C. UNE STRATÉGIE DE VALORISATION DE LA « MARQUE » AÉROPORTS DE PARIS

1. Des ambitions projetées à l'international

Grâce à sa présence sur l'ensemble de la chaîne de valeur aéroportuaire (ingénierie et maîtrise d'oeuvre, construction, et gestionnaire), ADP cherche à saisir des opportunités à l'international pour projeter ses savoir-faire, accélérer son développement et mettre en oeuvre des synergies tout en respectant une certaine discipline financière dans les appels d'offre internationaux. L'ambition du groupe est d'être le leader de la conception, de la construction et de l'exploitation d'aéroports : « exporter nos services le plus possible, nos capitaux le moins possible, voilà notre stratégie » affirme son Président.

En 2012, pour sa première grande acquisition internationale, ADP a investi plus de 700 millions d'euros dans le rachat de 38 % du groupe aéroportuaire TAV , concessionnaire jusqu'en 2021 du principal aéroport d'Istanbul, Atatürk (ATA). Cette opération est intervenue juste avant la décision du gouvernement turc de construire un nouvel aéroport international à Istanbul, confié à un consortium constitué de cinq conglomérats turcs spécialisés dans le BTP (Limak, Cengiz, Mapa, Kalyon et Kolin). Le groupe TAV a en effet été éliminé de l'appel d'offres le 3 mai 2013.

Augustin de Romanet résume ainsi : « Pour être déjà présent à Ankara, Istanbul et Izmir, nous avions le sentiment de pouvoir remporter l'appel d'offres du troisième aéroport d'Istanbul : l'objectif de ce projet pharaonique était de recevoir 150 millions de passagers quand le premier au monde, Atlanta, en reçoit 98 millions. À regarder de près les chiffres, nous avons finalement résisté à la bulle des infrastructures et à la surenchère et nous avons bien fait : l'aéroport est parti à 22 milliards d'euros ; résultat, aucune banque ne veut mettre la main à la poche pour le financer ».

L'entreprise a au final réalisé une opération très chanceuse en Turquie. TAV Airports a accueilli 84 millions de passagers en 2013 dans ses 11 aéroports, dont 51 millions pour le seul aéroport d'Istanbul Atatürk (+14 % en 2013 après une croissance de +32 % en 2012). ADP étudie actuellement les aménagements de capacités nécessaires puisque l'aéroport atteint déjà sa capacité maximale théorique (50 millions). En parallèle, le projet de nouvel aéroport prend du retard, ce qui prolonge d'autant l'activité d'Istanbul Atatürk . Le consortium de constructeurs turcs se heurte à des difficultés techniques, financières et environnementales. La date d'inauguration annoncée par les autorités turques (mise en service de la première phase fin octobre 2017) semble donc très ambitieuse, pour ne pas dire irréaliste.

Aéroports de Paris participe également à l' appel d'offre en cours pour le remplacement du Terminal Central de La Guardia initié par la Port Authority of New York & New Jersey (PANYNJ) à l'été 2013. ADP s'est associé à Goldman Sachs Infrastructure, ainsi qu'à TAV, dans le cadre du Consortium du Terminal Central (CTC) de La Guardia (15 % ADP, 25 % TAV et 60 % Goldman Sachs). Le montant des travaux est estimé à environ trois milliards de dollars et la construction du nouveau terminal devrait s'effectuer de 2015 à 2020, pour une concession qui durerait jusqu'en 2050. La sélection d'un candidat préférentiel est prévue au mois de novembre 2014, avec l'objectif de finaliser le closing au premier trimestre 2015. Il s'agit du premier projet significatif de partenariat public-privé pour un aéroport américain. ADP mise beaucoup sur ce marché, en raison des forts besoins d'investissements aéroportuaires à venir aux États-Unis .

Aéroports de Paris cherche également à se positionner en Amérique du Sud. Le groupe s'est engagé dans un consortium ADP (45 %), Vinci (40 %) et Astaldi (15 %) qui s'est porté candidat pour la mise en concession pour 20 ans des terminaux de l'aéroport de Santiago au Chili . L'objectif est de construire un nouveau terminal international pour doubler la capacité de l'aéroport , de 15 millions de passagers actuellement à 30 millions. Lancée en juin 2014, la mise en concurrence prévoit un dépôt des offres le 18 novembre 2014, un choix du vainqueur le 18 décembre 2014 et un début de concession le 1 er octobre 2015.

2. Un regard également tourné vers la province

Pour autant, Aéroports de Paris ne se détourne pas du territoire français et s'intéresse au capital des aéroports régionaux . Le groupe participe à l' appel d'offres relatif à l'aéroport de Toulouse-Blagnac 10 ( * ) . Cet investissement est jugé stratégique dans la mesure où il complèterait les références de l'entreprise en France, en particulier sur le marché des « aéroports de métropole d'équilibre » en pleine croissance en Europe et dans le monde, et permettrait de s'insérer davantage dans l'écosystème aéronautique, grâce à la proximité géographique avec Airbus. L'aéroport de Toulouse-Blagnac est lui-même complémentaire des aéroports parisiens, dont il partage les deux principaux clients que sont Air France et EasyJet.

Néanmoins, sur les trois offres déposées, celle d'un consortium chinois ( Friedmann Pacific Investment et le Shandong High Speed Group , conseillés par le canadien SNC-Lavalin) serait la plus généreuse, autour de 300 millions d'euros, ce montant étant significativement supérieur aux offres remises par les deux candidats français, Aéroports de Paris (ADP) d'une part, Vinci d'autre part. Quant aux autres candidats potentiels (Macquarie, Ferrovial, AviAlliance), ils ont finalement abandonné le dossier. Les collectivités locales concernées doivent se prononcer sur l'offre mercredi 19 novembre, et le ministre de l'économie a annoncé que l'État rendrait sa décision d'ici un mois.

Votre rapporteur ne s'oppose pas par principe à l'arrivée d'investisseurs chinois, qui portent de grandes ambitions pour le développement économique de cet aéroport. Il s'interroge cependant sur l'opportunité de privatiser les aéroports régionaux, qui sont des monopoles naturels, au risque de commettre les mêmes erreurs qu'avec les concessions autoroutières.

D'un point de vue géopolitique, cela revient également à céder progressivement nos infrastructures critiques à la Chine, qui a déjà largement déployé cette stratégie en Grèce, notamment avec la prise de contrôle emblématique du Port du Pirée en 2010. Il ne faudrait pas que la privatisation de l'Aéroport de Toulouse se transforme en capitulation économique des intérêts de la France.


* 10 L'État détient actuellement 60% de l'aéroport de Toulouse-Blagnac (le solde de 40% appartenant aux collectivités locales) : il a lancé, en juillet dernier, une procédure de cession de 49,99% du capital de la société, avec une option pour vendre 10,01% supplémentaires.

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