II. LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE FRAGILISANT LES SOURCES DE FINANCEMENT DU FONDS DE SOUTIEN, DES RÉFORMES DEVIENNENT URGENTES POUR PRÉSERVER LES PRINCIPES MÊMES DU SOUTIEN PUBLIC AU CINÉMA

Ce constat est désormais largement partagé parmi les professionnels du cinéma : la révolution numérique, en modifiant la façon de fabriquer des films et, surtout, de les diffuser et de les regarder, fragilise notre système vertueux de préfinancement des oeuvres cinématographiques en tarissant les sources de son financement ; il est devenu nécessaire, pour en préserver les principes - le préfinancement, la mutualisation, la progressivité, la diversité -, pour promouvoir une exception culturelle qui ne soit pas qu'une barrière réglementaire décalée des usages sociaux, de l'adapter à ce cadre nouveau où le spectateur est plus autonome, où il « navigue » désormais dans une offre bien plus étendue et globalisée.

Les propositions de réformes sont nombreuses, nécessairement contradictoires au moment où « les cartes sont redistribuées » sur la chaîne de valeur. Votre rapporteur pour avis estime que cet état de fait rend l'intervention de l'État plus nécessaire : pour faciliter et faire respecter les accords utiles aux professions et à l'activité cinématographiques dans leur ensemble, mais aussi pour assurer , à l'intérieur de nos frontières comme dans l'enceinte européenne, que nos règles soient pertinentes dans leur environnement désormais globalisé .

A. LES SOURCES DE FINANCEMENT DU FONDS DE SOUTIEN SONT FRAGILISÉES PAR LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

Les Assises pour la diversité du cinéma français (2013) ont fait apparaître un large consensus parmi les professionnels, de ce que l'ensemble du système vivait sous la menace de ruptures majeures : les sources de financement du cinéma se tarissent sous l'effet conjugué de plusieurs facteurs :

- l'érosion des audiences du cinéma sur les chaînes de télévision généralistes : celles-ci déclarent perdre de l'argent en diffusant les films qu'elles préachètent, c'est-à-dire ne pas couvrir ces achats par de la diffusion publicitaire ; de 2008 à 2012, ces pertes s'élèveraient à 119 millions d'euros pour TF1 (24 millions d'euros par an) et à 45 millions d'euros pour M6 (9 millions d'euros par an) ;

- l'effondrement du chiffre d'affaire du secteur de l'édition vidéo (-50 % de son chiffre d'affaires en dix ans) réduit tout à-valoir assis sur les recettes vidéos (ce qui n'empêche pas que des éditeurs disposant de catalogues importants, puissent gagner de l'argent avec l'édition vidéo) ;

- les chaînes de France Télévisions perdent de l'argent dans leurs obligations de coproduire des films de cinéma : ces pertes représenteraient 40 % de leurs investissements pour France 2 et France 3 ;

- la pression exercée par le recul du chiffre d'affaires de la publicité pour les chaînes en clair, les annonceurs se tournant davantage vers les nouveaux médias ;

- le poids croissant de la télévision de rattrapage (TVR), qui diminue l'attractivité de la télévision en direct, donc la valeur commerciale qui est attachée à la diffusion des films de cinéma à la télévision.

Surtout, les changements de pratiques, permis par la révolution numérique en cours, ont des incidences profondes sur notre système de production cinématographique.

Changement majeur, la télévision devient à la demande : le spectateur peut désormais accéder au contenu de son choix, partout où il se trouve; télévision de rattrapage, vidéo à la demande, streaming, téléviseurs « intelligents », ordinateurs, smartphones : en quelques années, les techniques de diffusion et de réception ont été bouleversées, le spectateur y gagne en autonomie, la télévision se regarde en décalé et le spectateur devient son propre programmateur, sur tous les supports. Les chaînes de télévision s'adaptent, elles font plus de place à leurs téléspectateurs via les réseaux sociaux, mais en leur donnant aussi toujours plus de moyens pour s'autonomiser (offre gratuite de « rattrapage », regroupement offre internet/télévision).

Cette transformation des comportements a une incidence sur chacun des supports participant au financement de la production cinématographique . Le plus marquant, c'est que le cinéma perd de son attrait à la télévision, parce qu'il est visible sur le marché avant de passer sur les antennes. Il n'est que de voir comment, aux États-Unis par exemple, les principales chaînes ne diffusent plus de films, lesquels ont trouvé leur place dans des cases spécifiques de chaînes spécialisées. Dès lors, les chaînes de télévision, vont nécessairement perdre de l'intérêt à financer de la production cinématographique. Pour les chaînes publiques et pour Canal+, les obligations vont apparaître de plus en plus décalées par rapport aux avantages. Paradoxalement, c'est au moment où la salle de cinéma a reconquis son public que le cinéma est menacé dans sa production même.

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