D. LE MAINTIEN PLÉBISCITÉ DE LA DÉCLARATION D'INSAISISSABILITÉ

La plupart des personnes entendues par votre rapporteur en vue d'établir un bilan de l'EIRL ont, parallèlement, salué la déclaration notariée d'insaisissabilité (DNI) pour sa grande simplicité et son efficacité en termes de protection du patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel 43 ( * ) .

Les représentants des chambres de commerce et d'industrie ont ainsi considéré qu'il eût été préférable d'améliorer le régime de la DNI plutôt que de créer un nouveau statut complexe tel que l'EIRL.

Selon le professeur François-Xavier Lucas, il n'existerait pas de place pour l'EIRL entre la DNI et la forme sociétaire.

Selon Mme Véronique Legrand, maître de conférences, alors que l'EIRL est « handicapé par des faiblesses congénitales », la DNI a fait la preuve de sa simplicité et de son efficacité.

Votre rapporteur tient par conséquent à saluer notre collègue Jean-Jacques Hyest, rapporteur du projet de loi relatif à l'EIRL, qui avait souhaité le maintien du dispositif de la déclaration d'insaisissabilité, alors que dans son projet de loi le Gouvernement avait prévu de le supprimer pour l'avenir, afin de permettre à l'EIRL de se développer plus rapidement.

La DNI est un dispositif de protection bien plus simple que l'EIRL, qui n'exige qu'une seule formalité, peu coûteuse, et n'impose pas de remplir des obligations régulières, notamment comptables. Elle comporte toutefois des effets pervers en cas de procédure collective, révélés par la jurisprudence de la Cour de cassation en 2011 et 2012.

À titre de comparaison, on recense de l'ordre de 37 000 déclarations d'insaisissabilité au moins 44 ( * ) à la date du 31 juillet 2013, dont 16 000 pour la même période de 2011 à 2013 contre 18 000 EIRL. On peut au demeurant s'étonner, comme l'avait fait en 2010 notre collègue Jean-Jacques Hyest, du faible nombre de DNI au regard de son intérêt et de sa simplicité. Sans doute est-ce dû à un manque d'information des entrepreneurs eux-mêmes.

Cependant, les représentants des notaires ont indiqué que la DNI était d'une efficacité limitée, d'autant qu'elle est souvent souscrite alors que des emprunts professionnels ont déjà été contractés, et qu'elle avait moins d'utilité pratique qu'un régime matrimonial adapté pour un entrepreneur.

Les représentants des avocats ont ainsi suggéré de systématiser la souscription d'une DNI en cas de création d'une entreprise individuelle.

Au demeurant, ainsi que l'a indiqué à votre rapporteur le professeur Françoise Pérochon, la DNI peut utilement se cumuler avec le statut d'EIRL.

S'agissant de l'accès au crédit, la FPF n'a pas formulé de difficultés particulières pour la DNI. En tout état de cause, la DNI n'interdit pas de donner une garantie sur sa résidence principale.

1. Les avantages comparatifs de la déclaration d'insaisissabilité

Instituée au bénéfice de la résidence principale par la loi n° 2003-721 du 1 er août 2003 pour l'initiative économique, puis étendue par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie à l'ensemble des biens fonciers, bâtis ou non, qui ne sont pas affectés à un usage professionnel, la DNI est régie par les articles L. 526-1 à L. 526-3 du code de commerce.

Comme l'EIRL, la DNI déroge aux articles 2284 et 2285 du code civil.

Ce dispositif ouvre à tout entrepreneur individuel la possibilité de déclarer insaisissables ses biens fonciers à usage non professionnel. La DNI doit, sous peine de nullité, être reçue par un notaire, décrire les biens concernés de façon détaillée 45 ( * ) et faire l'objet d'une publicité au bureau des hypothèques. Si l'entrepreneur est immatriculé à un registre de publicité légale, mention de la déclaration doit y être portée.

Les formalités à remplir sont donc simples. Leur coût est encadré par le barème tarifaire des notaires.

La DNI est opposable aux créanciers professionnels dont les droits naissent après la publication de la déclaration, de sorte qu'il est préférable de procéder à cette déclaration dès le début de son activité professionnelle. La renonciation, totale ou partielle, est possible à tout moment, le cas échéant à l'égard de certains créanciers uniquement, selon les mêmes formalités que la déclaration initiale. Cette faculté différenciée n'est pas ouverte à l'EIRL.

En cas de cession des biens immobiliers insaisissables, le produit de la cession demeure lui aussi insaisissable, sous réserve du remploi des fonds pour l'acquisition d'une nouvelle résidence principale 46 ( * ) dans le délai d'un an. La DNI continue à produire ses effets pour la nouvelle résidence principale à hauteur des sommes réemployées, à condition de réaliser une déclaration de remploi des fonds selon les mêmes formalités que la déclaration initiale.

2. Les difficultés soulevées par la déclaration d'insaisissabilité

Sans remettre en cause ses avantages par rapport à l'EIRL, la DNI ne va pas toutefois sans soulever des difficultés en cas de procédure collective, ainsi que l'a fait apparaître la jurisprudence de la Cour de cassation, qu'il appartiendra au législateur de résoudre le moment venu.

En l'absence de dispositions législatives, la jurisprudence a dû venir en effet préciser la prise en compte de la DNI dans les procédures collectives.

Par un arrêt du 28 juin 2011 47 ( * ) , la chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré « qu'en cas de liquidation judiciaire, les biens immobiliers ayant fait l'objet d'une déclaration notariée d'insaisissabilité sont exclus du dessaisissement, pour le débiteur, de l'administration et de la disposition de ses biens ». La DNI est ainsi opposable au liquidateur, ce qui crée une inégalité entre les différents créanciers, car ceux qui possèdent une sûreté sur le bien déclaré insaisissable, par exemple une banque, peuvent être désintéressés par le débiteur directement. Ils sont ainsi avantagés par rapport à ceux qui sont inclus dans la procédure collective, par exemple des fournisseurs, qui ne peuvent pas être désintéressés par la réalisation du bien insaisissable.

Puis par un arrêt du 13 mars 2012 48 ( * ) , la chambre commerciale a jugé « que le liquidateur ne peut légalement agir que dans l'intérêt de tous les créanciers et non dans l'intérêt personnel d'un créancier ou d'un groupe de créanciers ; qu'en application du premier, la déclaration d'insaisissabilité n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à sa publication, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant ; qu'en conséquence, le liquidateur n'a pas qualité pour agir, dans l'intérêt de ces seuls créanciers, en inopposabilité de la déclaration d'insaisissabilité ». Ainsi, le liquidateur judiciaire ne peut en aucun cas agir en inopposabilité de la DNI car il est supposé représenter l'intérêt de tous les créanciers.

Par un arrêt du même jour 49 ( * ) , la chambre commerciale a confirmé l'opposabilité de la DNI à toute procédure collective, en précisant qu'« une déclaration d'insaisissabilité régulièrement publiée ne permet pas aux organes de la procédure collective d'incorporer l'immeuble concerné dans le périmètre de la saisie des biens appartenant au débiteur ». L'immeuble déclaré insaisissable reste ainsi hors procédure collective.

Cette jurisprudence pose une difficulté pratique car elle ne permet pas d'appréhender le cas de la souscription frauduleuse d'une DNI avant l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation. La fraude paulienne elle-même ne pourrait donc pas être combattue par le liquidateur, ainsi d'ailleurs que l'a jugé la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 23 avril 2013 50 ( * ) .

En outre, cette jurisprudence pourrait permettre aux créanciers non professionnels ou aux créanciers professionnels antérieurs de saisir le bien déclaré insaisissable en dehors de la procédure collective, au détriment des créanciers professionnels postérieurs et éventuellement, en cas de procédure de redressement judiciaire, du redressement même de l'entreprise.

En tout état de cause, comme l'a indiqué Mme Véronique Legrand, la DNI offre manifestement un niveau élevé de protection pour le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel. La conservation de la disposition de son patrimoine lui permet alors, en cas de redressement judiciaire, d'accéder au crédit en offrant ce patrimoine en garantie.

Ainsi, le dispositif de la DNI mérite d'être complété afin qu'elle soit correctement prise en compte dans le cadre des procédures collectives. Dans la mesure où le bien insaisissable sera généralement saisi, il serait préférable de l'inclure dans la procédure au bénéfice de tous les créanciers. La question se pose d'ailleurs d'une DNI souscrite pendant la période suspecte précédant l'ouverture d'une procédure collective : sur ce point, le régime de l'EIRL est plus clair, car il prévoit la nullité des affectations intervenues pendant cette période et il permet d'engager des actions en réunion à l'actif professionnel. L'application du régime des procédures collectives à l'EIRL est satisfaisante.

Par ailleurs, le professeur Françoise Pérochon a regretté que la DNI ne puisse pas être rendue opposable aux créanciers professionnels antérieurs à sa publication, alors que le régime de l'EIRL le permet, à condition bien sûr de ménager un droit d'opposition dans un délai suffisant. Cette critique rend davantage nécessaire la souscription d'une déclaration d'insaisissabilité dès la création de l'entreprise.

On peut s'interroger enfin sur la consignation des fonds provenant de la cession d'une résidence principale insaisissable, de façon à éviter tout risque de dilapidation, dès lors que ces fonds sont eux aussi temporairement insaisissables sous condition de remploi dans l'année de la cession.


* 43 Selon l'APCA, la DNI ne serait pas connue dans les milieux agricoles.

* 44 Les déclarations d'insaisissabilités antérieures à avril 2008 n'ont pas fait l'objet d'un recensement statistique spécifique, de sorte que le chiffre de 36 804 déclarations ne prend pas en compte celles qui ont été établies de 2003 à avril 2008.

* 45 La déclaration peut concerner une partie seulement d'un bien, à condition d'être assortie d'un état descriptif de division. Elle doit également préciser le caractère propre, commun ou indivis des biens.

* 46 Les autres biens fonciers à usage non professionnel ne sont pas visés.

* 47 Arrêt n° 10-15482.

* 48 Arrêt n° 11-15438.

* 49 Arrêt n° 10-27087.

* 50 Arrêt n° 12-16035.

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