II. CLARIFIER LE CADRE JURIDIQUE APPLICABLE À L'IMPLANTATION DES SALLES DE CINÉMA : L'ARTICLE 24 BIS NOUVEAU

A. L'EXPLOITATION CINÉMATOGRAPHIQUE SUR LE TERRITOIRE FRANÇAIS

1. Un bilan globalement satisfaisant

Dans un ouvrage collectif publié en 2005 22 ( * ) , Jean Cluzel traitait déjà de l'avenir du cinéma confronté aux nouveaux comportements des consommateurs. L'actualité de cette problématique est sans cesse renouvelée : si le cinéma a survécu à la télévision, il lui faut aujourd'hui s'adapter à la concurrence du téléchargement, légal ou non, et au développement des services de vidéo à la demande (VAD).

Certes, le cinéma conserve un attrait qui lui est propre, mais l'exploitation de salles cinématographiques reste un « commerce culturel » 23 ( * ) fragile. Pourtant, la règlementation française visant à réguler l'implantation des multiplexes a permis le maintien à la fois d'un nombre important de salles indépendantes et d'une programmation diversifiée.

a) Un parc de salles en expansion

Le parc de salles de spectacles cinématographiques français comprend, à ce jour, 5 508 écrans actifs, soit 1 070 866  fauteuils, répartis en 2 035 établissements . Le parc de salles parisien comprend, à lui seul, 373 écrans actifs, 70 719 fauteuils et 86 établissements.

Dans l'étude consacrée à L'évolution du public des salles de cinéma , publiée en septembre 2013, le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) faisait état d'une augmentation constante du nombre de salles de cinéma depuis 2002 du fait, notamment, d'une diminution du nombre de fermetures de salles. Ainsi, en moins d'une décennie, « le nombre d'écrans actifs [ a progressé ] de 4,3 %, passant de 5 282 en 2003 à 5 508 en 2012 ».

Écrans

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

France

5 253

5 282

5 277

5 274

5 284

5 316

5 390

5 470

5 465

5 467

5 508

multiplexes
(8 écrans minimum)

1 267

1 375

1 482

1 595

1 661

1 734

1 879

1 968

1 988

2 026

2 082

Source : CNC

b) La fréquentation des salles de cinéma : un bilan positif

La densité de la fréquentation des salles varie et demeure subordonnée à l'importance, à la nature et à la diversité de l'offre de films, ainsi qu'au succès que ces derniers rencontrent auprès du public : s'il a pu être observé, à partir de 2012, un phénomène de moindre fréquentation des salles, il ne représente que le reflux du pic de fréquentation constaté entre 2010 et 2011.

En tout état de cause, les statistiques établies par l'Observatoire européen de l'audiovisuel indiquent que la France demeure le pays le plus cinéphile de l'Union européenne, avec une moyenne annuelle de 3,10 entrées par habitant.

Ce constat positif constitue le résultat d'un rééquilibrage constant entre les différentes catégories de spectateurs. Si la part des inactifs, et notamment des étudiants, parmi les spectateurs a baissé de 14,8 points, celle des cadres supérieurs a augmenté dans le même temps, passant de 24,7 % en décembre 2013 à 31, 1 % en janvier 2014.

c) Un renouvellement encourageant du public

Il ressort des différentes études publiées par le CNC depuis 2012 que la part des spectateurs de 50 ans et plus est en nette progression et dépasse, pour la deuxième année consécutive, celle des spectateurs de moins de 15 ans, en s'élevant à 31,1 % de l'ensemble. La part des spectateurs de moins de 15 ans s'est quant à elle révélée stable en janvier 2014 à 21,6 %. Enfin, le taux de fréquentation des jeunes de 15 à 25 ans a légèrement reculé, mais atteignait encore 18,5 %, en janvier 2014.

Au regard des craintes exprimées par certains que les nouveaux modes de consommation cinématographiques n'éloignent la jeunesse des salles de cinéma, ces données offrent, au contraire, une perspective encourageante quant au renouvellement de leur public . Les établissements cinématographiques continuent à attirer aussi bien les enfants que les adolescents et les jeunes adultes. L'ampleur du phénomène de désertion des salles obscures par les nouvelles générations, au profit d'autres supports tels que la vidéo à la demande (VAD) paraît donc, sinon inexistante, du moins plus marginale et moins alarmante que certains commentateurs semblent le laisser entendre.

2. Une réalité contrastée
a) Multiplexes et salles indépendantes : les conditions de la concurrence

« Ce ne sont pas les multiplexes contre l'art et l'essai [...] mais c'est peut-être de refuser des projets trop vastes avec des moyens financiers importants souvent liés à l'installation d'un grand centre commercial risquant d'étouffer des salles indépendantes ou d'art et d'essai à leur périphérie » 24 ( * ) : tel est l'objectif poursuivi par le dispositif d'aménagement cinématographique, consistant en un régime d'autorisation préalable à l'implantation d'établissements de grande ampleur. Cet arsenal juridique, modifié et amélioré à maintes reprises depuis sa création en 1996, ne vise pas à empêcher l'implantation de multiplexes mais à maintenir un équilibre nécessaire et bénéfique entre exploitation indépendante et grands complexes.

Le phénomène de concentration dans le secteur de l'exploitation des salles n'est pas nouveau. Il avait déjà fait l'objet de développements dans le rapport Cinéma et Concurrence 25 ( * ) , remis en 2008 à Christine Lagarde, alors ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, et à Christine Albanel, alors ministre de la culture, qui insistait sur le fait que « le secteur de l'exploitation est [...] concentré : il est dominé par trois grands circuits de salles qui grâce à leurs réseaux de multiplexes, leurs choix de programmation [...] drainent une partie substantielle des spectateurs et des recettes ».

La dynamique de concentration s'est intensifiée depuis 2008. Trois grands groupes possèdent une majorité des écrans, répartis sur plusieurs multiplexes . Le groupe Gaumont-Pathé arrive en tête avec 753 écrans actifs et 70 multiplexes, dont 14 en région Ile-de-France. Viennent ensuite le groupe Circuit Georges Raymond (CGR), qui possède 425 écrans actifs et près de 40 multiplexes et le groupe UGC avec 378 écrans pour une vingtaine de multiplexes.

Les multiplexes peuvent être définis comme des établissements comptant au moins huit salles de cinéma, implantés généralement à la périphérie des villes. D'abord cantonnés à des zones urbaines de plus de 50 000 habitants, ils sont plus récemment apparus dans des territoires urbains moins peuplés. Comme l'avait souligné notre ancien collègue Serge Lagauche à l'occasion de son discours introductif au colloque « Territoires et cinéma », organisé par votre commission de la culture le 30 mars 2006, le phénomène intéresse tout autant les élus nationaux que locaux . En effet, l'implantation d'un multiplexe sur un territoire a des conséquences directes sur l'exploitation de petites salles de quartier, souvent indépendantes, qui ne parviennent plus à attirer suffisamment de spectateurs. Serge Lagauche avait également insisté à cette occasion sur la nécessité de réguler l'explosion du nombre de multiplexes et avait salué le bilan d'application du dispositif d'autorisation préalable mis en place en 1996.

Le développement des multiplexes demeure toutefois un phénomène préoccupant et la règlementation française en la matière reste perfectible. Elle doit notamment être adaptée au regard du contexte, qui, en l'espace de quelques années, s'est trouvé profondément bouleversé. Serge Lagauche lui-même, bien qu'ayant reconnu l'utilité de l'activité des commissions d'aménagement cinématographique, formule aujourd'hui des propositions en vue d'en réformer le fonctionnement et la composition 26 ( * ) : il en va de l'avenir des salles indépendantes, de l'attractivité des centres villes et de l'animation culturelle qui s'y développe. De fait, si le rythme de fermeture des salles a grandement décru depuis plusieurs années, ainsi que votre rapporteur pour avis le rappelait précédemment, il convient de nuancer ce constat en précisant que la majorité des fermetures concerne des salles indépendantes.

Bilan des ouvertures et fermetures de salles de cinéma

2007

2008

2009

2010

2011

2012

établissements ouverts

+ 32

+ 56

+ 36

+ 19

+ 28

+ 43

dont multiplexes 1

+ 7

+ 8

+ 8

+ 3

+ 4

+ 6

établissements fermés

- 41

- 42

- 39

- 38

- 42

- 41

établissements actifs

2 055

2 069

2 066

2 047

2 033

2 035

écrans fermés

- 89

- 118

- 76

- 80

- 75

- 96

écrans actifs

5 316

5 390

5 470

5 465

5 467

5 508

Source : Rapport Serge Lagauche, mars 2014

1 Établissements de 8 écrans et plus.

Nombre d'exploitants de salles indépendantes tentent de se démarquer des multiplexes. La qualité de la programmation constitue bien entendu un levier de distinction, mais se sont également développées des activités annexes , telles que des cycles de conférences portant sur le cinéma, des rencontres avec des équipes de tournage et des ateliers à l'attention du jeune public. Ce renouvellement du concept même de salle de quartier permet d'offrir aux spectateurs une expérience cinématographique alternative à celle proposée dans les multiplexes.

b) Le passage à la copie numérique : une transition homogène et réussie

Le passage de la bobine 35 mm à la copie numérique a été initié aux États-Unis par la Digital Cinema Initiatives (DCI), réunion de sept majors hollywoodiens. Le standard de numérisation, inscrit dans la spécification publiée par la DCI, a été pensé pour la diffusion de masse et notamment pour les blockbusters . En France, la numérisation a concerné au premier chef les multiplexes : dans ces établissements, grâce aux moyens financiers importants dont disposent les groupes auxquels ils appartiennent, la numérisation des écrans a été systématique et rapide. Cependant, les petits établissements, y compris les cinémas de quartiers et les salles indépendantes, ne sont pas en reste dans le mouvement de modernisation. En décembre 2013, 5 472 écrans étaient ainsi équipés pour la projection numérique, soit 96,2 % de l'ensemble , soit une progression de 3 % par rapport aux statistiques recueillies au mois de septembre 2013.

La numérisation s'est opérée de façon homogène sur l'ensemble du territoire. En 2012, dans son étude précitée relative à la fréquentation des salles, le CNC relevait que les cinémas équipés d'au moins un projecteur numérique étaient majoritairement indépendants. En effet, parmi les 1 644 établissements numérisés à cette date, 84,1 % comportaient moins de cinq écrans. Le nombre d'établissements à salle unique disposant d'équipements de projection numérique s'élevait à 833. Enfin, il convient de noter que 82 circuits itinérants ont également été équipés, permettant des projections numériques dans des villes ou des villages ne disposant pas d'infrastructures permanentes.

Cette homogénéité traduit l'efficacité du dispositif d'aide à la modernisation et à la numérisation des salles. Ce soutien financier a été en grande partie géré par le CNC : en 2012, ce dernier a versé 29,30 millions d'euros au titre de l'aide à la numérisation . Parallèlement au fonds d'aide géré par le CNC, les aides se sont également développées en région.

L'objectif affiché et le dénominateur commun de toutes ces aides est double : il s'agit à la fois de soutenir ce qu'il convient d'appeler les « salles de proximité » et de favoriser un passage équitable au numérique .

Le numérique reste pensé à partir de standards mal adaptés au cinéma « art et essai ». L'association Indépendants solidaires et fédérés (ISF), qui regroupe des salles de cinéma indépendantes classées « art et essai », a, le 9 janvier 2012, obtenu le financement d'une thèse dans le cadre d'une convention industrielle de formation par la recherche. Doctorant à l'Institut de recherche en informatique de Toulouse (IRIT), spécialiste du cinéma numérique, Nicolas Bertrand a été chargé de travailler sur la question du « développement de solutions libres adaptées au cinéma d'art et essai ». Cette recherche pluridisciplinaire, devrait aboutir d'ici un an.

c) Des inégalités marquées d'un territoire à l'autre

Prisé par les Français, le cinéma est perçu comme un lieu privilégié de brassage des catégories socio-professionnelles, ce qui a longtemps constitué le fondement de sa légitimité culturelle. Cependant, la répartition des salles de cinéma sur le territoire montre d'importantes disparités.

Paris demeure la ville française la mieux équipée, tant au regard du nombre de salles que de la diversité des oeuvres disponibles. Pour autant, des disparités existent au sein même de l'agglomération parisienne : ainsi, 76,1 % des 86 cinémas de la capitale sont rassemblés dans neuf arrondissements et concentrent 88,6 % des entrées réalisées à Paris . Ce constat s'observe a fortiori au profit de très grands multiplexes : tandis que 7 établissements comptent plus de dix écrans, 42 sont classés « art et essai ».

Ailleurs, les disparités se creusent entre les grandes agglomérations, les unités urbaines plus restreintes et les zones rurales. En 2012, le 71,9 % des entrées et 73,3 % des recettes étaient réalisées dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants qui concentrent 36 % des établissements, 53,3 % des écrans et 55,3 % des fauteuils. L'implantation massive des multiplexes en périphérie des agglomérations, y compris des agglomérations plus petites, n'a pas eu pour résultat de rééquilibrer cette répartition. Au contraire, la majorité des multiplexes (68 % environ) est installée dans les agglomérations les plus importantes ou à leur périphérie.

Les zones rurales sont, quant à elles, fortement défavorisées en matière d'offre cinématographique. La disparition des salles de cinéma dans ces territoires résulte de la fermeture de nombreuses salles indépendantes. Elle s'inscrit aussi dans un phénomène plus large de désertification des campagnes qui s'observe également en matière d'offre médicale, culturelle ou commerciale. Dans les zones rurales, le statut de l'exploitant de salle n'est guère plus enviable que celui de beaucoup d'autres commerçants. La raréfaction des salles de cinéma dans les territoires ruraux avait déjà été dénoncée par notre ancien collègue Serge Lagauche, dans son discours introductif précité au colloque « Territoires et cinéma » : « si l'équipement de la France urbaine est dense et bien réparti, la France rurale est encore sous équipée ».

Depuis, la situation n'a pas évolué dans un sens favorable aux petits exploitants. La presse locale a souvent fait état, ces derniers mois, de fermetures fréquentes de salles qui, jusqu'alors, constituaient l'un des rares lieux d'animation culturelle à proximité. Certes, il convient de saluer l'effort produit par les nombreuses associations de cinéma itinérant , qui trouvent bien souvent des soutiens et des interlocuteurs auprès des élus locaux, mais ces dispositifs constituent une solution ni pérenne, au regard des attentes du public, ni satisfaisante du point de vue de l'égalité d'accès à la culture .

Fréquentation et équipement des établissements art et essai en 2012
pour les zones rurales et les unités urbaines 1
(établissements actifs)

unités urbaines

unités urbaines équipées

nombre

%

écrans actifs

fauteuils (milliers)

fauteuils par écran

habitants 2 par
fauteuil

séances (milliers)

moins de 10 000 habitants

352

352

31,3

446

88

197

88

266

10 000 à 20 000 habitants

135

144

12,8

271

50

184

62

227

20 000 à 50 000 habitants

99

114

10,1

382

67

175

59

421

50 000 à 100 000 habitants

56

71

6,3

321

57

179

78

436

100 000 à 200 000 habitants

19

42

3,7

105

19

180

173

128

200 000 habitants et plus (hors Paris)

30

158

14,0

360

57

159

266

480

Paris

1

141

12,5

290

52

181

198

384

zones rurales

-

103

9,2

111

19

174

736

54

France

692

1 125

100,0

2 286

410

179

152

2 396

Source : Les dossiers du CNC n° 327 - Septembre 2013

1 Classement 2013 avant appel.

2 INSEE - Recensement 2009, délimitation 2010.

3. Des difficultés certaines
a) Un paysage à dominante américaine

Comme le souligne René Bonnell, « la part de marché que conservera le cinéma français face au cinéma américain [...] continuera à pourvoir des ressources à un niveau conséquent, mais peu aisément prévisible » 27 ( * ) . Certes, entre 2003 et 2013, le nombre de films français à l'affiche a connu une augmentation remarquable de 35 %, mais cette statistique ne dit rien « sur l'espace réellement occupé par les points de projection, ni sur leur durée de maintien à l'affiche ». Les films nord-américains sont moins nombreux ; pour autant la stratégie de commercialisation qui les entoure est extrêmement efficace : campagnes de publicité de grande ampleur et souvent coûteuses plusieurs mois avant la sortie, investissements importants dans les bandes annonces diffusées dans les cinémas, etc.

Ces outils de promotion sont financés par un budget souvent considérable et un fort potentiel commercial , auréolé par une distribution d'acteurs et par un metteur en scène profitant de renommées mondiales. Ces caractéristiques sont plus rarement réunies dans un film français même s'il arrive qu'un long-métrage français à moindre budget éclipse un film nord-américain ( Bienvenue chez les Ch'tis a ainsi cumulé 5 014 229 entrées dès la première semaine de diffusion, malgré la sortie concomitante de films très attendus, comme There will be blood ou encore le blockbuster Taken ). Ce phénomène reste cependant marginal.

La captation des écrans et du public par les films nord-américains constituent deux phénomènes interdépendants : les chiffres de fréquentation des salles, établis au regard de la nationalité des films, reflètent assez bien le constat d' un paysage cinématographique à dominante américaine auprès des plus jeunes spectateurs. Il apparaît en effet que la part des enfants de 3 à 14 ans (14,1 %) et des jeunes de 15 à 24 ans (36 %) dans le public de ces films est élevée. En revanche, leur proportion dans le public des films français est bien moindre : elle s'élève à seulement 9,6 % chez les enfants et à 22,3 % chez les jeunes. Si la tendance s'inverse très légèrement chez les adultes, ce public se révèle cependant plus friand de films étrangers européens (37,4 % du public de ces films) que français (36,1 %). La consommation de films américains par les adultes reste également importante (environ 37 % du public).

b) La durée de vie moyenne inégale d'un film sur les écrans français

« Lorsque j'entends les exploitants de cinéma dire que les films naissent d'abord en salles, j'ai envie de leur répondre qu'ils y meurent aussi très souvent ». Ainsi s'exprimait Michel Hazanavicius, cinéaste et président de la société des Auteurs-réalisateurs-producteurs (ARP), à l'occasion d'un entretien avec Vincent Maraval 28 ( * ) , illustrant le constat dressé par René Bonnell dans son rapport susmentionné s'agissant de la rotation incessante des films sur les écrans français.

Chaque mercredi sortent en moyenne douze films. Parmi eux, certains profitent d'un degré d'exposition élevé. Le nombre de copies et d'écrans varie considérablement , souvent au profit de films à haut potentiel commercial. La concentration des écrans au profit d'un nombre limité de films se trouve accentuée par l'augmentation du nombre d'établissements pratiquant la multiprogrammation (qui consiste à diffuser alternativement plusieurs films dans une même salle) et la multidiffusion (diffusion d'un même film simultanément dans plusieurs salles).

Le temps d'exploitation a tendance à se réduire et s'établit en moyenne à huit semaines. Ceci suppose que la stratégie de communication entourant un film soit extrêmement intense, contrainte qui profite davantage aux films à destination du grand public. Les oeuvres plus confidentielles éprouvent plus de difficultés à se faire connaître : très peu diffusées, elles attirent peu de public et sont d'autant plus rapidement retirées de l'affiche que les recettes qu'elles génèrent sont moindres . À moins d'un phénomène de « bouche à oreille » et d'un engouement particulier du public, ces films sont donc souvent relégués dans quelques rares salles, puis éclipsés quelques semaines suivant leur date de sortie, malgré les efforts réalisés dans ce domaine par le réseau des salles d'art et d'essai.

c) Quel avenir pour le cinéma classé « art et essai » ?

Le classement d'une oeuvre « art et essai » est régi par le décret n° 2002-568 du 22 avril 2002, portant définition et classement des établissements de spectacles cinématographiques d'art et d'essai. A notamment vocation à rejoindre cette catégorie toute « oeuvre possédant des qualités, mais n'ayant pas obtenu l'audience qu'elle méritait », ou encore toute oeuvre constituant une « nouveauté dans le domaine cinématographique ». Dans le cadre d'une convention conclue avec le CNC, l'Association française des cinémas d'art et d'essai (AFCAE) établit la liste des oeuvres recommandées, qui font ensuite l'objet d'une décision de classement prise par le président du CNC.

Dans le discours prononcé à l'occasion de la réforme de la procédure de classement, entrée en vigueur en 2002, David Kessler, alors président du CNC, avait explicité les raisons pour lesquelles le classement se ferait désormais sur la base des établissements et non plus des écrans : « cela répond à deux principes. D'abord prendre en compte tous les films passant dans un établissement, sans les cantonner à la plus petite salle d'un complexe. Ensuite, bien identifier, dans les grandes villes, les établissements art et essai » 29 ( * ) .

La fréquentation des cinémas classés « art et essai » demeure globalement satisfaisante. En France, 1 140 établissements environ sont aujourd'hui classés « art et essai », tout label confondu. Selon les dernières statistiques établies par le CNC, ces salles réalisent en moyenne 49,67 millions d'entrées, soit 28,4 % de la fréquentation totale . Les cinémas classés « art et essai » proposent à leur public une palette plus large de films. Cette diversité est reflétée par les trois labels « art et essai » : « Jeune Public », « Recherche et Découverte » et « Patrimoine et Répertoire ». Par ailleurs, la part de marché des films français est plus élevée dans les salles « art et essai » que dans les autres établissements.

Fréquentation et équipement en 2012 par taille de commune
(établissements actifs)

total

multi-
plexes 1

numé-
risés 2

art et essai 3

écrans actifs

fauteuils (milliers)

fauteuils
/ écran

habitants 4
/ fauteuil

séances (milliers)

moins de 10 000 habitants

1 042

21

777

585

1 496

296

198

109

1 073

10 000 à 20 000 habitants

312

18

262

193

800

155

194

43

904

20 000 à 50 000 habitants

308

56

278

177

1 278

247

193

36

1 832

50 000 à 100 000 habitants

132

34

112

68

617

125

202

39

956

100 000 à 200 000 habitants

88

24

78

39

499

94

189

40

846

200 000 habitants et plus (hors Paris)

67

21

58

26

445

84

188

43

801

Paris

86

7

79

37

373

71

190

32

737

France

2 035

181

1 644

1 125

5 508

1 071

194

58

7 150

Source : Les dossiers du CNC n° 327 - Septembre 2013

1 Établissements de 8 écrans et plus.

2 Établissements équipés d'au moins un projecteur numérique.

3 Classement 2013 avant appel.

4 INSEE - Recensement 2009.

La répartition sur le territoire des cinémas d'art et d'essai est relativement homogène . Contrairement à ce que l'on observe sur le reste du parc, les régions les plus peuplées ne sont pas systématiquement les mieux équipées en établissements « art et essai ». Le CNC recense ainsi en moyenne un fauteuil « art et essai » pour 150 habitants sur l'ensemble du territoire, mais ce chiffre est bien moindre dans certaines régions très peuplées. Ainsi, à Paris, la moyenne s'élève à seulement un fauteuil « art et essai » pour 190 habitants.

Pour autant, « les frontières se brouillent, au sein de la programmation, entre les établissements art et essai et les multiplexes » 30 ( * ) . De plus en plus fréquemment, les grands circuits de salles et les multiplexes concurrencent les petites salles, du moins en ce qui concerne la diffusion des films d'art et d'essai les plus porteurs . Dans une telle situation, le risque de captation des rares copies disponibles par les chaînes de salles est réel. Il se trouve renforcé par le fait que ces dernières ont recours à une fidélisation massive des spectateurs par le biais d'abonnement et d'offres préférentielles.

In fine , le succès relatif du cinéma « art et essai » n'est rendu possible que par l'efficacité du dispositif de soutien mis en place par le CNC. Votre rapporteur pour avis estime donc essentiel de maintenir ce fragile équilibre .


* 22 La télévision a-t-elle tué le cinéma, ouvrage collectif sous la direction de Jean Cluzel, Presses universitaires de France, 2005.

* 23 Bilan et propositions sur le régime d'autorisations d'aménagement cinématographique issu de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 , mars 2014, rapport de M. Serge Lagauche, rédigé en qualité d'expert à la demande du CNC.

* 24 Rapport Lagauche, op. cit.

* 25 Cinéma et concurrence , Anne Perrot et Jean-Pierre Leclerc, mars 2008.

* 26 Rapport Lagauche, op. cit .

* 27 Le financement de la production et de la distribution cinématographique à l'heure du numérique , René Bonnell, décembre 2013 .

* 28 Entretien retranscrit par Thierry Lounas pour la revue Sofilm numéro 17 (février 2014).

* 29 Discours paru dans le bulletin de l'AFCAE, le 29 juin 2001.

* 30 Rapport Lagauche, op.cit.

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