IV. DES DROITS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX DES PERSONNES DÉTENUES ENCORE INSUFFISAMMENT ASSURÉS

En 2013, la conjoncture économique et sociale a fortement pesé sur les actions conduites par l'administration pénitentiaire pour garantir les droits économiques et sociaux des personnes détenues. Votre rapporteur souligne toutefois qu'un certain nombre de mesures pourraient être mises en oeuvre sans mobiliser des moyens humains ou budgétaires excessifs.

A. UN ACCÈS AUX SOINS EN VOIE D'AMÉLIORATION

1. Un partenariat à renforcer

Le ministère en charge de la santé est un partenaire essentiel de l'administration pénitentiaire. Depuis la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale, c'est à lui qu'il revient de doter les établissements pénitentiaires en personnel médical, et les crédits dédiés à la prise en charge des soins aux personnes détenues relèvent de l'assurance maladie.

Pour l'essentiel, la réalisation des soins relève des unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) et le cas échéant des services médico-psychologiques régionaux (SMPR), installés dans les établissements pénitentiaires. Lorsque cela est nécessaire, il est fait appel aux établissements hospitaliers avec lesquels l'établissement pénitentiaire a conclu une convention. Des unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) et des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), récemment créées, sont spécialisées dans l'accueil des détenus (voir infra ). Enfin, il existe un établissement public de santé national à Fresnes, d'une capacité de 80 lits.

L'état de santé de la population carcérale est largement connu : les personnes détenues sont très souvent issues de milieux défavorisés et présentent de nombreuses carences sur le plan sanitaire. La question des addictions (traitement de la toxicomanie) et de la maladie mentale est également prégnante. Les travaux de la mission sénatoriale commune à la commission des lois et à la commission des affaires sociales de mai 2010 avaient notamment établi qu'environ 10 % de la population carcérale était atteinte de troubles mentaux d'une gravité particulière 34 ( * ) .

Face à cela, les relations entre personnels de santé et administration pénitentiaire ne sont pas toujours simples et dépendent pour une large part de la qualité des relations nouées au sein de chaque établissement, en fonction des personnalités et des tempéraments de chacun. La circulation de l'information dépend pour une part essentielle de la confiance établie entre les différents partenaires.

Les administrations centrales elles-mêmes peinent souvent à s'accorder, même si des efforts ont été réalisés et qu'un certain nombre de circulaires communes, notamment sur le partage d'informations entre professionnels, ont pu être élaborées. Toutefois, il est regrettable qu'en réponse à une question posée par votre rapporteur dans le questionnaire budgétaire, le ministère de la justice renvoie au ministère de la santé le soin d'indiquer le nombre de personnels de santé (médecins, infirmiers, etc.) intervenant au sein des UCSA et des SMPR... La mise en oeuvre d'une politique pénitentiaire globale et cohérente exige en effet que l'administration pénitentiaire soit en mesure de communiquer elle-même ces informations.

Des évolutions positives sont toutefois en cours, comme l'ont souligné les représentants de la direction générale de la santé lors de leur audition. Au sein du ministère de la santé, une direction de projet coordonne désormais les différents services en charge de la santé des personnes détenues et constitue un interlocuteur unique pour le conseiller santé du directeur de l'administration pénitentiaire.

Par ailleurs, alors que les médecins étaient majoritairement hostiles à leur participation à la commission pluridisciplinaire unique (CPU), instituée par le décret n°2010-1635 du 23 décembre 2010, chargée de définir le parcours d'exécution de la peine du détenu, les données communiquées par le ministère de la justice montrent qu'au 1 er mai 2013, 70 % des équipes sanitaires participaient systématiquement à l'ensemble des CPU organisées au sein des établissements pénitentiaires ; 24 % sont présentes de façon ciblée, notamment sur la prévention du suicide ; seules 6 % des équipes (11 CSA sur 176 établissements pénitentiaires) ne participent jamais aux CPU.

Dans son rapport annuel pour 2012, M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, attire par ailleurs l'attention sur les conditions, souvent incompatibles avec la dignité des détenus, dans lesquelles se déroulent encore trop souvent les extractions hospitalières 35 ( * ) .

2. Les structures de soins spécialement dédiées aux détenus
a) Les unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI)

L'arrêté du 24 août 2000 a prévu la création de 8 UHSI, qui ont vocation à rassembler la majorité des hospitalisations programmées de personnes détenues, hors urgences et hospitalisation de jour qui demeurent du ressort des chambres sécurisées des hôpitaux de proximité. Depuis l'ouverture de la huitième UHSI à Rennes en décembre 2012, on compte 182 places disponibles, auxquelles il convient d'ajouter les 80 lits de l'établissement public de santé national de Fresnes.

À l'exception de l'UHSI de Bordeaux, l'ensemble des UHSI présentent un taux d'occupation inférieur à 70 % - celle de Toulouse n'étant même occupée en 2012 qu'à hauteur de 50 %.

Un rapport d'évaluation commun aux inspections générales des affaires sociales et des services judiciaires a été réalisé en juin 2011. Soulignant en particulier la difficulté des extractions et la nécessité de renforcer le lien entre les UCSA et les UHSI, celui-ci formule un certain nombre de préconisations qui sont toujours en cours d'expertise au sein des ministères concernés.

b) Les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA)

L'année 2013 a été caractérisée par une montée en charge du dispositif des UHSA.

Prévues par la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, les UHSA sont des unités implantées sur un site hospitalier permettant d'assurer la prise en charge psychiatrique de personnes détenues souffrant de troubles mentaux. Cette prise en charge s'effectue dans un cadre sécurisé, puisque les locaux sont aménagés pour l'accueil de personnes détenues et que le personnel pénitentiaire est présent pour en assurer la sécurité (sur site et lors des transferts).

Elles accueillent exclusivement des personnes détenues, des deux sexes, souffrant de troubles psychiatriques et nécessitant une hospitalisation, avec ou sans consentement. Par exception au principe de séparation des majeurs et des mineurs, elles peuvent accueillir des détenus mineurs.

La première UHSA a ouvert à Lyon en mai 2010, celles de Nancy et Toulouse ont ouvert en janvier et mars 2012, celle d'Orléans le 4 mars 2013, celle de Villejuif le 25 avril 2013 et celle de Lille le 21 juin 2013.

Une circulaire datée du 18 mars 2011 relative à l'ouverture et au fonctionnement des UHSA a précisé les modalités d'échanges entre équipes sanitaires et pénitentiaires. Une première évaluation sera conduite au cours du premier trimestre 2014.

Trois structures doivent encore ouvrir d'ici 2015 (à Rennes, Marseille et Bordeaux). Compte tenu des arbitrages budgétaires, le calendrier d'ouverture initialement prévu a dû être revu (construction de 705 lits au total). La seconde tranche de construction, prévoyant 265 places, sera examinée dans le cadre du prochain budget triennal.

Les six structures ouvertes à l'heure actuelle ont privilégié une ouverture progressive des unités de soins. Leur capacité totale d'accueil est de 300 lits, répartis en unités de 20 lits (trois unités pour les UHSA de Lyon, Villejuif et Lille, 2 pour celles de Nancy, Toulouse et Orléans).

Les premiers éléments d'évaluation montrent que les hospitalisations en provenance des établissements pénitentiaires de rattachement et de leur SMPR représentent une part importante des hospitalisations à l'UHSA.

Une très grande majorité des admissions sont programmées. Les durées moyennes de séjour ont tendance à augmenter : à l'UHSA de Lyon, la durée moyenne de séjour est ainsi passée de 46 jours en 2010 à 63,5 jours en 2011 et 76 jours en 2012.

Contrairement aux UHSI (voir supra ), leur taux d'occupation est déjà élevé : l'UHSA de Lyon connaît un taux d'occupation de 90,5 % en 2012 ; à Nancy et Toulouse, ces taux s'élèvent respectivement à 84 % et 89,9 %. Des taux d'occupation de 95 % sont constatés ponctuellement au sein de ces UHSA. Ces chiffres montrent que les UHSA répondent à un besoin réel de prise en charge des détenus souffrant de troubles mentaux .

Le personnel pénitentiaire, en soutien au personnel hospitalier, a procédé en 2012 à 33 interventions à l'UHSA de Lyon (150 agents mobilisés), 30 interventions à celle de Nancy (90 agents mobilisés), 16 interventions à Toulouse (sur neuf mois d'ouverture). La majorité de ces interventions concerne des conduites en chambre d'isolement et des aides à la mise en contention ou la maîtrise d'un malade difficile, ou encore des opérations de fouille pour recherche d'objets prohibés et des refus de réintégrer. La pratique montre que les demandes de prêt de main forte ont tendance à diminuer au fil des mois, une fois la structure mise en service.

Les transports pénitentiaires occupent une part très importante de l'activité pénitentiaire. À Lyon, 201 accompagnements ont été réalisés à destination des différents plateaux techniques, 909 missions d'escortes pénitentiaires ont été effectuées. À Nancy, 595 accompagnements et escortes ont été réalisées en 2012, dont 176 extractions médicales. Toulouse a organisé 234 transports sur neuf mois d'ouverture.

Le ministère de la justice constate par ailleurs la part croissante des extractions judiciaires devant le juge des libertés et de la détention (environ 3% des transports), résultant de l'entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 2011 relative à l'hospitalisation sous contrainte.

La formation des personnels de santé et pénitentiaires de l'UHSA a constitué une priorité pour l'ensemble des structures, avec l'organisation de formations destinées à l'ensemble des personnels avant l'ouverture de la structure.

Lors de leur audition par votre rapporteur, les représentants de l'association des professionnels de santé exerçant en prison ont dressé un premier bilan plutôt positif du fonctionnement des UHSA, estimant notamment que celles-ci facilitaient les hospitalisations sous contrainte et amélioraient les conditions de prise en charge des patients présentant des troubles mentaux. M. Fadi Meroueh a toutefois souligné leur éloignement d'un certain nombre de structures pénitentiaires, aggravé par le manque de moyens alloués au transport des patients (un seul véhicule pour l'UHSA de Toulouse par exemple, alors que 25 établissements pénitentiaires en relèvent).


* 34 « Prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français », rapport d'information fait au nom de la commission des affaires sociales et de la commission des lois par le groupe de travail sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions, par M. Gilbert Barbier, Mme Christiane Demontès, MM. Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel, n°434, 2009-2010, Sénat.

* 35 Rapport annuel précité, pages 41 et suivantes.

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