B. POUR UN « GRENELLE III » DU FINANCEMENT DE LA MOBILITÉ
1. La nécessité d'aller plus loin que la stricte compensation de l'écotaxe
Pour trouver des recettes de substitution au péage de transit poids lourds, le Gouvernement a mis en place un groupe de travail composé des représentants des transporteurs routiers et des chargeurs. Votre rapporteur est circonspect quant à la méthode suivie, qui dépossède le Parlement de ses compétences et réserve une question aussi importante à un petit comité composé de représentants d'intérêts catégoriels. Il souhaite aussi souligner que cette mesure est loin de correspondre à l'enjeu que constitue le financement des infrastructures de transport.
En effet, le Gouvernement s'est engagé à financer plusieurs opérations d'envergure. Il a ainsi annoncé pour décembre 2014 la remise des résultats du troisième appel à projets pour le développement des transports collectifs en site propre (TCSP). S'y ajoutera le volet « mobilité multimodale » des contrats de plan État-régions en cours de négociation, qui devrait atteindre 6,7 milliards d'euros. Enfin, le Gouvernement a réitéré son engagement à financer le scénario 2 de la commission Mobilité 21, le plus ambitieux en termes de développement et d'amélioration des infrastructures de transport.
LES DEUX SCÉNARIOS DE LA COMMISSION MOBILITÉ 21 La commission Mobilité 21, composée de parlementaires de sensibilités diverses et de personnalités qualifiées, a été créée en octobre 2012 pour hiérarchiser les projets d'infrastructures du schéma national des infrastructures de transport (SNIT) élaboré à la suite du Grenelle de l'environnement et formuler des recommandations en vue de créer les conditions d'une mobilité durable. Elle a formalisé deux scénarios de financement des infrastructures de transport. Le premier scénario repose sur l'hypothèse d'un budget annuel de l'AFITF de 2,26 milliards d'euros par an jusqu'en 2030, ce qui équivaut à un total cumulé de 31,6 milliards d'euros. Compte tenu des engagements déjà pris par l'AFITF 5 ( * ) , à hauteur de 22,9 milliards d'euros, ainsi que des dépenses nécessaires pour la modernisation des réseaux et le renouvellement des matériels roulants, ce scénario permettrait le lancement de 8 à 10 milliards d'euros de projets nouveaux. Le second scénario est plus ambitieux, puisqu'il propose un montant d'investissements nouveaux de l'ordre de 28 à 30 milliards d'euros. Il repose toutefois sur l'hypothèse d'une amélioration de la conjoncture économique et la mobilisation de sources supplémentaires de financement, à hauteur de 400 millions d'euros par an, en plus des recettes attendues de l'écotaxe qu'il faut désormais compenser. |
Votre rapporteur ne peut que saluer l'engagement du Gouvernement sur ces différentes opérations. Il note toutefois que leur réalisation dépendra de l'attribution effective de recettes pérennes et suffisantes à l'AFITF.
La commission Mobilité 21 avait estimé à 2,5 milliards d'euros le budget annuel de l'AFITF nécessaire pour la réalisation du scénario 2 . La stricte compensation du manque à gagner résultant de l'écotaxe ne sera donc pas suffisante. Il faut en outre ajouter à ce scénario 2 deux grands projets sur lesquels le Gouvernement s'est engagé, le Lyon-Turin et le canal Seine-Nord.
Pour répondre à l'enjeu qui est posé, votre rapporteur appelle donc à la réunion d'un « Grenelle III » du financement de la mobilité, réunissant l'ensemble des parties prenantes.
Il tient par ailleurs à marquer son attachement au maintien de l'AFITF , dont l'utilité a été remise en question par certains, notamment à la commission des finances. Cette structure présente en effet l'avantage de sanctuariser le financement des infrastructures suivant une logique vertueuse de report modal : ses recettes, majoritairement issues de la route, financent pour plus de la moitié des modes de déplacement plus respectueux de l'environnement (transports ferroviaires, collectifs et fluviaux). Pour votre rapporteur, l'état des infrastructures de transport françaises justifie le fléchage de recettes qui, sinon, seraient noyées dans la masse des crédits budgétaires. En outre, et comme l'a relevé Marie-Hélène Des Esgaulx elle-même, l'AFITF réunit dans son conseil d'administration « des personnes d'horizons divers (plusieurs administrations centrales, élus locaux, parlementaires, personnalités qualifiées), permettant une décision plus éclairée sur les choix et les priorités des infrastructures à financer. »
2. La suppression de la taxe « Grenelle II », un autre exemple du dialogue insuffisant entre le Parlement et l'État
L'article 8 du projet de loi de finances vise à supprimer plusieurs taxes « à faible rendement ». Il supprime , en particulier, la taxe forfaitaire sur le produit de la valorisation des terrains nus et immeubles bâtis résultant de la réalisation d'infrastructures de transport collectif en site propre ou d'infrastructures ferroviaires hors Ile-de-France , dite « taxe Grenelle II », codifiée à l'article 1609 nonies F du code général des impôts.
LA TAXE GRENELLE II Cette taxe, facultative, peut être instituée : - lorsqu'il s'agit de la réalisation d'infrastructures de transport collectif en site propre, sur délibération des autorités organisatrices de transports urbains ; - lorsqu'il s'agit de la réalisation d'infrastructures ferroviaires, sur délibération des régions ou de l'État. Elle est affectée au budget de l'autorité organisatrice de transport, et destinée exclusivement au financement de la réalisation, du réaménagement, ou de la modernisation des équipements et infrastructures de transport. Lorsqu'elle est instituée par l'État, elle revient à l'AFITF. Elle est assise sur un montant égal à 80% de l'écart entre le prix de cession et le prix d'acquisition du bien (actualisé). Son montant ne peut dépasser 5% du prix de cession. Lorsque la cession porte sur des biens situés à moins de 800 mètres d'une entrée de gare de voyageurs prévue pour le projet d'infrastructure au titre duquel la taxe a été instituée, le taux de la taxe est de 15 % pour les autorités organisatrices de transports urbains, 5 % pour la région et 5 % pour l'État. Au-delà de cette distance, et lorsque la cession porte sur des biens situés à une distance de moins de 1 200 mètres d'une entrée de gare de voyageurs prévue pour le projet d'infrastructure au titre duquel la taxe a été instituée, le taux de la taxe est de 7,5 % pour les autorités organisatrices de transports urbains, 2,5 % pour la région et 2,5 % pour l'État. LE CAS DU GRAND PARIS Une taxe similaire avait été créée pour le financement du Grand Paris par la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, avant d'être supprimée dès la loi de finances rectificative pour 2010, qui l'a remplacée par la taxe spéciale d'équipement du Grand Paris. Pour justifier cette substitution, l'évaluation préalable de l'article 15 du projet de loi de finances rectificative pour 2010 indiquait que la taxe sur le produit de la valorisation des terrains nus et des immeubles bâtis, « ne remplit que très imparfaitement son objectif. En effet, l'impact des travaux du Grand Paris sur la valorisation du foncier devrait se diffuser sur l'ensemble de la capitale et non se concentrer sur le périmètre situé à l'abord immédiat des gares. En outre, la taxe prévue s'applique à la fois aux personnes physiques et aux personnes morales mais elle fait peser sur ces dernières une charge excessive en raison notamment de l'absence d'un mécanisme de réduction de l'assiette analogue à celui qui est prévu pour les personnes physiques. De plus, la taxation des cessions de titres de sociétés immobilières dont l'actif est partiellement situé dans le périmètre de taxation risque de créer des situations complexes et difficiles à gérer. Enfin, les stipulations de certaines conventions fiscales rendent possible son contournement, incitant à l'évasion fiscale et créant de fortes inégalités entre investisseurs résidents et non résidents. » |
Instituée par l'article 64 de la loi « Grenelle II » du 12 juillet 2010, à l'initiative de votre rapporteur, cette taxe du même nom n'a jamais été mise en oeuvre. C'est la raison qu'invoque le Gouvernement pour en proposer la suppression aujourd'hui.
Votre rapporteur tient toutefois à faire remarquer qu'elle n'a jamais pu être mise en oeuvre, faute de parution du décret d'application prévu au même article 1609 nonies F. L'argument avancé par le Gouvernement semble donc peu opérant.
De con côté, la commission Mobilité 21 avait rangé la mise en oeuvre effective de la fiscalité sur la valorisation foncière liée à la création d'une infrastructure parmi les « pistes intéressantes à discuter ».
Dès lors, le Gouvernement aurait dû justifier davantage le motif de cette suppression.
* 5 A la date de remise des travaux de la commission, soit en juin 2013.