B. UNE AMÉLIORATION NÉANMOINS NOTABLE DE LA SITUATION PÉNITENTIAIRE DANS LES DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER

Ainsi que l'a rappelé la direction de l'administration pénitentiaire à votre rapporteur pour avis, les établissements pénitentiaires dans les départements d'outre-mer sont visés par la politique de rénovation et de construction menée depuis plusieurs années par le ministère de la justice. On citera, pour mémoire, les projets de rénovation, de réhabilitation ou de reconstruction du centre pénitentiaire de Remire-Montjoly en Guyane, de Ducos en Martinique et de Baie-Mahault en Guadeloupe. Le centre pénitentiaire de Saint-Denis est une véritable réussite architecturale, comme votre rapporteur pour avis a pu le constater dans le cadre de sa mission effectuée à La Réunion en mars 2012 avec nos collègues MM. Jean-Pierre Sueur et Christian Cointat 12 ( * ) .

D'autres projets sont actuellement en cours dans les départements d'outre-mer, parmi lesquels on citera la maison d'arrêt de Majicavo à Mayotte.

Votre rapporteur pour avis prend acte de la mise en place d'un groupe de travail réunissant onze parlementaires ultramarins 13 ( * ) , par Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, le 10 septembre 2013. Les questions abordées concernent la politique pénale, la population carcérale, l'activité et l'insertion des détenus, la santé, l'immobilier pénitentiaire, la situation particulière des mineurs et la coopération régionale. Les conclusions sont attendues pour fin mai 2014.

Votre rapporteur pour avis tient également à saluer le rôle indispensable du défenseur des droits dont la mission est de veiller, dans les établissements pénitentiaires, à éviter toute rupture d'égalité de traitement entre les détenus, à renforcer le dialogue entre les surveillants et les personnes détenues et à maintenir les liens familiaux des détenus, élément important de leur réinsertion sociale et professionnelle.

Votre rapporteur pour avis tient également à souligner le rôle actif de M. Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, pour favoriser le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Par ailleurs, ses rapports publics sur les prisons de Majicavo et de Nouméa ont permis une accélération de la réhabilitation de ces prisons en soulignant les conditions de vie inacceptables des détenus.

1. La mise en place d'une politique immobilière pragmatique et efficace dans un contexte budgétaire contraint

Le ministère de la Justice dispose de 3 648 places théoriques en outre-mer (collectivités d'outre-mer comprises) réparties dans quatorze établissements pénitentiaires. D'après les informations fournies à votre rapporteur pour avis, 4 611 personnes écrouées détenues étaient recensées au 1 er juin 2013.

Le programme immobilier du ministère de la justice a permis d'améliorer la situation pénitentiaire dans les départements d'outre-mer, en faisant passer le nombre de places opérationnelles de 2 674 au 1 er août 2008 à 3 023 au 1 er août 2012, soit une augmentation de 13,1 % en quatre ans. Dans le même temps, le taux d'occupation global a diminué, passant de 139 % à 123 %, en raison de la stagnation de la population détenue (+ 0,3 % entre 2008 et 2012).

En opérant une distinction selon le type de quartier, cette évolution apparaît plus marquée. Rapporté aux seuls maisons d'arrêt et quartiers maison d'arrêt, le taux d'occupation est passé de 174 % à 140 % entre 2008 et 2012. En revanche, ce taux a légèrement augmenté de 100 % à 103 % pour l'ensemble des autres types d'établissement (centres de détention et quartiers centre de détention).

La vétusté de certains établissements pénitentiaires dans les départements d'outre-mer, en raison notamment du sous-investissement en termes d'entretien et de mise en conformité, et de l'état de sur-occupation, qui accélère le vieillissement des structures, appelle, selon les cas, la réhabilitation ou l'extension des prisons existantes ou la construction de nouvelles structures.

Plusieurs opérations immobilières de grande ampleur ont été mises en oeuvre au cours des dernières années. Ainsi, en Martinique , au regard de la situation de surencombrement du centre pénitentiaire de Ducos, une extension de 80 places en maison d'arrêt pour hommes, à l'intérieur de l'enceinte de cette prison, a été achevée en 2007, réaménageant une partie du bâtiment des ateliers qui étaient inutilisés.

À La Réunion , au centre de détention du Port, une opération de réaménagement intérieur a permis la création de 25 places de détention supplémentaires. Elle a consisté en la récupération de places de détention par le déplacement des locaux du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) et du service médico-psychologique régional (SMPR) ainsi que par le réagencement des espaces disponibles. L'opération a permis en outre de centraliser les services de santé en rapprochant le SMPR de l'unité de consultation des soins ambulatoires (UCSA). La livraison de ces nouvelles places est intervenue début août 2008. L'état de vétusté de la cuisine va nécessiter sa restructuration, une étude étant actuellement en cours.

Par ailleurs, en Guyane , au centre pénitentiaire de Remire-Montjoly, la construction de 75 places supplémentaires a été réceptionnée le 24 octobre 2012 pour un budget de 5,6 millions d'euros. Cette extension faisait suite à une première extension de 78 places, livrée en 2008, mais qui n'avait pas permis de faire à la situation récurrente de surpopulation que connaît cet établissement.

Au regard des contraintes budgétaires pesant sur le budget triennal 2013-2015, deux critères précis ont été priorisés dans l'arbitrage de la chancellerie sur la définition du programme de constructions pénitentiaire : la surpopulation et la vétusté des établissements. Ainsi, les opérations lourdes prévues avant 2013 mais dont les opérations n'étaient pas encore engagées, en particulier les opérations immobilières envisagées à Basse-Terre (reconstruction), à Baie-Mahault (extension), à Remire-Montjoly (nouvelle extension de 145 places), à Saint-Pierre (nouvelle construction) seront examinées dans le cadre du prochain budget triennal.

Trois opérations immobilières sont actuellement en cours dans les départements d'outre-mer, ainsi que l'a indiqué l'agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) à votre rapporteur pour avis.

Au centre pénitentiaire de Ducos en Martinique, à la suite de la première extension présentée précédemment, il est prévu la création de 160 places supplémentaires, via la construction d'une seconde enceinte, le réaménagement des locaux communs, la déplacement des locaux du personnel hors de l'enceinte. Le budget de cette opération s'élève à 36,5 millions d'euros. Les travaux ont commencé fin 2011 et la livraison est prévue pour fin 2014 - début 2015.

À Mayotte , les investissements en cours au centre pénitentiaire de Majicavo portent sur les reconstructions des quartiers maisons d'arrêt hommes et femmes et les constructions d'un quartier centre de détention pour hommes (152 places), d'un quartier pour mineurs (30 places), d'un quartier arrivant, de parloirs (y compris parloirs familiaux et unités de vie familiale), de locaux d'activités socio-éducatives, de locaux de formation et de travail, de locaux dédiés à la santé, d'espaces d'activités sportives, de cuisine de production et de locaux supports (buanderie, maintenance). Seront également réalisés de nouveaux locaux dédiés à l'administration et aux personnels. La première mise en service devrait intervenir au cours du second semestre 2014 et la dernière phase au second semestre 2015. Le coût final de cette opération (extension-reconstruction) est estimé à 60,8 millions d'euros. Par ailleurs, la rénovation des ailes de détention est en cours.

Pour mémoire, on rappellera que cet établissement a déjà fait l'objet de deux agrandissements (le premier en 2004 avec vingt-cinq places supplémentaires et le second en 2010 avec quinze places supplémentaires), afin d'endiguer la surpopulation carcérale chronique. Pourtant, la persistance de ce phénomène a imposé la mise en oeuvre d'un programme immobilier destiné à réhabiliter la prison et à réaliser une nouvelle extension.

Enfin, à La Réunion , l'APIJ est chargée de la réalisation de travaux, qui débuteront en 2014, pour un budget de 4 millions d'euros, destinés à loger le SPIP à Saint-Denis.

Des études de faisabilité et des recherches foncières ont été lancées cette année par l'APIJ pour une étude d'implantation d'un centre de semi-liberté afin de diversifier les modes de détention en Martinique, dans les secteurs du Lamentin ou de Fort-de-France.

Si votre rapporteur pour avis se félicite de la réalisation de projets de rénovation ou de construction d'établissements pénitentiaires ambitieux, dans un cadre budgétaire contraint, il regrette cependant, comme il l'avait rappelé dans ses deux avis budgétaires précédents, que la livraison de certains projets intervienne trop tardivement, alors que les conditions de détention ont atteint un seuil inacceptable dans certains établissements.

Par ailleurs, les extensions programmées suivent souvent avec retard la hausse des peines d'emprisonnement ce qui pose le problème de l'exécution des peines de prison prononcées par les tribunaux. Face à cette difficulté, le transfèrement de certains détenus vers d'autres établissements pénitentiaires ultramarins ou hexagonaux est parfois organisé. Toutefois, votre rapporteur pour avis n'est pas favorable à cette faculté, qui accentue l'isolement et le dénuement de certains détenus, séparés ainsi de leur famille et de leurs attaches. La direction de l'administration pénitentiaire a confirmé à votre rapporteur pour avis le faible nombre de transfèrements de détenus domiens vers des établissements hexagonaux.

2. La nécessité d'appliquer une politique d'aménagement des peines

La rénovation ou la reconstruction des établissements pénitentiaires ne peut apparaître comme l'unique voie pour faire face à la surpopulation carcérale chronique des prisons domiennes. Une diversification de la réponse pénale et le développement des alternatives à la détention doivent également être explorés.

Ainsi, pourrait être développé le recours aux aménagements de peines que sont les régimes de semi-liberté, de placements extérieurs et de placements sous surveillance électronique. Le taux de recours à ces aménagements dans les départements d'outre-mer est inférieur à celui relevé en hexagone : le nombre de personnes condamnées bénéficiant d'un aménagement de peine s'élevait, au 31 mars 2013, à 13 %. Or, ces dispositifs permettraient de réduire notablement la surpopulation carcérale à un moindre coût pour l'État.

L'efficacité des aménagements de peines est reconnue en matière de prévention de la récidive mais suppose un accompagnement de personnel en nombre suffisant et formé. Force est de constater que ce n'est pas le cas dans les départements d'outre-mer.

Beaucoup de peines courtes, qui pourraient être aménagées plutôt que d'être exécutées en détention, ne le sont pas faute de moyens. Or, la peine d'emprisonnement mériterait d'être réservée aux seules situations pour lesquelles elle est nécessaire et utile. Les courtes peines effectuées en prison sont source de « désocialisation » et génératrices de récidive d'où l'importance, aux yeux de votre rapporteur pour avis, de privilégier l'aménagement des peines.

D'après les informations fournies par la direction de l'administration pénitentiaire, entre le 1 er janvier 2012 et le 1 er janvier 2013, on constate une augmentation du nombre de condamnés écroués pour des peines de un an à moins de trois ans dans l'ensemble des établissements pénitentiaires ultramarins (collectivités d'outre-mer incluses). Ils représentent désormais 30 % de l'ensemble des condamnés sous écrou. Les condamnés aux peines de moins d'un an représentent aujourd'hui 36,4 % de l'ensemble des condamnés écroués. La plus forte augmentation concerne les condamnés écroués pour des peines de 3 ans à moins de 5 ans qui ont progressé de 7,2 % entre 2012 et 2013. A contrario , les effectifs moyens des condamnés à une peine de plus de cinq ans de prison ont peu évolué par rapport à 2012. Ils représentent, en 2013, 22,5 % des condamnés écroués dans les outre-mer.

Par ailleurs, outre des difficultés liées au profil social spécifique des détenus dans les départements d'outre-mer, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) font également face à un problème d'encombrement. Par exemple, chaque conseiller du SPIP de Guadeloupe doit suivre 110 condamnés en moyenne, alors que la moyenne sur l'ensemble du territoire national s'élève à près de 90 dossiers par agent.

En outre, les contraintes géographiques particulières de ces territoires ne facilitent pas une prise en charge régulière et continue des détenus. Pour y faire face, votre rapporteur pour avis préconise la délocalisation des permanences des SPIP, malgré les charges qu'une telle mesure peut générer en raison des temps et des frais de déplacement qui peuvent être importants.

Une deuxième piste de réflexion qui mériterait d'être privilégiée pour endiguer la surpopulation carcérale dans les départements d'outre-mer consisterait en la réorientation de la politique pénale en faveur des mesures alternatives à la détention . Le volume des alternatives aux poursuites s'élève à 29,5 % de la réponse pénale au niveau national alors qu'il est largement inférieur dans l'ensemble des outre-mer. Ainsi, votre rapporteur pour avis estime que le rappel à la loi, la composition pénale ou le classement sous condition de régularisation ou d'indemnisation, à l'orientation de l'auteur des faits vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle et l'accomplissement de stages méritent d'être plus fréquemment utilisés.

3. L'importance de la formation professionnelle pour la réinsertion des détenus

La formation professionnelle participe à l'amélioration des conditions de vie et permet de faciliter la réinsertion des détenus à la suite de leur libération. Pourtant, votre rapporteur pour avis a pu constater la faiblesse des politiques de formation dans les établissements pénitentiaires des départements d'outre-mer.

Or, comme l'a rappelé M. Jean-Marie Delarue, la mise en oeuvre de plusieurs solutions spécifiques aux départements d'outre-mer pourrait être envisagée. Votre rapporteur pour avis estime, à l'instar des personnes auditionnées, que l'application des instruments mis en place en métropole ne peut favoriser l'insertion des détenus domiens, en raison de la spécificité des problématiques ultramarines.

Ainsi, une réflexion pourrait être engagée sur la mise en oeuvre d'un dispositif de formation spécifique aux détenus équivalent au service militaire adapté (SMA). Il s'agit d'un dispositif militaire d'insertion socioprofessionnelle s'adressant aux jeunes volontaires les plus éloignés de l'emploi au sein des outre-mer français. Selon le ministère des outre-mer, 83 % des stagiaires du SMA obtiennent le certificat de formation générale à l'issue de leur parcours. Votre rapporteur pour avis estime que les détenus domiens présentent des caractéristiques sociales et éducatives qui justifient la mise en place d'un dispositif similaire, adapté au public carcéral.

Une deuxième option consisterait au développement des régimes de placements extérieurs , qui permettraient aux détenus de travailler, la journée, dans une entreprise. M. Jean-Marie Delarue regrette le faible recours à ce dispositif qui, selon lui, a fortement souffert du développement du bracelet électronique. Or, le risque d'évasion, en raison de l'insularité des départements d'outre-mer, à l'exception notable toutefois de la Guyane, apparaît limité. Il convient néanmoins qu'un tel dispositif n'entre pas en concurrence avec le marché local de l'emploi qui est, dans les départements d'outre-mer, particulièrement sinistré.

Enfin, une troisième piste tendrait à favoriser la formation des détenus via une gestion déléguée de la formation à des partenaires privés. La direction de l'administration pénitentiaire a engagé une réflexion pour organiser des marchés publics proposant des lots économiquement pertinents pour des entreprises locales en la matière.

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La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la mission outre-mer dans le projet de loi de finances pour 2014.


* 12 Rapport d'information n° 676 (2011-2012) de MM. Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan, « Services publics, vie chère, emploi des jeunes : La Réunion à la croisée des chemins », fait au nom de la commission des lois.

* 13 Les parlementaires membres de ce groupe de travail sont : M. Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l'outre-mer, sénateur de la Martinique ; M. Jean-Claude Fruteau, président de la délégation des outre-mer de l'Assemblée nationale, député de La Réunion ; M. Daniel Gibbes, député de Saint-Martin et Saint-Barthélemy ; M. Patrick Lebreton, député de La Réunion ; Mme Hélène Vainqueur-Christophe, députée de la Guadeloupe ; M. Philippe Gomes, député de Nouvelle-Calédonie ; M. Napolé Polutele, député de Wallis-et-Futuna ; M. Maurice Antiste, sénateur de la Martinique ; M. Jean-Etienne Antoinette, sénateur de la Guyane ; M. Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte ; M. Richard Tuheiava, sénateur de la Polynésie française.

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