapporteur préconise une remise à plat du système de caution, voire éventuellement sa suppression pure et simple.

Enfin, l'équipement embarqué sera obligatoire dans chaque camion français à compter de l'entrée en vigueur de la taxe, qu'il emprunte le réseau taxable ou non. Ainsi, en Corse par exemple, où il n'y a aucune route soumise à l'écotaxe, les camions devront tout de même se procurer cet équipement embarqué. S'il est compréhensible que l'Etat ait cherché, par ce dispositif, à minimiser les possibilités de fraude, le fait que cette obligation ne s'impose, pour les camions étrangers, qu'aux véhicules qui ont prévu d'emprunter le réseau taxable, rajoute au sentiment d'inégalité entre transporteurs français et étrangers.

Votre rapporteur estime essentiel de résoudre ces difficultés d'inégalité de traitement et d'avance de trésorerie. Elles sont au coeur de la mobilisation contre l'écotaxe d'une partie des transporteurs routiers.

De façon générale, votre rapporteur estime que la mise en place de la taxe poids lourds devrait être accompagnée de signaux vers le monde du transport routier. Plusieurs pistes ont été évoquées lors des auditions : la création d'un fonds de modernisation destiné aux TPE et PME, des investissements supplémentaires pour l'amélioration des aires de repos pour les routiers sur le réseau taxable, la prise en charge des frais d'adaptation des entreprises et de formation du personnel liés à l'entrée en vigueur de la taxe...

La question du renouvellement de la flotte vers des camions moins polluants a également été évoquée. Lors de la réunion de commission, il a beaucoup été question des expériences étrangères. Votre rapporteur note qu' en Allemagne, la mise en place de la taxe kilométrique LKW-Maut a été accompagnée de mesures en faveur des transporteurs routiers , notamment pour les aider à acquérir des véhicules moins polluants. D'après le Conseil national des professions de l'automobile (CNPA), une subvention de 100 millions d'euros par an a été accordée aux transporteurs routiers pour l'achat de véhicules Euro 5. Une part du produit de cette taxe a également été affectée à la mise en place d'aides à l'installation de filtres à particules.

Ce dispositif serait d'autant plus justifié que le parc roulant français des poids lourds est essentiellement composé de véhicules diesel anciens, aux normes d'émissions de polluants moins exigeantes que celles applicables aux véhicules neufs aujourd'hui. Il aiderait les transporteurs à acheter de nouveaux véhicules, aux normes d'émissions EURO plus récentes, et de ce fait, soumis à un taux d'écotaxe plus faible.

RÉPARTITION DU PARC DES POIDS LOURDS (PL) EN FRANCE

Motorisation

Norme euro respectée

Nombre de véhicules

% du nombre total de PL

Diesel

pré-Euro I

3 893

0,65

Euro I

14 841

2,49

Euro II

116 687

19,54

Euro III

187 301

31,36

Euro IV

134 967

22,60

Euro V

136 192

22,81

Sous-total diesel

593 881

99,45

Essence

pré-Euro I

2

0

Euro I

34

0,01

Euro II

271

0,05

Euro III

1 027

0,17

Euro IV

1 110

0,19

Euro V

855

0,14

Sous-total essence

3 299

0,55

Total PL

597 180

100

Source : ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Les données présentées dans les deux tableaux ci-dessus proviennent d'une étude réalisée par le Centre Interprofessionnel Technique d'Études de la Pollution Atmosphérique. Elles sont basées sur le parc roulant français en décembre 2012. La répartition des véhicules selon les normes Euro respectées a été estimée en considérant les dates de mise en circulation des véhicules considérés.

Un autre type de difficultés provient du mécanisme de répercussion de la taxe, (payée par le prestataire de transport mais répercutée sur le chargeur) l'objectif étant de faire porter le coût de la taxe sur les donneurs d'ordre qui sont les réels utilisateurs de la route.

Les entreprises de transport bénéficieront en théorie, comme on l'a vu, du mécanisme de majoration de leur prix instauré par l'article 16 de la loi n° 2013-431 du 28 mai 2013. Cependant, la majoration forfaitaire n'est pas applicable dans un bon nombre de situations, notamment lorsqu'il est impossible d'isoler précisément le coût du transport dans le montant de la prestation. De plus, la répercussion de la taxe pourrait faire l'objet d'une négociation commerciale indirecte, avec pression du client pour que le transporteur baisse le montant facturé pour sa prestation, à hauteur de la majoration de pied de facture. Dans la situation de fragilité économique des entreprises du transport routier et de concurrence exacerbée, cette négociation serait défavorable aux transporteurs.

Il est essentiel que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes accorde une attention particulière à la bonne application du dispositif de majoration, et définisse les moyens de garantir que la somme correspondant à l'écotaxe reste en dehors de la négociation commerciale, surtout dans les relations avec la grande distribution.

La déstabilisation du secteur des transports, marquée par la multiplication des pratiques de dumping social est probablement le sujet central.

Par exemple, le contournement du régime européen des travailleurs détachés permet à des entreprises réalisant des opérations de transport en France d'employer des chauffeurs étrangers, certes rémunérés au niveau du salaire minimum français, mais soumis au régime de cotisations sociales de leur pays d'origine, moins coûteux et moins protecteur que le système français.

Les constatations de votre rapporteur rejoignent ici celles de Mme Fabienne Keller, auteur d'un rapport sur la circulation des mégacamions et le fret routier européen (n° 644 publié le 10 juin 2013), avec, dans le domaine du transport routier - comme dans d'autres - des problèmes de distorsion de concurrence dans le cadre du détachement des travailleurs ressortissants de l'UE. Le Gouvernement vient d'ailleurs d'annoncer un plan de lutte contre le détachement abusif. Cette question renvoie à un enjeu d'harmonisation sociale au niveau européen.

LE PLAN DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL ILLÉGAL ET LE DÉTACHEMENT ABUSIF PRÉSENTÉ PAR LE GOUVERNEMENT

Le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a présenté une communication relative au plan de lutte contre le travail illégal et le détachement abusif en Conseil des ministres le 27 novembre 2013.

Le droit européen définit un cadre régissant la situation des travailleurs dits « détachés ». Il s'agit de ceux que leur employeur envoie provisoirement exercer leurs fonctions dans un autre État membre. Or, le contournement de ces règles s'accroît en France, comme dans tous les États européens. Il se diffuse dans le bâtiment et dans de nombreux autres secteurs d'activité. Il est constaté sur l'ensemble du territoire, et se manifeste par des montages frauduleux de plus en plus sophistiqués. Cette concurrence déloyale de la part d'entreprises européennes qui interviennent en France sans respecter les règles du détachement constitue un véritable « dumping social ». De tels abus précarisent les salariés et constituent une menace pour le tissu économique et social de la France, qui ne peut être acceptée.

S'il ne s'agit pas de remettre en cause la liberté de circulation et de prestation, au coeur du projet européen, et qui bénéficie aussi aux entreprises françaises qui détachent légalement en Europe, la France doit lutter de façon énergique contre les fraudes et les abus qui sapent le principe même de ces libertés.

Le Gouvernement entend les combattre sur le territoire, et les prévenir par une action dissuasive vis-à-vis des entreprises françaises qui recourent illégalement au détachement. Cette action s'inscrit dans la durée. L'ensemble du Gouvernement et les services de l'État dans toutes leurs composantes sont mobilisés et les partenaires sociaux seront associés.

Le Gouvernement entend mener une politique offensive sur tous les fronts :

- Le contrôle des abus pour les sanctionner. Le programme de contrôles de l'inspection du travail et des autres services compétents de l'État sera intensifié et ciblera les principaux secteurs où les dérives sont constatées.

- La prévention de la fraude, avec le concours des partenaires sociaux. Dans les principales branches concernées, l'engagement des partenaires sociaux aux côtés des administrations de contrôle sera matérialisé par des conventions de partenariat. Le travail entrepris avec plusieurs professions en 2013 sera étendu.

- Le renforcement de l'arsenal législatif national. Il sera complété pour davantage responsabiliser les maîtres d'ouvrage et les donneurs d'ordre quand ils recourent à des sous-traitants multiples et permettre aux organisations professionnelles et syndicales de se constituer parties civiles en cas de travail illégal.

- La recherche d'outils adaptés à l'échelle européenne. La France, emportant le soutien d'autres pays, a défendu en octobre à Bruxelles une position ferme pour responsabiliser les entreprises donneuses d'ordre en cas de contournement des règles de détachement par un de ses sous-traitants, et pour le maintien d'une capacité des États de fixer la liste des documents qu'ils peuvent exiger des entreprises en cas de contrôle. Elle mène une action résolue pour aboutir, à la prochaine réunion du conseil des ministres du travail européens du 9 décembre, à un texte d'application qui permettra de lutter plus efficacement contre le « dumping social ». Une coopération accrue entre les inspections du travail des États membres est également nécessaire et à construire. Par ailleurs, l'instauration, dans chaque État membre, d'un salaire minimum est également un moyen pour lutter contre la concurrence sociale déloyale.

Source : Portail du Gouvernement

Par ailleurs, les autres types d'infractions constatées (réglementation relative au temps de conduite ou surcharge par exemple) sont multiples. Le renforcement des contrôles constitue donc un enjeu fort, également souligné par Mme Keller.

Pour terminer, la concurrence que représentent les véhicules utilitaires légers dont le poids est tout juste inférieur à 3,5 tonnes a aussi été évoquée par les représentants des transporteurs rencontrés par votre rapporteur. Soumis à des limitations de vitesse moins contraignantes, ces véhicules ne seront pas redevables de l'écotaxe. Il existe dès lors un risque de multiplication des convois de petits véhicules, en remplacement des poids lourds traditionnels.

Dans ce cadre, votre rapporteur est opposé à une exonération des poids lourds de 3,5 tonnes à 12 tonnes, qui introduirait un nouvel effet de seuil avec, d'une part, les poids lourds de 3,5 tonnes à 12 tonnes non soumis à l'écotaxe et d'autre part, les poids lourds de plus de 12 tonnes soumis à cette dernière, et donc un risque de transfert des trafics vers des petits poids lourds, plus nombreux sur les routes. Cette mesure représenterait en outre une perte de recettes de l'ordre de 200 millions d'euros par an.

2. Apporter des réponses à la filière agricole

Les récentes manifestations finistériennes ont mis en exergue les difficultés actuelles de la filière agricole et agroalimentaire, en Bretagne notamment. Ces difficultés sont réelles et vont évidemment bien au-delà de la question de l'entrée en vigueur de la taxe poids lourds.

Cette taxe, qui n'est pas encore entrée en vigueur, n'est évidemment pas responsable de la crise actuelle qui est une crise structurelle. Son impact devrait par ailleurs être relativement limité sur la filière agricole. En effet, le réseau routier local de proximité n'est pas concerné par la taxe poids lourds. Les taux retenus sont relativement bas, puisqu'ils se traduiront par un coût moyen de 13 centimes d'euro par kilomètre parcouru, alors qu'il s'élève à 17,5 centimes d'euro en Allemagne, et à 19 centimes d'euro sur le réseau autoroutier.

De plus, les véhicules agricoles comme les citernes de transport de lait ont été exonérés de la taxe poids lourds. Enfin, la Bretagne, de même que les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées bénéficieront d'un abattement de 30 % sur les taux national en raison de leur périphéricité. Cet abattement a même été porté à 50 % pour la Bretagne par la loi du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports.

En moyenne, sur l'ensemble du territoire, la taxe poids lourds engendrera une augmentation du prix du transport de 4 %.

Il n'en demeure pas moins que la filière agricole est dans une situation très fragile, que la moindre hausse des coûts peut perturber. C'est la raison pour laquelle votre rapporteur défend des mesures concrètes et ciblées pour soulager la filière.

Certains acteurs ont évoqué la piste d'une exonération des premiers kilomètres de transport, ou d'une progressivité des taux en fonction de la distance parcourue, qui aurait pour avantage de préserver plus qu'aujourd'hui le transport de proximité. Mais la fixation des caractéristiques de la taxe poids lourds est très encadrée à l'échelle européenne par la directive « Eurovignette », et cette proposition n'y serait pas conforme. Est en effet proscrite toute « discrimination, directe ou indirecte, en raison de la nationalité du transporteur de l'Etat membre ou du pays tiers d'établissement du transporteur ou d'immatriculation du véhicule, ou de l'origine ou de la destination du transport. »

La directive « Eurovignette » permet toutefois des exonérations 5 ( * ) qui atteindraient directement le secteur agricole, sans grever de façon démesurée les recettes de l'écotaxe.

Ainsi, votre rapporteur préconise l'exonération des véhicules de transport de déchets d'animaux ou de carcasses non destinés à la consommation humaine, d'une part, et des véhicules utilisés pour le transport d'animaux vivants dans un rayon de 50 kilomètres, cette dernière condition étant imposée par la directive européenne, d'autre part. Cet ajustement est relativement facile d'application, dans la mesure où ces véhicules répondent à un usage spécifique et pourraient être clairement identifiés.

Votre rapporteur souhaite également saisir la possibilité d'exonérer « les véhicules utilisés [...] par des entreprises d'agriculture, d'horticulture, de sylviculture, d'élevage ou de pêche pour le transport de biens dans le cadre de leur activité professionnelle spécifique, dans un rayon de 100 kilomètres autour du lieu d'établissement de l'entreprise 6 ( * ) » . Les termes de « transport de biens dans le cadre de leur activité professionnelle » ne sont pas définis explicitement par le règlement européen auquel renvoie la directive « Eurovignette ». Votre rapporteur émet l'hypothèse qu'ils pourraient être interprétés comme offrant la possibilité d'exonérer le transport de toutes les matières agricoles exploitées en amont du produit fini. De même, le terme « véhicules utilisés par des entreprises d'agriculture » pourrait s'entendre dans un sens large, correspondant aux véhicules appartenant à des entreprises agricoles ou aux véhicules appartenant à des transporteurs privés.

Deuxièmement, la mise en place de l'écotaxe doit être une opportunité pour rééquilibrer les relations entre les producteurs et la grande distribution . Votre rapporteur constate que la contestation de l'écotaxe vient souligner le fait que la grande distribution a aujourd'hui un impact anxiogène très fort sur l'économie de notre pays. Cette dernière va largement bénéficier du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Le rapport du comité de suivi du CICE remis en octobre 2013 ne fournit pas d'évaluation détaillée de cette mesure. Il indique toutefois que ce sont les secteurs dont la distribution des salaires est centrée vers des rémunérations basses qui bénéficient le plus du crédit d'impôt. Or, le commerce en fait partie, avec 70,8 % de sa masse salariale exigible au dispositif. Ainsi, le commerce en général bénéficiera d'un montant de 3,5 milliards d'euros, soit 17,6 % de la totalité du CICE. La grande distribution a donc les moyens d'absorber facilement cette augmentation du coût du transport sans avoir de raison d'augmenter la pression sur les entreprises agricoles ou les transporteurs.

Le mécanisme de répercussion de l'écotaxe garantit que le redevable de la taxe soit l'utilisateur réel de la route, ce qui est le cas pour la grande distribution qui utilise le réseau routier pour le transport des marchandises qui viendront achalander ses points de distribution. Il est dès lors légitime que la grande distribution assume le surcoût résultant de l'entrée en vigueur de l'écotaxe au lieu de le reporter sur les producteurs et sur le consommateur final. C'est la raison pour laquelle votre rapporteur est favorable à un dispositif de mention obligatoire du coût résultant de la mise en oeuvre de l'écotaxe en pied de la facture du producteur afin qu'il puisse être intégralement répercuté auprès de la grande distribution. Le surcoût dû à l'écotaxe doit être sorti du champ de la négociation commerciale sur les prix entre producteurs et distributeurs.

Il semble en revanche difficile d'aller plus loin dans ce domaine dans le cadre de l'écotaxe. La majoration mise en place pour répercuter auprès des chargeurs les coûts de l'écotaxe pour les transporteurs n'est pas transposable aux producteurs, dans la mesure où le surcoût lié à l'écotaxe est très difficile à identifier et généraliser au sein d'un processus complet de production, qui fait intervenir plusieurs facteurs. Votre rapporteur appelle néanmoins à un rééquilibrage de la relation producteurs-distributeurs au moyen de dispositions d'ordre public économique.

3. Taxer davantage les 44 tonnes

Le décret n° 2012-1359 du 4 décembre 2012 relatif au poids total roulant autorisé des véhicules terrestres à moteur a autorisé la circulation des poids lourds de 40 à 44 tonnes sur l'ensemble du réseau routier national. Or, la circulation de ces camions accélère l'usure des chaussées de façon considérable.

D'abord autorisée sous la forme de dérogations ciblées pour favoriser l'intermodalité, puis pour le transport de denrées agricoles, la circulation de ces camions aurait eu peu d'impact sur les infrastructures si elle avait été réservée aux ensembles de six essieux, comme le relève une étude de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) de janvier 2010 7 ( * ) . En effet, sur ces camions, la charge par essieu est mécaniquement réduite, ce qui diminue leur impact sur les chaussées. En revanche, un poids lourds de 44 tonnes à cinq essieux « produit une usure équivalente à deux poids lourds de 40 tonnes sur une route à fort trafic (surcoût d'entretien de 2 %), avec un impact majoré sur les routes à faible trafic (+ 4 %) » .

Le décret de décembre 2012 a autorisé la circulation de l'ensemble des poids lourds de 40 à 44 tonnes, qu'ils disposent de cinq ou six essieux, alors qu'aujourd'hui, la très grande majorité des camions de 44 tonnes (95 % d'entre eux, d'après la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer) n'a que cinq essieux. Cette mesure est donc lourde de conséquences pour l'entretien de nos chaussées.

L'Association des sociétés françaises d'autoroute (ASFA) a conduit un travail d'évaluation de l'agressivité sur les chaussées des poids lourds de 44 tonnes, qui figure en annexe.

Dans ce cadre, et pour confirmer la logique de redevance de l'écotaxe, votre rapporteur préconise d'augmenter les taux d'écotaxe applicables aux poids lourds de 44 tonnes à cinq essieux . Il ne s'agirait là que d'une juste compensation, par les utilisateurs de tels véhicules, de l'accélération de l'usure des routes dont ils sont responsables.

Cette mesure aurait en outre l'intérêt de limiter l'« effet rebond » résultant de l'autorisation de la circulation des 44 tonnes, c'est-à-dire de supprimer l'accroissement de compétitivité du transport routier, par rapport au rail et au fluvial, résultant de l'augmentation des possibilités de charge par camion.

4. Garantir une mesure objective et effective du report de trafic engendré par la taxe poids lourds sur les autoroutes

En renchérissant le coût de l'utilisation du réseau non concédé, la taxe poids lourds devrait entraîner le report d'une partie du trafic sur le réseau autoroutier. Si ce dernier restera plus coûteux que le réseau non concédé, puisque le montant des péages est supérieur à celui de la taxe poids lourds, il représente parfois un gain de temps qui conduira certains transporteurs à le privilégier.

A l'origine, le ministère de l'Ecologie avait estimé que ce report de trafic engendrerait une augmentation des recettes des péages comprise entre 250 et 400 millions d'euros. De leur côté, les sociétés d'autoroutes estiment que ce report de trafic ne sera pas nécessairement aussi conséquent.

Dans ce cadre, il semble indispensable de se doter d'un dispositif de mesure de ce report de trafic, capable de fournir l'évolution du trafic liée à la mise en oeuvre de cette taxe et non susceptible de contestations . Rencontré par votre rapporteur, le délégué général de Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA) a approuvé le principe de cette mesure.

Ce n'est qu'à partir de données fiables et objectives que l'Etat pourra, dans un second temps, réfléchir à une récupération éventuelle de l'effet d'aubaine créée par la mise en oeuvre de la taxe poids lourds pour les sociétés d'autoroutes, à laquelle votre rapporteur est favorable.

Or, la privatisation des autoroutes - qui a privé le report modal d'une source dynamique de financement - rend beaucoup plus difficile de faire contribuer les autoroutes au financement des autres modes de transports, compte tenu des rapports déséquilibrés entre l'Etat et les sociétés concessionnaires, au bénéfice de ces dernières ainsi que des difficultés de l'administration à collecter les données nécessaires auprès des concessionnaires et à exercer les contrôles qui lui incombent, comme l'indique un rapport de la Cour des comptes en date du 24 juillet 2013 8 ( * ) .

Dans ce contexte incertain, où l'analyse financière pourrait évoluer rapidement, votre rapporteur estime qu'il est prématuré d'acter la prolongation des concessions d'autoroute en négociation actuellement.

Pour assurer une mise en oeuvre rapide de l'écotaxe, l'ensemble des ajustements devrait être défini rapidement, compte tenu du délai nécessaire pour leur mise en oeuvre technique.


* 5 Elle renvoie en fait aux exonérations prévues par le règlement n° 561/2006 du 15 mars 2006 relatif à l'harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, modifiant les règlements n° 3821/85 et n° 2135/98 et abrogeant le règlement n° 3820/85.

* 6 Termes employés par le règlement n° 561/2006 du 15 mars 2006 relatif à l'harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, auquel renvoie la directive « Eurovignette ».

* 7 DGITM, Direction des services de transport, « Rapport au Parlement sur les enjeux et les impacts relatifs à la généralisation de l'autorisation de circulation des poids lourds de 44 tonnes », 22 janvier 2010.

* 8 Cour des comptes, Les relations entre l'Etat et les concessionnaires d'autoroutes, 24 juillet 2013.

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