III. UN PANORAMA DES COLLECTIVITÉS D'OUTRE-MER, DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE ET DES TERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES

A. LA NOUVELLE-CALÉDONIE

Prolongement des accords de Matignon signé en 1988 entre les forces politiques indépendantistes et loyalistes sous l'égide des autorités gouvernementales, l'Accord de Nouméa conclu le 5 mai 1998 place la Nouvelle-Calédonie dans une position institutionnelle inédite au sein de la République. Collectivité sui generis , la Nouvelle-Calédonie bénéficie d'une forte autonomie, y compris sur le plan normatif, garantie par les dispositions du titre XIII de la Constitution introduites par la révision du 20 juillet 1998.

Si le retour de la stabilité politique est un signe encourageant à l'approche des échéances électorales de 2014 - élections municipales en mars et élections provinciales en mai. Ces dernières élections permettront la constitution des assemblées de province ainsi que du congrès de la Nouvelle-Calédonie qui en forme une émanation, ce qui conduira à la formation d'un nouveau gouvernement, par nature, collégial et pluraliste en application de l'article 110 de la loi organique du 9 mars 1999.

Le processus de Nouméa arrive dans sa dernière phase puisque le Congrès qui sera élu en 2014, lors des élections provinciales, sera celui en mesure de solliciter de l'État l'organisation du référendum sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

Les conséquences institutionnelles de l'affaire des « deux drapeaux »

L'actualité politique de la Nouvelle-Calédonie a été marquée en 2011 et 2012 par une forte instabilité gouvernementale qui a nécessité la modification de l'article 121 de la loi organique du 19 mars 1999 par celle n° 2011-870 du 25 juillet 2011. Depuis lors, le cycle d'instabilité s'est achevé et le gouvernement devrait se maintenir jusqu'au prochain renouvellement général du congrès lors des élections provinciales de mai 2014.

Le fonctionnement du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, émanation des différentes formations politiques siégeant au sein du congrès de la Nouvelle-Calédonie, est sous-tendu par la logique de la collégialité et du consensus, fidèle en cela à l'esprit de l'Accord de Nouméa.

L'affaire des « deux drapeaux » a conduit à la chute du précédent gouvernement présidé par M. Philippe Gomès depuis 2009. En janvier 2011, des élus de l'Union calédonienne avaient reproché à M. Gomès d'être opposé au choix, initié par M. Pierre Frogier, des deux drapeaux, tricolore et kanak, comme emblème de la Nouvelle-Calédonie.

Les gouvernements successifs du printemps 2011 ont été bloqués dans leur fonctionnement par la démission systématique des membres du gouvernement issus de la formation politique de M. Gomès, Calédonie Ensemble. Face à cette situation, à la suite d'une résolution adoptée le 1 er avril 2011 par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, le législateur organique a modifié l'article 121 de la loi organique pour empêcher les démissions à répétition en prévoyant que si les membres d'un groupe politique ont démissionné en bloc, provoquant la démission du gouvernement, ce mécanisme ne peut plus jouer dans un délai de dix-huit mois. L'actuel gouvernement, élu le 10 juin 2011 et présidé par Harold Martin, est toujours en fonction.

Le statut fixé par la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 constitue le socle d'un consensus des forces politiques locales qui fait l'objet annuellement d'un bilan dans le cadre du comité des signataires de l'Accord de Nouméa. À la suite du X ème comité des signataires le 6 décembre 2012, le Gouvernement a présenté un projet de loi organique visant, outre à ouvrir la possibilité pour la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes dans son domaine de compétences, à actualiser les règle statutaires (clarification des compétences, reconnaissance de prérogatives aux autorités calédoniennes, amélioration du fonctionnement des institutions calédoniennes, modernisation des règles administratives et financières des institutions calédoniennes). Symbole du consensus politique sur ces modifications résultant d'attentes locales, les deux assemblées parlementaires ont adopté à l'unanimité ce texte qui, après avoir été jugé conforme à la Constitution sous une seule réserve d'interprétation 9 ( * ) , a été promulgué le 16 novembre 2013.

1. Un transfert de compétences non régaliennes bientôt achevé
a) L'achèvement du transfert de compétences obligatoirement transférées

Selon l'article 77 de la Constitution, les compétences transférées de l'État aux institutions de la Nouvelle-Calédonie le sont de « façon définitive ». Avant l'organisation du référendum sur l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, il est prévu que les institutions de la Nouvelle-Calédonie exercent l'ensemble des compétences considérées comme non régaliennes. Seule l'accession à l'indépendance de l'archipel, si elle était décidée par voie de référendum, entraînerait le transfert des fonctions régaliennes ayant vocation à relever d'un État souverain, que celui-ci dispose ou non d'un partenariat privilégié avec la France.

Dans le cadre du processus de l'Accord de Nouméa, la Nouvelle-Calédonie doit recueillir des compétences dont le transfert est rendu obligatoire par l'article 21 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 et d'autres transférables à la demande du Congrès en vertu de l'article 27 de la même loi organique.

À l'instar de l'année dernière, votre rapporteur souhaite retracer l'évolution de ces transferts de compétences, comme le résume le tableau suivant.

Compétences transférées
ou à transférer

Norme prise

pour le transfert

Date fixée
pour le transfert

Compétences prévues par l'article 21 de la loi organique

Police et sécurité de la circulation aérienne intérieure et des exploitants établis en Nouvelle-Calédonie dont l'activité principale n'est pas le transport aérien international

Loi du pays n° 2009-11 du 28 décembre 2009

1 er janvier 2013

Police et sécurité de la circulation maritime s'effectuant entre tous points de la Nouvelle-Calédonie

Loi du pays n° 2009-10
du 28 décembre 2009

1 er janvier 2011

pour la sécurité de la navigation dans les eaux territoriales

1 er juillet 2011

pour le reste

Sauvegarde de la vie en mer dans les eaux territoriales

Loi du pays n° 2009-10
du 28 décembre 2009

1 er juillet 2011

Enseignement du second degré public et privé et santé scolaire

Loi du pays n° 2009-09
du 28 décembre 2009

1 er janvier 2012

Enseignement primaire privé

Loi du pays n° 2009-09
du 28 décembre 2009

1 er janvier 2012

Droit civil, règles concernant l'état civil et droit commercial

Loi du pays n° 2012-2
du 20 janvier 2012

1 er juillet 2013

Sécurité civile

Loi du pays n° 2012-1
du 20 janvier 2012

1 er janvier 2014

Compétences prévues par l'article 27 de la loi organique

Règles relatives à l'administration des provinces, des communes et de leurs établissements publics, contrôle de légalité des provinces, des communes et de leurs établissements publics, régime comptable et financier des collectivités publiques et de leurs établissements publics ;

-

-

Enseignement supérieur

-

-

Communication audiovisuelle

-

-

En conformité avec l'Accord de Nouméa, le processus de transfert de compétences se poursuit puisque cette année, le droit civil, le droit commercial et les règles concernant l'état civil ont été transférés au 1 er juillet 2013.

Pour cette compétence, le législateur organique a, en 2009 et après accord du VII ème comité des signataires de l'Accord de Nouméa, reporté l'échéance du vote de la loi du pays qui devait fixer les dates du transfert au 31 décembre 2011. La loi du pays n° 2012-1 du 20 janvier 2012 a alors retenu une date comprise entre le 1 er juillet 2013 et le 14 mai 2014 en subordonnant
- innovation notable - ce transfert à un arrêté du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie constatant que les extensions et adaptations des règles civiles et commerciales en vigueur en métropole auraient été effectuées par l'État.

Ce transfert a donc été précédé d'une actualisation par l'État du droit applicable localement afin que les autorités locales puissent exercer leur compétence normative à partir d'un droit positif à jour des dernières évolutions législatives et règlementaires en métropole, ce qui a nécessité un travail de recensement du droit applicable en Nouvelle-Calédonie 10 ( * ) . L'arrêté n° 20413-1631/GNC du 29 juin 2013 pris par le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie constatant l'actualisation du droit civil effectuée par l'État en Nouvelle-Calédonie a ouvert la voie à un transfert au 1 er juillet 2013 conformément à l'article 21 de la loi organique.

Désormais, une convention conclue entre l'État et la Nouvelle-Calédonie le 25 juin 2013 fixe les mesures d'accompagnement de l'État pour aider la Nouvelle-Calédonie à exercer ces compétences, prévoyant notamment la mise à disposition de deux magistrats auprès du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Aux yeux de votre rapporteur, il est important de conjurer le spectre d'une « fossilisation » du droit applicable localement, par manque de moyens humains et juridiques, à compter du transfert aux autorités locales de la compétence à édicter ce droit. À cet égard, le cas du droit des assurances n'ayant connu aucune actualisation notable depuis son transfert, à l'écart des innovations du droit métropolitain, constitue un précédent qui appelle à la vigilance.

Le prochain transfert de compétences obligatoire prévu par l'article 21 de la loi organique aura lieu le 1 er janvier 2014 pour la sécurité. Lors de sa visite en Nouvelle-Calédonie, la mission d'information de nos collègues députés Jean-Jacques Urvoas, Dominique Bussereau et René Dosière s'inquiétait des conditions dans lesquelles ce transfert devrait s'effectuer. Comme les députés le soulignaient dans leur rapport, « à ce jour et à moins de trois mois de l'échéance du transfert, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie n'a opéré aucun choix sur la future organisation territoriale des services d'incendie et de secours » , ce qui est d'autant plus « dommageable qu'elle conditionne aujourd'hui le financement par l'État de la modernisation des centres d'incendie et de secours, demandée par le gouvernement calédonien qui a sollicité un concours financier de l'État en ce sens de 5 millions d'euros ». Nos collègues députés relevaient, ce que votre rapporteur ne peut qu'approuver, que le transfert de compétences ne peut se traduire par une dégradation de la qualité du service rendu aux calédoniens alors que la Nouvelle-Calédonie est particulièrement exposée aux risques naturels (incendies, cyclones et tempêtes, etc.).

Parallèlement au transfert de compétences, les établissements publics placés sous la tutelle de l'État ont été transférés vers la Nouvelle-Calédonie en application de l'article 23 de la loi organique du 19 mars 1999. Le transfert le plus récent qui est celui l'agence de développement de la culture kanak (ADCK) 11 ( * ) date du 1 er janvier 2012. En revanche, l'agence de développement rural et d'aménagement foncier (ADRAF), dont le rôle est primordial pour la préservation et le retour des terres coutumières relève toujours de la tutelle de l'État. Selon les informations transmises par le Gouvernement, « le processus de transfert qui ne devrait être effectif qu'au 1 er janvier 2014, n'est pas encore engagé ».

Établissements publics transférés
ou à transférer

Norme prise
pour le transfert

Date fixée
pour le transfert

Office des postes et télécommunications

Décret n° 2002-717
du 2 mai 2002

1 er janvier 2003

Institut de formation des personnels administratifs

Décret n° 2002-1061
du 1 er août 2002

1 er octobre 2003

Agence de développement rural et d'aménagement foncier

-

1 er janvier 2014 ?

Agence de développement de la culture kanak

Décret n° 2011-1588
du 17 novembre 2011

1 er janvier 2012

Centre de documentation pédagogique

Décret n° 2011-623
du 31 mai 2011

1 er janvier 2012

b) La création d'autorités administratives indépendantes

Principale mesure de la loi organique n°2013-1027 du 15 novembre 2013, la faculté offerte à la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes dans son domaine de compétence est consacrée à l'article 27-1 de la loi organique du 9 mars 1999. À la suite de l'adoption d'une loi du pays, une autorité administrative indépendante pourrait se voir reconnaître des pouvoirs de règlementation, de sanctions et d'investigation, ce qui justifie le recours au législateur organique.

Créée par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, chaque autorité administrative indépendante disposera d'un budget et de moyens affectés par la Nouvelle-Calédonie et pourra conclure une convention avec les autorités indépendantes nationales pour l'exercice de ses missions.

A l'initiative de notre collègue Catherine Tasca, le Sénat a souhaité apporté des gages de cette indépendance en exigeant, au niveau de la loi organique, que la création de cette autorité administrative indépendante s'accompagne de garanties sur son indépendance effective. Pour renforcer la légitimité de ses membres, est prévue une procédure de confirmation des nominations par un vote à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés du congrès de la Nouvelle-Calédonie à la suite d'une audition publique des candidats. En outre, la loi organique a prévu que les membres de ces autorités seraient irrévocables pour la durée de leur mandat sauf constat d'empêchement ou de manquement à leurs obligations par leurs pairs.

Poursuivant la même finalité, l'Assemblée nationale a approuvé les apports du Sénat et instauré également un régime d'incompatibilité pour les membres de ces autorités, une présentation de leurs comptes à la chambre territoriale des comptes et en consacrant le principe de leur autonomie financière, ce qu'à son tour notre assemblée a pleinement approuvé.

Dans l'immédiat, cette modification devra permettre d'installer une autorité administrative indépendante en charge de la concurrence (concentration des activités économiques, contrôle des prix, lutte contre les ententes et les abus de position dominante, etc.). Cette autorité aura ainsi à mettre en oeuvre la loi du pays le 25 mai 2013 renforçant la législation contre les comportements anti-concurrentiels qui a été validée par le Conseil constitutionnel.

Cependant, la création d'autorités administratives indépendantes pourrait trouver une application dans d'autres secteurs à l'instar de la communication audiovisuelle qui est une compétence qui reste à transférer à la Nouvelle-Calédonie.

2. Une politique de rééquilibrage à poursuivre
a) La clé de répartition budgétaire

L'Accord de Nouméa se fixe comme objectif le « rééquilibrage » : « le présent est le temps du partage par le rééquilibrage ». Ce partage doit porter autant sur les moyens financiers qu'économiques que l'archipel tire de ses ressources naturelles. Il se traduit par plusieurs mécanismes de soutien financier.

Ainsi, une clé de répartition budgétaire entre provinces existe depuis la conclusion des accords de Matignon et a été reconduite par l'Accord de Nouméa. En effet, les dotations versées par la Nouvelle-Calédonie aux provinces et qui constituent l'essentiel de leurs ressources financières sont réparties, non en fonction d'une pondération strictement fondée sur leurs poids démographique respectif, mais en fonction de pourcentages prenant en compte les retards structurels qui frappent les provinces Nord et des îles en matière de développement.

Comme l'avait souligné l'an dernier votre rapporteur, l'effort en faveur du rééquilibrage mené par la clé de répartition budgétaire est partiellement neutralisé par les dispositifs locaux de défiscalisation. Le rapport public annuel de la Cour des comptes de 2012 a établi que « malgré des taux de crédit d'impôt plus avantageux pour l'intérieur et les îles, les mécanismes de défiscalisation locale n'ont pas eu pour résultat de rééquilibrer géographiquement le développement économique, conformément à l'accord de Nouméa ». En effet, les provinces Nord et des îles Loyauté contribuent davantage au financement de ce mécanisme qu'elles n'en perçoivent les retombées, les projets éligibles à ce mécanisme étant généralement en province Sud.

Le mécanisme de la clé de répartition budgétaire entre provinces

Sur le plan budgétaire, la péréquation entre les trois provinces s'exerce à travers le budget de la Nouvelle-Calédonie qui assure le versement des dotations de fonctionnement et d'investissement aux trois provinces. Ces dernières ne disposent en complément que de recettes fiscales propres très limitées, se réduisant à 6 % de leurs recettes réelles de fonctionnement, et de dotations directement versées par l'État pour compenser des charges transférées (dotation globale de fonctionnement et dotation globale d'équipement et de construction des collèges).

L'essentiel des finances provinciales provient donc du budget de la Nouvelle-Calédonie. La part du budget territorial à destination des provinces est affectée selon une clé de répartition prévue par l'article 181 de la loi organique du 19 mars 1999 :

- pour la dotation de fonctionnement : 50 % pour la province Sud, 32 % pour la province Nord et 18 % pour la province des îles Loyauté ;

- pour la dotation d'équipement : 40 % pour la province Sud, 40 % pour la province Nord et 20 % pour la province des îles Loyauté.

Cette clé de répartition constitue une aide en faveur du rééquilibrage au bénéfice des provinces Nord et des îles Loyauté. En effet, si la répartition des dotations entre provinces s'opérait sur un critère purement démographique, elle conduirait à verser 74,5 % à la province Sud, 18,4 % à la province Nord et 7,1 % à la province des îles Loyauté 12 ( * ) .

Depuis 2004, elle peut être modifiée, outre par la loi organique, par une loi du pays votée à la majorité des trois cinquièmes des membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

En dépit des tentatives de remise en cause de cette clé de répartition 13 ( * ) , elle fait l'objet d'un consensus local par attachement à l'esprit initial de l'Accord de Nouméa. Malgré l'esquisse de premiers résultats, l'effort de rééquilibrage n'est pas achevé.

En effet, la province Sud continue à compter les trois quarts de la population calédonienne et le Grand Nouméa (composée des communes de Nouméa, Mont-Dore, Dumbéa et Païta) les deux tiers de cette population. Cette forte densité démographique est le fruit de l'histoire mais également le signe d'une attractivité économique de la province Sud qui concentre l'essentiel des activités économiques et donc des opportunités d'emploi. Cette situation explique d'ailleurs le départ, entre 1996 et 2009, depuis les îles Loyauté vers le Grand Nouméa, d'un résident sur sept, sans compter les nombreux résidents des îles Loyauté habitant en réalité à Nouméa.

Pour votre rapporteur, la forte population de la province Sud et tout particulièrement du Grand Nouméa, loin de plaider pour une remise en cause de la clé de répartition, illustre au contraire sa trop forte attractivité et justifie la nécessité de poursuivre le rééquilibrage en faveur des provinces du Nord et des îles Loyauté.

b) Le rééquilibrage par la formation

Dès la conclusion des accords de Matignon en 1988, la nécessité de favoriser l'accès des jeunes calédoniens, à commencer par les Kanak, aux fonctions de moyens et supérieurs s'est imposée afin de mettre en oeuvre un rééquilibrage dans l'exercice des responsabilités.

Créé en 1988 pour dix ans, le programme « 400 cadres » a formé des calédoniens, dont 70 % de Kanak, en métropole pour accéder aux postes de cadres dans l'archipel Il a été relayé en 1998 par le programme « Cadres avenir » reposant sur les mêmes objectifs. D'abord focalisé sur le secteur public, ce programme a été élargi au secteur privé en fonction des besoins et de la participation des Kanak à ces secteurs.

Près de 25 ans plus tard, le Gouvernement estime que « la réussite de ce programme est entière, un taux d'insertion professionnelle supérieur à 80 % », ce qui dépasse l'objectif initial de 75 %. Les programmes ont évolué en termes qualitatifs puisque « la formation de cadres supérieurs est aujourd'hui importante alors qu'au départ, un problème de vivier a orienté les bénéficiaires vers des formations de premier cycle destinées aux professions intermédiaires ». Certes, une limite est à noter dans la mesure où les débouchés professionnels existent dans le secteur public (avec 56 % des personnes formées), ce qui s'explique par la création et la montée en puissance des provinces et qui ne peut que se vérifier à l'avenir avec les transferts de compétences. De même, si le secteur minier est surreprésenté, certains secteurs comme la banque et l'assurance peinent à recruter parmi les personnes ainsi formées.

3. La question de « l'après-Nouméa »

Lors de sa visite en Nouvelle-Calédonie en juillet 2013, le Premier ministre a indiqué que l'État organiserait, à la demande du Congrès, ou à compter de 2018 de sa propre initiative, le référendum d'autodétermination prévu par l'Accord de Nouméa et l'article 77 de la Constitution sauf « à ce qu'une solution consensuelle réunisse l'ensemble des forces calédoniennes - solution qui entraînerait nécessairement une révision de la Constitution ». Ce faisant, le chef du Gouvernement souhaitait rappeler le rôle de gardien des grands équilibres institutionnels et du processus de l'Accord de Nouméa qui appartient à l'État.

Comme le soulevait lors de son audition M. Jean Courtial, conseiller d'État et auteur, avec M. Félix Mélin-Soucramanien d'un récent rapport consacré à la réflexion sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, la question institutionnelle très largement débattue au sein de la classe politique a un moindre écho au sein de la société civile, davantage préoccupée par les questions liées à la « vie chère ». Ces débats ne sont cependant pas sans effet sur les investissements qui décroissent à l'approche de l'échéance du fait des incertitudes politiques qui invitent à la prudence chez les investisseurs.

L'échéance du référendum qui devrait conduire le corps électoral à se prononcer sur l'accès ou non à la pleine souveraineté de l'archipel s'approche. Comme le relevaient nos collègues députés Jean-Jacques Urvoas, Dominique Bussereau et René Dosière dans leur rapport d'information, cette consultation interviendrait au sein d'une classe politique qui apparaît fortement éclaté. En effet, « près de treize ans après le dernier déplacement de la commission des Lois en Nouvelle-Calédonie, la mission n'a pu que constater que les deux grands partenaires historiques - RPCR et FLNKS -, qui avaient négocié et signé ensemble l'Accord de Nouméa, avaient aujourd'hui laissé la place à un paysage politique nettement plus fragmenté », ce qui les conduisait à observer avec justesse que cette nouvelle configuration « menace le fonctionnement collégial des institutions de la Nouvelle-Calédonie » que d'aucuns ne jugent plus adaptés comme règle de fonctionnement du gouvernement calédonien 14 ( * ) .

À l'inverse, la poursuite du travail de la mission de MM. Courtial et Mélin-Soucramanien sous deux gouvernements de sensibilité politique différente dénote le consensus souhaitable au niveau national sur la question calédonienne. Ce rapport particulièrement clair et pédagogique aux yeux de votre rapporteur a le mérite de poser sereinement les termes du débat avant le référendum qui marquerait un terme au processus de Nouméa.

Pour votre rapporteur, les auteurs du rapport prennent ainsi la précaution de rappeler que l'accès à la souveraineté pour la Nouvelle-Calédonie, qu'il soit accompagné d'accords de coopération ou d'un partenariat privilégié avec la France, n'en demeure pas moins un accès pour l'archipel à la personnalité juridique internationale . Même si des délégations de compétences de la Nouvelle-Calédonie vers la France pour les affaires régaliennes seraient possibles, elles n'en reposeraient pas moins sur la volonté d'un État souverain. De même, les financements de la France à la Nouvelle-Calédonie relèveraient également d'un choix unilatéral de notre pays et pourraient, à tout moment, être arrêtés.

Le rapport précise également les enjeux de la reconnaissance d'une nationalité calédonienne et des conditions d'un éventuel maintien de la nationalité française pour les ressortissants calédoniens. En cas de réponse positive à la consultation prévue par l'Accord de Nouméa, la citoyenneté calédonienne deviendrait une nationalité. Or, comme le soulignent les auteurs du rapport, « la constitution d'une citoyenneté infra-étatique n'est pas nécessairement le stade précurseur d'une nationalité et, vice-versa, la constitution d'une nationalité n'est en rien solide et durable si, dans l'un et l'autre cas, la citoyenneté ou la nationalité n'est pas assise sur une communauté réelle qui se ressent comme telle ». Face à ce constat que votre rapporteur ne peut qu'approuver, la difficulté sur la définition des deux signes identitaires restant prévus par l'Accord de Nouméa - le drapeau commun et le nom - doit inviter à renforcer l'effort de construction d'un destin commun par l'éducation et la formation des jeunes générations.


* 9 CC, 14 novembre 2013, n° 2013-677 DC.

* 10 En application du principe de spécialité législative, les modifications législatives et règlementaires ne sont applicables en Nouvelle-Calédonie que sur mention expresse ; à défaut, la création ou la modification d'une disposition n'y est pas applicable, ce qui peut entraîner une « cristallisation » du droit existant.

* 11 L'ADCK a notamment pour mission de gérer le centre culturel Tjibaou inauguré en mai 1998 à Nouméa.

* 12 Cette répartition est établie à partir du recensement de la population établi en 2009 par l'INSEE.

* 13 Le rassemblement-UMP a présenté une proposition de loi du pays modifiant la clé de répartition, d'ici 2014, en faveur de la province Sud qui percevrait ainsi 56,5 % des dotations de fonctionnement contre 29,3 % pour la province Nord et 14,2 % pour la province des îles Loyauté.

* 14 MM. Courtial et Mélin-Soucramanien se demandent ainsi dans leur rapport, à propos de la collégialité, « si, dans le champ même du travail gouvernemental, elle est parfaitement adaptée à l'accroissement des pouvoirs transférés à la Nouvelle-Calédonie et aux exigences de célérité et d'efficacité dans l'exercice de ces pouvoirs ».

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